Le texte qu’il livre aux congressistes comporte un certain nombre d’orientations qui animeront, pendant un certain temps encore, plusieurs débats au sein de la CSN. 1974, 1975 et 1976 sont des années de luttes syndicales importantes et mémorables. Depuis le congrès précédent, les syndiquéEs – et pas uniquement celles et ceux de la CSN - ont eu à affronter des attaques frontales de la part de l’État et de plusieurs employeurs du secteur privé. Le présent rapport se divise en cinq parties : la crise ; le mouvement syndical et les travailleurs ; un cadre de réflexion et un plan d’action comportant des objectifs à atteindre ; les liens à tisser entre le syndicalisme et l’action politique et finalement le rôle des déléguéEs en tant que leviers auprès des travailleurs dans leur syndicat.
D’entrée de jeu, Pepin mentionne le courage des salariéEs qui n’ont pas hésité à défier « des lois conçues par un pouvoir outrageant à l’excès ». Cela s’explique, selon lui, par une conjonction d’un certain nombre de facteurs dont les suivants : « Il a fallu que le dépérissement du pouvoir politique atteigne un degré inégalé. Il a fallu que le mouvement syndical opère en son sein une série de mutations, que son idéologie s’ajuste continuellement, que ses actions provoquent les changements profonds qui s’imposaient. » Scrutons d’un peu plus près maintenant ce texte qui correspond, en quelque sorte, à un testament idéologique de celui qui a été le huitième président de la Confédération des syndicats nationaux.
1.0 Une société en crise
Dans la section consacrée à la « Société en crise », Pepin s’intéresse surtout aux aspects économique, social et politique de cette crise.
Sur la crise économique
Pepin soulève ici trois questions inévitables en vue de voir clair dans la crise économique : « Que se passe-t-il au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde capitaliste ? Y a-t-il une crise ou, si l’on préfère un bouleversement profond du système capitaliste ? Quelles sont les conséquences de ce bouleversement ou de cette crise et qui en supporte davantage les effets ? » Ces interrogations s’imposent pour quiconque veut y voir plus clair « si nous voulons réagir d’une manière favorable à la classe ouvrière qui reste la grande perdante, et peut-être la seule, de toute l’opération ».
De quoi était faite cette crise économique au début de la seconde moitié des années soixante-dix ?
« L’inflation s’installe de façon qui semble permanente. Les mesures appelées « anti-inflation » sont un leurre pour cacher autre chose, le chômage augmente, la production stagne et les gouvernements se durcissent de façon générale contre les travailleurs et contre l’ensemble de la population. Nous ne sommes plus en 1930, et pourtant on parle de crise, crise aussi profonde que celle des années 30 avec la différence que les allocations sociales (assurance-chômage, assistance sociale, allocations familiales) sont là pour camoufler la misère du peuple, pour apaiser la conscience des biens nantis. Il y a crise du capitalisme, crise de l’impérialisme. Et le Québec n’y échappe pas, au contraire : quand ça va mal ailleurs, ça va plus mal au Québec ; quand ça va mieux ailleurs, ça va moins bien au Québec. »
L’impérialisme américain fait face désormais à la concurrence des économies du Japon et de certains pays européens. Cette concurrence entre pays capitalistes développés s’accentue pendant que le pillage des ressources des pays du tiers-monde s’intensifie. Un peu partout sur la planète, des peuples se soulèvent ce qui a pour effet d’affaiblir la puissance et la prépondérance de l’impérialisme américain. La récession économique « se transforme en véritable crise du système impérialiste. Et les contradictions se développent aussi à l’intérieur des pays capitalistes développés ». Pepin observe que dans les pays développés nous assistons à un « ralentissement de la production » qui s’accompagne d’une hausse du taux de chômage et d’une chute du revenu personnel.
D’une manière un peu plus concrète Pepin précise : « Cette crise a comme conséquence que les capitalistes cherchent une main-d’œuvre docile, prête à sacrifier des revendications afin que la classe possédante puisse retirer de ses investissements des bénéfices intéressants. Donc la principale tâche des capitalistes et de leurs gouvernements durant la récession actuelle sera la réduction de la combativité de la classe ouvrière, combativité qui, de toute évidence, est à un niveau fort élevé à l’heure actuelle. »
Pepin voit, déjà à cette époque, dans la réduction de certaines dépenses gouvernementales dans la santé et l’éducation une « attaque contre le niveau de vie des travailleurs ». Il perçoit également dans l’adoption par le gouvernement Trudeau de la loi C-73 et de l’adoption de la loi 64 par le gouvernement du Québec, dirigé à l’époque par Robert Bourassa, la mise en place de mesures législatives visant à « freiner l’augmentation des salaires », ce qui était bel et bien le cas. Pepin mentionne que l’adoption des lois 253 et 23 par le gouvernement du Québec a eu pour effet d’empêcher l’exercice du droit de grève dans les hôpitaux (PL 253) et d’interdire le droit de grève des enseignants et des employés de soutien dans les écoles (PL 23).
Ces différentes lois visaient le même but : « freiner l’augmentation des salaires » et réduire, autant que faire se peut, la combativité des syndiquées qui luttent en vue de reprendre le terrain perdu. À ce sujet Pepin note que les salaires dans le revenu national ont chuté « de 6,3% entre 1971 et 1974 ».
Sur la crise sociale
Pepin constate qu’il existe un « profond fossé qui sépare la réalité du discours des élites ». Tous et toutes ne peuvent pas devenir « millionnaires du jour au lendemain », comme le suggère la publicité de la loterie. En période de crise économique, « les tensions sociales sont exacerbées ».
« Nous vivons constamment sur un volcan. Il y a des explosions sporadiques, tantôt dans une région, tantôt dans une autre. Et, phénomène assez récent chez nous, les luttes se généralisent à de plus grands ensembles : batailles du front commun, appui concret d’une partie du secteur privé. L’insatisfaction se généralise. Des assistés sociaux jusqu’aux agriculteurs, chaque groupe exprime sa colère. » Il existe donc un « envers du décor ». « Mais dans une société comme la nôtre, où l’opulence est érigée en système, où on convainc l’individu qu’il est un être diminué s’il ne conduit pas une voiture de l’année et qu’il ne se conforme pas à la philosophie distillée par les slogans publicitaires, il ne faut jamais perdre de vue que dans cette même société se développent parallèlement la misère la plus noire, la pauvreté la plus sordide, les conditions de vie les plus abjectes. » Bref, les revenus de certaines familles ne leur permettent tout simplement pas de « vivre décemment ». Il appartient aux leaders syndicaux et aux syndiquées de « dire la réalité ». « C’est à nous de continuer à dire toute cette réalité et, réalisons-le bien, nous sommes les premiers et peut-être les seuls à nous en préoccuper. »
Il y a un autre aspect de la crise sociale que Pepin souligne : « La place du travailleur […] qu’on lui accorde dans l’entreprise, l’absence de pouvoir qui est son lot. » Au sein du système capitaliste, le travailleur est marginalisé, aliéné et exploité. « Il sert uniquement à faire des profits à d’autres ». Il est réduit au rôle de simple « marchandise ». Les travailleurs et les dirigeants syndicaux qui résistent à ce système d’exploitation économique sont sévèrement réprimés, « tout est mis en œuvre pour tenter de les écraser ».
Pepin rappelle ici que « Le syndicalisme n’a pas à accepter le moule dans lequel on veut l’encadrer, l’emprisonner. Le syndicalisme a le strict devoir de déborder le cadre traditionnel de la convention collective et de se servir de celle-ci comme instrument d’amélioration du sort de la population. »
Sur la crise politique
À la crise économique, à la crise sociale, se greffe une crise politique importante. « Au Québec, plus encore qu’ailleurs, la vie politique se déroule dans une espèce de désert étouffant, où la plupart des rouages d’une société dite démocratique ne fonctionnent pas […]. Malgré les apparences trompeuses des résultats électoraux, ce gouvernement ne gouverne plus avec le consentement populaire. Le consensus essentiel au fonctionnement minimal des institutions tombe en lambeaux, mois après mois, s’émiette au fur et à mesure que le pouvoir s’enfonce dans la médiocrité. »
C’est ce pouvoir politique et « ses acolytes, qui se scandalisent devant ce qu’ils appellent la « désobéissance civile » de centaines de milliers de travailleurs qui refusent de leur reconnaître plus longtemps une quelconque autorité morale. Il faut être bien aveugles pour ne pas comprendre que l’autorité morale ne s’achète pas à coups de subventions, qu’elle ne se manipule pas comme une image télévisée, ni qu’elle se trafique comme les contributions aux caisses électorales. » Cette crise politique n’est pas plus grave que certaines crises précédentes. Elle est, selon Pepin, uniquement « plus transparente ». « La liaison du politique et du capital est de tout temps. Les conflits chez nous n’ont servi qu’à la mettre davantage en lumière. »
La crise politique a pour effet de mettre un peu plus en lumière la non-neutralité de l’État. La justice pratique la règle de deux poids deux mesures. « Les exemples prouvant que les travailleurs, leurs représentants, leurs organisations n’y sont pas traités comme les autres sont nombreux. » Le gouvernement se range du côté des compagnies, il se conduit comme un « État bourgeois ». « Le gouvernement est dépendant du milieu d’affaires », il coupe là où le patronat demande « de couper le taux d’accroissement des budgets sociaux ».
Face à ces triples crises, Pepin soulève la perspective d’avenir suivante : « Au moment où pourrait se généraliser par suite d’un dégoût par ailleurs compréhensible, une espèce de retour à un sauvetage individuel, nous avons la responsabilité, le devoir, d’amener le plus grand nombre à croire et à travailler à l’avènement d’un système économique et social où c’est collectivement que les affaires seraient prises en mains, que les orientations seraient décidées et que les ressources seraient utilisées. »
2.0 Le mouvement syndical et les travailleurs
Constatant que le tableau qu’il vient de dresser de la société est plutôt « sombre » et qu’il pourrait même inciter ou inviter au « découragement, à l’inertie, à l’inaction », Pepin affirme que « (le) mouvement syndical peut et doit continuer à lutter. D’autres coups nous seront portés ; il y aura encore des difficultés ; la répression risque de s’exercer davantage. Il faut se faire à l’idée et s’organiser en conséquence. »
Les syndicats indépendants : « des organismes parasitaires »
Il faut, par conséquent, maintenir la ligne et ne pas craindre de se trouver « régulièrement parmi les premiers à lancer des débats lourds de signification dans notre société […] et [forcer] la discussion et la mise en place d’idées, de mécanismes et de luttes pouvant amener une transformation sociale radicale. » Donc, « remporter des victoires qui sont réelles, mais aussi les préserver. » Cette dernière remarque amène Pepin à s’interroger sur l’existence des « syndicats indépendants ou de boutique ». « Depuis quelques années, plusieurs groupes, affiliés auparavant à la CSN qu’ils soient du privé ou du public, se sont retirés de l’organisation pour former des syndicats indépendants ou de boutique. » « Les employeurs favorisent ce type de syndicalisme et lui accordent une attention particulière surtout s’il est en compétition avec des syndicats affiliés et militants. Il sert de contrepoids. » Il qualifie même les syndicats indépendants comme suit : « En deux mots, ce sont des organismes parasitaires. Les comptoirs d’aubaine du monde des relations de travail. »
La vocation du « syndicalisme de combat » : combattre le « capitalisme lui-même »
La répression qui sévit à l’endroit du syndicalisme militant qui mène des luttes sur différents fronts comme la politique gouvernementale linguistique (le bill 22), l’autoritarisme politique (les lois spéciales de retour au travail, la crise d’octobre 1970, les lois qui ont pour effet de contrôler les hausses de salaire, etc.), les injonctions des tribunaux, l’emprisonnement des militants syndicaux, le matraquage en provenance des forces policières, etc., oblige une réflexion autour de la « vraie vocation » du syndicalisme. Le syndicalisme ne peut pas, devant le vent de la réaction des forces politiques et judiciaires conservatrices et réactionnaires, se replier sur « un syndicalisme « neutre » ». Il faut rejeter « l’idée d’un syndicalisme tranquille. Nous sommes plongés au cœur d’un syndicalisme qui ne se contente plus de dénoncer et de réprimer les abus d’un système, même s’il doit le faire tous les jours, mais d’un syndicalisme qui a acquis la certitude qu’il faut aller à la racine du mal, aux causes profondes qui ont été identifiées dans le système lui-même. Ce ne sont donc plus les abus du capitalisme qu’il faut combattre, mais le capitalisme lui-même parce que, de sa nature, il est la source d’iniquité. C’est la distinction profonde entre le syndicalisme de combat et le syndicalisme d’affaires. »
« Dans la perspective d’un mouvement syndical toujours plus fort, occupant une place toujours plus grande », Pepin mentionne l’impérieuse obligation pour sa centrale syndicale de recruter constamment de nouveaux adhérents.
3.0 Des actions à entreprendre et des objectifs à atteindre
Dans cette section Pepin s’attarde à différentes lois qui régissent les relations de travail et qui sont « à l’origine d’une grande part des problèmes » auxquels le « syndicalisme combatif » est confronté. Sans aucune naïveté et en sachant à l’avance que les changements qu’il réclame ne s’obtiendront pas facilement, il revendique une réforme des lois du travail autour d’une « reconnaissance pleine et entière du droit d’association et du droit de grève » (le droit de grève permanent non réglementé et l’interdiction de prohiber la grève de sympathie). Pepin dénonce également le recours abusif aux « fameuses lois spéciales » qui ne sont plus « respectées » par les syndicats et leurs membres. Il importe aussi de « supprimer, dans les relations de travail, l’utilisation des injonctions » et « l’outrage au tribunal » contre les grévistes, procédure judiciaire qu’il qualifie de « procédure inquisitoire ».
Pepin est parfaitement conscient que sous sa présidence, la CSN a pratiqué un syndicalisme « plus militant et combatif, un syndicalisme qui ne craint plus de s’afficher tel un syndicalisme de classe. » Ce syndicalisme a eu pour effet d’en faire fuir plusieurs de ses rangs. Des groupes importants ont déserté la CSN. Malgré tout, Pepin continue à adhérer au « pluralisme syndical » dont « les formes concrètes […] restent à définir. »
« Il peut paraître audacieux de préconiser le pluralisme syndical. Mais cette position aurait l’avantage de favoriser le développement du militantisme dans nos syndicats, de faire échec à l’immobilisme lorsqu’il existe, et entraînerait sans doute un mouvement d’organisation syndicale des travailleurs sur une base moins affairiste et plus politisée puisque les travailleurs auraient la possibilité concrète d’adhérer librement à l’organisation syndicale de leur choix en fonction des objectifs de cette organisation et des idées qu’elle défend. »
4.0 L’action politique syndicale autonome des travailleurs
Dans cette section de son rapport moral, Pepin soulève d’entrée de jeu deux interrogations incontournables à ses yeux : « Notre action syndicale a-t-elle une dimension politique ? Quelle attitude devons-nous prendre face à la politique électorale, à la formation d’un parti des travailleurs ? »
Avant de répondre à ces interrogations, le président de la CSN se demande dans quel lieu principalement le pouvoir de la « classe dominante » se manifeste principalement. Après avoir passé en revue la somme des appareils de domination politique et coercitive (le parlement, les tribunaux, la police) Pepin souligne ceci ; « Le pouvoir politique, il faut s’en rendre compte, il faut s’ouvrir les yeux, s’exerce d’abord, et principalement, sur les lieux de travail. Dans les usines, les institutions, les hôpitaux, les écoles. […] Ce pouvoir-là est politique ! Et l’attaquer est un acte profondément politique ! » Puisque le lieu de travail (usine ou institution) est un espace de domination politique, « Le pouvoir des travailleurs doit passer par une plus grande autonomie sur les lieux de travail, par des responsabilités accrues dans l’usine ou l’institution. »
Se pose dès lors la question du « parti politique des travailleurs ». Il n’appartient pas à la CSN de se faire le promoteur de la formation d’un parti politique. À ce sujet, il constate : « Les partis politiques ne cessent pas de nous attaquer et pourtant, nous n’avons jamais eu, jusqu’ici, de machines électorales. Nous ne finançons aucune formation politique, ce qui est un phénomène unique en Amérique du Nord. On ne trouve dans aucun de nos budgets des sommes consacrées à la politique électorale. Nous n’appuyons aucun parti politique, que ce soit sur la scène fédérale ou québécoise. »
« La CSN, en tant que centrale syndicale, n’a jamais fait de politique électorale et n’en fera jamais tant que les membres voudront que cette position soit maintenue. À tort ou à raison, c’est ainsi que nous avons fonctionné jusqu’à maintenant. Si les travailleurs en décidaient autrement, cela changerait, mais pour l’instant, il n’est pas question d’afficher le syndicalisme au chariot d’un parti politique. »
Plus concrètement encore, « les travailleurs doivent mettre au monde les organismes dont ils ont besoin, mais ils doivent financer ces organismes eux-mêmes. Ils doivent être indépendants de l’organisation syndicale. D’un autre côté, même si un parti politique était fondé, formé et dirigé par des travailleurs, nous n’aurions pas à nous inféoder à ce parti. Parce que même si ce parti politique existait, il ne serait pas une réponse à tous les problèmes quotidiens du monde du travail. »
Le congrès de la CSN s’est tenu en juillet 1976, soit quelques mois avant l’élection d’un gouvernement péquiste élu le 15 novembre de la même année. Dans son rapport moral, Pepin souligne qu’il y a « une équipe politique neuve qui s’apprête à recueillir la faveur populaire et qui s’appelle le Parti québécois ». Le « renouveau politique qui s’annonce à l’horizon promet de drainer vers la politique électorale une proportion […] importante de nos dirigeants et militants ». Face au Parti québécois, Pepin ne se fait aucune illusion : « Nous avons toujours été roulés par les politiciens et cela a imprégné chez certains un dégoût total pour la politique électorale. Nous avons l’obligation aujourd’hui, à titre de travailleur, de prendre une part de plus en plus active dans la vie politique. Nous n’avons plus le choix. Mais cela étant dit, il nous faut également être conscients que jamais nos syndicats ne devraient être sacrifiés sur l’autel de la politique. »
La seule action politique que Pepin envisage pour les syndicats est la suivante : « Le syndicat est l’instrument de libération du travailleur, le lieu où il est maître de ses décisions, la forteresse qu’il défend des empiétements du pouvoir politique et économique. La seule politique qui se fait à l’intérieur du syndicat est la politique syndicale, la politique qu’élabore le travailleur pour prendre sa place partout et surtout dans l’entreprise. »
Il y a des péquistes au sein de la CSN, mais, il importe de le préciser, la centrale syndicale n’a aucun lien organique avec ce parti politique. De plus, elle ne lui a jamais accordé un appui officiel quelconque.
5.0 Les déléguéEs : des leviers indispensables à l’action collective
En terminant, Pepin met l’accent sur les responsabilités des personnes qui participent au congrès à titre de déléguéEs. À ce sujet, il précise ceci : « Quand une décision est prise, il faut que 1 000, 1 500 leviers entrent immédiatement en action. Il faut que ces 1 000, 1 500 leviers actionnent des dizaines de milliers de travailleurs dans le sens de l’action décidée. »
Conclusion sommaire et provisoire
Dans ce dernier rapport moral de 1976, Pepin dresse un portrait de la situation qui se caractérise par une triple crise (économique, sociale et politique). La misère se propage de plus en plus en raison du chômage de masse et l’inflation érode, chiffre à l’appui, le pouvoir d’achat des salariéEs. La crise (qui sera qualifiée par les spécialistes en économie de « stagflation ») jette plusieurs salariéEs sur le chômage et à l’aide sociale. Les employeurs exigent de l’État des coupures dans les enveloppes des programmes sociaux et ils demandent aux gouvernements d’adopter des lois antisyndicales en vue de briser la résistance et la combativité des travailleuses et des travailleurs et broyer les revendications syndicales portant sur les salaires. Le syndicalisme combatif prôné par Pepin en a effrayé plus d’un au sein de la CSN qui ont décidé d’opter pour le syndicalisme indépendant ou le syndicalisme de boutique. Il qualifie ces organisations syndicales « (d’) organismes parasitaires. Les comptoirs d’aubaine du monde des relations de travail. » Pepin persiste dans l’affirmation et le maintien d’un syndicalisme de combat. La CSN doit continuer à intensifier ses démarches de recrutement de nouveaux membres. Il en va de la vitalité même de la confédération syndicale. Il est d’accord, malgré tout, avec le pluralisme syndical dont la forme reste à préciser. Il rappelle que le syndicalisme doit investir le champ politique. Il ne s’agit pas par contre du champ de la lutte électorale, partisane ou parlementaire. Dans ce grand et long débat qui a divisé les philosophes politiques autour des liens qui existent ou non entre l’économie et la politique (Qu’est-ce que la société civile ? Qu’est-ce que la société politique ? Qu’est-ce qui les distingue ou les lie l’une à l’autre ?) Pepin tranche. Il postule que l’entreprise est politique et qu’à ce titre, l’action politique syndicale doit se concentrer principalement et prioritairement dans ce lieu, laissant celui de la lutte pour la conquête et l’exercice du pouvoir gouvernemental entre les mains des forces politiques partisanes et électorales. C’est au sein de l’usine ou de l’institution que les travailleurs syndiqués peuvent élargir leur influence et « Prendre leur pouvoir ». Face au Parti québécois, Pepin exprime, avec raison, une grande méfiance. Ce parti politique, une fois au pouvoir, n’hésitera pas à recourir à l’adoption de lois spéciales pour briser la combativité syndicale. La ronde de la non-négociation de 1982 dans les secteurs public et parapublic donnera lieu à l’adoption d’un nombre très élevé de lois spéciales d’ailleurs (voir à ce sujet les projets de loi 68, 70, 72, 105 et 111). Immédiatement après cet affrontement entre les salariées syndiquées et l’État employeur, le gouvernement péquiste refaçonnera, à son avantage, un nouveau régime de négociations dans les secteurs public et parapublic. Ces événements illustrent que la méfiance de Pepin à l’endroit des partis politiques en général et face au Parti québécois en particulier, n’étaient pas exagérées elles étaient plutôt très réalistes.
Yvan Perrier
30 avril 2022
16h
yvan_perrier@hotmail.com
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