Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Histoire

Raconter l’histoire de la laïcité, pour pouvoir se projeter dans l’avenir

Nous sommes en danger de « présentisme ». Pour ne pas s’enfermer dans une tour d’ivoire, l’historien doit pouvoir restituer, au-delà d’un étroit public de spécialistes, ce que des années de recherche ont permis d’apercevoir. Cette note de blog effectue deux présentations concernant l’histoire de la laïcité. L’ouvrage de P. Cabanel, « Le Droit de croire. La France et ses minorités religieuses », et la nouvelle édition retravaillée de mes deux « Que sais-je ? » aux PUF.

Tiré du blogue de l’auteur.

De toutes part, l’actualité nous accable. Mais, en ce jour anniversaire du 7 octobre, pour éviter de redire ce que d’autres expriment déjà fort bien, je m’en tiens à la règle que je me suis fixé pour ce Blog : parler de choses où je peux, immodestement, espérer tenir des propos un peu originaux.

Donc, pour ce qui concerne l’actuel, j’indiquerai seulement, qu’une nouvelle fois, j’ai été favorablement impressionné par l’entretien de Clémentine Autain sur France-Inter, samedi 5 octobre. Sur le fond, je suis, pour l’essentiel, en accord avec ce qu’elle a déclaré à propos du Proche-Orient (selon moi, elle est claire et sur le Hamas et sur Israël1), comme de la situation politique et sociétale française. Sur la forme, j’ai énormément apprécié que, allant contre la violence médiatique présente, elle émette des réponses dubitatives sur certaines questions ; affirmant que, sur tel et tel sujet, elle n’a pas encore de position assurée, qu’elle réfléchit, tout en donnant des éléments intéressants de réponse. Ainsi, elle a abordé le risque d’être contreproductif, en focalisant sur les victimes lors des procès de viol, si on incorpore le « consentement » dans sa définition juridique (ce qui serait, par ailleurs, un progrès).

Il doit être encore possible d’écouter cet entretien, pour celles et ceux qui l’auraient loupé. Une société laïque devrait être une société réflexive. Mais, prêtez l’oreille aux médias dominants, vous entendrez constamment parler d’« émotion », jamais de « rationalité ».

Autain présentait le mouvement qu’elle a co-fondé : « Après ». Ce titre est sobre, et nous sommes loin de la formule des « lendemains qui chantent » mais, en un seul mot, il pose la question fondamentale de notre aujourd’hui : comment la « génération désenchantée », que chantait déjà Mylène Farmer (en 1989 !), peut-elle arriver à se projeter dans un avenir vivable pour toutes et tous, et comment s’atteler à le construire ? Je suis persuadé qu’en effectuant le plus rigoureusement possible son travail, l’historien peut, à sa manière, contribuer à cette tâche collective. Il doit le faire en affrontant ce que Weber appelait les « faits dérangeants », en montrant les angles morts de la mémoire collective, en insérant les évidences présentes dans une dynamique historique : ces dernières perdent ainsi beaucoup de leur superbe !

L’historien rend service au militant en décryptant le « présentisme »

Nous sommes en danger de « présentisme ». J’attribue un double sens à ce terme. Celui défini par François Hartog : l’effacement contemporain du passé et du futur au profit d’un présent omniprésent et perpétuel ; mais également, second sens en interconnexion avec le premier, la tendance, à chaque époque, à faire du présent la norme intemporelle qui juge le passé et l’avenir selon les critères propres de l’aujourd’hui. Ce qui me passionne le plus, dans mon travail d’historien, c’est que je suis toujours écartelé entre le refus de l’anachronisme, la prise de distance nécessaire avec mes propres catégories culturelles et éthiques, nécessité absolue pour comprendre ce qui est advenu et faire œuvre de savoir, et le refus du relativisme, car les grands principes que nous considérons comme universels -comme l’égalité entre les femmes et les hommes- questionnent forcément, non seulement le présent mais également les temps passés.

J’ai choisi ce dernier principe car j’ai en tête un exemple très ravageur pour toute la gauche d’aujourd’hui, mais je ne l’indique pas tout de suite, afin de ménager un petit suspens !

Plus le travail de l’historien s’avère scientifiquement sérieux, plus il donne aux militant.e.s un apport précieux. S’il s’agit de conforter un catéchisme, même républicain ou de gauche, cela peut être accompli, vite fait, mal fait (et beaucoup le font déjà !). Nul besoin de passer des centaines d’heures à affronter des documents qui permettent de reconstruire le passé, sans le tordre comme un nez de cire. Ce travail de recherche, où l’on ne sait pas, au départ, ce que l’on va découvrir, est fondamental (encore une fois : il permet de sortir des stéréotypes). Et il interroge aussi le présent car, si les conjonctures sont structurellement différentes et les problèmes affrontés autres, il existe des permanences anthropologiques : ainsi, à chaque fois, il faut arriver à démolir un « mur de peur » (métaphore analogue au plafond de verre) car, comme l’indique la sagesse populaire (sociologiquement souvent très pertinente), « la peur est mauvaise conseillère ».

Mais, pour ne pas s’enfermer dans une tour d’ivoire, l’historien doit, ensuite, s’adonner à un travail de vulgarisation (très frustrant pour lui : cela l’oblige à des raccourcis), indispensable pour pouvoir restituer, au-delà d’un étroit public de spécialistes, ce que des années de recherche ont permis d’apercevoir.

Cette Note effectue deux présentations concernant l’histoire de la laïcité. D’abord, l’ouvrage de Patrick Cabanel, Le Droit de croire. La France et ses minorités religieuses, XVIe-XXIe siècle (Passés composés). Ce livre tient plutôt du premier aspect (la recherche) ; quoi qu’en opérant une synthèse sur la longue durée, il manifeste aussi une ouverture vers le second (la vulgarisation) et, de plus, montre que des obsessions comme celle du « grand remplacement » sont récurrentes dans l’histoire de France. Ensuite, je signalerai la nouvelle édition retravaillée, parue ces derniers mois, de mes deux « Que sais-je ? » aux PUF (je vous avais prévenu que je serai immodeste !), Histoire de la laïcité en France et les Laïcités dans le monde. Ces ouvrages appartiennent, sans conteste, à de la vulgarisation. Mais je n’aurai jamais pu écrire ces petits livres (vous connaissez la formule : 128 pages maxi) si je n’avais pas, par ailleurs, effectué, pendant des décennies, des recherches de « première main » (comme on dit, dans notre jargon professionnel).

La France et ses minorités religieuses. Pluralisme et laïcité

Historien du protestantisme, spécialiste des rapports historiques qui ont existé entre protestants et juifs, auteur de livres qui ont trait à la laïcité, Cabanel est on ne peut plus qualifié pour analyser les relations que l’Etat et la société française ont noué avec les minorités religieuses, à partir du moment où celles-ci n’ont pas pu être éradiquées ou expulsées et où s’est, en conséquence, posée la question de la « tolérance » de ceux que l’on n’arrivait pas à supprimer. Son ouvrage est, en fait, une histoire des difficultés culturelles du pluralisme en France, malgré sa nécessité politique pour éviter (ou pouvoir terminer, comme au XVIe siècle) la guerre civile. L’instauration du pluralisme (même limité) est hautement réversible, comme le montre la Révocation de l’Edit de Nantes, en 1685, qui s’effectue dans la nostalgie de l’unité perdue. Souvent, cela va de pair avec la haine de la diversité, comprise comme une division menaçante. L’historien relève, à plusieurs reprises, des fictions complotistes, produisant un florilège d’accusations où foisonne cette haine.

Cabanel met en lumière la panique, la hantise d’une majorité qui craint de devenir minoritaire dans « son » propre pays : nous la retrouvons, écrit-il, « au long des siècles, face aux juifs, puis aux musulmans ». Mais, bien sûr, ce ressenti est fallacieux : le véritable problème est d’« être la majorité -et ne plus être que cela- quand on a été le tout », quand on se pense toujours comme étant le tout. « Et le pire est peut-être, ajoute-t-il, ce moment où la minorité, d’abord visible, et dérangeante pour cela, devient invisible à force d’intégration réussie (ce que la majorité a exigé ou qu’elle a cru impossible) : c’est alors que la peur d’un ‘remplacement’ peut surgir ». Les édits de tolérance (du XVIe siècle et celui de 1787) deviennent alors une « honteuse capitulation », une « puanteur » qui produit un « vomissement » et putrifie « le sang » de la France « autrefois (dit-on) si beau, si pur, si bouillant de dévotion ». Et notre auteur de se poser la question « le complotisme ne surgit-il pas » quand les majoritaires se voient contraints de « renoncer à [leur] exclusivité et d’assister à l’ouverture des droits aux minorités ? Les haines religieuses deviennent alors sociales et politiques ». Un autre ouvrage, qui vient de paraître, Survivre. Une histoire des guerres de religions de Jérémie Foa (Seuil) le montre de façon érudite, pour ce qui concerne les conflits traumatiques du XVIe siècle.

Ces peurs vont à l’encontre d’une gestion politique que l’on peut qualifier de pré-laïque où, si les principes actuels de la laïcité ne sont pas encore observés, son fondement est établi : l’excommunié ne cesse pas d’être citoyen, il possède toujours des droits (Michel de l’Hospital). C’est la logique de l’Edit de Nantes de 1598, après les quarante années de « guerres de religions ». Mais cet Edit ne propose pas, pour autant, un idéal pluraliste. Il se veut un agencement temporaire, dans l’attente d’une unité religieuse retrouvée. Mentalité dont les traces ont, ensuite, été récurrentes.

A lire Cabanel, on perçoit lumineusement l’importance (oubliée) de l’état-civil dans la fabrication de la laïcité et à quel point les spécificités laïques françaises ont historiquement à voir avec sa répulsion envers le pluralisme. Le fait était déjà connu pour l’Edit de tolérance de 1787, sous Louis XVI : devant le problème social que pose le fait de considérer juridiquement comme « batard » les enfants de protestants, pour ne pas reconnaitre la validité des mariages célébrés (clandestinement) par les pasteurs (et donc donner de la légitimité politique à la pluralité des convictions), on instaure la possibilité d’un état civil laïque pour les « non-catholiques » (quitte à faire surgir la crainte d’une « possible fluidité des mariages »).

On trouve là un embryon de laïcité qui précède la généralisation de l’état civil laïque opéré, en 1792, par la Révolution française. Il s’enracine dans le refus du pluralisme et, d’ailleurs, cette généralisation de l’état civil, cinq ans plus tard, garde un état d’esprit analogue : elle permet, en effet, d’éviter de reconnaitre la légitimité des actes opérés par les prêtre réfractaires (ceux qui ont refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé de 1790).

Or, sur cette question, Cabanel va beaucoup plus loin en nous rendant attentif à un paradoxe : la Révocation de l’Edit de Nantes a produit de la laïcisation ! En effet, l’interdiction du protestantisme, en 1685, conduit une Déclaration royale à édicter que les plus proches parents d’une personne « morte sans les secours de la religion catholique devraient déclarer le décès aux juges royaux et apposer leur signature sur un registre prévu à cet effet : c’était l’ébauche d’un premier enregistrement non religieux, d’une ‘laïcité’ à destination des protestants ». Après la Révocation et à cause d’elle, la France compte « deux registres des morts : celui de l’Eglise [catholique], celui de l’Etat (pourtant catholique mais prenant en charge les seuls protestants) … C’est une forme de séparation, ou plutôt de complémentation ».

Notre historien nous livre là une découverte scientifique de la plus haute importance : elle est, en effet, décisive contre toute sacralisation de la « laïcité à la française », celle-ci s’enracine, entre autres (bien sûr), dans une incapacité historique à vivre le pluralisme, incapacité dont les conséquences pèsent encore aujourd’hui. D’ailleurs, il faut cesser de se raconter des contes de fées : on répète à satiété la phrase de Clermont-Tonnerre : « Tout accorder aux juifs comme individus, tout leur refuser comme nation », en ignorant que, peu après, alors que les autres citoyens prêtaient serment individuellement, on a fait prêter serment aux rabbins au nom de leur communauté ; double jeu souvent caractéristique de l’attitude dominante française face aux minorités. Et, avec l’exemple, du protestantisme et du jansénisme, notre auteur montre aussi que des minorités, combattues à partir de peurs analogues, peuvent très bien s’entredéchirer, au lieu de présenter un front commun face aux discriminations qu’elles subissent. L’actualité n’en donne-t-elle pas un nouvel exemple ?

Je vais m’arrêter là, faute de pouvoir indiquer tous les aspects importants de ce livre. Je signale seulement, au fil de la plume, quelques points parmi d’autres, qui ont alimenté ma réflexion. Par exemple, la manière dont la mémoire collective tronque le passé. Deux cas : le rôle oublié de Pierre Bayle dans l’histoire de la laïcité ; la façon dont Voltaire met en avant l’exemple anglais, alors que ses admirateurs contemporains passent leur temps à décrier un « modèle anglo-saxon ». Me semble également éclairante, la notion (un oxymore !) d’« universalité dominante » et la proximité rappelée, par l’auteur, entre « Marianne » et « Marie », ce qui pose le problème de la « catho-laïcité ». Je terminerai, cependant, par une critique : Cabanel apparait moins à l’aise quand il s’agit d’analyser « l’histoire du temps présent ». Néanmoins, son ouvrage donne des matériaux très précieux pour le décrypter et cela est l’essentiel.

Laïcité en France et dans le monde

Je l’ai indiqué, mes deux « Que sais-je ? » se situent, eux, du côté de la vulgarisation et ils atteignent leur but puisque l’Histoire de la laïcité en France, paru pour la première fois en 2000, en est à sa 9ème édition, et que Les laïcités dans le monde, paru en 2007, en est à sa sixième. Chacune de ces rééditions conduit, non seulement, à actualiser un sujet toujours en mouvement, mais me pousse à retravailler l’ensemble de l’ouvrage, d’abord, pour tenir compte de nouvelles parutions (ainsi la majorité des études auxquelles je me réfère maintenant ont été publiées après la 1ère édition de chaque ouvrage) ; ensuite, pour reformuler plus clairement certains passages, les améliorer, tenir compte des préoccupations actuelles ; enfin, pour intégrer les résultats des recherches que j’ai effectuées depuis l’édition précédente. Et cela doit être réalisé sans augmenter le nombre de pages : rude tâche !

J’ai donc procédé ainsi en vue des nouvelles éditions. Pour l’Histoire de la laïcité en France les principaux changements concernent le XXe et le début du XXIe siècle. D’une part, des transformations (déjà commencés dans l’édition de 2021, mais poursuivies) concernent la préparation, la fabrication et l’application de la loi de 1905 (chapitre V, dont le nombre pages a augmenté), séparant les Eglises de l’Etat : intégrer, en quelques paragraphes, les 1470 pages des 3 tomes de mon Histoire politique des séparations des Eglises et de l’Etat (1902-1908), cela donne des sueurs froides…. D’autre part, j’ai réagencé, et partiellement réécrit, les chapitres VI et VII.

Quand j’avais rédigé le livre, à la fin du XXe siècle, il était assez logique que le chapitre VI se termine avec la loi Debré de 1958 et que le dernier chapitre concerne ce qui était arrivé depuis. Un quart de siècle plus tard, semblable périodisation était devenue obsolète. Ayant gagné quelques pages sur l’avant séparation, j’ai pu réécrire un chapitre VI, couvrant, cette fois, la période 1909-1989 (« La laïcité établie et adoucie ») et un autre, plus étoffé, allant de 1989 à aujourd’hui (« Troisième seuil de laïcité et nouveaux défis »). Cela me permet de clarifier davantage les enjeux de ce que j’appelle le « troisième seuil de laïcisation », et qui (il faut bien croire à ce que l’on fait, sinon on ne se mettrait pas, chaque matin devant son ordinateur quand on est, soi-disant, à la « retraite » !) me semble être une clé essentielle pour pouvoir comprendre et analyser la situation présente. A noter que celles et ceux qui disent : « M’enfin, on n’en est plus à 1905 » (après avoir largement sacralisé leur version de la loi de séparation !) et me reprochent de trop me focaliser sur cette période ignorent (ou font mine d’ignorer) que, précisément, grâce à la perspective des trois seuils, je prends en compte les changements structurels de situation.

C’est également la manière dont la notion de seuils de laïcisation peut apporter un éclairage sur les processus internationaux de laïcité (et de crise actuelle de la laïcité) qui a guidé la manière dont j’ai retravaillé le livre Les laïcités dans le monde (et la distinction de la laïcisation et de la sécularisation : la laïcité devrait être la règle politique qui permet la vie pacifiée d’individus et de groupes entretenant des rapports différenciés à la sécularisation). Ce sont les derniers chapitres (« Géopolitique de la laïcité » et « Laos, laïcités et défis du XXIe siècle ») où les changements ont été les plus importants. Mais j’ai intégré également, pour les autres périodes, des ouvrages anglophones importants parus depuis la dernière édition (et même, pour quelques-uns, auparavant … mais je ne les avais pas pris en compte !). Ce livre tente de prendre de plus en plus de distance avec le provincialisme de la vision française dominante de la laïcité. Et, paradoxe, alors que le « Que sais-je » sur la France, qui contient le mot « histoire » dans son titre, commence (mis à part l’Introduction) avec la Révolution, cet ouvrage sur Les laïcités dans le monde « remonte » plus en avant dans le temps et, après un chapitre intitulé « Préhistoire de la laïcité », insiste sur ses fondements de philosophie politique au XVIIIe siècle.

Donc, je m’améliore d’éditions en éditions : vous verrez, dans 20 ans, quand j’aurai 103 ans, mes deux « Que sais-je ? » approcheront la perfection !

Pour finir, un exemple de domination masculine

Et maintenant, pour terminer, j’honore ma promesse de vous livrer un exemple, très ravageur pour le référentiel de toute la gauche d’aujourd’hui, et très significatif de la façon dont les rapports femmes-hommes pouvaient être pensés au début du XXe siècle.

Je raconte : Le processus qui a conduit à la loi de séparation a été accompagné par la société civile de l’époque, notamment une association, l’Union pour l’Action Morale, où de brillants intellectuels, et quelques personnalités politiques, ont réfléchi au problème. Ils se voulaient novateurs, hommes de progrès, et ont organisé de « libres débats ». A la fin de la quatrième réunion, le responsable de l’UAM, Paul Desjardins, approuvé par Ferdinand Buisson (auquel beaucoup de militants laïques reprochaient d’être favorable au droit de vote des femmes), déclare : « après avoir écouté les idées », nous devons « prêter attention aux sentiments ». La raison : jusqu’à présent, tous ceux qui ont parlé sont des hommes (les idées !), maintenant, il serait bon d’écouter une femme (les sentiments !). C’est (notion oxymore) du féminisme sexiste ! Cela dit, pas de féminisme échevelé et, les réunions suivantes, seuls des hommes continuent de pérorer.

Mais Desjardins a de la suite dans les « idées » (c’est un homme !) et, à la neuvième et dernière séance, il lance une discussion sur la « désharmonie religieuse […] entre hommes et femmes ». Une dame (Mme Moll-Weiss) peut alors s’exprimer. Elle explique que le meilleur moyen de remédier à cette « désharmonie » consisterait à instaurer une « parité d’éducation ». On éviterait ainsi tout « tiraillement entre époux ». Mais ces propos tombent complètement à plat, car un homme qui prend la parole ensuite et n’en tient nul compte : il en revient au sujet précédent (les associations cultuelles doivent-elle être « larges » ou « étroites » ?) qui, dès lors, conduit la discussion. Sauriez-vous dire quel est cet homme qui a, ainsi, méprisé la parole d’une femme ? Bien sûr, ce n’est pas évident et je vous donne un indice : cet homme se prénomme Jean.

Vous ne trouvez pas : je vais vous fournir un autre indice, son nom commence par J. Eh oui, l’homme pour qui cette unique intervention féminine a compté pour du beurre n’est autre que Jean Jaurès. Double moralité de ce qui s’est alors passé : d’une part, c’est un exemple supplémentaire de l’aspect quasi-consensuel de la domination masculine séculaire ; d’autre part cela nous rappelle qu’être laïque c’est aussi avoir assez de lucidité pour ne pas auréoler quiconque et savoir que les systèmes de valeurs, les réflexes culturels changent. Bref, loin d’accuser le passé, cet exemple doit nous conduire à nos poser une vertigineuse question : que vaudront, dans cent ans, nos généreuses idées d’aujourd’hui ?

Note

(1) Ce qui se passe à Gaza, et maintenant au Liban, est horrible. En plus de la cruauté de leur riposte et des malheurs qu’elle engendre, les dirigeants israéliens mènent une politique complètement suicidaire. Il est dramatique de constater qu’ils s’avèrent très opérationnels pour massacrer, mais ont été incapables de tenir compte des signaux que leur indiquait un Rapport remis un an auparavant et, juste avant le massacre, des informations des soldat.e.s sur les préparatifs de l’attentat terroriste du Hamas (ce qui ne relativise en rien sa tuerie) et, ainsi, de protéger leur peuple. C’est le 11 septembre, puissance 10 où, également, on avait assisté à l’incapacité notoire des services de renseignement américains à tenir compte des données dont ils disposaient ; et, après l’attentat, l’illusion a dominé qu’en envahissant l’Irak, l’Amérique allait régler le problème et instaurer la démocratie. Aussi bien cette incapacité intellectuelle que ces réponses, où on croit naïvement trouver la solution dans un surcroit de violence, témoigne du même enfermement dans des certitudes à deux balles et d’un manque d’intelligence, d’une absence énorme de réflexivité.

Ceci dit, la situation est d’autant plus désespérante qu’on ne voit pas, dans la classe politique libanaise, des personnes à la hauteur de la situation. Quant au Hamas, qu’Israël a contribué à faire grandir, comme beaucoup d’autres, je ne souhaite pas qu’il prenne la direction d’un (hélas, très éventuel) Etat palestinien et en fasse un nouvel Iran.

Pour ce qui nous concerne, il faut tenter d’agir de façon juste (dans les 2 sens du terme : justice et justesse). J’y reviendrai sans doute dans une prochaine Note. J’indiquerai seulement, ici, qu’il importe de combattre tous les amalgames : depuis des années, je me bats pour éviter que les Français musulmans ne soient, si peu que ce soit, confondus avec le terrorisme islamique, ce n’est pas pour accepter qu’on le mette, si peu que ce soit, sur le dos des Français juifs, le terrorisme d’Etat du gouvernement israélien.

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Jean Baubérot-Vincent

Jean Baubérot-Vincent (ce double nom est le résultat d’ajouter le nom de mon épouse au mien, puisqu’elle a fortement contribué à faire de moi ce que je suis). Professeur émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Auteur, notamment, de deux "Que sais-je ?" (Histoire de la laïcité en France, Les laïcités dans le monde), de Laïcités sans frontières (avec M. Milot, le Seuil), de Les 7 laïcités françaises et La Loi de 1905 n’aura pas lieu (FMSH)

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