Ronald Cameron, le 8 décembre 2019
Néanmoins, conclure la fusion avec Option nationale (ON) et centrer le programme sur la conquête de l’électorat furent des éléments moteurs du congrès. Au vu des résolutions adoptées et de la mine réjouie des partisans d’ON, ce fut mission accomplie. De plus, la volonté affichée de prendre le pouvoir aux prochaines élections a traversé les interventions de nombre de personnes déléguées, élues et porte-paroles. Aussi, les délégations ont souscrit aux résolutions avec de solides majorités.
L’indépendance, un cul-de-sac ?
Au lendemain du congrès, plusieurs soutiennent qu’il est paradoxal que QS s’enfonce encore plus dans une perspective indépendantiste, étant donné que la population, les jeunes notamment, ne veut rien savoir de cette proposition. En effet, par les temps qui courent, l’engagement de QS pour l’indépendance du Québec semble peu intelligible du point de vue des sondages. Toutefois, avoir l’ambition de créer un bloc populaire qui recompose le projet indépendantiste sur un projet social est un pari qui exige d’être à contre-courant aujourd’hui, dans l’opinion publique, dans le mouvement indépendantiste et aussi dans la gauche socialiste. Il s’agit d’un projet qui vise à renouveler le paradigme indépendantiste dominant depuis cinquante ans !
Par contre, contrairement au sentiment que le pouvoir est à portée de main lors du prochain scrutin, la réalité impose d’envisager l’action électorale comme un marathon au lieu d’un sprint. Le projet de constituer un bloc social hégémonique au Québec ne pourra bénéficier de raccourcis et faire l’économie d’un travail de conscientisation populaire. Aujourd’hui, QS gage sur son engagement en environnement et ses positions sur l’immigration pour progresser au plan électoral et c’est sur ce programme qu’on doit juger la fusion avec ON et du plan des solidaires.
ON a-t-il redéfini le cadre stratégique de QS ?
D’autres se questionnent sur l’adoption de gestes de rupture avec le Canada, suite à l’élection d’un gouvernement solidaire : est-ce là une preuve qu’ON a redéfini le cadre stratégique de QS, qui ne serait devenu qu’une autre formation indépendantiste qui mettrait la nation avant le social ? Le dernier congrès a confirmé que l’élection d’un gouvernement solidaire aurait des conséquences irréversibles vis-à-vis l’État canadien, mais il fut aussi entendu que la nouvelle légitimité politique ne sera complète qu’avec l’adoption d’une nouvelle constitution. En effet, les délégations au congrès ont réaffirmé la centralité de l’assemblée constituante dans la marche vers un nouvel État québécois. Les propositions d’ON, inspirées de la logique de l’élection référendaire, faisait pourtant peu de cas du rôle de l’assemblée constituante.
Affirmer qu’il n’y aura pas de retour en arrière après l’élection d’un gouvernement solidaire est la position traditionnelle d’un mouvement indépendantiste radical. Elle fut reprise par QS depuis le précédent congrès qui a accepté la fusion avec ON. Du coup, on confirmait que l’assemblée constituante ne peut avoir d’autre but que de définir une nouvelle constitution pour le Québec. D’ailleurs, du point de vue de l’histoire récente du mouvement indépendantiste québécois, l’innovation stratégique n’est pas celle de l’élection référendaire. Elle se trouve plutôt dans cette idée de constituante, avancée par les gauches socialistes regroupées au sein de QS, en plaçant le mouvement social et la population au centre de la définition d’une nouvelle société.
Toutefois, ce débat sur l’accès à l’indépendance ne doit pas nous faire oublier qu’il n’y a rien de moins certain qu’un scénario théorique ! Si plusieurs personnes ressentaient un malaise, c’était peut-être à cause des modèles trop bien ficelés, qui devront subir le test de la réalité.
La politique de défense
Héritée d’un débat inachevé deux ans auparavant qui visait la promotion des valeurs pacifistes, la discussion sur la question de la défense est passée de « Quel pays nous voulons » à « Comment défendre l’indépendance ». Considérant la faiblesse des divergences exprimées, la polarisation entre un modèle basé sur une défense hybride ou strictement citoyenne a desservi le débat démocratique. L’idée dominante était de définir un modèle « idéal et équilibré » de défense. Une telle approche théorique nous a amenés à des spéculations sur d’hypothétiques formes d’agences de défense, ce qui nous éloignait d’une analyse concrète des exigences de ce débat au-delà de la question de l’indépendance.
Il n’y a pas eu vraiment de débat de société sur cette question : les délégations ont voulu trancher sur le fait qu’il faille défendre les avancées indépendantistes, y compris avec les armes. Le danger, toutefois, est de prendre ce parti-pris militaire comme modèle de société. C’est pourquoi plusieurs ont été surpris de lire la manchette de La Presse « Si le Québec devenait indépendant sous QS, une armée serait constituée. » Est-ce une position gagnante auprès de notre électorat ?
Ce qui fut échappé, lors de ce débat, est une proposition pacifiste cohérente étroitement reliée à l’objectif de transformer le Québec ! Tout modèle abstrait de politique de défense, même hybride, oublie qu’à plus long terme, c’est l’autonomisation et la prise en charge des populations par et pour elles-mêmes qui est au centre de la transition. L’approche retenue laisse entrevoir l’idée plus ou moins bien définie d’apparaître comme une nation à part entière sur le plan international en y intégrant, entre autres, les ententes décriées par la gauche et qui situeraient le Québec dans le cadre impérialiste.
Toutefois, nous n’en sommes pas là et cette position a une fonction plutôt électorale. L’adhésion de QS au pacifisme est heureusement bien ancrée dans le programme. Aussi, ce qui fut adopté reconnaît l’action citoyenne non violente à côté d’une armée et s’inscrit dans une perspective de relativisme alors que cette politique sera toujours « en évolution ». Au bout du compte, la résolution sur la défense ne remet pas en question l’adhésion du parti à une vision plus pacifiste.
La question de l’écofiscalité
Le congrès a accepté d’adopter une politique d’écofiscalité, c’est-à-dire de taxation sur le principe du pollueur-payeur, avec un mécanisme de redistribution, pour répondre aux exigences des inégalités sociales. Mais qui peut reprocher à Québec solidaire de vouloir accroître le nombre de votes ? Qu’on veuille mettre en place des mesures d’accumulation pour financer la transition et ainsi utiliser les leviers du système pour aller au-delà, il n’y a pas lieu de s’insurger. D’autres héros socialistes l’ont fait auparavant.
Toutefois, il ne faudrait pas se tirer dans le pied, juste pour paraître plus respectable ! Moins justifiée, la suppression de l’opposition à la Bourse du carbone est pour le moins paradoxale. En effet, d’une part, on taxe les pollueurs, mais, d’autre part, on leur permettra d’acheter des actions carbone pour continuer à polluer. Cette position favorise les grandes corporations mondialisées, qui pourront se soustraire aux exigences de réduction en achetant à grand prix des actions carbone. La petite et moyenne entreprise restera coincée entre cette taxe et sa capacité à acheter des crédits. Les dividendes de la taxe carbone pourront-ils satisfaire toutes les redistributions, y compris aux PME ?
La révision du programme avait l’objectif de le rendre plus digeste pour l’électorat, en simplifiant les propositions autour de la taxe carbone et en éliminant les dispositions plus explicitement anticapitalistes, comme l’opposition à la Bourse du carbone. L’histoire jugera si cette proposition passera réellement le test de la redistribution.
Prendre le pouvoir par les élections pour transformer la société
Le congrès a mieux défini la transition vers l’indépendance et une majorité décisive de délégations ont souscrit à l’espoir de conquérir le pouvoir par la voie électorale dans le but de transformer la société. Toutefois, un tel projet si bien défini ne doit pas nous faire perdre de vue les obstacles et les exigences d’une telle ambition.
Il n’y a pas de trajectoire linéaire dans la marche de l’histoire. Des chemins de travers peuvent faire apparaître des dérapages, surtout si on tient compte de nos « voisins » canadien et américain. Aussi, les secteurs les plus opprimés de la population des États-Unis sont probablement des foyers de subversion parmi les plus importants du continent nord-américain, qui pourraient jouer un rôle de premier plan dans notre propre combat. Le projet d’émancipation nationale et sociale du Québec ne pourra se réaliser en vase clos, indépendamment des développements des luttes ailleurs dans le continent. Aussi, des événements que personne n’avait prévus peuvent être des occasions de remettre en question nos façons de voir les choses. Les révoltes du printemps arabe, celles qui se produisent actuellement un peu partout sur la planète, même les exemples négatifs des déboires de la vague rose latino-américaine nous instruisent qu’il n’y a pas de chemin bien défini, et encore moins de terminus dans le combat pour l’émancipation. Tout modèle d’État trop bien achevé risque d’être ébranlé tôt ou tard par les mouvements sociaux.
Par contre, on ne définit pas un cadre stratégique sur un relativisme absolu. Au contraire, il s’agit d’un plan qui comprend une part de risque et constitue un pari. Pour qui veut conquérir plus de force aux prochaines élections ne peut faire l’économie d’une stratégie d’éducation populaire et de jonction avec les mouvements sociaux. Ces défis ne peuvent attendre la victoire électorale des solidaires. Étant donné que le Québec est aussi une société fortement industrialisée, dont le paradigme de consommation est majeur, la menace que constitue les changements climatiques sur les conditions de vie est un important levier de prise de conscience et de convergence des luttes, pourvu que le centre de gravité de l’action du parti ne se résume pas à l’Assemblée nationale.
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