Or, si l’aspect spectaculaire de la crise interne, fait de déclarations et lettres dissidentes dans les médias, est terminé, la réalité est qu’une dissidence vocale et bien organisée s’est non seulement exprimée au CN mais a réussi à obtenir des gains mineurs qui sont autant de balises à partir desquelles la lutte interne se poursuivra contre l’orientation dite « pragmatique ».
Dissidence organisée et vocale
Il faut se rappeler que la crise interne a éclaté le 29 avril avec la démission fracassante et publique de la porte-parole féminine, Émilise Lessard-Thérien, soit moins de quatre semaines avant la tenue du CN. La crise a pris toute une autre tournure quand le chef parlementaire deux jours plus tard a lancé un ultimatum à l’effet que QS devait adopté une posture pragmatique afin de devenir « un parti de gouvernement » ou bien il pourrait reconsidérer son parcours politique. [1] Un tollé public et interne s’en est suivi durant lequel on a pu observer l’émergence de trois réseaux de dissidence dans le parti. Un premier constitué autour de la Commission nationale des femmes (CNF) accusant le chef parlementaire d’avoir centralisé le pouvoir autour de sa personne et d’avoir muselé sa co-porte-parole ainsi que l’ex députée Catherine Dorion. Un deuxième réseau provenant de militants et militantes des régions très fortement déçus du départ d’Émilise. Et finalement, un réseau de gauche voulant faire de QS un parti anti-capitaliste, démocratique et proche des mouvements sociaux.
Or, le défi était de coordonner ces divers réseaux pour que s’exprime de façon cohérente l’opposition à l’orientation prônée par le chef parlementaire. Ce défi était de de taille car la direction du parti a refusé obstinément de tenir un débat ouvert sur la stratégie du parti forçant les discussions sur un terrain qu’elle avait balisé elle-même soit la Déclaration de Saguenay et la proposition de réécriture du programme du parti. La stratégie adoptée par la dissidence a été de recadrer la Déclaration de Saguenay pour qu’elle ne soit plus le socle d’un nouveau programme, telle que le désirait la direction, mais plutôt la synthèse d’une tournée de régions sans incidence programmatique. Quant à la refonte du programme, la dissidence a réussi à éliminer les mots « modernisation » ou « réécriture » pour y substituer le terme de « réactualisation ». Ce sont là de modestes gains, qui du point de vue externe ou des médias apparaissent très limités, mais leur signification est ailleurs. C’est à l’interne qu’il faut mesurer leur impact.
Quatre terrains de lutte
Pour la première fois depuis trois ans un courant d’opposition articulé et public s’exprime à l’encontre de la stratégie de recentrage politique électoraliste, et de personnalisation autour du porte-parole masculin, que pratique la direction du parti. Au lieu de ressortir aigrie et déçue du dernier Conseil national, la dissidence, bien au contraire, désire se préparer à mener une lutte de lignes prolongée au sein de Québec solidaire.
Quatre terrains de luttes s’ouvrent devant ce courant d’opposition. Le premier terrain est celui de la campagne pour le choix d’une nouvelle porte-parole féminine de QS qui s’annonce dès septembre. Ce sera l’occasion idéale pour rappeler les critiques formulées tant par Émilise que Catherine Dorion portant sur la centralisation du pouvoir autour de GND et du muselage des voix féminines dissidentes, et pour exiger l’égalité en fait de la porte-parole féminine avec le porte-parole masculin. Certaines militantes veulent soulever à cette occasion l’idée de l’alternance homme-femme afin que la nouvelle porte-parole féminine soit la représentante du parti au débat des chefs lors de la prochaine campagne électorale.
Le deuxième terrain est celui de la refonte du programme. Bien que la direction tentera par tous les moyens à limiter et circonscrire ce travail à des comités ou instances qu’elle peut contrôler, la dissidence doit au contraire proposer des lieux de débats larges et démocratiques, se tenant dans toutes les régions, afin que les membres à la base et les sympathisants puissent participer à ce processus. Sur le fond de la question, alors que nous savons fort bien que la direction cherche à éliminer les références au dépassement du capitalisme ainsi qu’au propositions de nationalisations, il faudra formuler nos propres propositions de réactualisation du programme afin de renforcer son caractère de rupture avec le système actuel.
La troisième piste de travail est la modification des statuts devant être discutée au congrès de novembre prochain. Il faut s’assurer que les mécanismes démocratiques et participatifs de QS soient renforcés et non amoindris par la vision d’un parti centralisé et dominé par son aile parlementaire, que l’on tentera de nous imposer.
Et finalement, le quatrième terrain de lutte portera sur l’organisation interne de la dissidence afin qu’elle puisse s’exprimer tant dans les structures de base du parti (associations locales et régionales, réseaux militants) que les comités de travail nationaux (commission politique, commission des femmes) avec comme objectif d’être fortement représentée dans les futurs congrès et conseils nationaux. Un élément important sera l’articulation de la vision politique (anti-capitaliste, féministe, écologique et démocratique) de cette dissidence afin qu’elle puisse s’exprimer de façon cohérente et gagner des appuis au sein de QS.
D’ores et déjà nous pouvons affirmer que l’opposition actuelle présente quelque chose de nouveau dans Québec solidaire. Alors que par le passé, les débats intenses qu’a connu le parti portaient sur des questions particulières comme les alliances électorales avec le PQ, la position sur la loi 21 et notre vision de la laïcité ou bien la fusion avec Option Nationale, la lutte actuelle porte sur la stratégie globale de Québec solidaire. Au centre du présent débat est la question brulante de l’avenir du parti. Sera-t-il une formation électoraliste, social-démocrate, orientée vers la gouvernance du système actuel ou bien un authentique parti des urnes et de la rue, proche des mouvements sociaux et des classes populaires, voulant transformer en profondeur et radicalement la société québécoise ? Une authentique lutte de lignes est engagée dans Québec solidaire.
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