Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Conseil national de QS à Jonquière

Gabriel Nadeau Dubois a-t-il remporté son pari ?

Gabriel Nadeau Dubois, a-t-il remporté son pari ? Si on s’en tient "au spin médiatique", c’est-à-dire aux grandes lignes de presse qui ont suivi le Conseil national de Québec solidaire des 24, 25 et 26 mai 2024 à Jonquière, la réponse est assurément affirmative. De quoi conclure sans ambages que malgré la démission fracassante de la co-porte-parole, Emilise Lessard Therrien, malgré les critiques de fond qui, depuis lors, ont fusé de tous côtés, le co-porte-parole masculin de QS serait arrivé à faire accepter la déclaration du Saguenay tout comme une actualisation du programme du parti, ouvrant ainsi, bien pragmatiquement, la voie à "une alternative crédible de gouvernement".

27 mai 2024

Tel est le narratif qui s’est imposé dans les médias et qu’a si bien résumé le journaliste "mordu de politique", Sébastien Bovet de Radio Canada ! Mais est-ce si sûr, et n’y-a-t-il pas là bien des raccourcis trompeurs, plus encore une manière de présenter les choses tendant à faire oublier les enjeux politiques de fond qui pourtant, en arrière plan, crèvent les yeux ?

Le fond du problème

C’est la première chose qu’il faut souligner et que justement le discours médiatique dominant pousse à occulter : depuis les résultats de la dernière élection de 2022 (où QS a obtenu 12 députés mais sans augmenter ses pourcentages électoraux de soutien et en rompant brusquement avec la parité hommes/femmes), se sont élevées bien des critiques à l’intérieur du parti sur son mode de fonctionnement insuffisamment transparent ou démocratique ou féministe, sur la place trop grande prise par la députation, sur le rôle omnipotent de son porte-parole masculin et de "son groupe de com". Le tout, renvoyant à une question de fond touchant à ce qui pouvait être considéré comme l’âme du parti : Qs est né comme "un parti des urnes et de la rue", aspirant bien sûr à être un parti des urnes (donc de gouvernement), mais sans jamais pour autant mettre de côté les aspirations au changement social de la rue, portées par les divers mouvements sociaux, féministe, indépendantistes, autochtone, altermondialiste, écologiste, sociaux, communautaires dont il cherchait à se faire l’écho au plan politique.

Etre tout à la fois un parti des urnes et de la rue, c’est là sans doute 2 préoccupations qui ne sont pas toujours faciles à conjuguer, mais c’est néanmoins, la condition sine qua non, la seule manière de pouvoir être capable un jour de gouverner "autrement", c’est-à-dire d’arriver au gouvernement, en ayant tout à la fois les appuis populaires et les rapports de force sociaux nécessaires pour mettre concrètement en route les transformations structurelles qu’on retrouve dans notre programme et qui sont exigées par les grands défis écologiques et sociaux qui se dressent devant nous.

Ce que la déclaration du Saguenay remet en cause

Or c’est justement ce que le recentrage initié par Gabriel Nadeau-Dubois est en train de saborder : cette unité entre l’un et l’autre. Et la déclaration du Saguenay montre comment ? En collant au plus près —non pas d’abord des revendication des mouvements sociaux les plus actifs et déterminés— mais des institutions et diverses associations de la société civile des régions qui ont actuellement pignon sur rue et qui électoralement pourraient éventuellement se rapprocher de QS, en votant pour lui. D’où toutes ces propositions ambigües que la direction a essayé de faire voter au conseil de Saguenay et qui ont d’abord pour but de gagner au plus vite des électeurs pour 2026. Mais dans l’impatience et sans grand principe, en oubliant autant l’histoire de Qs que celle des luttes sociales au Québec : ainsi en fut-il –à titre exemplaire— de la proposition de l’UPA où l’on nous demandait (sic !) de reconnaître le monopole syndical de l’UPA et de renoncer à réformer le syndicalisme agricole, en abandonnant l’idée même de pluralisme.

Ainsi en fut-il aussi de cette volonté affichée de « moderniser « en profondeur et en quelques mois le programme de QS, en faisant fi de tous les patients efforts qui en près de 15 ans avaient permis de le bâtir peu à peu.

Arrondir les angles

Il y a une chose que l’on peut dire cependant : sans rien casser et sans créer de divisions irréversibles, il a été possible depuis le plancher de la conférence et avec les efforts de bien des militants-es des circonscriptions de freiner et d’amoindrir le recentrage proposé par Gabriel Nadeau Dubois, d’en arrondir les angles, d’en supprimer les dimensions les plus dangereuses et symboliques. Ainsi on a pu faire retirer l’appui au monopole syndical de l’UPA. On a pu aussi faire rejeter la proposition principale de « modernisation » du programme, entendue comme une refonte totale en faveur plutôt de sa « réactualisation » entendue comme une mise à jour ciblée. On a pu enfin faire accepter un calendrier plus étalé donnant plus de temps pour mener les débats les plus délicats.

Ce sont des gains non négligeables. Mais eu égard au virage annoncé et surtout aux mécontentements et aux insatisfactions qui n’ont cessé de s’exprimer de multiples façons lors de ce conseil, elles sont loin d’être suffisantes et une garantie pour l’avenir. Il est vrai qu’il a été aussi voté un plan d’action (des plus vertueux !) pour améliorer nos pratiques démocratiques internes. Mais comme ce plan en reste à des mesures de type organisationnel ou éthique, sans toucher à la question politique de fond (celle de l’existence d’une concentration du pouvoir mise au service d’une stratégie de gouvernement dont on n’a pas pris le temps de mesurer démocratiquement et à travers un débat de fond toutes les incidences), il a peu de chance de résoudre ce qu’il cherche à solutionner.

Un vaste courant oppositionnel et démocratique

On comprendra, dans un tel contexte, qu’il reste bien des défis devant nous. Et d’abord celui de donner voix et force à toutes les oppositions qui s’expriment au sein du parti, mais de manière si fragmentée et dispersée qu’elles restent sans grande efficacité aux moments décisifs, comme on a pu le constater parfois lors des votes à Jonquière.

En fait il s’agirait de stimuler et de donner vie à un vaste courant oppositionnel, rassembleur et démocratique, mobilisé (comme le sont ces jeunes du réseau militant jeunesse de Québec solidaire tout juste reconnu officiellement) et susceptible de trouver cette voie de passage dont on ressent comme jamais la nécessité.

Oui c’est cela, redonner une voie –et une voie unie et forte— à tous ceux et celles qui ne se retrouvent plus dans l’orientation actuelle du parti et qui souhaiteraient qu’il soit certes un parti qui veuille gouverner, mais d’abord et avant tout un parti qui veuille gouverner autrement.

Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste
présent lors de ce Conseil national comme un des délégués de Taschereau

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Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

Messages

  • Salut Pierre,
    En réaction à ton texte, qui ne sera sans doute pas retenu...
      Le bris de la parité du cocus est dû au refus d’élire une femme lors de l’investiture de Taschereau…
      Sur le rôle de « la rue » c’est surtout à nous de nous activer dans les groupes sociaux. Il y a là peu de membres de QS…, au moins dans l’ouest de Québec. (Louis-Hébert et Jean-Talon).
      Précisément sur le refus de reconnaître le monopole de l’UPA, qu’en fut-il précisément ?
      Tu utilises le vocabulaire des opposants, que je qualifie d’extrémistes de gauche : recentrage, sans en faire la démonstration. N’était-il pas question de prioriser certains de nos engagements ?
      Une vois unie et forte…, pourquoi sont-ils dispersées et non rassemblées ?

  • Bonjour Pierre,
    Je ne sais pas si tu auras cette communication mais je la fait quand même.

    Grosso modo, comme observateur de l’extérieur de QS, tu exprimes assez clairement les enjeux de pouvoir ou d’orientations politiques qui se jouent à QS que je perçois. Ça se lit en fin de compte à comment résoudre le paradoxe du « parti de la rue » avec celui « du parti de gouvernement », porté par deux visions assez différentes sur le plan de la stratégie politique, c’est-à-dire garder un équilibre tel que le parti de la rue assez puissant puisse forcer le parti de gouvernement à gouverner autrement lorsqu’il arrivera au pouvoir.

    Dans les conditions actuelles, inexorablement la tendance parti de gouvernement aura « à l’usure » l’autre misant sur la mobilisation puisque QS, à moins d’une crise sociale/écologique majeure faisant basculer assez d’indécis à un moment propice (me semble que Syriza est arrivé au pouvoir de cette façon. Par la suite Syriza est arrivé à un cheveu de gouverner autrement mais sa frange majoritaire de « parti de gouvernement » a refusé d’appliquer le résultat du referendum gagnant contre l’UE). Il me semble que c’est le lourd penchant de toutes les gauches parlementaires depuis … oufs je ne sais plus combien de décennies que le dernier épisode vient de révéler plus clairement. J’ai vécu de près ce phénomène au sein d’un parti de gouvernement municipal au sein du RCM de Jean Doré à une autre époque.

    J’ai retourné en tout sens ce paradoxe et il me semble donc que la seule chance pour les militants parti de la rue de QS est un scénario à la Syriza.

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