Édition du 18 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Une société pro-climat du soin et du lien est la société qui se libère du chantage commercial et annexionniste de Trump

Comme on l’a constaté dans mon dernier article, l’imbrication commerciale du Canada et du Québec dans l’économie étatsunienne est profonde suite à une trentaine d’années de « libre-échange », avec comme héritage le capitalisme néolibéral. Soudainement Trump le jette aux orties pour une tentative de néofascisation des ÉU et du monde. En résulte un brusque retour au vieil impérialisme annexionniste d’antan maintenant que les ÉU n’ont plus les moyens d’être le gendarme du monde. De leur bastion nord-américain, les ÉU cherchent à bâtir l’improbable alliance néofasciste avec la Russie sur le dos de l’Europe larguée, en commençant par l’Ukraine, pour isoler la Chine.

La porte est ainsi ouverte à une guerre tarifaire qui peut aboutir à une capitulation annexionniste du Canada si elle est menée jusqu’au bout et rapidement. Quant à la superficielle résistance patriotique canadienne, elle a ses limites surtout au Québec mais aussi face au fort régionalisme de l’Ouest. C’est davantage le coût économique pour certains affairistes étatsuniens, et aussi pour le peuple des ÉU au prorata de sa mobilisation, qui peut freiner Trump. Mais mieux aguerri et préparé qu’en 2016 et faisant face à moins de résistance institutionnelle et populaire qu’alors, Trump semble vouloir ignorer pour l’instant le signal de la dégringolade des indices boursiers. À voir la suite des choses. Quant au Québec et au Canada, à eux de se libérer de l’emprise du Moloch par une société du soin et du lien.

De l’assurance-chômage au sirop d’érable en passant par le pétrole et l’électricité

La première ligne de défense populaire, à court terme, réside dans un programme d’assurance-chômage, dit assurance-emploi, bonifié comme l’avait promis le gouvernement Trudeau dès son premier mandat, promesse jamais tenue. Rappelons que « [l]es organisations syndicales ont déjà souligné que seulement 40 % des chômeurs se qualifient pour toucher des prestations. » Ce n’est pas le BS qui va faire vivre son homme et encore moins sa femme. De leur côté, les entreprises frappées, surtout manufacturières, — presque toutes le sont ou le seront directement ou indirectement ne serait-ce que vis-à-vis un marché atrophié — ont beau chercher éperdument une nouvelle clientèle, le monde entier sera en stagnation ou récession ou tout au moins en recul. Tous les pays par leur commerce, investissements et placements sont liés comme jamais par le marché mondial. En ce qui concerne les entreprises québécoises s’ajoute l’obstacle de la grande distance même par rapport aux autres provinces nonobstant le renforcement de la déréglementation de la mobilité des produits, des services et de la main-d’œuvre entre provinces. La proximité de l’Ontario (et l’importance relative de sa population) génère 60% du commerce interprovincial du Québec par rapport à seulement 10% pour la Colombie britannique.

Les importations québécoises venant des ÉU sont lourdement lestées par le secteur du transport routier, soit une part de plus de 40 % en voitures, camions, pneus, produits pétroliers, à peine contrebalancée par l’exportation d’un peu de camions et sans compter l’importation de pétrole et gaz albertains. Parmi le reste desimportations il faut compter une gamme de produits alimentaires, dont des fruits et légumes hors saison, et de la machinerie (toutes les statistiques de cet article proviennent de la publication Le commerce extérieur du Québec, Le calepin, Édition hiver 2025). Par contre, les exportations du Québec vers les ÉU sont plus diversifiées bien que l’électricité, brute ou sous forme d’aluminium brut compte pour environ 12 %, et seront plus importantes dans l’avenir avec la mise en marche des contrats fermes d’exportation d’électricité brute vers New-York et la NouvelleAngleterre. Le secteur de l’avionnerie contribue également à hauteur de 12 % mais est contrebalancé de moitié par des importations du même secteur. Pour les reste, le Québec exporte beaucoup de ressources naturelles semi-transformées ou transformées en produits de basse technologie tirées de la forêt (bois de construction, papier, pâte). de son sous-sol (cuivre, or) et de son sol (soja, porc… sirop d’érable).

L’éléphant dans la pièce, grand oublié médiatique, l’immense fuite de capitaux

À noter que si le Québec exporte hors Québec l’équivalent de 47 % de son PIB dont un peu plus de 20 % aux ÉU, l’apport de ces exportations à l’économie ne compte que pour 30 % étant donné l’importation de composantes. C’est vrai en particulier pour l’avionnerie mais aussi pour l’aluminium (bauxite). C’est donc dire que l’apport économique des ressources naturelles plus ou moins transformées est relativement plus important qu’il n’y paraît. Si les grands médias se concentrent sur le commerce avec les ÉU, il ne faut pourtant pas oublier le bilan (le stock cumulé à distinguer des flux annuels) des investissements internationaux disponible seulement pour le Canada :

Bilan net des investissements internationaux du Canada, selon la région

Alors que ce bilan net (actif moins passif) était négatif en 2015, il est devenu très positif depuis lors s’élevant à rien de moins que 1640 milliards $ à la fin de 2024 soit l’équivalent de près de 2.5 ans de formation de capital brut du Canada. On ne peut que constater une gigantesque fuite des capitaux canadiens vers les ÉU. Comme quoi le Canada re(devient) scieur de bois et porteur d’eau. Toutefois le Québec l’était (et le reste sans doute) moins que le Reste du Canada contrairement aux préjugés populaires comme François Moreau l’avait démontré dans son livre « Le commerce extérieur du Québec » en 1988. Cette réalité amène Trump à utiliser les tarifs pour récupérer ce qui reste de manufacture sophistiquée (véhicules, avions). Mais pourquoi diable l’acier et l’aluminium ce qui punit peut-être davantage les entreprises des ÉU et leurs travailleurs… à moins que le but non avoué ne soit que Canada devienne, en entier ou en morceaux, le 51e état.

Sur la base de cet état des lieux que faire pour combattre l’assaut annexionniste « économique » de la fascisante présidence étatsunienne dans l’optique de l’urgente édification d’une société pro-climat du soin et du lien sur la base d’une solidaire décroissance matérielle tel que développée dans mon dernier article ? La première grande tâche est certainement d’arrêter net et de rapatrier cette saignée monstrueuse de capitaux au service de l’impérialisme étatsunien dont le trumpisme révèle les vrais couleurs particulièrement en Palestine et en Ukraine.

Faut-il ajouter que cette tâche cruciale exigera non seulement la mise au pas du secteur financier mais aussi le contrôle des flux de capitaux internationaux ce qui aussi signifie interprovinciaux dans le cadre du « Nouveau Québec » Solidaire. Ce « Nouveau Québec » pourrait alors non seulement obtenir l’appui du peuple du Canada anglais mais aussi l’entraîner derrière lui. Le peuple-travailleur ne s’en tirera pas sans la socialisation, c’est-à-dire la nationalisation – démocratisation, des banques et autres institutions financières de sorte à recycler l’épargne nationale, fruit du labeur populaire mais usurpée par le grand capital, vers la construction de cette société du lien et du soin.

La clef de voûte anti-Trump du commerce avec les ÉU est de bannir l’auto-solo

La dépendance commerciale envers les ÉU commande comme tâche clef de voûte dans ce domaine de bannir la combinaison auto(VUS)-solo et hydrocarbones en supprimant chacun des deux termes. Ce rejet anti-Trump a pour vertu supplémentaire de couper court au nouvel extractivisme du capitalisme vert dont l’auto-solo électrique est un pillier. On aboutit inéluctablement à un système de transport en commun électrifié prenant possession du réseau routier. En résulte de se dispenser de coûteux métros et trains aériens exigeant maints éléments importés. Ce transport public se combine avec le transport actif dans le cadre de la proximité des fonctions urbaines parsemées d’espaces verts. Faut-il rappeler que le Québec dispose d’usines pouvant fabriquer des moyens de transport en commun potentiellement de qualité supérieur à ceux fabriqués en Inde pour le REM. 

L’électricité requise pour le transport aux dépens des hydrocarbures ne justifie nullement une orgie de nouvelles centrales hydrauliques et de nouveaux champs d’éoliennes dont plusieurs composantes doivent être importées. L’alternative est le recyclage de l’électricité des bâtiments rénovés ou construits éco-énergiquement avec panneaux solaires d’appoint pour une consommation énergique (quasi)-nulle. Cette rénovation écoénergétique — la plus grande partie des matériaux de construction est ou peut être fabriquée au Québec ou au Canada — supprime en même temps les hydrocarbures nécessaire à la climatisation tant des bâtiments résidentiels non chauffés à l’électricité que ceux institutionnels et industriels.

La libération du fardeau de l’importation des hydrocarbures et des véhicules privés donne à la balance commerciale du Québec une marge de manœuvre pour absorber une baisse substantielle des exportations vers les ÉU à cause des tarifs trumpiens. Nulle nécessité non plus de s’endetter vis-à-vis le capital financier international pour financer un déficit de la balance des paiements, Les exportations du secteur de l’avionnerie (et de l’armement), surtout les jets privés de Bombardier, ont tout intérêt à être sacrifiées pour réduire des gaz à effet de serre et le militarisme.

Les employé-e-s de ces usines pourront se recycler dans la fabrication de moyens de transport collectif sans trop de problèmes. Les employé-e-s des raffineries et même des pâtes et papiers — sacrifier du bois debout pour du papier, surtout du papier-journal est un comble de pollution énergivore — seront avantageusement recyclés vers la rénovation de bâtiments, la fabrication de matériaux de construction et la reforestation. Ces exportations perdues vers les ÉU, surtout celles issues des ressources naturelles qui peuvent être davantage transformées, peuvent faire l’objet d’échange avec le reste du Canada, le Mexique et l’Europe quitte à ménager avec eux des ententes commerciales dans un esprit d’échange égal.

L’alimentation non-carnée libère l’agriculture à la fois des GES et de Trump

Le commerce interprovincial de produits et services du Québec est à peu près équilibré malgré une appréciable importation de pétrole albertain. On note un échange conséquent de produits alimentaires et du sous-sol et de services informatiques. Toutefois gare aux énergivores fermes de serveurs, produits importés des ÉU, surtout pour une intelligence artificielle boostée aux hormones par la désinformation des GAFAM. 

Une réduction substantielle de l’alimentation carnée, l’autre pilier de la réduction des GES avec celle des hydrocarbures, favoriserait une drastique reforestation absorbant du gaz carbonique — 80% des surfaces cultivées servent à l’alimentation animale. Cette réduction minimiserait aussi tant le commerce interprovincial qu’international des produits alimentaires et maximiserait leurs circuits courts d’approvisionnement. Même si ce n’est pas vis-à-vis les ÉU, la production alimentaire pose le défi des travailleurs temporaires venus surtout du Mexique et du Guatemala. Une juste solution, passant par leur syndicalisation, fait appel à une combinaison de leur permanence citoyenne et de la participation de la jeunesse au travail agricole, surtout maraîcher, incluant dans un cadre scolaire.

Tâches anti-Trump irréalisables quand fin du mois s’oppose à fin du monde

On aura compris que l’ensemble de ces tâches est incompatible avec une économie dont la raison d’être est la maximisation de la rentabilité des entreprises. Sa conséquence attendue, soi-disant prospérité, est la croissance, l’alpha et l’oméga des politiques gouvernementales. Dans ce cadre, les services publics sont des charges à austériser et à charcuter pour les privatiser et ainsi les récupérer dans la sphère capitaliste. Pour enfoncer davantage le clou, cette récupération se fait aux dépens de la fiscalité (PPP, sous-traitance) afin d’en supprimer le risque ce qui transforme le profit en rente.

Ces services privatisés, sauf pour les riches, seront ainsi toujours soit réduits à l’os soit inexistants au prorata de la résistance populaire. Au revers de la médaille, l’accumulation capitaliste, conséquence inévitable de la rivalité entre capitaux imposant la maximisation du profit, développe le marché privé de la consommation de masse. Ses deux mamelles en sont le logement privé, dont la forme la plus matériellement prolifique est la maison individuelle, et l’auto/VUS solo toutes deux abondamment financées par les banques. Ainsi le peuple-travailleur se trouve prisonnier de l’endettement. La fin du mois en devient une entrave à la lutte contre la fin du monde.

Une société du soin et du lien dont le socle est la décroissance matérielle se situe aux antipodes du capitalisme néolibéral en voie de fascisation. Ce capitalisme devient incapable de maintenir la croissance nécessaire au maintien du profit moyen des capitaux rivaux qui s’accumulent. La majorité du peuple-travailleur des pays du Nord a besoin avant tout de services publics peu propices aux gains de productivité et générant une forte résistance à leur privatisation. La majorité travailleuse des pays du Sud est trop pauvre pour s’enliser rentablement dans la consommation de masse ce qui d’ailleurs accélérerait la course folle vers la terreétuve.

Le secret de la lutte anti-Trump et anti-GES est la mobilisation du secteur public

La rupture anticapitaliste s’impose. La dictature de l’Argent, sous un vernis démocratique formel de plus en plus mince et transparent, doit céder la place à la planification démocratique à défaut de la céder au néofascisme. D’autant plus que le capitalisme vert entrave la reproduction du peuple-travailleur à coups de superaustérité afin d’essayer en vain de rétablir le métabolisme de la nature à coups de géo-ingénierie. De la défense syndicale et citoyenne des services publics et de la nature (Stablex, Northvolt, Ray-Mont Logistique) émerge une démocratie à la base en vue d’une société écologique. Ajoutons-y l’accroissement des services communautaires populaires dramatiquement sous-financés. La multiplication des initiatives agricoles, dont les jardins communautaires et les PME maraîchères sont les prémisses économiques de cette nouvelle société écologique. Ces initiatives à la base appellent cependant une coordination au sommet dans un esprit de solidarité et exigeant la maîtrise de l’épargne nationale. Cette planification démocratique devrait être un point majeur du programme Solidaire… lequel point tarde à apparaître.

Les écologistes auraient intérêt à être au rendez-vous de l’inévitable prochaine mobilisation des travailleuses et travailleurs des services publics. La grève de 202324, malgré ses importantes défaillances, fut une des plus importantes au Canada et aux ÉU durant ces années. Cette grève était à la confluence des luttes syndicales, féministes et écologiques. Mais peu en était conscients surtout en ce qui concerne la dimension écologique. Plus le caractère écoféministe des grèves du secteur public devient une évidence, plus déterminée et profonde sera la volonté combative des grévistes, plus large sera la solidarité populaire. C’est d’ailleurs pour prévenir ce danger que la CAQ, dans le sillage trumpiste, tente à la mode fédérale de pratiquement foutre à terre le droit de grève avec le projet de loi 89. Le grand rendezvous sera, souhaitons-le, plus tôt qu’on le pense. Ce sera possible en autant que le peuple-travailleur ne demeure pas sidéré par la peur du trumpisme et paralysé par la fausse solution de la guerre tarifaire et, en ce qui concerne les GES, et par les fausses solutions des véhicules privés électriques et de la filière batterie.

Marc Bonhomme, 17 mars 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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