1. Ce qui a été remis en question dans le programme de Québec solidaire par la discussion sur l’écofiscalité
À son dernier congrès, Québec solidaire a décidé de présenter et de défendre le principe de la taxe carbone et sa conception de la bourse du carbone. Le congrès rejetait ainsi la position de Québec solidaire dont le programme visait « à s’opposer aux bourses du carbone qui sont des outils d’enrichissement des multinationales qui risquent de devenir un nouvel instrument spéculatif » et « s’opposer aux taxes sur le carbone qui frappent surtout les plus pauvres. »(article 1.2.2 du programme de QS points A et C)
La proposition adoptée défend « un système d’écofiscalité efficace qui servirait à changer les comportements de production et de consommation et à financer des mesures de transition réduisant les émissions de gaz à effet de serre du Québec, les stratégies d’adaptation aux changements climatiques et la recherche. » [2]
Nous croyons que le débat ne s’est pas appuyé sur un bilan réel des taxes et des bourses du carbone, qu’il n’a pas permis de tirer au clair les objectifs des initiateurs du marché du carbone et qu’il n’a pas permis de comprendre les limites du signal prix dans la possible remise en question des bases de l’accumulation capitaliste. C’est pourquoi nous croyons nécessaire de poursuivre le débat, particulièrement à l’heure où le plan de transition de QS commence à être discuté.
2. L’importance de ne pas esquiver un bilan réel des taxes et des bourses du carbone
Jusqu’ici, la fiscalité carbone n’a pas permis d’atteindre les cibles d’ailleurs très en deçà de ce qui serait nécessaire. Il n’y a pas eu de baisse rapide et importante des émissions de gaz à effet de serre et les droits de polluer ont été distribué le plus souvent gratuitement aux entreprises sous le prétexte de ne pas nuire à la compétitivité des entreprises particulièrement face à la concurrence internationale. Il ne s’agit pas de nier la réalité d’un effet de la fiscalité carbone, mais de comprendre son caractère aléatoire et peu sûr. Des expériences comme celle de la bourse du carbone européenne ont montré le caractère tout à fait aléatoire des mécanismes de marché sur la réduction des émissions de gaz à effets de serre. Au Québec, les quotas carbone ( les permis de polluer) ont été le plus souvent offerts aux entreprises plus polluantes. En septembre dernier, ces entreprises sont même allées jusqu’à demander au premier ministre Legault que la gratuité de ces permis de polluer continue de leur être offerts jusqu’en 2024.
3. Le signal prix, n’est pas la clé enfin découverte de la lutte aux changements climatiques
En fait, ces acteurs dont on veut changer les comportements sont les entreprises capitalistes et le public consommateur. L’écofiscalité, même en augmentant le poids de la taxe carbone, ne débouche pas sur une remise en question des fondements des processus d’accumulation capitaliste. Il ne suffit pas de donner un signal prix aux entreprises pour que ces dernières changent leurs procédés de production et leurs stratégies d’accumulation. Vont-elles abandonner la volonté de produire plus pour vendre plus ? Vont-elles abandonner à cause du signal prix, la vente sous pression par la publicité et une production marquée par l’obsolescence planifiée ? C’est pourquoi les partisans de la fiscalité carbone n’ont rien à dire sur la nécessaire décroissance. L’urgence climatique nécessite pourtant de produire moins (produire pour les besoins réels), transporter moins et cesser de faire de la maximisation des profits les bases des choix économiques et énergétiques.
En fait, la proposition d’écofiscalité (taxe carbone et bourse de permis d’émission) en plus de se soumettre aux aléas du marché s’inscrit dans la volonté de la bourgeoisie de continuer à remplacer l’imposition des revenus par une taxation indirecte de la majorité de la population pour subventionner le virage vert qui ne changera pas la logique destructive du productivisme capitaliste.
4. L’importance de comprendre la réalité et des objectifs des initiateurs du marché du carbone – les grandes entreprises et les gouvernements
Au Canada, la bourgeoisie est divisée entre un secteur climatonégationniste (Harper, Scheer, Keeny…) et un secteur qui a compris qu’il fallait donner une réponse à la crise climatique qui permettrait de protéger les intérêts et la capacité d’initiative de la bourgeoisie. Le gouvernement de Justin Trudeau veut imposer une taxe carbone mais il continue de promouvoir l’élargissement de l’exploitation des sables bitumineux et la construction de pipelines pour permettre l’exportation sur le marché mondial de ce pétrole sale. Au Québec, le gouvernement Charest et celui de Couillard ont démontré une inconséquence totale dans la lutte aux changements climatiques en soutenant le projet Energie Est et l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste sur Anticosti et la vallée du Saint-Laurent, se disaient les partisans d’un système d’échange et de plafonnement des droits d’émissions.
Comment expliquer ce qui apparaît superficiellement comme un comportement contradictoire et inconséquent ? En fait, ce secteur du capital a compris qu’avec les conséquences de plus en plus visibles et concrètes des changements climatiques, les entreprises couraient le danger de se voir imposer des règlements de plus en plus contraignants pouvant aller jusqu’à provoquer la totale dévalorisation de leur capital. La perspective de laisser la vaste majorité du pétrole dans le sol, c’est une des perspectives d’une telle dévalorisation. Face au danger d’un sursaut citoyen et d’une exigence de prise de contrôle démocratique des choix sur la nature des investissements à faire, il fallait redonner l’initiative aux entreprises, favoriser l’autoréglementation et la détermination par les entreprises des initiatives à prendre pour faire face aux changements climatiques tout en protégeant leurs capacités de poursuivre la course aux profits et à l’accumulation du capital. Le marché carbone jetait les bases d’une campagne politique visant à miner la légitimité des mesures contraignantes et d’arracher l’initiative des mains des secteurs de la population ayant des préoccupations environnementalistes.
La proposition adoptée sur la fiscalité carbone nous faisait faire un saut dans un avenir où Québec solidaire au pouvoir pourrait imposer une taxe plus lourde et où les quotas de polluer ne seraient plus offerts gratuitement. Mais elle ne pouvait répondre au fait que si un signal prix peut induire des changements technologiques favorisant la réduction des GES, ce signal prix ne peut remettre en question les logiques de l’accumulation du capital.
5. La bataille climatique est urgente – les objectifs fixés doivent pouvoir déboucher sur des mobilisations immédiates.
La lutte aux changements climatiques est urgence et elle doit chercher à mobiliser la population le plus largement possible et le plus rapidement possible. Les cibles choisies par cette lutte doivent pouvoir être des combats immédiats débouchant sur des résultats urgents à rencontrer. De plus, ce n’est que l’élargissement du mouvement social autour de ces enjeux qui permettrait à un gouvernement de Québec solidaire de pouvoir imposer des politiques en rupture avec la logique du productivisme capitaliste et du consumérisme à tout crin qui en découle.
Le financement de la transition doit passer par la socialisation des banques et une réforme radicale et progressiste de la fiscalité. « Le principe du pollueur payeur ne peut donc se substituer au principe de précaution, car à lui seul il ne peut conduire à une gestion protectrice de la nature. » [[Le capitalisme peut-il être écologique ? Jean-Marie Harribey, in Manuel indocile des sciences sociales, La Découverte, 2019, p. 55]. Dans ce contexte, les écotaxes peuvent être une source dune certaine réduction des émissions de GES, mais il est bien illusoire de croire qu’il peut conduire à une transformation économique en rupture avec la logique de l’accumulation capitaliste, particulièrement si les changements attendus restent aux mains des entreprises et des gouvernements à leur service.
6. Nécessité de mesures contraignantes pour pouvoir définir un plan de transition sur une base démocratique et citoyenne
Les modifications des procédés de production entreprise par entreprise à partir du signal prix donné par la fiscalité carbone ne peut déboucher sur un plan de réorganisation d’ensemble de l’appareil de production et des formes de consommation qui en découlent. Elle nous écarte de la seule voie possible pour en sortir : une planification écologique définie démocratiquement par les citoyen-ne-s.
Ces mesures liées à une planification écologique sont nécessaires, sinon pourquoi parler de plan de transition économique). Cette planification passera par :
• un calendrier précis pour mettre fin à l’extraction du pétrole et du gaz et des mobilisations de blocage des projets extractivistes ;
• la fin des subventions aux entreprises produisant des énergies fossiles et une agitation constante autour de cette revendication et de celle du désinvestissement du secteur des fossiles ;
• la construction de chantiers pour imposer la réduction obligatoire de productions inutiles (armements, voitures thermiques, produits à obsolescence planifiée …) ;
• le développement public et démocratique des énergies renouvelables par de coopératives de production hors du contrôle des entreprises privées ;
• des campagnes massives de travaux publics pour faire des habitations économes en énergies et pour la construction de logements sociaux répondant à ces normes d’économie d’énergie ;
• le développement sous le contrôle public et citoyen du transport en commun s’articulant dans le court terme à un combat pour la généralisation la plus rapide possible de la gratuité du transport des personnes ;
• Une campagne pour faire des infrastructures ferroviaires des biens communs, vecteur principal du transport des marchandises ;
• Une solution citoyenne à la production de proximité particulièrement en agriculture en comptant sur la capacité d’initiative du milieu.
En deçà des intentions gouvernementales de Québec solidaire, l’urgence est de s’engager aujourd’hui dans des combats pour enrayer la volonté capitaliste de poursuivre une croissance effrénée qui épuise les ressources et un productivisme qui induit l’hyperconsommation. En somme, il n’y aura pas de lutte aux changements climatiques conséquente sans une volonté de sortir du capitalisme qui concentre le pouvoir économique et politique dans les mains d’une classe profiteuse ayant comme devise : après nous le déluge.
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