Pour retourner le fer dans la plaie Solidaire aucun-e des porte-parole ni député-e-s Solidaire n’y étaient pour consoler leur candidate défaite. Allô solidarité. Cette faute morale, cette erreur politique sont révélatrice du désarroi de la direction et députation Solidaire devant la descente aux enfers persistante de sa popularité. Pour les député-e-s, ça devient le chacun-e pour soi. La venue de la nouvelle porteparole et la priorité donnée au « Nouveau Québec » indépendant n’y ont rien changé. Ni non plus le mitraillage de propositions de réformettes même si elles sont plus pertinentes les unes que les autres.
La « gouvernance » a amené GND à ne pas dénoncer le racisme du Parlement
La démission de Gabriel Nadeau-Dubois (GND) quelques jours plus tard vient mettre les points sur les ‘i’ et les barres sur les ‘t’ à ce qui ressemble de plus en plus à une débandade. Par calcul électoral de bas étage épicé de préjugé envers le peuple-travailleur québécois, GND avait laissé humilier par la députation « Solidaire » un collègue député d’origine arabo-musulmane. Celui-ci avait eu l’audace de montrer du doigt l’éléphant raciste, particulièrement islamophobe, trônant au sein de l’Assemblée nationale sous le déguisement de la laïcité.
Tambour battant, GND a mené la charge contre le programme du parti, impropre à la gouvernance affirme-t-il. Certes, celui-ci a ses défauts de longueur, de lourdeur et de déséquilibre. Toutefois, des passages essentiels affirment l’anticapitalisme et l’antiracisme des Solidaires. Toustes comprennent que ce sont ceux-là qui sont visés. Bernie Sanders avait saisi il y a près de 10 ans qu’aux ÉU le vocable « socialisme » est électoralement rentable et unifie la gauche et même bien des progressistes. GND ne l’a pas compris. Nos députée-e-s non plus semble-t-il.
Centrisme et centralisation du parti capitulent face à la néo-fascisation
La centralisation et la bureaucratisation du parti pour en faire une machine électorale bien huilée entraîne par défaut un programme de type « signifiant vide » à la mode du théoricien populiste Laclau et dans la lignée de l’insipide Déclaration de Saguenay. Faut-il se surprendre que dans une telle organisation suffocante régie par les « com », la spontanéité des exploité-e-s et des opprimé-e-s n’y trouve pas son compte ? Ce fond de l’air étouffant a suscité l’abandon, puis la critique livresque d’une députée, et la démission d’une porte-parole. Par la suite l’élection par acclamation de sa successeure a démontré une perte de démocratie interne.
Dans ce centrisme centralisateur réside l’erreur stratégique. Dans un monde existentiellement menacé par la crise climatique et socialement polarisé avec une « classe moyenne » en voie de disparition, cette organisationnelle centralisation politiquement centriste ramène à des temps révolus et dépassés. À rebours, l’extrême-droite l’a très bien compris. Elle fonce droit devant vers le néofascisme sans s’embarrasser de précédents et de constitution. Elle attire à elle ces paniquées « classes moyennes » traditionnelles et la partie de celles populaires en perdition et désemparée.
Libérer la parole sans contrôle conduirait la jeunesse du parti vers la gauche
Dans ces circonstances, libérer la parole de la base Solidaire sans l’étouffer par des textes à l’orientation cuite d’avance, sans la cadenasser dans des webinaires au dialogue impossible, sans l’isoler par des contributions individuelle aboutirait fort probablement à un virage à gauche-toute du programme. Comme lors de la récente élection allemande, ce virage se présenterait comme contrepartie de la néofascisation anti-immigrante de la droite. Cette extrême-droitisation entraîne derrière elle les partis centristes dont la base est constituée de la section traditionnelle des « classes moyennes » laissée pour compte et qui rêve d’un retour à l’Étatprovidence d’antan… que l’immigration menacerait.
L’autre section de ces « classes moyennes » sont des professionnels en voie de prolétarisation et des jeunes bardés de diplômes mais souvent sous-employés et même en chômage. Cette sous-classe est fort présente à la direction Solidaire et au sein de sa militante où elle s’est en partie substituée à la classe populaire. Le virage vers le socialisme en serait-il compromis ? En autant que cette jeunesse instruite, à cheval entre le prolétariat et la petite-bourgeoisie, souvent mise à l’écart de la société, minoritaire dans nos pays vieillissants du vieil impérialisme, reste acquise aux Solidaires, elle est en mesure de revivifier le parti. Tant l’ardeur due à son âge que la conscience qu’elle a de la course folle vers la terre-étuve que nie et encourage la néo-fascisation du monde la mènent vers l’anticapitalisme en autant que cette perspective soit socialement présente et vivante.
En ces temps de turbulence tant mondiale que Solidaire, il faut garder la tête froide et penser stratégiquement. Le parti de Gauche allemand (Die Linke) après des années de crise qui ont abouti à une scission majeure sur sa droite, s’est ressaisi. Il a changé sa direction et a consolidé son programme à gauche axé sur les questions sociales vitales (inflation, logement, austérité) sans discrimination anti-immigrant, Cette discrimination était prônée à différents niveaux par tous les autres partis, même le SPD et les Verts du gouvernement sortant, et pas seulement par le néofasciste L’Alternative pour l’Allemagne (AfD). Malgré le succès électorale de l’AfD et de la droite traditionnelle, Die Linke est passé de 3 % des intentions de vote en début de campagne à près d’un score de 9 % le jour des élections. Chemin faisant, il a doublé le nombre de ses membres grâce à l’adhésion massive de la jeunesse, surtout chez les femmes. Grâce à leur apport, Die Linke a pu organiser des centaines de milliers de porte-à-porte.
Plongée électorale, abandon et démission révèlent une critique féministe
Québec solidaire est-il capable d’un tel rebondissement à l’allemande ? Le test n’est pas banal puisque le parti vit sa première grande crise depuis près de vingt ans d’existence. Cette crise n’a rien à voir avec une stimulante crise de croissance comme le parti en a déjà connu. La crise d’un parti électoraliste se vit d’abord comme une chute du score électoral ou du moins de celle soutenue d’intentions de vote. Cette crise du parti couvait depuis l’élection partielle de Jean-Talon, dans la ville de Québec, de l’automne 2019. La direction-députation avait alors tenté sans succès d’imposer un candidat apparemment populaire issu d’un parti municipal de droite. À la suite de cette crise locale, le score électoral du parti avait baissé de deux points de pourcentage. Rien de dramatique mais un signe avant-coureur invitant une rectification à gauche.
Ce mauvais résultat annonçait la stagnation de l’élection générale de 2022 un moment occultée par la victoire de la partielle de Ste-Marie-Ste-Anne à Montréal, gracieuseté de l’effondrement des Libéraux chez les francophones. Mais le recul de sept points de pourcentage, ou relativement du tiers, lors de la nouvelle élection partielle de Jean-Talon en octobre 2023 allait précipiter les événements. Peu après cette élection, la parution du livre de l’ex-députée Catherine Dorion, dont le refus de se représenter en 2022 avait créé un malaise, critiquait directement GND. Elle s’en prenait non pas au contenu de son discours mais à son style de direction. Elle signalait le rapport problématique de GND au style frondeur — peut-on le qualifier de féministe ? — qui devrait avoir sa place dans un parti de gauche. Il fallait normaliser style et habillement pour plaire au mythique électorat centriste et pragmatique. Il fallait une députation avant tout dotée d’expertise. Leurs liens au milieu populaire devenaient secondaires.
La démission surprise de la nouvelle porte-parole Émilise, en avril 2024, allait définitivement ouvrir la grande crise du parti. La porte-parole démissionnaire était manifestement malvenue dans le sérail de la députation. On lui en voulait d’être la seule députée défaite du parti sans égard au fait qu’elle avait été punie par l’élite patronale-syndicale de Rouyn-Noranda, en Abitibi. Elle avait joué un rôle crucial pour médiatiser l’empoisonnement à petit feu de la population de la ville, surtout celle voisine de la fonderie de cuivre de Glencore. À noter que c’est un enjeu finalement pris à bras-le-corps dans la rue par l’organisation féministe Mères au front et médiatisé à tout le Québec. Est-ce là un hasard ou plutôt une manifestation lutte-de-classe que reflète le malaise féministe au sein de Québec solidaire dont la députation est deux fois plus masculine que féminine ?
L’écosocialisme, un projet de société solidaire, concret, simple et bon marché…
N’est-ce pas un secret de Polichinelle qu’est écologique, c’est-à-dire écosocialiste, le socialisme du XXIe siècle ? Cet écosocialisme n’a rien à voir avec des projets étatiques pharaoniques genre cathédrales hydroélectriques au Nord, champ d’éoliennes géantes au Nord du Sud ou trains aériens et métros au Sud. La construction de logements sociaux éco-énergiques, c’est-à-dire hors marché et à consommation énergique (quasi)-zéro, pour tout le monde et non seulement pour les pauvres répond à la fois aux trois crises de l’inflation, du logement et du climat.
Le remplacement sur nos rues et routes de l’auto (SUV) solo, à essence et électrique, par le transport public collectif mur-à-mur, avec un complément d’autopartage, contribue aussi à résoudre la crise du climat. Ce transport public puise son électricité dans les « négawatts » hydroélectriques des bâtiments restaurés par une grande corvée. Finalement, il résout la crise de l’étalement urbain dévorant les meilleurs terres agricoles de la plaine de Montréal et par la même occasion l’aliénante congestion urbaine et l’inflation des prix de l’énergie. Sans ces deux sources majeures d’endettement que sont le logement privé et l’auto solo, les ménages reprennent leur souffle tout en pouvant davantage contribuer fiscalement.
L’essentiel du financement viendra cependant d’ailleurs. Comme le disait un fameux voleur de banque des années 1930 à qui l’on demandait pourquoi il se limitait à ces vols très risqués, « l’argent est dans les banques ». J’ajouterais non seulement au Québec et au Canada mais aussi dans celles des paradis fiscaux. En plus, sans grands projets inutiles y compris ceux de la géo-ingénierie et de la croissance exponentielle des fermes de serveurs, l’écosocialisme est bon marché. Pour faire le tour de la question de la lutte conjointe justice climatique et justice sociale, l’alimentation végétarienne, indispensable climatiquement mais impopulaire, peut être encouragée par une politique de prix administré, c’est-à-dire dégagée de l’emprise du marché. Cette politique subventionnerait les aliments végétariens de base aux dépens du prix des viandes et des aliments ultratransformés bourrés de sucre, gras et sel, ces derniers devant à terme devenir interdits. Ajoutons-y une politique agricole soutenant la bio-agriculture aux dépens de l’agro-industrie actuellement grassement subventionnée.
Toutes ces politiques simples à comprendre et simples à expliquer établissent une société solidaire du soin et du lien en forte décroissance matérielle qui bat en brèche l’austérité des services publics. En répartissant un travail obligatoire devenu moins contraignant parce que libéré de la consommation de masse générée par l’accumulation capitaliste, ces politiques libèrent le temps de la science, de l’art et de la démocratie participative reqise par la planification démocratique. Et elles lèvent toute restriction socio-économique et idéologique à l’accueil et au soutien internationalistes.
Ce sont ces politiques qui devraient être au cœur du programme Solidaire, son noyau dur. Les objectifs de réduction des GES découlant de l’analyse scientifique du GIEC et des principes d’équité du Sommet de Rio, soit pour le Québec une réduction des deux tiers pour 2030 sinon 2035, en deviendraient réalistes. Non seulement ces politiques apparaîtraient-elles comme une alternative politiquement sérieuse vis-à-vis la voie sans issu du capitalisme vert à la québécoise fait de filière batterie et d’autos solo électriques mais aussi elles laisseraient voir une stratégie de solidaire croissance du bien-être pour toustes.
…qui en contrepartie exige le courage politique d’affronter le capitalisme fascisant
En contrepartie, ces politiques vont rencontrer sur le chemin de la lutte pour leur mise en œuvre le barrage de la propriété privée des moyens de production qui ne peuvent conserver leur valeur qu’en accumulant du profit. Comme le disait Marx (Le Capital, Volume 3, Chapitre 47) : « La grande industrie et la grande agriculture exploitées industriellement agissent en commun. Si elles se différencient au début en ce que l’une gaspille et ruine davantage la force naturelle de l’homme et l’autre la force naturelle de la terre, elles se tendent la main plus tard, le système industriel appliqué à la terre venant à son tour exténuer la force de travail, et l’industrie et le commerce intervenant pour procurer à l’agriculture les moyens d’épuiser la terre. »
Dorénavant ne pouvant plus compter sur le voile de la démocratie parlementaire, ce capitalisme apparaît dans sa nudité fascisante. S’impose donc la nécessité du renversement de la domination capitaliste qui viendra par la pression du cumul des luttes pour des réformes combiné à la hausse de la conscience écosocialiste. Cette lutte gigantesque aboutira dans l’un ou l’autre pays qui entraînera les autres. Pourquoi pas au pays du « Nouveau Québec » qui de petit peuple pourrait ainsi devenir « quelque chose comme un grand peuple » ?
Marc Bonhomme, 23 mars 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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