Tout aura été dit sur la nature de classe du mouvement des Gilets jaunes : mouvement d’extrême droite, mouvement prolétarien, jacquerie, mouvement du peuple enfin unifié, foule sans voix… L’erreur commune à ces analyses est sans doute de tenter de réaliser une photographie d’un phénomène qui s’inscrit dans de fortes évolutions sociales.
Comme toute réalité, la nature du mouvement des Gilets jaunes ne se révèle que de façon dynamique, dans ses interactions avec ce qui l’entoure. Les délimitations, les contours des classes sociales n’ont jamais été figées, de la Commune de Paris où la lutte mêlait ouvrierEs, artisanEs et petitEs commerçantEs aux luttes d’aujourd’hui dans lesquelles les profondes modifications du marché du travail percutent les contours et les repères de classe.
UN MOUVEMENT POPULAIRE
Pour commencer par quelques chiffres, une étude de la Fondation Jean Jaurès publiée fin novembre 2018 révélait que le mouvement des Gilets jaunes a acquis un soutien massif dans les classes laborieuses, avec 62% de soutien chez les ouvrierEs, 56% chez les chômeurEs et chez les employéEs, 54% chez les travailleurs indépendants… contre 29% de soutien de la part des cadres et professions intellectuelles supérieures, et 35% des professions intermédiaires [1]. Les franges les plus militantes se sont retrouvées dans les périphéries urbaines, là où on travaille mais où les loyers sont bons marchés, dans les familles monoparentales, dans les professions précaires. En particulier chez les femmes, très présentes sur les ronds-points et dans les manifestations. L’importance de leur participation, alors qu’elles sont moins intégrées à la sphère publique, est un signe qui ne trompe pas sur l’ampleur de la crise sociale. Dans les grandes crises nationales, ce sont souvent les femmes qui sont à l’avant-garde car, entre la double journée de travail, l’oppression spécifique et la gestion de la sphère privée, elles sont percutées de plein fouet.
Mais le mouvement a été faible chez les « excluEs » du monde du travail. En effet, pour lutter, il faut percevoir la possibilité d’une alternative, ne pas être préoccupé essentiellement de sa survie. Et également dans les banlieues les plus populaires, qui ont observé à distance et avec méfiance ce mouvement très blanc et présenté comme réactionnaire. Elles ont observé la réponse du mouvement face aux violences policières qu’elles ne connaissent que trop bien. Une autre enquête [2], menée sur un échantillon plus faible, suggère une participation au mouvement composé de 10 à 15 % d’artisanEs, commerçantEs, chefs d’entreprises (contre 6,5 % dans la population), 35 à 45 % d’employéEs (27 % dans la population), 15 à 20 % d’ouvrierEs (21 %), 10 à 13 % de professions intermédiaires (26 %), 7 % de cadres et professions intellectuelles supérieures (18 %) et 26 % d’inactifEs. Donc globalement, il s’agit d’un mouvement très populaire, même si diverses classes sociales y ont participé. Rappelons au passage que la moitié des créations d’entreprises sont aujourd’hui le fait d’auto-entrepreneurs qui, s’ils et elles ont un statut juridique de travailleurE indépendantE, sont en réalité bien souvent des employéEs déguisés.
LE SOUTIEN AUX « GILETS JAUNES » FAIT APPARAÎTRE UN TRÈS NET CLIVAGE DE CLASSE [3]
À ce profil général, il faut ajouter certaines franges du petit patronat, notamment dans le transport, percutées par la hausse du prix de l’essence, ainsi que des commerçants, des secteurs qui font indéniablement partie de la petite bourgeoisie et qui ont été en bonne partie à l’initiative du début du mouvement. Une question est donc de savoir pourquoi ce mouvement, qui est globalement dominé numériquement par les secteurs prolétariens, a été perçu au départ comme un mouvement ayant des penchants réactionnaires, puis s’est situé de plus en plus à gauche, et ce qu’il nous dit sur les prochains mouvements de notre temps. Que ce soit les salariéEs qui ont bloqué les ronds-points ou celles et ceux qui ont simplement mis un gilet jaune sur leur pare-brise, comme une sorte de mouvement par procuration, touTEs se sont identifiés à ce gilet, à ses préoccupations, ses mots d’ordre unifiants contre la cherté de la vie et contre Macron, formulés comme des problèmes nationaux communs à la grande majorité de la population. Cette perception fait nécessairement écho à d’autres mouvements hétéroclites, aussi divers soient-ils, comme celui des Bonnets rouges, la mobilisation algérienne ou les Indignés espagnols.
REPRÉSENTATION SUBJECTIVE ET COMPOSITION OBJECTIVE
Les secteurs moteur du mouvement se sont situés à l’extérieur du mouvement ouvrier organisé. Ce sont des salariéEs majoritairement à l’écart des grandes concentrations urbaines et des grandes entreprises. Quant aux salariéEs des grandes entreprises, hôpitaux, usines ou autres, quand ils et elles participaient aux manifestations du samedi, ils et elles ne faisaient pas, sauf exception, le lien avec un engagement militant dans l’entreprise. La représentation politique initiale du mouvement a été décalée par rapport à sa sociologie. Les secteurs qui ont été mis sur le devant de la scène pour représenter le mouvement sont issus des couches petites-bourgeoises, capables de prendre la parole en public, et correspondant à l’image que les médias et le gouvernement veulent donner du mouvement : des petits patrons hostiles à l’écologie. Les porte-parole issus du mouvement ne sont pas des ouvrierEs ou des employéEs : « Éric Drouet est chauffeur routier ; Priscillia Ludovksy, micro-entrepreneuse ; Maxime Nicolle (surnommé “Fly Rider”) est un travailleur intérimaire ; Fabrice Schleger, un promoteur immobilier [4] ». L’extrême droite a tenté de surfer sur la représentation de la mobilisation pour se proposer comme porte-voix. La crise de représentation des classes populaires et des organisations du mouvement ouvrier aura donc laissé la place, au départ du mouvement, aux couches petites-bourgeoises ou réactionnaires qui se positionnent sur le devant de la scène, privant ainsi les exploitéEs de représentantEs. Ceux-ci ne se sont pas tournés spontanément vers les révolutionnaires ou la gauche radicale qui, après une phase d’expectative, les ont soutenus, ni n’ont souhaité se donner des représentantEs légitimes. Au contraire même, toutes les velléités d’émergence de nouvelles figures ont échoué. Cette faiblesse initiale du mouvement a sans doute même constitué un facteur décisif de son échec : le mouvement n’a pas réussi à se lier aux banlieues ni aux travailleurEs des grandes entreprises et n’a jamais constitué de direction basée sur l’auto-organisation. Mais la réalité sociale et les contradictions de la société ont posé positivement sur le mouvement et son contenu politique, son rapport à l’appareil d’État. La diminution progressive du nombre de manifestantEs ne permet pas de percevoir un processus complet, mais montre de sérieuses pistes.
DE L’EXPLOSION À LA REVENDICATION SOCIALE
La mobilisation a démarré contre l’augmentation du prix du gazole, en continuité avec la réduction de la vitesse maximale sur les routes, des éléments qui briment celles et ceux qui prennent leur voiture notamment pour travailler (2/3 des actifs, 17 millions de personnes tout de même…). Certains porte-paroles, mais surtout la droite et l’extrême droite, ont tenté d’orienter le mouvement vers un rejet des taxes, de l’écologie supposée être un problème de bobos, et même contre l’immigration. Sur ce dernier point, elles ont tenté de s’appuyer sur le sentiment national, les préjugés racistes ou homophobes qui ont existé dans ce mouvement comme dans le reste de la société, particulièrement hors des sphères d’influence du mouvement ouvrier organisé. Mais le discours contre l’immigration ne s’est pas solidifié, l’argument gagnant étant l’idée qu’il faut touTEs être unis contre Macron. Retenons même l’anecdote d’un manifestant, se présentant comme militant d’extrême droite, venu voir Olivier Besancenot pour le remercier de sa présence car il est favorable à l’unité de tous contre Macron… Dans une des enquêtes déjà citées, les Gilets jaunes placent le refus de l’immigration en dixième position, à 1,2% des motivations pour manifester [5]… Si la division, le racisme et l’homophobie ont été présents, leur importance a été très exagérée pour des raisons politiques du côté du pouvoir et des médias dominants.
Concernant les revendications, les premières étaient l’augmentation du pouvoir d’achat, la réduction des impôts et des taxes, une meilleure redistribution de la richesse, l’opposition au gouvernement et au président, un mécontentement global… et une écoute des citoyenEs. Le fait que médias, gouvernement, droite et extrême droite aient, en l’absence, répétons-le, de direction représentative du mouvement, résumé les revendications au refus des taxes et au rejet de l’immigration, a une fonction politique simple : freiner toute tentative de convergence avec les autres secteurs du monde du travail : les entreprises, les travailleurEs syndiqués, les banlieues.
Mais la composition sociale dominante et donc les intérêts objectifs des Gilets jaunes ont fait pencher la balance dans le sens de revendications pour le pouvoir d’achat et la souveraineté populaire. Le gouvernement ne s’y est d’ailleurs pas trompé puisque Macron a décidé l’augmentation de la prime pour l’emploi, de demander aux patrons de verser une prime de fin d’année de 1000 euros et le « renforcement » du référendum d’initiative partagé comme réponse au mouvement. Le mouvement, malgré ses limites numériques à partir de janvier, a continué dans la voie des revendications concernant le pouvoir d’achat.
Le grand drame de cette mobilisation a été l’incapacité du mouvement ouvrier de se faire le relais de cette lutte et de l’organiser, en grande partie en raison du rejet des Gilets jaunes par le mouvement syndical dans un premier temps. Mais aussi par le refus d’assumer, depuis des années, des campagnes de mobilisation pour les salaires, alors que la rémunération est la première préoccupation des salariéEs [6] et qu’il s’agit d’un profond unifiant pour le monde du travail. D’ailleurs, dans la foulée des annonces de Macron sur la prime de 1000 euros, des mobilisations ont eu lieu dans un certain nombre d’entreprises pour obtenir cette prime.
Globalement, la désynchronisation des mobilisations des classes populaires révèle à la fois les stratégies de la bourgeoise et l’ampleur de la déstructuration de la classe ouvrière. C’est un élément clé de la situation, nous y reviendrons.
LE REFUS DU MÉPRIS DES PUISSANTS CONSTRUIT UN MOUVEMENT IMMÉDIATEMENT POLITIQUE
Pour Pierre Rosanvallon, peu suspect de sympathies gauchistes, « c’est d’abord l’explosion d’une colère dans laquelle se mêlent l’urgence et le flou. Elle fait remonter à la surface ce qui a été longtemps subi en silence : le sentiment de ne compter pour rien, de mener une existence rétrécie, de vivre dans un monde profondément injuste [7] ». Une injustice profonde dont Macron est identifié comme la cause principale, la mobilisation revendiquant immédiatement et unanimement sa démission. En général de telles revendications sont combattues par les forces qui ne veulent pas la déstabilisation du pouvoir (syndicats, partis de la gauche de gouvernement), comme par celles qui y voient au contraire une issue institutionnelle à la lutte. Elles n’apparaissent en général qu’au cours de la lutte, quand la satisfaction d’une revendication apparait incompatible avec le maintien au pouvoir de ceux qui la refuse, posant ainsi la question de la légitimité du pouvoir.
Ce n’est pas par hasard que ce mouvement a démarré avec ce mot d’ordre : en Argentine déjà en 2001, les manifestantEs réclamaient « Qu’ils s’en aillent tous », dans l’État espagnol les IndignéEs voulaient une « démocratie réelle », les AlgérienEs ont initié leur mouvement pour obtenir le départ de Bouteflika. Les enseignantEs même personnalisent leur mobilisation contre Blanquer. Ce qui est commun à toutes ces luttes est le mépris du pouvoir pour des populations qui se sentent dans l’impasse…
Macron incarne le mépris des classes populaires, à la fois par son discours, comme lors de ses voeux du 31 décembre 2018 où il a qualifié les Gilets jaunes de « porte-voix d’une foule haineuse, [qui] s’en prennent aux élus, aux forces de l’ordre, aux journalistes, aux juifs, aux étrangers, aux homosexuels, c’est tout simplement la négation de la France », et parce qu’il symbolise crûment le fait que l’appareil d’État est entièrement aux mains de la bourgeoisie, que les classes populaires ne peuvent pas y trouver de représentants. Pour Gérard Noiriel, « davantage que les facteurs proprement économiques, c’est donc la capacité collective d’exprimer publiquement sa révolte qui semble la cause principale du mouvement des Gilets jaunes. Or, cette compétence a été complètement niée par les élites. Sur 577 députés, il n’y a aucun ouvrier alors que ceux-ci représentent plus de 20% des actifs et que beaucoup d’entre eux ont le baccalauréat » alors qu’en « 1936, la très grande majorité des ouvriers n’avaient que le certificat d’étude (ou un CAP), mais une cinquantaine d’entre eux furent élus députés sous la bannière du Front populaire » (en particulier du PCF).
C’est ce rejet du mépris des puissants et la compréhension du fait que, dans un monde en crise, les classes populaires sont complètement écartées des mécanismes de pouvoir, qui mine la légitimité de ce dernier et donne confiance à celles et ceux qui luttent pour le remettre en cause. L’affaire Benalla a été, à n’en point douter, un élément important pour montrer la réalité du pouvoir de Macron. Sans oublier le faible score de Macron à la présidentielle (16% des inscrits) qui l’a fait démarrer son mandat avec une base sociale extrêmement réduite. Les médias et la police ont joué un rôle important dans cette trajectoire. Alors que dans les premières manifestation le mouvement a été plutôt naïf, certains slogans réclamant « La police avec nous », la déformation médiatique et la répression policière ont rapidement montré le rôle réel de ces institutions, qui sont chacune à leur façon des rouages fondamentaux du capitalisme, face aux mobilisations. Les Gilets jaunes ont été présentés comme des classes dangereuses, à l’image des émeutiers de 2005. C’est la maturation de ces divers éléments, dans la lutte, qui ont fait passer le mouvement d’une révolte populaire à une mobilisation s’inscrivant dans le combat de la classe ouvrière.
EUX ET NOUS
Deux citations sont régulièrement invoquées dans la période actuelle. Celle de Lénine (« lorsque “ceux d’en bas” ne veulent plus et que “ceux d’en haut” ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière »), que d’aucuns espèrent faire correspondre à la mobilisation des Gilets jaunes et aux difficultés du pouvoir de Macron, et celle de Gramsci (« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres »). Si divers monstres surgissent, en particulier l’extrême droite à vocation fasciste, notre clair-obscur est plus contradictoire. Le recul des collectifs de travail, la précarité, le recul des syndicats ne se soldent pas par une disparition des mouvements du prolétariat mais par une modification de leurs modes d’apparition et la reconstruction de solidarités.
Comme en Allemagne à la sortie de la Première Guerre mondiale, comme en Algérie aujourd’hui, le point de départ de la lutte n’est pas nécessairement l’entreprise. Il y a une territorialisation de la lutte autour du ronds-points, des blocages. Il y a une redéfinition du « nous » contre ceux d’en haut, qui passe par la reconstruction de symboles unifiants, comme le Gilet jaune, qui a créé involontairement un lien entre automobilistes, travailleurEs du bâtiment, gilets orange de la SNCF, blouses blanches…
Le 17 novembre, 3000 ronds-points ont été occupés, soit un maillage conséquent. Une prise de l’espace national qui s’est vécue comme une révolte nationale, symbolisée par la page « La France en colère » d’Éric Drouet et la profusion de drapeaux français dans les rues. Ce drapeau nous choque, comme la défense des « Français », mais il n’est pas vécu de cette façon par la majorité des manifestantEs. Ceux-ci se vivent comme les acteurEs d’une cause nationale, les éléments de résolution de la crise nationale. Les « Français » ne sont pas vus comme les personnes de nationalité française mais comme les habitantEs de la France. Le drapeau tricolore et la Marseillaise comme les représentants de la révolution qui a chassé les nobles et pourraient bien se retourner contre les riches. À propos de 1995, Olivier Schwartz rappelle que « beaucoup de machinistes impliqués dans le mouvement de décembre partageaient donc le sentiment d’être des représentants, des vecteurs d’une cause qui les dépassait [8] ». Il y a une réalité dans ces affirmations : les masses se mettent en mouvement pour faire face à une crise générale des rapports de domination et tentent de résoudre la crise globale en partant de leurs dynamiques et de leurs intérêts de classe. Certains observateurs, notamment LO, ont critiqué le fait que le mouvement visait le pouvoir et non le patronat. D’autres le fait que la mobilisation tournait le dos à la grève et à la lutte dans les lieux de travail.
Ces critiques ne sont pas dénuées de fondements, et nous donnent des éléments d’orientation pour l’intervention des révolutionnaires, mais il faut comprendre que bien des grandes crises nationales et des révolutions ont démarré de cette façon. La Commune de Paris, la Révolution russe, la Révolution allemande, la Révolution espagnole… ont démarré en dehors des lieux de travail, par des révoltes en réponse à des problèmes politiques.
UNIFIER LE PROLÉTARIAT POUR GAGNER
Le prolétariat se constitue en classe quand il se met en mouvement, que chaque couche prend sa place dans la lutte. Le rôle des révolutionnaires est donc de participer de toutes ses forces à ces mouvements pour y faire émerger, de façon concrète, les méthodes, objectifs, revendications du mouvement ouvrier. C’est ce qui a été fait par les tentatives de coordinations, par la bataille pour la participation des syndicats aux manifestations du samedi, par la bataille pour des grèves sur les salaires, etc.
Beaucoup ont critiqué le flou de la mobilisation, de ses objectifs, l’absence de représentants. Mais pour revenir à la citation de Lénine, on n’est justement pas dans une situation prérévolutionnaire : ceux d’en haut peuvent encore, par une combinaison de répression, de « dialogue social », de concessions à la marge, de domination idéologique, quand celles et ceux d’en bas, s’ils et elles ne veulent plus continuer comme avant, ont des moyens extrêmement limités pour l’exprimer.
De ce point de vue, deux éléments se nourrissent : la faible homogénéité de la classe – sur le plan des statuts, des collectifs de travail, des objectifs politiques, de la culture politique et des acquis théoriques – et la faiblesse des organisations du mouvement ouvrier.
Il y a fort à parier que les grandes tendances observées dans le mouvement des Gilets jaunes sont annonciatrices des conditions de la lutte politique dans la prochaine période, car elles sont liées aux modifications profondes que nous vivons dans cette crise du capitalisme. On peut prévoir des luttes de nature politique, à caractère explosif et semi spontané, pleines de confusions, dans lesquelles les organisations traditionnelles auront du mal à s’orienter pour les solidifier.
Dans ce contexte, on pourrait être tenté de voir dans ce type de mobilisations la solution à tous nos problèmes, que ce soit les difficultés à mobiliser et construire dans les lieux de travail ou à s’opposer à la politique des directions syndicales. Ce serait se bercer de dangereuses illusions : on peut regarder avec espoir la capacité sans cesse renouvelée des classes populaires à se mobiliser, même dans les moments difficiles, avec une lutte dynamique, incontrôlable et spontanée. Mais ces caractéristiques sont en même temps le coeur de ce qui a empêché le mouvement d’avoir une direction, une politique pour unifier le prolétariat, un rapport de forces que seule la grève de masse peut rendre suffisant pour gagner.
Une des questions clé de la période reste la nécessité de briser la séparation entre, d’un côté, un mouvement ouvrier implanté dans les grandes structures, imprégné d’une grande passivité et de la logique du « dialogue social » et, de l’autre, des secteurs précarisés, porteurs d’un potentiel de radicalité mais avec un niveau de politisation et d’organisation bien plus faibles. Le mouvement des Gilets jaunes nous permet de réfléchir à ce problème, mais n’a pas permis de le résoudre. Comme les Bourses du travail visaient au début du 20e siècle à homogénéiser la classe sur une base géographique, comme les syndicats, même bureaucratisés, l’ont fait pendant des décennies, il y a urgence à reconstruire des structures qui unifient la classe, son indépendance politique vis-à-vis du patronat et de l’État. Pas pour se contenter de revendications locales ou sectorielles, mais pour organiser à la base la classe ouvrière, dans sa diversité, dans la lutte pour le pouvoir politique.
Un message, un commentaire ?