À recevoir les impressions de mes anciens camarades solidaires à propos du 14ème congrès de QS qui vient de se dérouler, je suis content d’avoir quitté le parti quelques jours avant. Intimidations. Larmes de détresse. Bourrage de micro. Whitesplaining. Condescendance oniste. Explication de texte par la bureaucratie des « sachant·e·s »... Je vous l’accorde, il s’agit sûrement en partie de perceptions, mais tout de même, ça en dit long sur le manque de sérénité et le niveau de défiance dans un parti qui ferait de la politique autrement [1] !
Autodétermination [autochtone] : on n’y comprend plus rien
La bonne nouvelle de ce congrès, c’est la création de la Commission nationale autochtone (CNA), dont l’idée a germé dans la tête de certain·e·s membres dès 2012. Elle a été arrachée après des négociations de couloir, face à une résistance procédurière incompréhensible quand on sait qu’apparemment, l’ensemble du CCN aurait été pour. Ce dernier aurait pu tout simplement proposer une modification de l’ordre du jour dès l’ouverture du congrès, plutôt que de laisser pendant 2 jours les 12 associations et les membres autochtones qui la réclamaient dans l’angoisse et la paranoïa.
Passons sur cette énième erreur de gouvernance et de cohésion pour examiner l’essentiel. La CNA devra se pencher rapidement sur ce qu’entend QS par « autodétermination » – notamment territoriale – parce que pour le moment, cela ne semble pas très clair. Un jour Gabriel indique « vouloir faire l’indépendance en partenariat avec les Premières Nations, sans nécessairement ouvrir la porte à une option de retrait pour eux d’un Québec souverain » ; que « ce n’est pas de diviser le territoire, c’est de le partager et de les consulter tout au long du processus » [2]. Ce qui correspond bien au 1er paragraphe de l’alinéa c) de l’article 10.2.2 du programme [3] et au 2ème paragraphe de l’article 10.2.3 [4].
Mais le lendemain, Manon explique « que dans un Québec souverain, son parti reconnaîtrait le droit aux Premières Nations et aux Inuits de se séparer du Québec s’ils le voulaient » [5]. Pourtant, la proposition de transition vers l’indépendance qui vient d’être adoptée lors de ce congrès, stipule que « sous réserve des négociations avec les Premières Nations et le peuple inuit, [il faudra] revendiquer la continuité de ses frontières terrestres actuelles et les compétences territoriales dans les zones maritimes » [6]. Il faut dire que l’article 10.2.1 du programme reconnait « sans aucune réserve ni condition, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones » (DNUDPA) [7], dont l’article 46.1 encadre le droit à l’autodétermination territoriale autochtone en protégeant l’intégrité territoriale des États dans lesquels vivent les communautés concernées [8].
Bref, les personnes premières concernées de la CNA proposeront ce qui leur plait. C’est à elles de dire ce qui est colonial de ce qui ne l’est pas, et ce qui le resterait ou non. Mais d’un point de vue égalitariste, on pourrait s’attendre au minimum à une certaine symétrie et à la réciprocité : ce qui est en termes d’autodétermination légitime pour le Québec devrait l’être pour chaque Nation autochtone. Comme cela est d’ailleurs affirmé à l’alinéa b) de l’article 10.2.2 du programme [9]. Sinon, il s’agit de remplacer une structure coloniale par une autre. Par conséquent, la CNA proposera peut-être une révision du programme qui est loin d’être aussi clair qu’on ne le pense. Ultimement, on n’est pas obligé de se restreindre à l’article 46.1 de la DNUDPA sur la question du territoire. On a le droit d’être encore plus égalitaire, et encore plus réparateur.
Transition vers l’indépendance : on reste dubitatif
J’avoue, ma cérémonie de citoyenneté canadienne a été traumatisante. Imaginez : devoir prêter allégeance à la reine d’Angleterre ! Quelle horreur, surtout pour un français ! Bon je plaisante, j’en ai rien à faire d’être un sujet de sa Majesté. Mais bon, si supprimer le serment d’allégeance royal des députés provinciaux, ou le poste de pacotille de lieutenant-gouverneur, peut soulager les susceptibilités indépendantistes, pas de problème. Moi non plus j’aime pas les dissonances cognitives. Mais trêve de plaisanterie, tout ça est plutôt symbolique et pas vraiment révolutionnaire [10].
Ce qui est moins insignifiant dans la nouvelle stratégie solidaire de transition vers l’indépendance, c’est son absence totale de réalisme pour préférer un pari spéculatif. Le narratif qui la sous-tend consiste essentiellement en une abstraction : sur les rapports de force populaire ; pour créer les conditions démocratiques mettant en marche le processus constituant ; afin de faire passer la bataille indépendantiste sur le terrain social ; de façon à pouvoir prendre plus d’initiatives dans les décisions économiques ou environnementales ; de déployer une présence internationale nettement plus affirmée… [11] Le tout en s’appuyant sur des comparaisons boiteuses avec la Catalogne [12]. Mais lorsque l’on pose des questions concrètes, aucune réponse concrète. Aucune.
Comment QS peut-il affirmer que la CAQ n’a pas la légitimité populaire qu’elle prétend puisque le mode de scrutin actuel n’est pas représentatif, tout en proposant une stratégie de transition vers l’indépendance qui pourrait s’imposer de la même manière ? [13]
Que va-t-il arriver avec les dépenses structurelles engagées par le rapatriement des impôts [14] ? Sont-elles chiffrées ? Et si le Québec rejette l’indépendance lors du 3ème référendum, on annule et on rétablit tout ? En passant, les peuples autochtones « autodéterminés », ils continuent à payer des impôts fédéraux ou non ? Et si des résident·e·s québécois·e·s refusent de verser leur part fédérale de l’impôt à l’état québécois, on leur envoie la SQ ?
Que va-t-il arriver avec les employé·e·s syndiqué·e·s de la fonction publique canadienne ? Intégration de ces fonctionnaires à la fonction publique québécoise alors qu’il n’est prévu que de « planifier l’intégration des fonctionnaires fédéraux québécois qui le souhaitent à la fonction publique québécoise » [6] ? Maraudage ? Conflit entre les alliés objectifs syndicaux de QS et le gouvernement solidaire ?
Que va-t-il arriver avec les tribunaux ? Combien ça va coûter en défense judiciaire ? Et avec la réponse institutionnelle fédérale, on fait quoi ? Et la péréquation ? Le gouvernement solidaire va appeler à la désobéissance civile alors que QS n’a pas osé appuyer celle de ses propres membres, activistes d’Extinction Rebellion ? Le peuple du Québec va descendre dans la rue et monter des barricades ?
Quel·le·s énergie, temps et budget cela va-t-il prendre au gouvernement ? Aura-t-on un·e ministre de la transition indépendantiste ? Peut-être qu’elle sera autochtone ?
Il faudra faire de la didactique pour arriver à vendre à l’électorat cette « loi transitoire » de rupture réversible post-élective préréférendaire (autrement que par des envolées lyriques). En tout cas aux élections de 2022, le débat des chef·fe·s et le porte-à-porte s’annoncent épiques.
Purge fédéraste et départ des non-alignés ?
Un certain triomphalisme règne du côté des partisans du virage optionationaliste de QS. C’est bien compréhensible dans la mesure où cette réorientation stratégique a été pensée depuis longtemps dans les coulisses des deux partis originels. C’est l’aboutissement d’une fusion bien menée par la locomotive idéologique de Limoilou. C’est de bonne guerre : j’étais moi-même triomphant quand QS a précisé sa position sur les signes religieux.
Ce qui me consterne, ce sont les dommages collatéraux que cette modification stratégique induit, surtout vis-à-vis des moins souverainistes du parti. Moi qui pensais voter solidaire en 2022 malgré mon départ du parti, j’avoue que la sortie du chef le lendemain du congrès m’a quelque peu refroidi [15]. Je pense à tou·te·s ces membres non-aligné·e·s à propos de la question nationale [16], qui risquent de se sentir insulté·e·s, qui ont pourtant co-construit le parti, et ne sont pas arrivé·e·s comme un cheveu sur la soupe après que le plus dur ait été fait. Un peu de gratitude, de reconnaissance et d’humilité seraient souhaitables. En tout cas, message reçu 5 sur 5 : on n’est effectivement pas obligé de rester membre ou de voter QS. C’est juste bêtement contre-productif de jeter ainsi une partie de l’électorat traditionnel et potentiel de QS [dans les bras du NPDQ ou de l’abstention], de s’aliéner une partie de militant·e·s historiques dévoué·e·s.
Cela dit, quand tu fais partie d’une minorité et/ou que tu es migrant·e, et qu’on peut désormais au Québec t’enlever des droits du jour au lendemain, à la majorité simple d’un parlement élu au scrutin uninominal à un tour… Ben tu n’as pas envie de voter pour l’indépendance, même solidaire, sans savoir dans quoi tu vas t’embarquer, sans Constitution alternative. Désolé, mais je ne voterais probablement pas pour provoquer une crise constitutionnelle aux lendemains des élections de 2022 ou 2026, alors qu’on a des problématiques bien plus urgentes à régler, et des camarades partout au Canada qui sont sur la même longueur d’onde du point de vue social, environnemental et décolonial.
Anyway, comme je disais à un ami récemment : si on n’est pas d’accord avec des gens aveuglé·e·s par leur bulle idéologique, soit on prend leur place, soit on ferme sa gueule, soit on se barre. J’ai choisi ce qui correspondait le mieux à mes possibilités matérielles, ma santé mentale et politique. Mais je me réserve encore le droit de critiquer, et de participer à l’agora démocratique gauchiste. La seule différence, c’est que je jouis désormais une plus grande liberté de ton vis-à-vis de QS.
Notes
[1] J’ai notamment expliqué ailleurs comment l’épisode du code d’éthique avait assailli ma foi envers la saine gouvernance participative de QS : https://folalliee.wordpress.com/2019/11/18/pourquoi-jai-quitte-qs-pour-vivre-mon-militantisme-autrement/
[2] http://plus.lapresse.ca/screens/2945051e-452f-4486-8cf1-da1f4444798e__7C___0.html
[3] « Québec solidaire reconnaît que des relations égalitaires avec les peuples autochtones nécessitent le remplacement de l’a priori de l’intégrité territoriale du Québec par une tout autre notion, celle de la nécessaire cohabitation sur un même territoire de peuples souverains pouvant disposer librement de leur avenir. »
https://api-wp.quebecsolidaire.net/wp-content/uploads/2016/01/18-01958-qs2018_programme-politique_f.pdf (page 78)
[4] « Le Québec reconnaît les droits des peuples autochtones en ce qui concerne leurs terres, territoires et ressources, y compris ceux qu’ils possèdent, occupent ou utilisent traditionnellement. Tant le gouvernement du Québec que les administrations locales ou régionales doivent tenir compte systématiquement de la présence autochtone sur le territoire. Plus concrètement, pour tout développement se situant sur un territoire revendiqué par un peuple autochtone, un gouvernement solidaire négociera de nation à nation avec le peuple concerné afin d’établir un traité concernant la gestion de ce territoire. »
https://api-wp.quebecsolidaire.net/wp-content/uploads/2016/01/18-01958-qs2018_programme-politique_f.pdf (page 78)
[7] https://api-wp.quebecsolidaire.net/wp-content/uploads/2016/01/18-01958-qs2018_programme-politique_f.pdf (page 78)
[8] « Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un peuple, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte contraire à la Charte des Nations Unies, ni considérée comme autorisant ou encourageant aucun acte ayant pour effet de détruire ou d’amoindrir, totalement ou partiellement, l’intégrité territoriale ou l’unité politique d’un État souverain et indépendant. » : http://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/DRIPS_fr.pdf
[9] « Québec solidaire reconnaît que, pour l’ensemble des peuples autochtones, leur souveraineté signifie qu’ils ont le libre choix de leur avenir et qu’il s’agit là d’un droit inhérent. Reconnaître cette réalité est nécessaire pour éviter d’avoir une politique de « deux poids, deux mesures » : Le peuple québécois ne peut refuser aux autres peuples ce qu’il revendique pour lui-même. Si son existence même, comme peuple, lui confère le plein droit à l’autodétermination, la même chose devrait s’appliquer dans le cas des peuples autochtones. Il ne s’agit pas là d’une question de nombre, mais de droit fondamental. »
https://api-wp.quebecsolidaire.net/wp-content/uploads/2016/01/18-01958-qs2018_programme-politique_f.pdf (page 78)
[10] Catherine Dorion pourrait porter un tee-shirt de Sid Vicious à l’Assemblée nationale, ce serait du même acabit.
[11] J’ai repris ici des formulations avancées par des tenants de cette nouvelle stratégie sur les réseaux sociaux.
[12] Pas certain que la majorité des québécois·e·s, ni même des indépendantistes, appuient un scénario d’affrontement urbain et institutionnel à la catalane ! Et puis la situation n’est évidemment pas la même. Les catalans sont des autochtones, pas des descendants de colons. L’option indépendantiste représente grosso modo 50% de l’opinion publique et un peu plus de la majorité parlementaire régionales. Et surtout, les catalans n’ont pas joui dans leur histoire de 2 référendums officiellement reconnus par les parties concernées et les acteurs extérieurs.
[13] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1395498/souverainete-democratie-version-quebec-solidaire-analyse-auger et https://journalmetro.com/opinions/in-libro-veritas/2399419/qs-la-rupture-de-quebec-solidaire/ ou encore https://www.lapresse.ca/debats/editoriaux/201911/18/01-5250245-quand-quebec-solidaire-fait-de-la-science-fiction.php
[14] Sur les impôts, lire l’excellente intervention de Mario Jodoin sur Facebook : « J’ignore si c’est seulement de la provocation ou une stratégie, mais il est carrément impossible à implanter et simplement inutile. Et même s’il était possible de l’implanter, il faudrait créer un deuxième ministère du revenu, puisque les règles de l’impôt fédéral sont différentes (et obtenir l’historique fédéral de chaque contribuable, individus et entreprises, car l’application des règles d’impôt l’exige), convaincre la population et les entreprises de cesser d’envoyer leurs impôts à Ottawa pour l’envoyer au Québec qui le renverrait à Ottawa.
Puis, il faudrait détruire cette nouvelle infrastructure bureaucratique trois ans plus tard en gagnant ou en perdant le référendum, car elle serait inutile (Ottawa reprendrait ses billes, ou un Québec indépendant implanterait ses propres lois fiscales). Je crois que l’utilisation des sommes nécessaires à cet engagement (au moins un milliard $ par année, sans compter la location de locaux, l’implantation d’un système informatique qui prendrait en fait des années à monter, l’achat d’ordinateurs et de matériel de bureau, etc.) risquerait de nous obliger à laisser tomber des engagements pas mal plus essentiels. » : https://www.facebook.com/notes/julien-fecteau-robertson/ceci-nest-pas-une-%C3%A9lection-r%C3%A9f%C3%A9rendaire/10157790701090775/
[16] Par non-aligné·e·s, je désigne les membres de QS et l’électorat de Gauche qui se retrouvent dans la célèbre formulation d’Amir Khadir : « l’indépendance si nécessaire, mais pas nécessairement l’indépendance ».
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