Que s’est-il passé depuis à QS pour en arriver à une politique de recentrage ?
Ce serait une erreur de centrer notre attention uniquement sur GND. Aux élections, Québec solidaire réussit à faire élire 3 député-e-s dont une nouvelle députée, Manon Massé. La lenteur de la progression rejette la perspective d’un pouvoir gouvernemental à un horizon indéfini (10 %… au niveau national). L’espoir d’un saut qualitatif face au danger de faire du surplace se manifeste et la crainte d’entrer éventuellement dans une spirale de reculs se développe. C’est pour répondre à une telle appréhension que le bilan des élections de 2014 propose une série de pistes centrées sur la recherche de crédibilité.
La recherche des voies de dépassement (2014)
Dès 2014, tout de suite après les élections, Québec solidaire s’engageait dans une réflexion qui l’amenait à considérer différents scénarios dont celui de la crédibilité et du pouvoir. Au-delà de l’autosatisfaction, la crainte d’éventuellement entrer dans une spirale de reculs se développe, Il y a une baisse du nombre de membres et des difficultés à assurer le renouvellement du membrariat. (2)
– Il y a une nécessité d’avoir des candidatures plus connues ayant une bonne crédibilité et, pour certaines, une expertise économique.
– On devrait former une équipe de candidates et de candidats pouvant être perçue comme une équipe de ministrables.
– Il faut approfondir la professionnalisation de nos stratégies de communication – ce qui est déjà bien entamé.
– Enfin, il est impératif de développer une crédibilité économique : ouverture aux propositions des acteurs et actrices de l’économie sociale et des coopératives pour tenir compte de leurs préoccupations dans l’élaboration de propositions.
Ces idées étaient en débat. Il n’y avait pas de consensus mais on observait des résistances face à ces perspectives.
D’autres militant-es donnent la priorité à la base militante et aux liens que QS doit nouer avec les luttes sociales réelles. Pour ce qui est du choix des candidat-es du parti, des militant-es ont réaffirmé la volonté de laisser aux bases le choix des candidat-es et ont exprimé la peur que la pression pour faire place à des candidat-es vedettes ne nuise au contrôle du parti sur ses candidat-es et au maintien de la parité hommes-femmes.
Ces débats commençaient à poser des questions essentielles : Comment intervenir sur le terrain électoral sans détourner l’attention des luttes sociales ? Quelle est la place de l’intervention parlementaire dans le contexte d’une action (lutte) politique plus large ?
Lors des élections de 2018, étant en phase avec la remontée des mouvements sociaux et la compréhension de la lutte aux changements climatiques, Québec solidaire connaît un saut qualitatif
Au cours de ces élections, Québec solidaire a réussi à démontrer qu’il portait un projet de société véritable. Il a défendu une réelle redistribution de la richesse en proposant de taxer les riches et de taxer les grandes entreprises, de mettre en place des 10 paliers d’imposition, d’augmenter le salaire minimum à 15$, etc. Toutes les mesures avancées dans le cadre financier proposé par Québec solidaire visaient à faire payer aux plus riches leur juste part. Québec solidaire a su se faire inspirant en faisant la démonstration que toutes ses propositions étaient centrées sur le bien-être de la majorité populaire.
Alors que la lutte aux changements climatiques est une question de survie, Québec solidaire a présenté un plan d’investissement massif pour développer les réseaux de transport en commun. C’était le plus grand chantier proposé depuis la Révolution tranquille.
Ces propositions du plan de transition s’inscrivaient dans le cadre de la bataille menée par les mouvements environnementalistes et citoyens contre l’exploitation des gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent et contre la construction du pipeline Energie Est. Ces propositions du Plan de transition économique de Québec solidaire reflétaient les revendications des mouvements de résistance sur le terrain de l’environnement et l’importance de la lutte qui est devant nous. L’apport de Québec solidaire à ce combat a donc pu s’exprimer par un large soutien électoral.
La pandémie de COVID-19, attaque la dynamique des mouvement sociaux et réduit la vie démocratique au sein de Québec solidaire
Au cours des années 2020 et 2021, l’épidémie de COVID-19 grandement affecté la dynamique des mouvements sociaux. Le mouvement contre la crise climatique a connu un recul important. Legault, malgré des improvisations catastrophiques, comme celles concernant les CHSLD, réussit à se présenter comme un protecteur de la nation. Pour les militant-es, c’est une période d’isolement social et d’atténuation de la vie démocratique interne.
L’élaboration de la plateforme à l’élection de 2022 sera marquée par le réalisme et le pragmatisme…
L’essentiel des activités du Parti a alors été porté par son aile parlementaire. Cette dernière a insisté sur sa volonté d’adopter une politique « crédible » qui positionnerait le parti comme ayant fait ses preuves en tant que parti d’opposition et qui serait maintenant prêt et capable de gouverner. Les propositions mises en discussion dans le cadre de l’élaboration de la plate-forme électorale écartaient toutes les propositions qui sous-entendaient une transformation sociale au-delà du capitalisme qui seule permettraient de s’attaquer aux racines de la dérive climatique et des injustices sociales. Les propositions visant à nationaliser les grandes entreprises minières et forestières n’ont pas été retenues. Le Parti disait vouloir se réapproprier notre territoire, mais il hésitait à affirmer qu’on veut l’arracher au contrôle exercé par les multinationales et les corporations.
Le report de la gratuité scolaire à un objectif (réaliste) à long terme a été un révélateur important de la transformation rapide de cette partie de la jeunesse qui avait pourtant conduit le Québec à rêver d’un changement de société, il y a déjà, on dirait bien, une éternité.
L’important pour la direction sous l’influence de GND, c’était qu’il fallait proposer aux Québecois-es une plateforme politique plus modérée et vendable.
S’opposer à la crise climatique implique de s’attaquer aux puissances économiques et politiques et de jeter les bases d’une société moins consommatrice d’énergies et moins gaspilleuse. Prendre au sérieux la gravité de la situation implique de remettre en cause un mode de production, un mode de consommation, bref un mode de vie construit sur un rapport de prédation à la nature. On ne peut, au nom de la crédibilité électorale, masquer les tâches politiques que cela implique.
Une plateforme qui rejette globalement les perspectives de nationalisation empêche toute chance de réaliser l’objectif de réduction des GES. On ne peut atteindre une baisse radicale des émissions de GES tout en laissant la propriété et leurs capacités d’investissement aux grandes entreprises qui exploitent nos ressources minières et forestières et qui n’en finissent pas de saccager la forêt québécoise et de ne pas respecter la biodiversité. La survie de la planète nécessite un changement de société, une rupture avec le capitalisme qui détruit la planète. Penser le contraire n’est tout simplement pas réaliste.
À plusieurs reprises, l’aile gauche du parti a averti que le recentrage du programme mènerait à un recul des appuis populaires. Partout dans le monde, l’expérience des partis socio-démocrates a montré qu’une droitisation du programme menait à une impasse. Que l’on pense au cas du NPD de Thomas Mulcair qui, aux lendemains de la vague orange de Jack Layton, a mené une opération de normalisation du programme dont a découlé l’effondrement électoral du parti et fait passer sa députation québécoise de 59 sièges et 42,99% des voix en 2011, à 16 élu-es et 25,3% des voix lors de l’élection suivante en 2015, à un seul élu et 10,8% en 2019. Toute une chute ! Le phénomène n’est pas unique au Canada. Le PASOK grec, le PS en France, les sociales-démocraties allemande et scandinaves, toutes sont en recul historique et certaines sont même menacées de disparition. Comment la direction de QS a-t-elle pu faire fi de ces leçons de l’histoire et penser qu’ elle serait meilleure que les autres ? Encore une fois, Albert Einstein aura eu raison !
…et a conduit à la stagnation
QS était dans une relative montée au cours des premières semaines de la campagne de 2022. Le plan de transport collectif permettait de mettre sur la table une proposition emballante pour tout le Québec offrant une alternative à l’auto solo pour les déplacements interurbains et, dans une certaine mesure, pour les transports régionaux. La question du financement a cependant frappé un écueil. Au lieu de cibler les multinationales et leurs évasions fiscales, qui n’étaient pas mentionnées dans le plan de communication, la population a senti que ce serait elle et particulièrement les personnes qui ont une propriété et un fonds de retraite qui étaient ciblées. La montée de QS s’est arrêtée à ce moment.
Cela aurait dû sonner une alarme. Il fallait tirer une leçon et remettre la barre à gauche, là où sont nos perspectives de changement social qui rejoignent les besoins de la population. Au contraire, la direction de QS où GND a joué un rôle déterminant a mis sur la table, au congrès de Saguenay en mai 2023, une proposition pour que le programme soit exempt d’engagements politiques trop spécifiques. Cette proposition a été adoptée. La déclaration de Saguenay concernant la reconnaissance du rôle central de l’industrie forestière stipulait « qu’un gouvernement solidaire va adopter une stratégie d’adaptation des forêts aux changements climatiques, en collaboration avec les communautés touchées et l’industrie. »
Cela remplaçait le programme antérieur qui stipulait : « En plus du secteur minier, Québec solidaire préconise de placer la grande industrie forestière sous contrôle public (participation majoritaire de l’État) en envisageant, au besoin, la nationalisation complète. »
QS et l’immigration
Durant la dernière campagne électorale, Québec solidaire parlait d’un seuil d’immigration permanente situé entre 60 000 et 80 immigrant-es par an. [6] Il proposait un plan intitulé « objectif Régions » qui s’adressait à celleux qui s’établissent en région et qui y cumulent 12 mois d’emploi avec une preuve d’intention d’y demeurer. « Ce programme permettra, écrivait-on, de répondre à la pénurie de main-d’œuvre touchant différents services essentiels comme dans le réseau de la santé ou dans les écoles par exemple, en plus d’assurer la revitalisation économique en région ». [7] On aurait pu s’attendre à une critique de l’ensemble de la politique du gouvernement Legault en immigration et à une rupture avec une logique utilitariste de l’immigration brimant les droits des personnes migrantes, mais tel n’a malheureusement pas été le cas. Québec solidaire doit rompre avec la logique de l’établissement de quotas, en préconisant l’ouverture des frontières et la garantie de la liberté de circulation et d’installation. Personne n’est illégal sur Terre. Tout le monde doit avoir le droit de se déplacer. Les frontières doivent être ouvertes à toustes celles et ceux qui fuient leur pays, que ce soit pour des raisons sociales, politiques, économiques ou environnementales. L’ouverture des frontières ne signifie pas que les flux migratoires ne sont pas régulés, mais que cette régulation se fait à partir des conditions et de principes fondamentaux qui affirment que les immigrant-es sont une richesse et que fermer les frontières est inefficace et inhumain.
Aujourd’hui, définir un projet de société alternatif et égalitaire nous permettant d’en finir avec notre dépendance à l’égard de l’économie américaine et des projets de vassalisation de Trump
La direction de GND a gagné son pari de recentrer le programme du parti en faisant adopter la déclaration de Saguenay. Un congrès lui a donné raison en modifiant les statuts du parti. Et pourtant, les appuis au parti s’effondrent alors que cette opération devait permettre de progresser dans les appuis populaires.
Dans une entrevue accordée au Devoir, Amir affirmait que « le recentrage ne fonctionne pas. Québec solidaire s’est trop éloigné de son image de « parti des urnes et des rues » dans les dernières années. Moi, je ne conçois pas une gauche capable de faire quoi que ce soit dans des démocraties libérales cadenassées par les grands intérêts financiers s’il n’y a pas un mouvement social. »
Nous devrons remettre les perspectives de luttes sociales écosocialistes et féministes et le renforcement des mouvements sociaux à l’avant plan et faire du travail parlementaire notre portevoix des luttes de ces derniers. Nous ne sommes pas un parti qui a comme perspective de faires quelques améliorations au système capitaliste. À l’heure actuelle, ce système nous a amenés dans une situation de crise où non seulement la survie de la population, particulièrement du sud global, est en péril, mais la survie de la planète elle-même est en danger extrême. À l’heure de l’offensive de vassalisation du gouvernement Trump, il faut développer une politique fondée sur une véritable indépendance économique face aux États-Unis.
Cette dernière ne peut être réalisée qu’à partir des luttes sociales, politiques et culturelles des classes ouvrières et populaires s’assignant de s’engager dans la voie de la socialisation de leur économie et dans la redéfinition des institutions politiques actuelles qui pourront jeter les bases du refus de cette vassalisation. Elle passera par :
a) la relocalisation des productions stratégiques (aliments, médicaments, moyens de transport…) car on ne peut se contenter d’avancer un protectionnisme de rétorsion. Il faut définir une politique industrielle publique qui permette de fonder notre indépendance et d’en finir avec la dépendance vis-à-vis des États-Unis ;
b) la lutte pour la sortie des énergies fossiles et le refus de la construction de pipelines ou de gazoducs ;
c) le refus d’augmenter la production d’hydro-électricité à des fins d’exportation et une politique de sobriété énergétique passant par la rénovation thermique des logements qui sont des passoires énergétiques et cela, dans une perspective de décroissance. Il faudra tourner l’économie vers une économie de l’énergie et des ressources naturelles, la réparabilité des objets de consommation, les activités de soin aux personnes et aux liens sociaux, la fin de la production de marchandises inutiles et de services favorisant la surconsommation ;
d) le refus de la privatisation d’Hydro-Québec – et le rejet du projet de loi 69 et la nationalisation/socialisation des énergies renouvelables ;
e) le rejet de la filière batteries et de l’auto électrique comme solution à la crise climatique, la production locale de moyens de transports publics pour les personnes et l’utilisation des chemins de fer pour le transport des marchandises ;
f) le développement d’une agriculture écologique centrée sur la souveraineté alimentaire et la protection de la biodiversité en réorientant la production vers les marchés locaux et régionaux et non vers l’exportation et, dans cette optique, la fin de la production carnée centrée sur l’exportation.
C’est en offrant un projet de société alternatif et indépendant qu’on pourra retrouver nos appuis et notre enracinement chez la majorité populaire et qu’on pourra en finir avec une défection silencieuse de membres actifs qui ne se reconnaissent plus dans ce qu’est devenu QS. Le parti connaitra inévitablement des moments de questionnement, de débats et de réflexion sur les façons de dépasser la situation actuelle. Ce sera l’occasion de donner un nouveau souffle à la construction d’une véritable alternative de gauche sans faire l’économie d’un bilan sérieux portant notamment sur les rapports entre le parti et son aile parlementaire ainsi qu’avec la permanence.
Mais cela pose un défi important. D’une part, il faut reprendre le travail de politisation, particulièrement dans une période de montée de l’extrême droite. Il faut également restructurer ce parti pour permettre des lieux de débats en personne. Il faut remettre à l’avant plan la participation des collectifs et des associations au prorata des membres dans toutes les sphères du parti et remettre toutes les décisions et délibérations et votes dans les instances nationales et non par référendums. En somme, il faut redonner le pouvoir à la base.
Nous défendons l’amélioration des conditions sociales comme la santé, l’éducation et le logement, mais nous comprenons que les améliorations que nous pouvons apporter dans ce travail parlementaire sont insuffisantes et, en bout de pistes, inutiles si nous ne travaillons pas dès maintenant à construire la solidarité populaire pour le contrôle de notre société contre les consortiums financiers et les multinationales qui contrôlent le monde actuellement et qui nous amènent à la déchéance humanitaire.
Le dernier congrès a voté en faveur de la création d’un nouveau poste responsable à la solidarité internationale et pancanadienne au Comité de coordination national. Il est maintenant plus que temps de reconstruire nos réseaux afin d’alimenter et d’inspirer nos projets et de conjuguer nos luttes.
Bernard Rioux, André Frappier et Yves Bergeron
Notes
(1) L’actualité, septembre 2016, p 40 et 41
(2) Les défis du dépassement : Québec solidaire à la croisée des chemins
mardi 22 mars 2016 / DE : BERNARD RIOUX, Présentation faite aux Nouveaux Cahiers du socialisme le 17 mars 2016
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