Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Crise agricole en Allemagne. À quand pour le Québec ?

Les colonnes de tracteurs sur les routes allemandes ont fait les manchettes, mais la situation s’avère similaire dans d’autres pays européens. Même si l’élément déclencheur fut le retrait du rabais sur le diesel agricole, on comprend qu’il s’agit de la pointe de l’iceberg des problèmes que vivent les agriculteurs et agricultrices d’Europe. Outre la taxe sur le diesel, la concurrence étrangère et la pression à la baisse sur les prix obtenus, l’augmentation des charges concernant l’assurance-accident ainsi que la protection des écosystèmes ont motivé les agriculteurs à l’occupation des routes.

18 mars 2024 | tiré de la lettre de l’Iris | Photo : conceptphoto.info (Flickr)

Les problèmes semblent donc multiples. Selon Renate Künast, ex-ministre de l’Agriculture en Allemagne, 94% des citoyen·ne·s réclament une amélioration du bien-être animal, 87% sont en faveur d’une agriculture plus écologique, 86% des consommateurs et des consommatrices désirent un meilleur étiquetage des produits animaux et 84% plaident pour une augmentation du revenu des agriculteurs et agricultrices. Donc plus d’exigences envers les fermiers.

Pour l’instant, le parlement allemand s’est prononcé contre l’allègement de la taxe sur le diesel, mais se dit à la recherche de solutions pour assurer le futur des producteurs et productrices agricoles. Le ministre actuel de l’Agriculture, M. Özdemir, souhaite une taxe sur les aliments d’origine animale pour financer la conversion des étables et ainsi les adapter aux nouvelles normes de bien-être animal. Dans l’opposition, le SPD aimerait fixer les prix payés à la ferme pour le lait et contrer la montée de la valeur des terres agricoles qui entrave la relève.

En somme, des problèmes très semblables à ce que vivent les fermes du Québec : dépenses en augmentation, normes environnementales plus exigeantes et coûteuses, augmentation de la valeur des terres, de l’endettement, plus de paperasse due à la bureaucratisation du secteur. Pendant ce temps, entre 2014 et 2019, le prix de l’alimentation, incluant les ventes au détail et en restaurant au Québec, a augmenté de 11% pour les consommateurs et les consommatrices, tandis que le prix moyen payé aux producteurs est demeuré sensiblement le même avec 1,1% d’augmentation, révèle Statistique Canada.

Le président actuel de l’Union des producteurs agricoles (UPA), M. Martin Caron, a d’ailleurs annoncé son intention de mobiliser les troupes pour une démarche de protestation. En argument, il présentait à la presse une prévision de l’effondrement du revenu net agricole au Québec pour l’année 2024. Dans la même foulée, l’UPA réclame plus de soutien de la part de l’État québécois.

Mais autant du côté allemand que québécois, beaucoup sont d’avis que la solution ne réside pas nécessairement dans le soutien gouvernemental, mais plutôt dans une amélioration des prix payés pour les denrées agricoles. Être entrepreneur plutôt que dépendant de subventions. Du côté allemand, l’organisation syndicale de la paysannerie, l’AbL (Arbeitsgemeinschaft bäuerlicher Landwirtschaft) plaide pour un programme en six volets, incluant des prix plus justes pour le lait, une taxe foncière pour les détenteurs de grandes superficies de terres à l’achat de nouvelles surfaces, une compensation pour la modernisation des étables, une meilleure répartition du soutien de la politique agricole commune (PAC) pour aider les petites entreprises et un plus grand contrôle des OGM.

On remarque également une certaine nostalgie face à la disparition des quotas laitiers, en vigueur en Europe il y a quelques décennies. Or, le Québec conserve toujours ses quotas et sa gestion de l’offre, dont l’objectif est de stabiliser les prix en fonction des coûts de production et d’ainsi sécuriser le revenu agricole. Cependant, depuis un demi-siècle, le discours de l’UPA est le même : réclamer encore plus de subventions, sans adapter un système peu approprié à la situation actuelle.

Pourtant, l’UPA possède tous les outils pour changer la donne et améliorer la situation des fermes. En effet, en contrôlant les plans conjoints en situation de monopole, elle pourrait améliorer les prix payés pour les denrées agricoles auprès des agriculteurs. L’UPA dispose également d’une influence démesurée sur les organismes publics, comme la Régie des marchés agricoles et la Financière agricole.

En principe, la fameuse gestion de l’offre devait servir à ça : sécuriser le revenu agricole. Au lieu de ça, c’est devenu une situation de privilèges, gérée en conflit d’intérêts, accentuant la concentration des fermes, l’augmentation de leur valeur, poussant à l’endettement.

Mais sortons de la théorie et imaginons un scénario possible dans le cadre de la gestion de l’offre. Prenons l’exemple du lait. Pourquoi ne pas donner de nouveaux quotas de production à de petites entreprises en région, lorsque la demande pour les produits laitiers augmente, au lieu de distribuer ce quota au plus fort la poche à ceux qui en ont déjà ? Pourquoi ne pas donner des quotas pour la mise en marché et la transformation à la ferme au lieu de s’en tenir au fort volume au prix de gros ?

Pourquoi ne pas établir des prix du lait différenciés, en concordance avec des coûts de production variables, selon le type de production ou la localisation de la ferme ?

Pourquoi pas pour les grains ? Pourquoi pas des prix planchers garantissant une rentabilité à la ferme ? Un plan conjoint, en concordance avec la gestion de l’offre, permettrait, en toute légalité, de fixer les prix et même de bloquer les frontières pour éviter la concurrence face à des importations à bas prix, comme c’est déjà le cas pour une foule de produits.

En somme, si beaucoup d’enjeux sont similaires des deux côtés de l’océan, le Québec agricole a en main des outils en mesure d’y remédier, sans même avoir besoin de changer une seule loi. Il serait dommage de ne pas s’en servir et d’attendre que la crise européenne nous rattrape tout en exigeant simplement encore plus de subventions.

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