Édition du 1er octobre 2024

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Histoire

L'égalité totale aboutit-elle nécessairement à l'accomplissement humain ?

Voici, très (trop ?) résumée la thèse centrale de Karl Marx pour qui la division en classes sociales explique dans une large mesure les maux qui frappent la majorité des gens, en particulier les travailleurs et les travailleuses dont le confiscation des fruits de leur dur labeur par les capitalistes rendrait compte de leur aliénation.

Marx dénonce aussi, en toute logique le règne de l’argent qui "aliène" même la bourgeoisie. L’homme s’Identifie trop ou se sent étranger à lui-même en s’investissant (c’est le cas de le dire) dans cette abstraction dangereuse et illusoire.

"Un jour, le prolétariat sera le genre humain", telle fut longtemps la devise du mouvement communiste et de certains courants syndicaux qui lui étaient affiliés en réponse au règne des capitalistes sur la société.

Je n’ai pas l’intention d’entrer ici dans une discussion détaillée sur les thèses marxistes, lesquelles contiennent une part évidente de vérité. Mais on peut légitimement se demander si les problèmes sociaux de l’humanité ont vraiment débuté avec l’émergence d’une économie complexe ayant dépassé le stade de l’exploitation primaire de la nature (chasse, pêche, cueillette, agriculture primitive). Avec l’avènement du néolithique et la généralisation concomitante de l’économie agricole, la mainmise privée et la constitution d’une caste de guerriers chargée de défendre la collectivité et surtout ses dirigeants, la domination de ceux-ci sur les classes laborieuses s’est affirmée. La division toujours plus poussée de la société en classes sociales avec ses incontestables maux est-elle la responsable exclusive de ceux-ci ou n’est-elle pas le résultat d’une évolution bien antérieure ?

On ne peut se prononcer sur les formes préhumaines (australopithèques, paranthropes, zinjanthropes, etc) faute d’informations suffisantes sur leur mode de vie et leur organisation collective. Des études ont démontré que leur cerveau était plus petit que le nôtre ; on peut donc en déduire que leurs moeurs devaient être assez proches de celles des grands singes actuels. Mais l’accession progressive de certains de nos ancêtres à l’intelligence abstraite (donc à la capacité de penser le monde, à le "réinventer" par la culture, à se doter de principes moraux, à s’élever au-dessus de "l’ici et maintenant" contrairement aux autres animaux) devait aboutir à l’apparition de l’homo sapiens, ce qui a changé la face du monde. L’hostilité entre groupes humains ou individus se traduisant par des morts remonte sans doute loin en arrière, sans qu’on puisse, faute de données significatives, en retracer le début. Même dans les cas rarissimes datant du Paléolithique supérieur où on a retrouvé des squelettes portant des marques de violence intentionnelle, il peut s’agir d’assassinats individuels et non de conflits armés généralisés En tout cas, on n’a retrouvé aucune couche de guerre pour cette époque reculée, ce qui ne signifie pas pour autant l’absence d’affrontements armés mais leurs traces ont disparu. On en ignore donc la fréquence et l’ampleur. Pour le moins, il dut se produire de temps à autre des meurtres pour se venger d’un rival ou s’approprier ses biens.

L’émergence de l’agriculture et le développement du commerce n’ont du faire qu’amplifier des phénomènes de violence qui existaient déjà. Par exemple, on retrouve des traces de massacres (comme celui de Talheim en Allemagne il y a sept mille ans ou celui de Bergheim qui remonte à six mille ans). On n’en connaît pas les causes, mais le fait qu’ils se soient produits dans un contexte néolithique n’est pas un hasard.

La violence sociale remonte donc loin en arrière. Les sociétés de chasseurs-cueilleurs étaient-elles pacifiques ? Prenons l’exemple des Amérindiens.

On les a longtemps dénigrés, déshumanisés, les présentant comme des barbares sanguinaires et peu évolués. On assiste depuis à leur réhabilitation bienvenue. Mais on peut se demander si ce courant indianiste ne va pas à son tour un peu loin. Il en fait des gens doux, égalitaires, "partageux", calmes, ce qui se vérifie jusqu’à un certain point. Toutefois, cette présentation des anciens Amérindiens se heurte à la réalité.

Toute une littérature abondante, portugaise pour le Brésil, espagnole pour le reste de l’Amérique latine, française, néerlandaise et et britannique pour l’Amérique du nord fait état, à partir d"observations directes d’explorateurs et de colonisateurs du goût pour le conflit de beaucoup de ces peuples. Les querelles territoriales étaient assez fréquentes. De même, on sait qu’il y avait des clans dominants dans ces sociétés. La relative égalité économique (redistribution des ressources alimentaires provenant de la chasse, de la cueillette et de la pêche) n’empêchait donc pas une certaine inégalité sociale. Les membres des clans dominants défendaient parfois par la violence leur position à l’encontre d’individus ambitieux qui voulaient les déloger. Il en résultait des règlements de compte sanglants.

Il ne s’agissait donc pas de sociétés paradisiaques où tous et toutes fraternisaient. Des tensions périodiques sévissaient. Par ailleurs, certaines sociétés amérindiennes dans ce qui est aujourd’hui l’Amérique latine avaient atteint un niveau de développement économique et technique suffisant pour constituer des civilisations (au sens propre, des villes) comme les Incas au Pérou, les Mayas au Mexique, au Guatemala, au Salvador, au Honduras, et les Aztèques au Mexique. L’exploitation des paysans et des artisans par la classe dominante était courante.

Ce tour d’horizon conduit à mettre en doute, ou du moins à nuancer beaucoup certaines thèses de Marx et de ses successeurs pour qui le capitalisme constitue représente la forme la plus avancée de l’exploitation, forme destinée un jour, par un processus dialectique, à s’effondrer au profit du prolétariat ; le peuple bénéficiera alors d’une totale égalité. Mais cela a-t-il jamais existé ?

L’ambition politique de certains individus, la volonté d’expansion territoriale et celle d’accomplissement par la guerre, les règlements de compte individuels, la domination de certains clans puissants sur d’autres moins forts, toutes ces réalités sont bien plus vieilles que la structuration formelle des sociétés en classes antagonistes. Elles en ont formé le terreau, peut on croire.

Une égalité sociale aussi poussée que possible, désirable en soi et la redistribution équitable de la richesse , ne suffiront pas à rende les gens heureux, maîtres de leur vie, réconciliés avec eux-mêmes et avec leurs concitoyens.

On a la morale de ses intérêts, dit le proverbe. C’est largement vrai. Mais l’homme est un être moralement ambigu, capable du meilleur et du pire et à la rationalité variable, ce, peu importe la nature du régime politique en place. Il peut rêver, ce qui contribue à façonner sa ligne de conduite. Il a même inventé le paradis terrestre, dans le passé pour le christianisme, dans l’avenir (l’avènement de la société sans classes) pour les communistes.
De tous les animaux, il est la seule espèce pouvant s’interroger sur elle-même et aussi à prendre ses désirs pour des réalités.

Jean-François Delisle

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