Édition du 28 janvier 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Davos, les élites mondiales se rallient à l’impérialisme de Trump

Ce qui s’est joué lors de ce sommet de Davos, c’est le soutien de ces élites mondiales, jusqu’alors adeptes de la mondialisation heureuse, à la contre-révolution illibérale lancée par Donald Trump. Toutes souscrivent à ce capitalisme de prédation et à la violence sociale et politique qu’il implique.

Tiré d’Europe solidaire sans frontière.

Dès les premières heures du sommet économique mondial à Davos, le 20 janvier, les participants ont compris que quelque chose avait changé : leur heure était passée. Alors que toutes les caméras et tous les micros se tournaient habituellement vers eux pour avoir leur avis sur la conduite du monde, pour la première fois, ils se sentaient négligés, presque abandonnés. Le pouvoir était désormais ailleurs. À Washington.

Tandis que les intervenants se succédaient sur scène, l’auditoire leur prêtait une attention distraite : les yeux rivés sur les écrans, il regardait la cérémonie d’investiture de Donald Trump. Au premier rang trônaient ces milliardaires du numérique qui avaient si souvent animé les débats de Davos dans le passé : Elon Musk (Tesla, X) naturellement, Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Meta), Sundar Pichai (Alphabet-Google), Tim Cook (Apple).

1 300 milliards de dollars à eux cinq, avait calculé la presse. Mais surtout, la présence de ces responsables illustrait une rupture que nombre de participants de Davos n’auraient même pas osé rêver il y a encore quelques mois : ces milliardaires sont désormais au cœur de la machine politique et administrative des États-Unis, première puissance économique mondiale.

Avant même de prendre la parole par visio au sommet le 23 janvier, le président américain avait dicté l’agenda. Plus que de la sidération face à la vitesse à laquelle Donald Trump a pris le pouvoir, il y avait de la fascination chez les participants à ce forum.

Car ce qui s’est joué lors de ce sommet de Davos, c’est le ralliement de ces élites mondiales, jusqu’alors adeptes de la mondialisation heureuse, à la contre-révolution illibérale, voire fasciste lancée par Donald Trump. Impuissantes à trouver les remèdes pour réparer un capitalisme en crise depuis 2008, toutes sont prêtes désormais à épouser l’impérialisme du président américain, qui leur promet un « âge d’or » du pouvoir de l’argent sans frein et sans limite.

Toutes souscrivent à ce capitalisme de prédation et à la violence sociale qu’il implique, acceptant de renoncer à tous les principes, et d’abord à la démocratie. Elles qui ont soutenu pendant des décennies que le capitalisme en était le meilleur garant.

Tout est passé par-dessus bord

Brusquement, tout ce que ces participants louaient comme des succès – y compris lors du dernier sommet – leur est apparu affreux. Tout ce qu’ils vantaient comme un modèle indépassable, allant jusqu’à en nier les échecs les plus flagrants, leur semble périmé.

D’un coup, tout est passé par-dessus bord. Les sujets qui étaient alors au cœur de leurs conversations quotidiennes – le libre-échange, la croissance, l’évolution des taux d’intérêt, la dette, la nécessaire rigueur budgétaire des États – ont à peine suscité leur intérêt. Alors qu’ils ne cessaient de mettre en avant l’ordre international, peu se sont émus de la mise en pièces du droit international.

À l’exception du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, rappelant que les énergies fossiles sont « un monstre […] qui n’épargnera rien ni personne », du président sud-africain Cyril Ramaphosa – son pays est un des plus exposés aux dérèglements climatiques –, soulignant la nécessite de poursuivre la transition, et de l’ancien vice-président américain Al Gore, il n’y a guère eu de voix pour défendre l’agenda climatique.

L’abandon de tout projet de lutte contre le réchauffement climatique, la sortie des États-Unis de l’accord de Paris et la liquidation en cours de toutes les agences fédérales et instruments administratifs pour protéger l’environnement paraissaient s’inscrire dans une certaine normalité.

En 2017 et 2018, les responsables de Davos avaient pourtant fait de la lutte contre les dérèglements climatiques leur grande cause mondiale. Des membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) avaient été invités pour présenter leurs différents scénarios d’évolution, tracer des pistes pour contrer ces évolutions dramatiques.

Des constructeurs automobiles aux pétroliers, en passant par les financiers et les grands laboratoires, tous avaient alors promis, la main sur le cœur, de tout mettre en œuvre pour promouvoir des politiques plus respectueuses de la nature, d’adopter et soutenir les énergies renouvelables, de défendre un « capitalisme durable ».

Pour mesurer la rupture en cours, sur ce sujet comme sur les autres, il suffit de noter la façon dont a été reçu Javier Milei. Le président argentin est devenu une « icône ».

Beaucoup d’entre eux avaient déjà renoncé à ces promesses, bien avant l’élection de Donald Trump. Dès 2021, les majors pétrolières avaient commencé à réviser à la baisse leurs projets d’énergie propre et recommençaient à forer à tout-va comme avant. Les financiers leur ont emboîté le pas, renonçant à leurs projets de finance verte. Pas assez rentable, selon eux. Les constructeurs automobiles, qui s’étaient engagés à marche forcée dans le véhicule électrique, font marche arrière. Ils ont engagé un lobbying intense auprès des gouvernements pour revoir drastiquement à la baisse tous les plans de transition dans l’automobile.

Javier Milei en roue libre

Quant à la diversité, il n’en a même pas été question. Au cours de la dernière décennie, les intervenants de Davos avaient pourtant fait assaut de promesses en ce domaine. Les uns après les autres, tous s’étaient engagés à promouvoir des politiques sociales respectueuses de la diversité, favorisant l’inclusion et la promotion des femmes, des personnes racisées, des LGBTQIA+. Aujourd’hui, l’abandon de ces politiques par Mark Zuckerberg, la liquidation là encore des agences fédérales travaillant sur ces sujets ne leur inspirent rien.

Pour mesurer la rupture en cours, sur ce sujet comme sur les autres, il suffit de noter la façon dont a été reçu Javier Milei. Les propos du président argentin, qui affichait comme ambition d’attaquer toutes les fonctions étatiques « à la tronçonneuse » pour « désocialiser l’État », avaient été accueillis avec circonspection, voire mépris. Beaucoup le considéraient comme un « clown ».

L’accueil qui lui a été réservé cette année est tout autre : Javier Milei est devenu une « icône ». L’expérience argentine est désormais considérée comme un modèle à suivre partout dans le monde, les 54 % de la population qui vivent en dessous du seuil de pauvreté n’étant, selon les élites mondiales, qu’un « dommage collatéral » pour rebâtir un capitalisme futur.

Aussi, c’est avec une attention soutenue et sans aucune réticence que l’auditoire de Davos a suivi le discours du président argentin reprochant à l’Occident « d’avoir abandonné ses modèles de liberté pour le collectivisme », louant « le fantastique » Elon Musk, la « féroce dame italienne » Giorgia Meloni, Viktor Orbán et Benyamin Nétayanhou.

En roue libre, il a dénoncé le « wokisme », la perversion des mœurs permettant « à des hommes de s’habiller en femmes avant de s’en prendre aux enfants ». Sans provoquer le moindre tollé.

Ménager les ennemis, attaquer les alliés

Les gouvernements chinois, russe et tous les pouvoirs totalitaires dans le monde qui fustigent depuis des années les libertés démocratiques de l’Occident ne pouvaient espérer mieux. Régulièrement critiqués dans les années passées, ceux-ci ont d’ailleurs été particulièrement épargnés durant ce forum. À l’image de ce que fait Donald Trump pour l’instant.

Il n’a pour l’instant que peu parlé de la Chine, demandant juste des « échanges équitables » entre les deux pays. Il entend négocier au plus vite avec Vladimir Poutine pour mettre fin à la guerre d’Ukraine. Il l’a répété lors de son intervention à Davos : « Je ne cherche pas à blesser la Russie. J’aime les Russes et j’ai toujours eu de bonnes relations avec le président Poutine. […] Parlons de cette guerre [d’Ukraine] qui n’aurait jamais eu lieu si j’avais été président. […] Il est temps de trouver un accord. Plus une vie ne doit être sacrifiée. »

Ces négociations semblent devoir s’inscrire dans le schéma de pensée du président américain : de puissance à puissance. Il n’est pas sûr que le gouvernement ukrainien y ait plus qu’un strapontin. Quant à l’Europe, elle ne compte pas.

C’est à l’égard du continent européen, de l’Union européenne, dont jusqu’à présent il n’avait pas parlé, que Donald Trump a eu les mots les plus durs, les menaces les plus fermes. Après le Canada et le Mexique, le président américain poursuit donc cette étrange diplomatie : ménager ses ennemis et attaquer ses alliés. Il attend de ces derniers une reddition totale, et qu’ils deviennent les vassaux au seul service de la puissance américaine.

L’Europe face à Trump 2.0

Donald Trump a donc ressorti à cet effet son arme favorite : les droits de douane. Reprochant à l’Europe de ne pouvoir y vendre aucun produit américain – « ni produits agricoles ni produits industriels ni énergie » – en raison des normes et des réglementations, il a exigé des échanges équitables et loyaux, sous peine d’imposer des droits douaniers sur les importations européennes. Certaines d’entre elles se voient déjà imposer des taxes de 60 à 100 % depuis 2019. Et ces taxes n’ont pas été supprimées par l’administration Biden.

Adoptant la thèse désormais répandue que le président américain est un « dealmaker », nombre de responsables européens sont convaincus qu’au-delà des discours violents, il y a moyen, comme par le passé, de trouver un chemin d’entente.

Avant même son investiture, le président américain a déjà demandé que l’Europe importe plus de gaz et de pétrole américains, là encore sous peine de sanctions douanières. Poussant son avantage, il a demandé à Davos aux responsables européens d’importer leurs capitaux et de venir produire aux États-Unis, leur promettant l’absence de contraintes réglementaires et fiscales. Sous peine toujours de sanctions douanières, s’ils ne se conformaient pas à sa volonté.

Dès novembre, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, avait donné le ton dans un entretien au Financial Times. Elle recommandait d’acheter des produits américains, et notamment de l’énergie, afin d’amadouer l’irascible Donald Trump.

Lors de son intervention, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a poursuivi dans le même registre : elle prône un dialogue exigeant avec les États-Unis. Une position soutenue par le ministre allemand des finances, Jörg Kukies, qui préconise d’« engager des discussions entre l’Europe et les États-Unis sur les droits douaniers avant d’adopter toute contre-mesure ».

Adoptant la thèse désormais répandue que le président américain est un « dealmaker », nombre de responsables européens sont convaincus qu’au-delà des discours violents, il y a moyen, comme par le passé, de trouver un chemin d’entente.

Mais le Donald Trump d’aujourd’hui est-il le même que celui de 2016 ?

La vassalisation de l’Europe

La rapide contre-révolution engagée par Donald Trump a en tout cas secoué les esprits. Tous les responsables demandent que l’Europe, engluée dans la stagnation depuis plus de dix ans, embrasse l’agenda dressé par le président américain, renonce à ses normes, à ses réglementations et même à ses principes, pour libérer les « esprits animaux » et permettre au capitalisme de retrouver sa force et son énergie sans contrainte.

« Si l’économie américaine continue de progresser, si chaque groupe veut avoir son siège aux États-Unis et y commercer parce que la réglementation y est plus légère, les dirigeants européens diront aux politiques européens : “Faites quelque chose ou nous allons déménager outre-Atlantique” »,a analysé Rich Nuzumn , responsable du groupe de consultants Mercer. Il résumait le sentiment général.

Les appels à s’aligner sur l’agenda américain ont déjà commencé. Mark Rutte, nouveau secrétaire général de l’Otan – auparavant premier ministre des Pays-Bas –, a ainsi recommandé que les États européens taillent drastiquement dans leurs dépenses sociales et de retraite pour financer l’effort de défense européen. En supprimant au passage la préférence européenne pour acheter des matériels américains.

Les banques demandent une révision rapide des réglementations européennes pour lever les obstacles qui pénalisent leur rentabilité par rapport à leurs concurrentes américaines. Les industriels, de la biotech au numérique, exigent d’en finir avec une bureaucratie européenne tatillonne qui bride l’innovation et le développement de projets. Tous réclament une remise à plat du plan écologique européen pour favoriser la transition écologique et un abandon de normes et de réglementations « contre-productives ».

Dans la foulée du discours de Donald Trump, le groupe Stellantis (ex-FiatChrysler-PSA), désormais sous le contrôle de la famille Agnelli, très proche du gouvernement Meloni, a annoncé un très lourd programme d’investissements dans ses usines Jeep aux États-Unis. Il prévoit d’y produire des SUV des plus classiques, afin d’éviter les possibles droits de douane qui menacent les importations en provenance du Mexique.

L’impulsion est donnée. La vassalisation de l’Europe est en marche.

Martine Orange

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