Le format de discussion autour de ce thème est resté flou jusqu’au dernier moment. On parlait de conférence, tantôt de meeting. Toutefois, sans avoir le don de voyance, ou être dans les petits papiers des organisateurs, il était possible d’imaginer qu’il existerait une opposition de lecture politique et stratégique entre les deux figures politiques.
La rupture et l’accompagnement
Depuis son départ du parti socialiste en 2008, Jean-Luc Mélenchon développe sa théorie politique de l’ère du peuple et de la révolution citoyenne. Pour écorcher son travail en peu de mots : l’humanité, majoritairement citadine au XXIe siècle, est dépendante de réseaux collectifs pour sa survie (p.ex., eau électricité, gaz, téléphonie, etc.). Le rapport de force politique se structure autour de l’accès et du contrôle de ces réseaux : qui en a le contrôle entre le collectif ou des intérêts particuliers privés ? De cette théorie découle un programme politique. Schématiquement : il faut placer sous contrôle démocratique les réseaux et, pour ce faire, il faut entrer en rupture avec le système productif capitaliste, qui menace la survie de l’humanité. La stratégie politique qui en résulte est en cohérence avec la pensée et le programme. Pour accéder au pouvoir, la France Insoumise cherche à faire voter les plus susceptibles de pâtir du manque d’accès à ces réseaux : les classes populaires. Ce sont toutefois les personnes qui sont les plus susceptibles de ne plus voter du fait de l’échec de la social-démocratie à tenir ses promesses (p. ex., mandat de François Hollande en 2012 en France). Dit autrement, la France Insoumise cherche à se faire élire par ceux qui ne votent plus, mais sont susceptibles de partager leurs intérêts. Il semble important de noter que cet électorat est difficilement mobilisable. Par ailleurs, il n’est pas certain qu’un recul important de l’abstention ne bénéficierait pas aussi à l’extrême droite dans le cas français.
En contraste, Québec solidaire a fait un autre choix stratégique. À ma connaissance, la pratique politique chez Québec solidaire n’est pas guidée par une théorie politique spécifique. Le parti se fonde sur sa déclaration de 2006 et de son programme (en cours de révision). Dans la déclaration de principes, nous retrouvons la volonté de rompre avec le système néolibéral pour défendre les intérêts communs. Dans la déclaration de 2009, QS se donne pour mission de dépasser le capitalisme. Ici aussi, nous retrouvons l’idée d’une rupture avec le système en place. Le parti a initialement connu une progression dans les centres urbains et a même fait une percée historique en Abitibi en 2018. L’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois (GND) comme co-porte-parole masculin a affirmé le changement stratégique du parti. Pour obtenir le pouvoir, les dirigeants ont fait le choix d’aller chercher les voix des personnes qui votaient déjà, mais pas pour eux, c’est-à-dire les voix du centre. Apparait alors le mouvement de centralisation du parti. Toutefois, si vous cherchez à obtenir les voix des votants moins à gauche que vous, vous devez modifier vos positions pour qu’elles correspondent à celles des personnes à votre droite. Cela vient toutefois avec le risque que, bien que vous soyez la figure de gauche préférée des gens de droite, ils préfèrent voter pour l’original plutôt que pour la copie.
La centralisation du parti a été critiquée par une part significative des militant.es et s’est soldée par la démission de GND il y a quelques semaines. Depuis, la stratégie du parti est moins évidente. Les dirigeants envoient des signaux à leur aile gauche, mais poursuivent les réformes entamées précédemment (p. ex., révision des statuts et du programme). À ce stade, les intentions du parti ne sont pas claires : vont-ils entamer un véritable virage stratégique ou vont-ils chercher à jouer sur les deux tableaux pour ménager la chèvre et le chou ?
Quoi qu’il en soit, il semble préexister à cette rencontre des divergences stratégiques et politiques entre LFI et QS. Nous pouvions donc nous attendre à retrouver cette divergence lors de la rencontre.
Cachez cette gauche que je ne veux pas voir
L’ambivalence du parti dans sa stratégie politique s’est fait sentir dans l’organisation de la conférence avec JLM. Après l’annonce de la visite de la délégation insoumise au Québec, il n’a pas fallu trop attendre pour avoir une réaction médiatique qui offrirait à QS la possibilité ou non de se distancier de JLM. Finalement, la position fut entre les deux : « une discussion, sans plus », « pas un mariage, une conférence », la chèvre et le chou.
Par ailleurs, celle-ci a continué dans l’organisation même de l’évènement : une salle de 400 places a été réservée pour l’évènement alors que la conférence de la veille - avec Jean-Luc Mélenchon seul - faisait salle comble à prêt de 600 personnes. Face à l’engouement pour l’évènement (1000 personnes auraient communiqué leur intérêt), le parti a dû finalement s’adapter et mettre en place une billetterie et une diffusion live. Les militants n’ont pas été sollicités pour l’organisation.
Résultat : de la confusion chez les militants et des participants dans la file de l’évènement qui ne savaient pas à quoi s’en tenir. Une centaine de personnes sont restées dehors. La chèvre grignote le chou.
Nous pouvons nous questionner à savoir si cette situation est la résultante d’une erreur d’organisation, d’une crainte du parti d’assumer clairement ses liens avec la gauche qui ne se veut pas respectable ou d’une impossibilité (une honte ?) à imaginer qu’il existe un public nombreux pour une telle gauche.
Le format du compromis
Le format tombe au début de l’évènement : 30 minutes chacun pour un discours (un beau défi pour le président de l’institut la Béotie) et une discussion finale où JLM répondait à des questions de stratégie. La question de l’opposition est écartée – les divergences ne seront pas nommées ou discutées.
Le discours de la co-porte-parole de Québec solidaire était plus à gauche qu’à l’habitude ou plus assumé. Exit la psychologisation de Donald Trump comme le « psychopathe ». On parle de « capitalisme financiarisé, dérégulé, destructeur et générateur d’inégalités socioéconomiques », on nomme les origines coloniales du Québec, on reconnait la construction de l’autre jusqu’à l’Assemblée Nationale. Finalement, au-delà du dispositif qui écarte les divergences entre QS et LFI, il semble qu’elles se soient volatilisées à la porte d’entrée du théâtre. Au contraire, on donne des gages à gauche. Le chou prend sa revanche sur la chèvre.
Dans ses réponses, Mélenchon aborde frontalement les questions stratégiques qui traversent la gauche - et particulièrement QS. Il souligne l’importance du clivage, rejette la question de la respectabilité auprès de nos adversaires politiques et médiatiques. Le mot d’ordre est clair : le clivage c’est l’inverse la confusion, ne cherchez pas à vous faire respecter de gens qui sont vos adversaires, au contraire, faites-vous aimer des gens que vous défendez.
Les militants ressortent de cette conférence électrisés, mais la méfiance demeure. Le chou va-t-il vraiment prendre le pas sur la chèvre ?
La chèvre qui se prenait pour un bœuf
Que conclure de cet évènement ? Est-elle l’amorce de la nouvelle réflexion stratégique de QS tant demandée par ses militants ou une façade qui a pour fonction de calmer l’aile gauche du parti et paraitre respectable auprès de la gauche française ?
Le risque est qu’après le passage de JLM, les choses reviennent « business as usual ». Ce qui est certain, c’est que le parti va devoir prendre une décision, car le statuquo semble difficilement tenable. Les crises se succèdent dans le parti, les militants se démobilisent et les sondages n’augurent rien de bon.
QS est aujourd’hui le seul parti de gauche institutionnel au Québec. Il semble toutefois suivre le même chemin que les partis socio-démocrates et socio-libéraux du monde entier (du PS français, au NPD canadien), ce qui signifie le risque de partager le même destin. La nature a horreur du vide, si QS laisse son espace pour aller plus au centre, il risque d’être pris à revers par d’autres propositions.
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