Édition du 19 novembre 2024

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Québec

Le congrès des statuts et ses suites

Québec solidaire vient de vivre son premier congrès consacré essentiellement aux statuts du parti depuis la fondation en février 2006. Plusieurs changements substantiels étaient proposés par le comité de coordination national, à la suite des travaux d’un comité de révision des statuts auquel l’auteur de ces lignes a participé. Notons que les efforts du comité ont été encadrés par des mandats reçus de conseils nationaux et de congrès précédents et par un vaste processus de consultation.

Parmi les nombreuses décisions prises par les quelque 250 personnes déléguées, certaines constituent des avancées pour ceux et celles qui souhaitent un parti militant, orienté vers les mouvements et une démocratie participative et délibérative. Nous pouvons nous appuyer sur ces gains pour aller plus loin dans la direction souhaitée. D’autres décisions constituent des reculs importants mais qu’il est encore possible de contenir et de limiter par des décisions futures. Enfin, certains changements contiennent des possibilités pouvant aller dans les deux directions. Dans ces quelques cas, c’est la pratique militante et le travail sur les détails du fonctionnement des nouvelles structures qui vont déterminer la suite des choses.

Des avancées

La création de la commission nationale des personnes racisées (CNPR) et l’établissement d’un seuil minimal de deux personnes racisées au comité de coordination national constituent des pas importants vers une prise en compte plus systématique de la lutte contre le racisme dans la réflexion et les actions du parti. Les interventions des personnes qui présentaient la proposition ont constitué des moments forts de la fin de semaine. Dans le contexte de la controverse médiatique créé autour d’une déclaration bien ordinaire du député Haroun Bouazzi, ces décisions ont pris une portée brûlante d’actualité.

La dimension de la formation prend une nouvelle importance avec l’École solidaire annuelle et une clarification du rôle de la personne responsable à la formation. Sans un effort systématique de formation, on peut difficilement résister à la pression des idées dominantes et continuer à construire un parti qui avance à contre-courant.

La création d’un poste au CCN à la solidarité internationale et hors-Québec est aussi une décision très positive et l’aboutissement d’une longue démarche. Sans un effort important pour tisser des liens avec nos camarades du reste du Canada et de nombreux autres pays, on peut difficilement imaginer la réussite de notre projet politique, notamment l’indépendance du Québec - qui aura besoin de reconnaissance et de solidarité - et la lutte forcément globale autour de la crise climatique.

Nous avons réussi à bloquer une tentative de la part du CCN de mettre fin aux collectifs, ce qui n’est pas rien. Après les efforts déployés pour faire reconnaître le nouveau collectif écoféminste et écosocialiste lors du dernier CN à Saguenay, cette décision était très bienvenue. Le congrès a plutôt retenu la proposition visant à préciser le rôle des collectifs et leur place dans le parti, sans toutefois aller jusqu’à leur garantir un budget ou une délégation sur les instances nationales. Ils pourront faire connaître leurs idées et leurs activités aux personnes responsables des diverses associations et des autres structures du parti, mais pas directement à l’ensemble des membres. À noter, la nouvelle formulation sur les collectifs précise qu’ils servent à regrouper des membres qui partagent une perspective politique d’ensemble et non une affinité, une identité ou un intérêt particulier. Ils n’entrent donc pas en compétition avec les nouveaux comités d’action politique ou les commissions nationales.

Un comité permanent sur le fonctionnement du parti a aussi été ajouté aux statuts, suite à une recommandation du comité de révision. Ce comité composé en majorité de personnes élues en CN va piloter la révision permanente des statuts, des politiques qui en découlent et des procédures. Ceci devrait permettre d’éviter une autre révision complète des statuts dans l’avenir prévisible et assurer une certaine continuité dans la réflexion, au lieu de la pratique des comités ad hoc qui a prévalu au cours des dernières années.

Des reculs

D’autres décisions constituent des reculs sur le plan de la qualité de la démocratie dans le parti. On a ouvert grand la porte à des modes plébiscitaires qui ressemblent plus à de la consommation de politique médiatique qu’à de l’action politique collective.

L’élection des porte-paroles au suffrage universel des membres et l’institution d’une course à la chefferie constitue probablement la pire de ces décisions. Par contre, il faudra réviser la politique actuelle encadrant les courses au porte-parolat, ce qui nous donne l’occasion d’imposer des limites à l’expansion de ces courses qui prennent déjà trop de place dans la vie du parti. Nous pourrions, par exemple, limiter les contributions à la course à 100$ par personne, plutôt que la limite de 500$ permise par la loi, sauf pour la personne candidate elle-même. Ceci, à la fois pour limiter l’ampleur que pourrait prendre la course et pour assurer une plus grande équité parmi les membres.

Les référendums internes décisionnels constituent aussi un danger majeur pour le parti, surtout la clause qui permet au CCN d’initier une telle consultation. Imaginons un scénario dans lequel le CCN déciderait d’en appeler directement aux membres parce qu’il estime que la masse des membres à carte est plus susceptible d’appuyer sa position qu’un CN ou un congrès, des instances qui représentent les membres actifs. Ceci causerait forcément une crise majeure au sein du parti dont il pourrait ne jamais se relever. Notons que cette clause a été intégrée aux statuts par une majorité des deux tiers plus deux votes...

Dans ce cas, c’est toute une nouvelle politique qui doit être élaborée pour encadrer la pratique des référendums internes. Cette politique pourrait clarifier que le CCN ne peut prendre l’initiative d’un référendum que dans le cas où la question est urgente et ne peut pas être d’abord traitée par le CN (l’argument avancé par le CCN). On pourrait aussi préciser que le sujet du référendum ne pouvait pas être anticipé par le CCN et donc être mis à l’ordre du jour d’un CN. Par exemple, s’il s’agit d’une orientation stratégique en lien avec une élection générale, comme une alliance avec un autre parti, il n’y a pas de raison de ne pas passer par le CN ou le congrès, étant donné que les élections sont à date fixe.

On devrait aussi créer des camps du OUI et du NON ayant un accès rigoureusement égal aux outils de communication interne et aux médias durant la campagne référendaire. Ces campagnes devraient avoir une durée minimale et des moyens de rejoindre l’ensemble des membres. On pourrait même exiger la participation à au moins une activité liée à la campagne pour obtenir le droit de vote. Ceci irait dans le sens de l’objectif formulé par le CN de 2023 au sujet de la participation directe des membres aux décisions. (Objectif 4. Se doter de statuts qui donnent davantage de pouvoir décisionnel directement aux membres et que ce pouvoir soit accompagné de lieux de formation et de débats.)

Des pas de côté

Les gens qui ont discuté de ce sujet avec moi au cours des dernières années seront étonnés de lire que je considère le nouveau conseil national comme un pas de côté. Il se trouve que la création d’un CN permanent, avec des mandats d’un an, ouvre des possibilités d’amélioration de la vie démocratique, notamment une supervision plus étroite des activités de l’aile parlementaire, du CCN et de la permanence par des personnes représentant les structures de base. Mais cette possibilité ne sera réalisée que par la pratique. Il sera également possible de rendre le CN plus autonome par rapport au CCN en organisant un mécanisme de communication horizontale parmi ses membres et en permettant aux membres du CN de préparer collectivement leur ordre du jour et les propositions qui seront soumises aux votes lors des réunions. Mais est-ce que ce sera fait ?

Également, les dangers soulevés quant à la nouvelle formule sont des possibilités que nous pouvons éviter. Notons en particulier l’autonomisation des délégations au CN par rapport aux structures qu’elles représentent. Les associations, commissions et comités représentés au CN peuvent prendre des moyens pour s’assurer que leur délégation rende régulièrement des comptes et les consulte sur toutes les décisions importantes. Mais ceci va demander un effort.

La création des comités d’action politique (CAP), une structure combinant les responsabilités actuelles de réseaux militants et des commissions thématiques a soulevé des résistances importantes. Notamment, on craint une perte d’autonomie par rapport au modèle des réseaux militants. Mais cette possibilité peut être contrée dans la politique qui va encadrer le fonctionnement des CAP. Par exemple, on peut s’assurer que le comité de coordination de chaque CAP soit élu par les membres en assemblée générale annuelle, toutes les personnes intéressées par le sujet pouvant participer à l’AG.

Aussi, les personnes qui vont représenter les CAP au conseil national et à la commission politique devraient être issues de ces comités de coordination élus par la base militante. Ceci aurait notamment pour effet d’assurer que la commission politique soit composée de personnes enracinées dans la vie du parti.

Afin d’assurer la parité tant au CN qu’à la CP, un tirage au sort pourrait être utilisé afin de déterminer quelle moitié des CAP doit déléguer une femme à la CP, l’autre moitié devant déléguer une femme au CN. Cette répartition pourrait être inversée à intervalle régulier, tous les deux ans, par exemple. Alors, le rôle du CN serait uniquement de ratifier les décisions prises de manière autonome par chaque CAP, en plus de reconnaître les CAP sur la base d’une politique claire et largement acceptée.

La nouvelle répartition des rôles entre les associations locales et les concertations régionales est une formule dont le succès n’est pas déterminé à l’avance non plus. Il faudra notamment que nous développions des pratiques participatives et équitables pour le fonctionnement des associations locales à plus d’une circonscription. La mise en action des concertations régionales sur des enjeux de mobilisation sociale ou de formation politique ne sera pas automatique et va dépendre de l’action des militantes et des militants.

Sur la résolution d’urgence

La résolution développée par le CCN constituait un compromis entre des visions divergentes présentes depuis le début au sein du parti quant à la manière de répondre aux attaques des chroniqueurs nationalistes conservateurs et des adversaires politiques nationalistes identitaires du PQ et de la CAQ.

D’une part, un courant dominant à la tête du parti depuis longtemps considère que les enjeux dits identitaires sont des champs de mine à éviter et que QS devrait chercher des terrains d’entente avec les autres partis sur ces questions afin d’éviter la polarisation. Un cas typique de cette approche est le projet de loi sur la laïcité qui avait été présenté par notre députation en 2013, un peu avant la Charte des valeurs du PQ. Ce projet de loi était bien pire que la loi 21 de la CAQ que nous avons dénoncée fortement quelques années plus tard. Reconnaître que la diversité religieuse était un problème méritant une solution était une erreur stratégique et une concession envers les discours réactionnaires.

D’autre part, bien des membres du parti pensent que la bataille contre le nationalisme étroit, la xénophobie et diverses formes de racisme plus ou moins affiché, est inévitable et ne peut être menée que de front, sans compromis d’aucune sorte. L’exemple de l’attitude faite de concessions et de compromis adoptée par une bonne partie de la gauche traditionnelle en Europe ou par les Démocrates aux États-Unis démontre bien que la première stratégie est vouée à l’échec et que la gauche devrait plutôt adopter une stratégie de confrontation sereine et déterminée. À chaque fois qu’on donne raison à la droite sur un argument particulier (“Il faut fermer la frontière et rejeter les personnes réfugiées.”, par exemple), on leur cède du terrain qui servira de base pour aller toujours plus loin dans une direction autoritaire, policière et d’exclusion, fondée sur une panique identitaire.

La résolution d’urgence adoptée à la fin du congrès évite de trancher entre ces deux stratégies. Elle affirme notre engagement à lutter contre le racisme. Mais elle refuse de reconnaître explicitement qu’au moins deux de nos principaux adversaires politiques, la CAQ et le PQ, alimentent le racisme au quotidien avec leurs déclarations, leurs propositions et certaines lois, comme la loi 21. S’il ne s’agit pas de déclarer que les personnes qui parlent au nom de ces deux partis “sont” racistes - ce qui n’est pas démontrable ou utile, comme le dit Haroun - on doit cesser de prétendre que leurs stratégies politiques ne sont pas fondées sur une sollicitation en même temps qu’un renforcement des sentiments racistes dans une partie de la population.

Benoit Renaud
18 novembre 2024

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