Les regroupements d’organismes communautaires signataires de cette lettre se préoccupent depuis longtemps des impacts de la philanthropie sur le filet social, la démocratie et les organismes communautaires. Depuis un certain temps, les ententes de financement entre des regroupements d’organismes communautaires et diverses fondations privées se multiplient. Ce n’est pas un soudain intérêt des fondations pour la transformation sociale qui guide cet élan de « générosité », mais bien une loi fédérale qui les force à hausser leur pourcentage d’investissement. Si nous comprenons le grave besoin de financement qui pousse les regroupements à signer avec les fondations, nous ne pouvons pas passer sous silence notre malaise grandissant, puisque ces choix ne sont pas sans conséquences.
Les fondations privées c’est de l’évitement fiscal
Les fondations ont été pensées afin de permettre à des multimillionnaires de sauver de l’impôt. Ces pratiques nous privent collectivement de millions de dollars qui pourraient être réinvestis dans le filet social, c’est-à-dire les programmes sociaux, les services publics et les organismes communautaires. La philanthropie n’est rien de moins que la privatisation de notre filet social. Une tendance qui sert à justifier le désengagement de l’État.
Au tournant des années 2000, le milieu communautaire dénonçait farouchement ces pratiques. La situation est tout autre aujourd’hui, car plusieurs acteurs du communautaire se tournent vers les fondations. Notre mouvement semble frappé par des vagues d’amnésie, alors que l’opposition aux PPP sociaux, la lutte contre l’évitement fiscal et le rejet de la privatisation font encore partie de nos argumentaires pour régler le sous-financement du communautaire, des programmes sociaux et des services publics. Qu’est-ce qu’on envoie comme message ? Évitez de payer vos impôts, privatisez notre filet social, c’est correct tant qu’on ramasse notre part du gâteau au passage.
Quelle autonomie nous reste-t-il ?
Les impacts du financement privé sur l’autonomie du communautaire sont déjà tangibles : réajustement du discours et des pratiques, détournement des organismes de leur mission, ralentissement de la lutte pour le financement à la mission, etc. L’Observatoire de l’ACA (action communautaire autonome) qui travaille sur l’autonomie est lui-même financé par des fondations. Quelle lunette d’analyse cela nous laisse face à ce phénomène ? Quand les liens de dépendance financière se seront grandement resserrés, le milieu communautaire osera-t-il encore dénoncer l’évitement fiscal alors qu’il en profite allègrement ? Osera-t-il dénoncer les pratiques de plus en plus intrusives des fondations si des emplois en dépendent ? Est-ce que ses pratiques démocratiques s’adapteront pour plaire aux investisseurs privés qui préfèrent certains modes de gouvernance plus proches de leurs propres pratiques ? Sera-t-il toujours en action contre la privatisation du filet social ? Quelle place restera-t-il aux revendications qui émanent de la population si les discours sont aseptisés pour plaire aux bailleurs de fonds privés ?
Le communautaire a toujours défendu un filet social fort. Pour soutenir ce filet social, l’autonomie et la pérennité des groupes et regroupements sont essentielles. Celles-ci passent nécessairement par un financement stable à la mission provenant de source publique. En cédant devant la manne privée, sommes-nous en train de creuser notre propre tombe ? Quelles conclusions pourrait tirer le gouvernement de ce mouvement vers le financement privé, lui qui nous dirige vers une nouvelle période d’austérité budgétaire ? N’y verra-t-il pas une occasion rêvée de se déresponsabiliser davantage face au filet social et de se désengager de plus en plus du financement des groupes d’ACA ?
Le sous-financement chronique du milieu communautaire est intenable et il affecte gravement nos missions. La richesse du communautaire a toujours été son autonomie, sa proximité avec la population et ses pratiques de mobilisation. Ce sont des acquis fragiles qu’il faut préserver à tout prix !
Dans ce contexte, plus que jamais, nous nous opposons à la privatisation du financement de l’ACA. Notre autonomie n’est pas à vendre ! Exigeons des gouvernements qu’ils s’assurent du bien commun ! Pour un financement à la mission public, indexé, et pérenne !
Signataires :
• Julie Robillard, Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MÉPACQ)
• Danielle Gill, Coalition des organismes communautaires autonomes de formation (COCAF)
• Daniel Cayley-Daoust, Coalition des Tables Régionales d’Organismes Communautaires (CTROC)
• Steve Baird, Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ)
• Stéphane Handfield, Groupe de recherche et de formation sur la pauvreté au Québec (GRFPQ)
• Michel Dubé, Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE)
• Marie-Andrée Painchaud-Mathieu, Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal (RIOCM)
Un message, un commentaire ?