10 février 2025 | tiré de Canadian Dimension
Les menaces d’annexion du président américain Donald Trump et les tarifs douaniers annoncés sont devenus le sujet numéro un du discours politique canadien. Dans une certaine mesure, les menaces et les insultes de Trump ont relancé les débats au Canada sur le nationalisme, l’autonomie et la dépendance du Canada à l’égard du commerce avec les États-Unis. Ils ont également contribué à un changement dans la dynamique de la politique électorale canadienne, déstabilisant les Conservateurs en soufflant dans les voiles d’un Parti libéral en difficulté.
Selon la firme de sondage Ipsos, les Libéraux ont gagné huit points depuis le début de janvier, tandis que les Conservateurs en ont perdu cinq. Le graphique sd’Ipsos ur l’évolution du vote depuis un an montre une augmentation constante du soutien au Parti conservateur à partir de février 2023, et une baisse constante du soutien aux Libéraux sur la même période. L’écart s’est creusé jusqu’en janvier de cette année, lorsque Trump a transformé le Canada en un punching-ball dans sa rhétorique.

Immédiatement après la menace tarifaire de Trump en décembre, il semblait que les plus grandes victimes seraient les Libéraux. Après tout, la menace a mis en évidence les divisions au sein du cabinet de Trudeau et la faiblesse de son leadership. L’ancienne vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, s’est servie des tarifs douaniers pour accroître la pression sur Trudeau et hâter sa démission avant de lancer sa propre campagne pour la direction du parti. Au début de la course à la chefferie, les principaux candidat-es, Mme Freeland et l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, semblaient peu inspirants et trop proches du très impopulaire premier ministre du Canada. Les Conservateurs ont encore accru leur avance.
Mais en janvier, le vent a tourné. Lorsque Trump a lancé sa guerre commerciale contre le Canada, le Parti libéral a dépassé les Conservateurs. Dans son discours du 2 février annonçant des tarifs en représailles, Trudeau a insisté sur l’unité, déclarant : « Nous serons forts pour le Canada... Le gouvernement canadien, les entreprises canadiennes, les syndicats canadiens, la société civile canadienne, les premiers ministres des provinces et territoires et des dizaines de millions de Canadiens d’un océan à l’autre sont sur la même ligne et sont unis.
Dans sa propre réponse ce jour-là, le chef conservateur Pierre Poilievre a condamné les actions américaines tout en réitérant des promesses de campagne qui ressemblaient beaucoup aux politiques sur lesquelles Trump a fait campagne. Il a utilisé l’expression « Canada d’abord », a parlé de la nécessité pour le Canada de « reprendre le contrôle » de sa frontière et a critiqué les « décisions stupides » de Trudeau sur le pétrole et le gaz. Lentement mais sûrement, les Libéraux ont commencé à grignoter l’avance des Conservateurs.
Il ne s’agit pas de prétendre que la réponse du gouvernement au pouvoir à Trump a été adéquate. Derrière la posture nationaliste, leurs efforts pour apaiser Washington sont clairs. Les libéraux ont tenté de faire appel à l’administration Trump en tant qu’« amis » tout en soulignant le soutien du Canada aux guerres impérialistes américaines en Corée et en Afghanistan. La chef d’état-major de la Défense, Jennie Carignan, a refusé de répondre aux questions sur les raisons pour lesquelles elle considérait l’Iran, la Russie, la Corée du Nord et la Chine comme des menaces pour le Canada, et non une administration américaine qui promettait d’utiliser la « force économique » pour annexer le territoire et les ressources du Canada. De plus, Trudeau a répondu aux caprices de Trump en annonçant, en échange d’une pause de 30 jours sur les tarifs, des dépenses de 1,3 milliard de dollars pour un « plan frontalier » visant à endiguer les flux négligeables de fentanyl passant du Canada vers les États-Unis.
Alors que les Libéraux peuvent encore gaspiller leur soudaine remontée électorale (ils ne sont pas exactement connus pour leur habileté politique), le déclin politique du chef conservateur Pierre Poilievre montre que son passé de connivence avec Trump et la politique à la MAGA peut heurter le public. Alors que le programme « Achetez canadien » prend de l’ampleur et que les Canadiens huent l’hymne national américain, la sympathie idéologique des Conservateurs pour Trump et le mouvement MAGA pourrait devenir un fardeau politique.
Lors d’une entrevue avec Jordan Peterson au début de janvier, M. Poilievre a fait l’éloge de Donald Trump alors que la guerre commerciale du président élu contre le Canada se profilait : « Il a passé sa vie en tant qu’homme d’affaires très prospère dans l’environnement économique le plus impitoyable du monde, la ville de New York. » Il a affirmé que Washington et Ottawa ont les mêmes ennemis géopolitiques et a appelé à une relation commerciale plus profonde entre le Canada et les États-Unis. Poilievre a décrit sans argument sérieux Trudeau comme un « socialiste autoritaire » et a promis d’imiter le style de gouvernement de Trump au Canada en « parlant du Canada d’abord ».
Il est révélateur que Poilievre ait exprimé une sympathie idéologique pour Trump alors que les intentions expansionnistes du président américain visaient d’autres cibles, comme le Groenland et le Panama. Peu de temps après l’entrevue avec Peterson, cependant, Trump a menacé d’annexer le Canada également. Aujourd’hui, les efforts de Poilievre pour s’aligner sur le trumpisme semblent se retourner contre lui.
Certains membres du mouvement conservateur canadien ont publiquement exprimé leur admiration pour Donald Trump. En 2021, par exemple, l’ancienne chef conservatrice fédérale et députée provinciale du Manitoba, Candice Bergen, a été photographiée portant un chapeau « Make America Great Again ». D’autres membres de la droite canadienne, comme la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, et le chef conservateur de la Colombie-Britannique, John Rustad, ont appelé le Canada à faire volte-face et à donner à Trump ce qu’il veut. Mais cette approche ne trouve pas d’écho auprès des Canadien_nes, et la droite remarque le changement. Le 31 janvier, The Hub a publié un article d’opinion intitulé « Il est temps pour les Conservateurs canadiens d’abandonner Donald Trump ». Pendant ce temps, le Parti conservateur s’efforce d’adapter son message dans un contexte de baisse dans les sondages.
Poilievre ne peut plus utiliser facilement des étiquettes de droite vides comme « woke » ou « socialiste autoritaire » comme dans un jeu de fléchettes contre un parti libéral sortant impopulaire. Mais s’opposer à une administration Trump hors de contrôle qui a les yeux rivés sur les ressources canadiennes et à la sympathie idéologique d’une grande partie du mouvement conservateur national, cela s’est avéré beaucoup plus difficile pour lui.
Owen Schalk est un écrivain originaire d’une région rurale du Manitoba. Il est l’auteur de Canada in Afghanistan : A story of military, diplomatic, political and media failure, 2003-2023 et coauteur de Canada’s Long Fight Against Democracyavec Yves Engler.
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