11 mars 2025 | traduction David Mandel
The Bullet (organe du Socialist Project)
lhttps://socialistproject.ca/2025/03/trumps-auto-tariffs-formal-sovereignty
Mettre fin à l’assaut tarifaire pourrait satisfaire ceux dont la seule ambition est l’accès au marché américain. Mais pour les Canadiens et Canadiennes qui voient le Canada dans une perspective plus large, cela ne ferait que confirmer notre rapprochement plus étroit avec les États-Unis.
Il faut se rappeler qu’au milieu des années 1980, les élites canadiennes, tant du monde des affaires que de l’État, ont initié et officialisé un accord de libre-échange avec les États-Unis. Les forces populistes, après avoir d’abord suivi l’exemple de l’élite, en sont venues à affirmer que nous étions déjà trop dépendants d’une Amérique socialement « peu attrayante ».
Paradoxalement, nous sommes aujourd’hui encore plus intégré.e.s qu’à l’époque. Et les États-Unis sont un pays encore plus laid, et le protectionnisme américain encore plus agressif. Se concentrer uniquement sur la fin des tarifs douaniers de Trump revient en réalité à demander la confirmation de l’intégration du Canada aux États-Unis.
Le libre-échange avec les États-Unis
Le fondement juridique de nos relations commerciales actuelles avec les États-Unis (et avec le Mexique) est l’accord commercial États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC) de 2018. Sa négociation a non seulement été supervisée par Trump lors de son premier mandat présidentiel, mais il l’a également salué comme « l’accord commercial le plus moderne, le plus actuel et le plus équilibré de l’histoire de notre pays ».
Pourquoi alors Trump a-t-il agi de manière inconsidérée et violé l’accord qu’il avait tant vanté ?
Il ne peut s’agir du déséquilibre commercial du Canada dans le secteur de l’automobile. Nos échanges automobiles avec les États-Unis sont à peu près équilibrés. Le Canada affiche un léger excédent commercial global avec les États-Unis. Mais si l’on exclut les produits liés à l’énergie – un commerce que les États-Unis souhaitent vivement pour contenir les prix du pétrole américain – cet excédent disparaît.
Que rechercherait alors Trump ?
Son problème ne concerne apparemment pas la balance commerciale, mais - aussi incroyable que cela puisse paraître - le prétendu manque de vigilance du Canada dans la lutte contre le fentanyl entrant aux États-Unis en provenance du Canada. L’absence de preuves crédibles pour étayer cette accusation est tout à fait dans l’habitude de Trump.
Mais loin d’être défensif, il faudrait plutôt se demander ce que les États-Unis, confrontés à des problèmes de drogue d’une ampleur inégalée par aucun autre pays développé, ont fait au fil des ans pour y remédier sur leur territoire. Pourquoi une réglementation aussi laxiste à l’égard des grandes sociétés pharmaceutiques qui profitent des drogues addictives ? Et qu’en est-il des causes du désespoir généralisé tragique – les conséquences des inégalités extrêmes et du manque de soutien social et médical que Trump cherche à aggraver ?
Il y a néanmoins une méthode dans la folie de Trump. Et c’est là que réside le véritable danger. Créer une insécurité permanente chez les partenaires commerciaux et coomerciales – un domaine dans lequel Trump excelle – pourrait, au cas où, inciter les investisseur.e.s à investir aux États-Unis.
La présidente du syndicat Unifor, Lana Payne, va plus loin en accusant Trump d’essayer directement « d’obtenir des engagements des entreprises à se désinvestir du Canada ».
Certain.e.s pourraient trouver un soulagement dans le récent recul partiel de Trump. Ce recul n’était cependant pas motivé par la bonne volonté envers ses voisin.e.s, ni par les représailles de ses voisin.e.s généralement complaisant.e.s du Canada et du Mexique. Il s’agissait plutôt d’une réponse aux pressions exercées par les constructeurs automobiles américains, un groupe d’entreprises auquel les travailleurs et travailleuses canadien.ne.s peuvent difficilement confier notre avenir.
La volonté de Trump d’étendre la puissance américaine
Certain.e.s soutiennent que ce à quoi nous assistons est peut-être encore plus profond : le rejet des prémisses de l’empire américain d’après-guerre. Ces prémisses comprenaient que l’intégration des anciens empires coloniaux, l’expansion du capitalisme, et la maîtrise des nationalismes compétitifs exigeaient des règles commerciales communément acceptées, même si des exceptions étaient parfois « nécessaires » et gérées afin d’équilibrer les échanges commerciaux et à soutenir le développement.
Trump, de son côté, affirme qu’une seule réalité compte : la puissance américaine. Même si son exercice unilatéral de la puissance américaine pourrait éventuellement être maîtrisé, l’impact négatif, même sur les allié.e.s des États-Unis et sur les travailleurs et travailleuses de nombreux États, s’avère déjà profond.
Quoi qu’il en soit, même si le Canada échappe au barrage tarifaire actuel, la leçon à tirer est que la menace demeure d’une utilisation belliqueuse par les États-Unis de leur puissance économique prédominante, si le Canada outrepasse ce que l’État américain considère comme légitime.
La souveraineté substantielle – la capacité de prendre des décisions démocratiques en matière économique sans limites imposées par une puissance étrangère – exige le lancement d’un projet de déconnexion sobre de l’économie et du capital américains.
Nous devons aborder cette question sans nous faire d’illusions quant à la difficulté de cette tâche. Notre dépendance excessive à l’égard du pays le plus puissant du monde garantit qu’une rupture progressive, même partielle, entraînera des incertitudes, des perturbations, et des sacrifices.
Pourtant, face à la souveraineté compromise avec laquelle nous vivons actuellement, le projet de déconnexion sobre des États-Unis, visant à contrôler les mouvements de capitaux et à développer une économie plus égalitaire et démocratique, maintient vivante la possibilité d’une souveraineté substantielle et créative.
Il signifie également au monde – et aux États-Unis – que si le Canada lui-même est prêt à résister à l’unilatéralisme américain, tous les États le peuvent aussi.
Ce texte a été initialement soumis au quotidien Toronto Star, qui l’a refusé.
Sam Gindin a été le directeur de recherche du syndicat des Travailleurs et travailleuses canadien.ne.s de l’automobile de 1974 à 2000. Il est le coauteur, avec Leo Panitch, de The Making of Global Capitalism (Verso), et coauteur, avec Leo Panitch et Steve Maher, de The Socialist Challenge Today (Haymarket).
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