Édition du 22 avril 2025

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Syndicalisme

La vengeance d’Amazon contre la syndicalisation au Québec devrait servir d’appel au réveil

En réponse au succès d’une tentative de syndicalisation dans un entrepôt du Québec, Amazon a fermé ses opérations dans toute la province. Son comportement punitif démontre que les méthodes traditionnelles de syndicalisation ne fonctionnent pas contre cette entreprise géante.

Janvier 2025 | tiré du site de Jacobin | traduction : David Mandel

Cette entreprise, dont la valeur est estimée à $2.47 milliards américains, est connu pour ses pratiques antisyndicales.

Les employé.e.s d’Amazon travaillant dans l’immense entrepôt JFK8 ont voté en faveur de la syndicalisation en 2022, mais près de trois ans, ils et elles n’ont toujours pas pu négocier. Car l’armée d’avocat.e.s de l’entreprise a pu bloquer à plusieurs reprises les ordres du gouvernement de négocier. Amazon harcèle et licencie régulièrement les militant.e.s syndicaux et syndicales, ce qui constitue un avertissement pour les autres travailleurs et travailleuses qui pourraient envisager de se syndiquer. Et lorsque l’entreprise a été confrontée à l’obligation de négocier avec des groupes de ses chauffeur.e.s-livreur.e.s sous contrat, Amazon a tout simplement rompu leurs contrats et les a licencié.e.s en masse.

Au Québec, Amazon a toutefois atteint un nouveau creux dans sa politique antisyndicale : pour éviter d’avoir à négocier une convention collective dans un entrepôt, l’entreprise a cessé ses activités dans toute la province.

Les travailleurs et les travailleuses de l’entrepôt DXT4 d’Amazon dans la banlieue de Montréal ont obtenu l’accréditation syndicale au printemps dernier. En vertu des lois provinciales du Québec, cette victoire obligeait l’entreprise à négocier une convention collective avec eux et elles. Et contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, la loi québécoise impose l’arbitrage du premier contrat pour les syndicats nouvellement constitués. Cela signifie qu’Amazon a été obligée, qu’elle le veuille ou non, de conclure une entente avec ses travailleurs et travailleuses.

Face à cette perspective et à l’amorce d’une syndicalisation dans d’autres sites de travail du Québec, l’entreprise a annoncé qu’elle fermait toutes ses activités au Québec – sept entrepôts – et qu’elle licenciait deux millse travailleurs et travailleuses. « À la suite d’une récente évaluation de nos activités au Québec, nous avons constaté que le retour à un modèle de livraison par des tiers soutenus par des petites entreprises locales […] nous permettra d’offrir le même excellent service et de faire réaliser des économies encore plus importantes à nos clients à long terme », a déclaré un agent des relations publiques d’Amazon agent à la CBC.

C’est tout simplement fallacieux. La sous-traitance du travail à une multitude d’autres entreprises sera plus coûteuse et moins efficace pour Amazon, qui maîtrise les pratiques industrielles de réduction des coûts et d’accélération des livraisons grâce à des systèmes de contrôle centralisés et à des économies d’échelle.

Amazon a une présence relativement limitée dans la province. Un centre de distribution Amazon typique aux États-Unis compte plus de travailleurs et travailleuses que la masse salariale combinée des sept installations québécoises de l’entreprise. Mais la confrontation au Québec envoie un message sans équivoque aux travailleurs et travailleuses du monde entier : syndiquez-vous, et personne dans votre voisinage n’est en sécurité.

Une offensive antisyndicale peu ordinaire

Ce qui s’est passé au Québec devrait alerter l’ensemble du mouvement syndical. La syndicalisation site par site, pratique courante des syndicats américains et canadiens, est une stratégie vouée à l’échec chez Amazon. Outre l’expérience du 8 juillet 2018, les travailleurs et travailleuses ont organisé des majorités syndicales au hub aérien d’Amazon à San Bernardino, dans un entrepôt de San Francisco, et dans une douzaine des 4,400 entreprises de livraison sous contrat d’Amazon. Les Teamsters ont mené ces campagnes. Aucune n’a abouti à des négociations.

Aucun syndicat, en organisant, et même en faisant grève sur quelques sites de travail, ne peut infliger suffisamment de souffrances économiques à Amazon pour le forcer Amazon à respecter les droits des travailleurs et travailleuses et à négocier des contrats.

Certes, Amazon est responsable de ses efforts incessants pour briser les syndicats. Mais les organisateurs et organisatrices doivent aussi procéder à une analyse critique de leur propre pouvoir. L’entreprise est si grande et adaptable qu’aucun syndicat, en organisant et même en faisant grève sur quelques sites, ne peut causer suffisamment de difficultés économiques pour forcer Amazon à respecter les droits des travailleurs et travailleuses et à négocier des contrats.

Le site de l’entrepôt n’est finalement pas un facteur critique pour Amazon. L’entreprise loue 90% de ses installations et ses déploiements robotisés- sont assez mobiles : les Kivas pourraient sortir d’elles-mêmes de n’importe quel centre de distribution et se diriger vers un nouveau. À l’exception de sa principale plate-forme aérienne, située au centre et de manière stratégique dans le nord du Kentucky, il est probable qu’Amazon abandonnerait pratiquement n’importe quel élément de son réseau qui pourrait être un point d’entrée pour le syndicalisme.

C’est une tâche herculéenne. Mais le mouvement syndical ne peut pas abandonner le défi d’Amazon.

S’organiser à tout prix

Amazon est une entreprise qui vise à tout faire : la logistique de bout en bout, la livraison de colis, l’épicerie, les soins de santé, la vente de voitures, le divertissement et la surveillance à domicile, et l’informatique en nuage. Aucun secteur n’est épargné par l’ambition d’Amazon. Les plus grandes entreprises du pays ont toujours établi la norme en matière de relations de travail. Aussi, tant que des entreprises comme Amazon continuent d’être des forteresses antisyndicales, il sera impossible de traduire l’approbation actuelle élevée du syndicalisme par les travailleurs et les travailleuses en une véritable organisation de masse et de renverser la tendance à la baisse du taux de syndicalisation.

Amazon peut être vaincue. Mais il faudra une coordination stratégique entre ses quelques 1,7 million de travailleurs et travailleuses américain.e.s (y compris les employé.e.s réguliers et régulières et les chauffeur.e.s-livreur.e.s sous contrat). L’entreprise gère une activité incroyablement efficace, mais qui est aussi délicate. Sa vitesse, son volume et son ampleur confèrent aux travailleurs et travailleuses un pouvoir énorme – s’ils et elles peuvent s’organiser et faire grève ensemble pour perturber efficacement les opérations.

Mais pour y parvenir, les organisateurs syndicaux, organisatrices syndicales devront mettre de côté des hypothèses et des pratiques obsolètes qui ont fonctionné dans d’autres industries et à d’autres époques. Ils et elles devront viser beaucoup, beaucoup plus haut dans leurs ambitions d’organisation et imaginer un mouvement d’organisation à une échelle à la hauteur de l’adversaire de classe.

Une organisation d’envergure à l’échelle régionale, nationale et internationale est nécessaire – non pas des luttes locales courageuses mais isolées et infructueuses contre le mastodonte.

Les travailleurs et travailleuses d’Amazon au Québec, à New York, en Californie, dans l’Illinois, en Géorgie, en Angleterre, en Inde et ailleurs ont fait preuve d’un courage et d’une créativité extraordinaires en s’organisant et en faisant grève ces dernières années. Mais la répression au Québec devrait dissiper toute illusion restante sur l’ampleur de l’organisation nécessaire. Les syndicats sont-ils à la hauteur de ce défi ? Cela reste à voir. Mais l’expérience québécoise place cette question au cœur des préoccupations syndicales en 2025.

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