30 novembre 2020 | tiré du site Blomberg
https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2020-11-30/a-successful-u-s-missile-intercept-ends-the-era-of-nuclear-stability?sref=3HD2Fyvy
Traduction : David Mandel
L’horloge de l’apocalypse, imaginée en 1947 pour symboliser l’imminence d’un cataclysme planétaire, a été avancée à minuit moins 100 secondes par le groupe de scientifiques la gérant, soulignant les dangers présentés par le changement climatique et la prolifération nucléaire.
« Nous exprimons désormais en secondes le temps séparant le monde de la catastrophe, non plus en heures ou en minutes », a déclaré Rachel Bronson, présidente et directrice générale du Bulletin of Atomic Scientists, lors d’une conférence de presse à Washington, comme tous les ans en janvier.
Un missile balistique intercontinental a été tiré en novembre en direction générale des îles hawaïennes. Au cours de sa descente quelques minutes plus tard, toujours en dehors de l’atmosphère terrestre, il a été frappé par un autre missile qui l’a détruit.
Avec cette détonation, le fragile équilibre nucléaire du monde a soudainement menacé de se déséquilibrer. Le danger que les bombes atomiques soient à nouveau utilisées augmentait déjà. Mais maintenant, il a de nouveau grandi.
Le missile balistique intercontinental (ICBM) survolant le Pacifique était un faux missile américain, conçu pour tester un nouveau type d’intercepteur. Pendant son vol, des satellites l’ont repéré et ont alerté une base de l’armée dans le Colorado, qui à son tour a communiqué avec une frégate de la marine positionné au nord-est d’Hawaï. Ce navire a tiré son propre missile qui, dans le jargon a frappé et détruit celui qui arrivait.
À première vue, ce genre de technologie pourrait sembler être la cause non seulement de crainte mais aussi de joie, parce qu’elle promettrait de protéger les États-Unis contre des attaques de missiles. Mais dans la logique bizarre de la stratégie nucléaire, une percée destinée à nous rendre plus sécuritaires peut finir par nous rendre moins sécuritaires.
L’explication est que la nouvelle technologie d’interception coupe le lien entre l’offensive et la défense qui sous-tend tous les calculs des scénarios nucléaires. Depuis la guerre froide, la stabilité - et donc « la paix » - a été préservée à travers la réalité macabre de la destruction mutuelle assurée, ou MAD (en anglais) : aucun pays ne lancerait une première frappe s’il s’attend à des représailles immédiates en nature. En d’autres mots, MAD signifiait la vulnérabilité mutuelle.
Si un joueur dans ce scénario obtient soudainement un bouclier (ces systèmes américains sont en fait appelés Aegis), la vulnérabilité mutuelle disparaît. Les adversaires, dans ce cas principalement la Russie, mais de plus en plus la Chine aussi, doivent supposer que leurs propres moyens de dissuasion ne sont plus efficaces, car ils pourraient ne pas réussir à riposter.
Pour cette raison, l’escalade défensive est devenue presque aussi controversée que celle du type offensif. La Russie s’oppose depuis longtemps aux systèmes d’intercepteurs américains basés à terre dans des endroits comme l’Europe de l’Est et l’Alaska. Mais ce test était le premier au cours duquel un navire a intercepté. Ce tournant signifie que d’ici peu les États-Unis, ou une autre nation, pourraient se protéger de tous les côtés.
Cette nouvelle incertitude complique une situation qui devenait déjà diaboliquement complexe. Les États-Unis et la Russie, qui possèdent environ 90% des armes nucléaires du monde, ont abandonné deux traités de contrôle des armements en autant de décennies. Le seul qui reste, appelé New START, expirera le 5 février, à peine 16 jours après l’entrée en fonction de Joe Biden. Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, qui pendant 50 ans a eu comme mission d’empêcher les pays sans armes nucléaires de les acquérir, est également en grande difficulté et devrait être renégocié l’année prochaine. Les intentions de l’Iran restent inconnues.
En même temps, les États-Unis et la Russie modernisent leurs arsenaux, tandis que la Chine complète les siens aussi vite que possible. Parmi les nouvelles armes, il y a les armes nucléaires portées par des missiles hypersoniques si rapides que les dirigeants de la nation cible n’ont que quelques minutes pour décider de ce qui arrive et comment y répondre. Ils incluent également les armes dites tactiques, avec des charges « plus petites » (dans un sens très relatif), qui les rendent plus adaptées aux guerres conventionnelles, abaissant ainsi le seuil de leur utilisation.
Source : Wikipedia
Le risque ne cesse donc de croître qu’une guerre nucléaire commence par accident, par erreur de calcul ou par fausse alerte, en particulier si l’on tient compte de scénarios impliquant le terrorisme, des « États voyous » ou des conflits dans l’espace ou dans le cyberespace. En tant que protestation mondiale contre cette folie, 84 pays sans armes nucléaires ont signé un Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, qui entrera en vigueur l’année prochaine. Mais ni les neuf nations nucléaires ni leurs alliés les plus proches ne le signeront jamais.
Au lieu de cela, les puissances nucléaires existantes interpréteront les nouvelles de tests d’interception réussis comme une impulsion pour une nouvelle course aux armements. Ils fabriqueront des missiles encore plus rapides avec plus de leurres et de contre-mesures, de nouvelles ogives pour des utilisations plus flexibles dans une plus grande variété de scénarios stratégiques, et bien sûr leurs propres boucliers.
Cela doit cesser. Dès son entrée en fonction, Biden devrait immédiatement proposer que les États-Unis et la Russie reconduisent New START pendant encore cinq ans pour gagner du temps. Il devrait inviter simultanément la Chine et les autres puissances nucléaires à la table.
Le premier objectif devrait être une déclaration commune des neuf États nucléaires que leurs armes ont l’unique but de dissuasion et ne seront jamais utilisées de manière agressive. Ils devraient également donner de nouvelles assurances de sécurité et aider les pays non dotés d’armes nucléaires, et créer de nouveaux protocoles de communication pour les crises. Et ils doivent maintenant accepter de limiter et de surveiller non seulement les armes offensives de chacun, mais aussi leurs défenses.
L’ère de la MAD et de la vulnérabilité mutuelle était terrifiante mais d’une manière surréaliste également stable. L’ère à venir de dissuasion discutable et de vulnérabilités asymétriques sera moins stable et donc encore plus effrayante.
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