8 novembre 2024 | Billet de blog de Mediapart.fr
https://blogs.mediapart.fr/nicole-muchnik/blog/081124/les-murs
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Il y en a pour tous les goûts. En béton, en barre, avec ou sans fil de fer barbelé, de simple fil de fer barbelé, de sable, avec ou sans radar, zone tampon ou "no man’s land" ; et même virtuels, la dernière tendance qui semble aller de pair avec la mondialisation. Ce sont les murs, érigés pour diviser, pour empêcher les migrations, contre ceux qui sont perçus comme différents, pour protéger ceux qui ont quelque chose à protéger.
Murs entre les pays, à l’intérieur d’un même pays, traversant les villes pour isoler des quartiers entiers, des communautés ; murs dans le désert, ou murs infranchissables et barrières autour d’habitations privilégiées comme aux Etats-Unis, en Israël, peut être déjà en Europe. Pour Elisabeth Vallet, politologue canadienne de l’université du Québec à Montréal (UQAM),« On compte aujourd’hui soixante-dix à soixante-quinze murs construits ou annoncés dans le monde, les murs existants s’étalant sur environ 40 000 kilomètres », soit autant que la circonférence de la Terre.
Après 1989 et la chute du mur de Berlin, on aurait pu dire qu’il n’y en aurait plus jamais et qu’on pouvait oublier ceux qui existaient encore. Pourtant, « Jamais depuis le Moyen-Âge il n’y a eu autant de demande de murs », écrit le Guardian, évoquant les anciens ghettos et autres fantasmes.Tandis que le mur de Berlin était destiné à empêcher la sortie, les murs construits aujourd’hui protègent surtout les nations contre l’entrée d’étrangers.
Très récemment, en 2015, pour couper la « route des Balkans » et ses flots humains venus du Moyen Orient, Viktor Orban fit construire 151km de mur le long de la frontière avec la Serbie, complété de barbelés à lames coupantes, et doublé en 2017. À Belfast, ce sont au moins 88 murs « de la paix », des murs de 16 mètres de haut surmontés d’un grillage pour arrêter les cocktails Molotov, que ni les catholiques ni les protestants ne veulent abattre car la peur demeure.
Tous les présidents américains des dernières décennies ont construit ou amélioré des portions de barrières le long de la frontière, dont 128 miles construits sous l’administration Obama. Long de 1300 km, le mur entre les États-Unis et le Mexique contre l’immigration clandestine est la plus longue barrière du monde, après celle de 3 326 km construite par l’Inde face au Bangladesh. Sa construction a commencé en 2006, avec la signature par George W. Bush du Secure Fence Act.
Composée de cylindres d’acier de 8 mètres de haut, de grillages et de béton, elle est équipée de nombreuses caméras et détecteurs de mouvements, sans compter ses 1800 tours de contrôle, 150 tunnels sous la frontière et les 18.000 hommes de la Border Patrol. Selon le chercheur canadien Julian Saada, « l’Agence nationale de sécurité américaine estimait à 178 milliards de dollars le coût de la sécurisation des frontières en 2015 ». Une somme vraiment importante si l’on considère que les immigrés continuent d’immigrer, et les trafiquants de contourner murs et barrières, par mer avec des sous-marins, ou par air avec des drones.
A quelques kilomètres de San Diego, à cheval sur la frontière américano-mexicaine, se trouvait le Friendship Park, avec ses tables de pique-nique, quelques chênes et une vue imprenable sur le Pacifique et où les émigrés mexicains pouvaient retrouver leurs familles. Symbole de paix et de fraternité entre les peuples, le parc fut inauguré en 1972 par Pat Nixon. Aujourd’hui, le parc de l’amitié est fermé et sillonné de trois murs parallèles de cinq mètres de haut. Seuls quelques manifestants et quelques familles viennent "converser silencieusement" à l’aide de pancartes avec des groupes de l’autre côté.
Un mur sépare aujourd’hui Israël et la Palestine. La section en Cisjordanie truffée de technologies coûterait à elle seule plus d’un million de dollars par kilomètre au gouvernement israélien. La barrière Gaza-Israël (parfois appelée mur de fer) est aujourd’hui fortifiée par des murs de béton de 8 mètres, avec des tours de contrôle tous les 300 mètres. Elle est bordée de fossés de 2 mètres de profondeur, de barbelés et de routes. Destiné à empêcher les non Israéliens de revenir sur leurs territoires, ce « Mur de la honte » condamné par la Cour internationale de justice court sur les collines de Cisjordanie en dehors de la frontière officielle et a en fait permis l’annexion de terres palestiniennes. Il révèle la volonté israélienne d’imposer une nouvelle carte politique des deux pays.
La clôture entre le Maroc et la ville espagnole de Melilla construite en 2005 pour endiguer le flux de migrants d’Afrique vers l’Europe, a été doublée, portée à six mètres et complétée par des fils de fer barbelés entre les deux murs. Là aussi, on ne sait quel esprit malade a eu l’idée de placer les fameuses « concertinas » sur la clôture intérieure- soit des lames coupantes qui causent de terribles blessures- heureusement retirées en 2007. En 2022, plus de 2000 migrants ont tenté de forcer la frontière sans succès, sauf pour une centaine, et deux dizaines de morts.
Curieusement, l’un des murs les plus chers est fait de sable. Il s’agit de la « Grande Muraille » du Maroc, érigée en 1980 dans le désert pour prévenir les incursions du Front Polisario qui revendique une partie du territoire. Deux rangées de murs de sable sur 2 720 km, renforcées par des postes de contrôle militaires, des mines et des fils barbelés. Environ 120 000 soldats sont censés garder cette barrière de sable, dont l’entretien coûte deux millions de dollars par an.
En Afrique toujours, le Botswana a installé une barrière électrifiée sur sa frontière avec le Zimbabwe afin d’empêcher le passage de bétail atteint de fièvre aphteuse, mais encore et surtout des milliers de migrants qui tentent de passer dans un pays plus riche. Pour se protéger contre les migrants sub-Sahariens, l’Algérie est presque entièrement entourée d’un mur de sable d’environ 6700 km et de quelques 5m de hauteur. Toujours en Afrique, le Kenya a entrepris en 2015 la construction de 700 km de muraille, dont quelques 30 km avaient été commencés en 2020.
On peut s’étonner que l’un des royaumes les plus riches du monde soit confiné dans ses propres murs. Craignant les terroristes venus du Yémen au sud et de l’Irak au nord, l’Arabie saoudite construit depuis 2007 la barrière la plus moderne le long de sa frontière avec l’Irak. Equipée d’un système de surveillance radar sophistiqué sur 5 000 kms de long, elle pourra se protéger tant de la mer comme du ciel et coûtera environ 10 milliards de dollars.
Et puis Chypre, depuis que le général Young traça un jour au crayon vert sur la carte sa fameuse « ligne verte », un mur traverse l’île et sépare même en sections vieille ville de Nicosie. Patrouillée par des « casques bleus », cette ligne de 180 km est infranchissable et empêche toute relation normale entre Chypriotes turcs et Chypriotes grecs depuis près d’un demi-siècle. Mais là aussi, comme en Israël, on parle encore et avec enthousiasme de négociations.
Dans la catégorie des murs intérieurs traversant les villes, il y a celui de Bagdad, érigé par l’armée américaine pour diviser les communautés chiites et sunnites ; ou celui de la ville de Padoue, en Italie, bâti pour isoler un quartier d’immigrés africains. A Rio de Janeiro, certains sont prévus autour de quelque favelas. On pense bien sûr à ces milliers de familles divisées. ou simplement empêchées d’avoir des relations humaines normales avec leurs voisins, mais qu’en est-il des familles « ghettoïsées » volontairement par peur des voleurs, des terroristes, des jeunes, bref, des habitants de la planète ? C’est le cas de milliers de riches, retraités ou non, dans les « Gated Communities » aux Etats-Unis ou ailleurs, conçues pour préserver leur mode de vie face à celui des habitants des quartiers les plus problématiques qui les entourent. Il y en a plus d’une centaine autour de Los Angeles, sous surveillance 24 heures sur 24.
D’ailleurs, le marché des murs est en plein essor, convoité par les plus grands fabricants d’armes du monde. Les contrats se chiffrent en milliards et font appel aux techniques les plus raffinées. C’est, aux Etats Unis, les 740km de mur entre le Mexique et l’Arizona, fortifiés et complétés en 2022 par une « barrière virtuelle » de 45 km construite par Boeing. Avec ses capteurs thermiques, détecteurs de mouvement et radars de surveillance basés sur l’intelligence artificielle, il ne s’agit pas d’un mur physique.
Au total, cette barrière que Donald Trump vantait d’être « infranchissable » ne semble pas décourager l’afflux de milliers de migrants mais semble en revanche dramatiquement efficace contre la faune. Et les 4096 km de murs entrepris en 2007 par l’Inde pour la protéger du Bangladesh sont a peu près terminés. Plus récemment encore, la Finlande a commencé en 2023 la construction d’une barrière de 200 km pour la séparer de la Russie.
Ces murs seraient-ils le paradigme parfait de ce dont l’humanité ne veut même pas entendre débattre, à savoir de l’égalité ? Bien des philosophes s’y sont frottés. Depuis Platon se cassant les dents pour parvenir à glisser le concept d’égalité dans la jeune démocratie, ou Aristote défendant la « nature unique » de l’être humain, en dépit de Voltaire, Rousseau, Hobbes et tant d’autres, il est toujours aussi difficile de convaincre les peuples qu’il n’y a jamais eu sur terre qu’une seule race humaine et que les individus qui la composent sont égaux.
Mais tandis que l’on a peu prés accepté que, au contraire des animaux, l’humanité n’est pas divisée en races et qu’il n’y qu’une nature humaine, à l’intérieur d’une même communauté les inégalités demeurent. Inégalité de sexe, mais aussi d’argent, de soins, du risque, de la liberté de pensée et d’action. Protéger ceux qui « ont plus » contre ceux qui « ont moins ».
« Les hommes élèvent trop souvent des murs et ne construisent pas assez de ponts ». Antoine de St Exupéry.
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