Édition du 17 décembre 2024

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Question nationale

Accession du Québec à la souveraineté : promesses et écueils

Comme tout projet d’indépendance nationale, celui du Québec, s’il se réalisait entraînerait d’importants conflits internes dans la société québécoise et externes avec le Canada anglais. C’est dans l’ordre des choses. Le contraire est impensable tant les intérêts en jeu sont aussi majeurs que divergents.

En effet, l’accession du Québec à la souveraineté équivaudrait à défaire les arrangements constitutionnels et politiques fondamentaux de la fédération canadienne, ce qui ne peut que braquer la classe politique fédérale tous partis confondus (sauf le Bloc québécois), sans oublier l’opinion canadienne-anglaise dans son ensemble.

Mais au Québec même, quels groupes sont le plus susceptible de s’opposer à la souveraineté ? Le succès ou l’échec du projet indépendantiste dépend de la réponse à cette question.

Tout d’abord, la majeure partie du milieu des affaires et de la finance, tant francophone qu’anglophone. En effet, on comprend aisément qu’il n’y a rien de plus mauvais, contreproductif pour la circulation commerciale et financière qu’une longue période d’incertitude politique profonde. Le rêve secret de René Lévesque et Jacques Parizeau qui consistait à rallier "nos gens d’affaires" à l’indépendance s’est avéré vain, et ce en dépit du ralliement du cabinet Lévesque au rétrolibéralisme à partir de 1982 et de sa rupture avec ses alliés syndicaux et communautaires. La grande majorité de nos "hommes d’argent" n’ont pas abandonné leur hostilité vis-à-vis de la souveraineté. Bien entendu, si le processus d’accession du Québec à l’indépendance finissait par arriver, gens d’affaires et financiers "de chez nous" s’adapteraient et tricoteraient de nouvelles ententes avec les marchés commerciaux et financiers nord-américains. Mais que de fric perdu entretemps ! Chacun a la morale de ses intérêts et la classe de nos brasseurs d’affaires préfère le statu quo constitutionnel à l’aventure indépendantiste, à certaines exceptions près dont la plus notoire est Pierre-Karl Péladeau, président de Québecor et ancien chef du Parti québécois, par sentiment nationaliste. Il existe un indépendantisme de droite, faut-il le souligner.
Un gouvernement souverainiste, au cours de la laborieuse période de transition ne pourrait donc pas compter sur l’appui de la plupart des capitalistes. Il devrait au contraire affronter leur hargne.

Il importe cependant de relativiser ces affirmations ; vu l’étroite intégration économique et commerciale qui prévaut en Amérique du Nord, particulièrement entre les États-Unis et le Canada, il y va de l’intérêt de tout le monde (y compris des milieux financiers et d’affaires) que le conflit Québec-Canada en cas de victoire du OUI au référendum ne dure pas trop longtemps et qu’il ne devienne pas trop intense ; notamment qu’il ne dérape pas en affrontement militaire.

Les partis représentés à l’Assemblée nationale suivraient l’orientation de leur électorat et leurs intérêts politiques. Un front commun de l’Assemblée nationale derrière l’équipe gouvernementale souverainiste contre Ottawa est impensable. Par exemple, les libéraux, très dépendants des anglo-montréalais et proches des milieux d’affaires refuseraient sûrement leur soutien à un gouvernement souverainiste et le harcèleraient en collaboration avec leurs grands frères fédéraux.

Quant à la Coalition Avenir Québec (la CAQ), elle se diviserait entre partisans de l’appui au gouvernement solidaro-péquiste et l’aile plus "réaliste", tenante de la modération et centrée sur un fédéralisme renouvelé avec un Québec plus autonome que maintenant ; les tensions entre ces deux ailes pourraient entraîner l’éclatement du parti. Le gouvernement indépendantiste pourrait profiter du ralliement de la section la plus nationaliste de la CAQ, tout en y perdant de l’éclatement de ce parti.

L’aboutissement des négociations entre Québec et Ottawa dépendrait dans une bonne mesure de l’attitude de ce qu’on nomme, en langage fonctionnaliste, la classe moyenne, laquelle regroupe en fait diverses catégories socio-professionnelles : fonctionnaires provinciaux, fédéraux et municipaux, professeurs à tous les niveaux d’enseignement, étudiants et étudiantes, notables locaux (maires et administrateurs), commerçants et commerçantes.

En termes d’influence sur la population et en raison de son poids économique, elle pourrait résister et d’inspirer la résistance à la population vis-à-vis des pressions d’Ottawa sur le Québec. Toutefois, tiendrait-elle le coup longtemps ? Difficile à dire puisque le cours de ces événements hypothétiques dépendrait de facteurs imprévisibles pour l’instant. Elle connaîtrait elle aussi ses divisions entre indépendantistes et fédéralistes.

Quant aux régions, leur attitude durant la période critique des négociations varierait de l’une à l’autre selon les intérêts de chacune, intérêts inévitablement définis avant tout par les élites locales. Sur ce plan, le Québec ressemblerait à une courtepointe que le conflit entre les deux capitales exacerberait et mettrait en relief.

Pour ce qui regarde la majorité de la population (travailleurs à faibles et modestes revenus, sans emplois, membres déchus de la classe moyenne), elle ferait l’objet de fortes pressions de la part du gouvernement fédéral, dont les personnes à la retraite. On sait que les pensions de vieillesse versées par Ottawa constituent la principale source de revenu de plusieurs de ces gens ; le gouvernement en place à Ottawa ne se gênerait pas pour les effrayer en laissant planer le spectre de coupures majeures dans les prestations ou encore du transfert de la responsabilité d’assurer la sécurité financière des gens âgés entièrement à Québec. On voit tout de suite l’insécurité qui frapperait nos citoyens et citoyennes âgés.
Il existe cependant un risque à cette éventuelle stratégie générale d’intimidation : plutôt que de pousser l’électorat québécois à répudier son gouvernement souverainiste, elle pourrait au contraire provoquer le radicaliser et renforcer le camp indépendantiste. C’est 50/50.
Même si les dangers de grabuge armé semblent assez faibles, ils sont quand même présents et il faut les examiner dans le contexte de cette analyse globale. Ottawa dispose de deux atouts majeurs sur ce plan : l’armée et la Gendarmerie royale du Canada. Québec, lui ne peut compter que sur la Sûreté du Québec et les différentes polices municipales. Aussi bien dire que l’arme de dernier recours se trouve entre les mains du gouvernement fédéral.
Néanmoins, des nuances s’imposent pour bien comprendre la situation sur ce plan des rapports de force bruts. De nos jours, les francophones sont beaucoup plus présents dans les forces armées canadiennes et la Gendarmerie royale qu’autrefois. En cas de crise aigue entre les deux gouvernements et de déclaration unilatérale d’indépendance de la part de Québec, de quel côté pencheraient les unités francophones ? Obéiraient-elles à d’éventuels ordres de répression du cabinet fédéral ou une bonne partie de leurs membres se solidariseraient-ils avec leurs compatriotes ? Cette dernière possibilité pousserait sans doute les maîtres d’Ottawa à une certaine prudence, d’autant que Québec multiplierait en même temps les efforts pour obtenir le maximum de soutiens internationaux, en particulier du côté de la France. Le Canada, qui se prétend un pays d’essence démocratique et défendre la démocratie partout dans le monde, serait alors confronté à d’insoutenables contradictions morales et politiques. Un second référendum suite à l’échec des négociations avec Ottawa, s’il confirmait les résultats de celui, initial, en faveur de la souveraineté formerait un échec majeur pour le fédéral. S’il tentait d’écraser par la force une consultation populaire aussi démocratique que légitime, il perdrait alors beaucoup de sa crédibilité (et même des appuis) sur le plan international.

Comme je l’ai déjà mentionné plus haut, dans les hautes sphères du pouvoir politique et financier nord-américain, personne n’a intérêt à ce que la situation dégénère en cas de victoire du OUI à l’Indépendance. Cette situation pourrait pousser Washington à faire discrètement pression sur Ottawa pour que ce dernier en arrive à une entente raisonnable avec le Québec.

Cela se produirait sans doute mais à certaines conditions incontournables : par exemple, que jamais une république du Québec ne bloquera la voie maritime du Saint-Laurent et que les liaisons ferroviaires entre l’Ontario et les Provinces maritimes soient garanties.

En conclusion, au-delà des généralités et des belles formules, l’aventure indépendantiste ressemblerait à une descente en radeau pneumatique sur une rivière agitée. La mise en oeuvre du rêve souverainiste exigerait beaucoup de réalisme et un grand sens du compromis de la part du cabinet québécois, et ce au risque de décevoir les indépendantistes les plus radicaux, de toute manière très minoritaires. Mais c’est l’aboutissement le plus probable du processus d’accession à la souveraineté si une majorité se décidait à l’appuyer un jour.

Jean-François Delisle

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