6 mars 2025 | tiré de regards.fr
Il faut du temps pour digérer et ingérer la rupture qui vient de se produire dans l’ordre mondial. Et pourtant, il y a urgence à défendre une perspective stratégique de paix, et donc de justice et de démocratie. C’est pourquoi je mets ici en partage 7 grands axes. Comme pour la politique intérieure, ils reposent sur le réveil de ce que j’appelle l’esprit public, c’est-à-dire la solidarité, la coopération, la démocratie contre la loi du plus fort, la prédation et la marchandisation, l’autoritarisme :
1. Nous devons affirmer notre solidarité avec le peuple ukrainien agressé par la Russie de Vladimir Poutine et méprisé par Donald Trump, qui encourage le massacre des populations civiles ukrainiennes et la russification des territoires occupés. Notre fil à plomb est dans la défense du principe de l’autodétermination des peuples et des frontières reconnues par le droit international. Nous ne pouvons accepter que la loi du plus fort et l’accaparement de ressources l’emporte sur le droit international et la démocratie.
2. Ce soutien au peuple ukrainien doit se traduire dans les actes, loin de tout esprit munichois et sans engrenage guerrier. C’est une ligne de crête mais elle est la seule qui peut enrayer la mécanique conduisant à une troisième guerre mondiale. Autrement dit, il s’agit d’aider concrètement les Ukrainiens qui se battent pour leurs droits, et non d’entrer en guerre directement avec la Russie.
3. Ni Poutine, ni Trump, ce mot d’ordre rassemble. Si les régimes aux États-Unis et en Russie ne sont pas les mêmes, ces deux présidents portent, l’un et l’autre, la haine de la démocratie et l’impérialisme. L’un et l’autre se battent pour accaparer, et de façon brutale, les ressources rares sur une planète dont les limites deviennent tangibles. Combattre Poutine et Trump signifie que nous devons en finir avec l’atlantisme et avec le campisme – non, les ennemis de nos ennemis ne sont pas nos amis. Cela signifie aussi que nous ne nous inscrivons pas dans une logique de camps. À la puissance de la force, nous opposons la force des principes, les règles de droit, la logique de biens communs. Il faut rompre avec la prédation, la loi du profit et le productivisme débridé, pour défendre un changement profond de modèle de développement, soutenable pour l’écosystème et favorisant la paix. Le capitalisme insatiable conduit à la guerre pour l’accès aux ressources.
4. Prendre la mesure des bouleversements monde qui n’est plus celui d’hier, c’est chercher à nouer des alliances sur toute la scène internationale pour faire avancer la justice et la démocratie, et donc la paix, par la diplomatie et le multilatéralisme. Face aux puissances impérialistes brutales, il nous faut construire des convergences sur la base de la défense de principes et d’objectifs précis. Il nous faut plaider pour un nouvel ordre mondial fondé sur le droit, et non la force. Car il n’y a plus d’Occident. Il n’y a pas non plus de Sud Global. C’est pourquoi chercher des alliés à l’intérieur de l’Union européenne et en dehors pour faire contrepoids aux puissances impérialistes est une nécessité. Cela suppose de sortir de la culture des blocs.
5. La guerre en Ukraine et la menace de son extension impliquent que nous soyons capables de nous défendre. Il est désormais clair pour toutes et tous que les États-Unis de Trump ne peuvent aucunement assurer notre sécurité. Et puis, Poutine va-t-il s’arrêter là ? Rien ne l’indique. Il nous revient donc de renforcer notre système de défense car nous devons montrer que personne n’a intérêt à une guerre contre nous. Mais les dépenses militaires ne peuvent se faire en comprimant celles qui servent les besoins essentiels de la population. Elles n’ont pas non plus vocation à se substituer à une stratégie diplomatique, ni à servir les besoins du capitalisme. Leur financement doit passer par une contribution des ultra-riches et des grands groupes et par une coordination européenne – l’UE pourrait d’ailleurs commencer son aide par un effacement partiel de la dette des États par la BCE pour leur permettre d’investir. Comment se fait-il que lorsqu’il s’agit de défendre l’esprit public, l’État social et la transition écologique, il n’y a pas d’argent et quand il s’agit d’armement, la présidente de Commission européenne, Ursula von der Leyen, trouve 150 milliards d’euros tout de suite et annonce garantir 800 milliards d’euros en tout ? Quand on sort des critères de Maastricht, c’est pour investir dans l’armement ! Mais que chacun soit lucide : on ne refait pas nos capacités militaires pour combler le défaut des États-Unis dont on a si longtemps dépendu en quelques semaines, ni en quelques mois. On ne partage pas non plus à 27 la dissuasion nucléaire, surtout quand ces 27 comptent la Hongrie de Orban et l’Italie de Meloni. Et on ne bâtit pas une armée sans socle commun partagé et sans contrôle démocratique digne de ce nom. Raisons de plus pour se doter avant tout d’une stratégie d’alliances sur la scène internationale et d’investir le champ de la diplomatie.
6. Le réarmement ne fait pas une stratégie. Nous ne voulons pas seulement défendre les intérêts de la France mais aussi des principes, une certaine vision géopolitique appuyée sur le droit, la démocratie et la justice qui servent les peuples à travers le monde. C’est pourquoi le droit international est fondamental. Si l’organisation mondiale issue du compromis de 1945 ne correspond plus aux coordonnées de notre temps, il nous faut travailler à un nouvel équilibre, à un nouvel édifice international.
7. Dans ce contexte, la victoire ou non de Marine Le Pen en France est aussi un enjeu de paix mondiale. C’est pourquoi le rassemblement des forces de gauche et écologistes pour offrir une perspective de victoire, pour ouvrir un espoir de progrès face à la montée du RN est une responsabilité empreinte de gravité. Devant le tragique de l’histoire, l’heure est venue de se mettre au travail pour construire l’alternative à la vague brune dans notre pays. Et elle passe par une doctrine géopolitique commune aux forces de gauche et écologistes.
Clémentine Autain
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