Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Monde

L’élection de Trump et des Républicains à sa botte

Le monde change de base comme à l’avènement d’Hitler en 1933

Le monde va changer de base comme lors de l’avènement du nazisme en 1933. Le président bien élu, lui et son parti qui contrôlent les trois pouvoirs fédéraux, bien qu’il reste la résistance de certains états comme la Californie et New York qui se sont époumonés de vertu à la COP29 terminée en un recul pro-hydrocarbure, sont mieux en selle qu’Hitler. Celui-ci, bien qu’ayant renoncé au coup d’État suite à l’échec de 1923, n’avait jamais conquis une majorité ni lui ni son parti. Il était en fait en perte de vitesse électorale à la veille de son accession au poste de Chancelier.

Fort de son mandat, l’aspirant fasciste étatsunien procède à nommer à des postes clefs les plus extrêmes et fidèles de son écurie quitte à déplaire aux sénateurs républicains qui ont préféré un Républicain traditionnel comme nouveau leader afin d’hypocritement pouvoir rejeter les nominations dont l’extrémisme sexiste se mêlerait à celui politique comme si l’un et l’autre ne s’harmonisaient pas.

A contrario, Hitler cependant, bien que contrairement à 2016 il se soit doté d’un programme (le projet 2025) et d’une équipe issue d’un parti Républicain à sa botte peut-être à quelques sénateurs effarouchés près, Trump n’a pas une milice à ses ordres en mesure de terroriser la population. De toute façon, il n’a pas eu besoin de créer un chaos pour accéder à la présidence de l’hégémon mondial, ce qui était loin d’être le cas de l’Allemagne de 1933.

La tentative ratée de son coup d’État de janvier 2021 a démontré qu’existent les prémices d’une telle milice qui pour surmonter la défaite de ses aspirantes composantes a besoin du pardon présidentiel afin de se reconstruire sous l’œil vigilant de ses conseillers et en proportion de la résistance de la rue. Pour l’instant, cette résistance ne fait pas le poids. On ne perd rien pour attendre. On n’en est encore qu’à l’interrègne que déjà les milices se remobilisent. noter un article du New York Times Editorial Board « [d]ans une enquête en ligne menée auprès de plus de 7 200 adultes [en octobre 2022], près d’un tiers des personnes interrogées ont répondu que la violence politique était généralement ou toujours justifiée ».

Illusoires espoirs en une revanche électorale Démocrate en 2026

Les partisans du respect institutionnel misent déjà sur les élections de 2026 renouvelant le Congrès dont l’entièreté de la Chambre des représentant-e-s. La tendance historique est la remontée de l’opposition d’autant plus prometteuse que la majorité républicaine est mince. De prédire les analystes, la combinaison de la hausse des tarifs, même si elle n’est pas celle rocambolesque annoncée étant donné le penchant transactionnel de Trump, et l’expulsion manu militari d’une masse d’immigrant-e-s réduisant la production nationale, même si elle pourra difficilement se compter annuellement par millions tant sa logistique serait complexe, annoncent un retour de cette inflation dont la dénonciation fut au cœur de la victoire de Trump. S’ensuivrait logiquement une dégelée en 2026 d’autant plus que Trump a garanti aux ultra-riches et aux grandes entreprises une drastique réduction fiscale.

C’est là le scénario des Démocrates et autres bien-pensants « Liberal » y compris de cette gauche étatsunienne qui politiquement parlant s’en remet au processus électoral. Comme n’a aucune chance de poindre d’ici 2026 la construction d’un significatif parti électoraliste de (centre-)gauche étant donné le renforcement idéologique de la tactique du « moins pire » qui n’a jamais paru aussi raisonnable et d’autre part l’incroyable course à obstacles, qui iront en se multipliant, pour le bâtir, s’imposent par défaut les Démocrates comme seul choix alternatif électoral. Mais qui est assez naïf pour croire que les fascisants Républicains vont laisser opérer des élections à peu près normales alors que déjà ils sont passés maîtres en tactiques de manipulations des listes et du processus électoraux et de contestation judiciaire dont le sommet du système est sous leur contrôle, ce qui s’ajoute aux faramineuses dépenses électorales sans limite et au traditionnel « gerrymandering ».

Si élections il y a, elles seront « illibérales » de sorte à assurer une victoire Républicaine. Souvenons-nous que le système Jim Crow qui bloquait le vote de la grande majorité des Afro-Américains du Sud a opéré jusque dans les années 1960 et que la Cour suprême a annulé en 2013 la loi fédérale, fruit du mouvement des droits civils, empêchant le retour des tactiques à la Jim Crow. Avec les trumpistes au gouvernement, la table est mise pour pire encore. Afin d’intimider les minorités visibles et les pauvres, qui déjà votent relativement peu — Trump « n’a obtenu que 28 % de soutien de la part des Américains en âge de voter » — Trump, en plus de milices en reconstruction, pourra compter sur une police militarisée dont le bilan meurtrier n’a cessé de grimper et dont la violence et le racisme systémique ne sont plus à démontrer.

Une osmose entre milices et soldatesque non contrée par l’état-major

L’armée, noyau dur de l’État capitaliste, viendrait-elle au secours de la démocratie bourgeoise ? Il existe un pont entre la troupe et les milices de commenter le New York Times Editorial Board : « L’un des faits les plus troublants concernant les adhérents aux mouvements extrémistes est que les anciens combattants, les militaires en service actif et les membres des forces de l’ordre y sont surreprésentés. Selon une estimation publiée dans le Times en 2020, au moins 25% des membres de groupes paramilitaires extrémistes ont un passé militaire. » Après la tentative avortée de coup d’État du 6 janvier 2021, l’état-major, qui dormait au gaz, a enfin pris certaines mesures de filtrage des recrues « mais ces réformes ont été plus facilement ordonnées qu’exécutées ». C’est encore plus laxiste pour les forces policières : « Pourtant, la plupart des services n’interdisent pas explicitement aux agents de rejoindre des groupes paramilitaires extrémistes, selon une étude réalisée en 2020 par le Brennan Center for Justice. »

La source de cet extrémisme se trouve dans les guerres de l’empire : « La fin des guerres et le retour des vétérans désabusés qu’elles peuvent engendrer ont souvent été suivis d’une montée de l’extrémisme. Le mouvement "white power" s’est développé après la fin de la guerre du Viêt Nam, les anciens combattants y jouant souvent un rôle de premier plan. L’activité antigouvernementale a grimpé dans les années 1990 après la première guerre d’Irak… ». On imagine les effets des guerres contre l’Irak et l’Afghanistan d’après 2000 qui à l’ordinaire barbarie militaire des guerres impériales a joint la frustration de la défaite.

On peut aussi douter de la fidélité de l’état-major à la démocratie parlementaire, conquête ouvrière et populaire habilement récupérée pour engoncer le prolétariat dans l’ornière électoraliste et commode pour arbitrer les conflits au sein de la bourgeoisie. Toutefois, cette démocratie purement représentative sans contrôle de l’électorat, n’a rien d’indispensable — elle est plutôt paralysante — pour faire face aux crises existentielles des bourgeoisies nationales, ce qui est encore plus vrai pour le capitalisme mondial en état de « polycrise » sur fond de la crise écologique précipitant la dérive vers la terre-étuve et la sixième grande extinction. Si les ÉU n’ont jamais connu de coups d’État, sa présidence au sommet d’une constitution à la démocratie biaisée (ex. le Sénat non-proportionnel, le Collège électoral) a toujours fait place à des généraux vainqueurs (Washington, Jackson, Grant, Eisenhower) dans un pays où sa présence est omniprésente tout comme sa culture des armes.

Le néolibéralisme « austoritaire » conduit le monde vers sa fascisation Le maccarthysme anticommuniste d’après la Deuxième guerre mondiale, étant donné la prospérité et l’hégémonisme mondial incontesté des ÉU, n’a jamais menacé la démocratie représentative étatsunienne alors que les économies non capitalistes se dotaient de dictatures prétendument communistes afin de pressuriser leurs populations pour les rattraper et s’en défendre. Aujourd’hui, la série de défaites militaires depuis la guerre du Viêt Nam et la montée en puissance de la Chine et du bloc des BRICS et consorts mettent en évidence un déclin de l’hégémonie américaine. La « multipolarité » en découlant se déploie dans le contexte de la polycrise et d’une onde longue dépressive depuis la crise économique de 2008.

Cette onde dépressive se signale par d’importants déficits tant fiscal que commercial des ÉU sur fond d’endettement public record alors que les ÉU connaissent pourtant une conjoncture de relatifs plein emploi et de basse inflation. Cette soi-disant bonne conjoncture, mise en évidence par les Démocrates durant la dernière campagne électorale, laisse par contre sur sa faim la masse populaire, sur laquelle les Républicains ont mis l’emphase, étant donné la polarisation des inégalités faisant en sorte que les très riches accaparent les fruits de la croissance. « Les sociétés capitalistes ont atteint leurs limites, climatiques, économiques – depuis la grande crise de 2007-2008, l’accumulation est très faible -, sociale, politique… La finance dominante privilégie la distribution de dividendes pour que les riches deviennent encore plus riches. »

Les ÉU, à la tête de ce néolibéralisme austoritaire au bout du rouleau maintiendront-ils leurs institutions démocratiques représentatives ? Les autres grandes puissances du monde (Chine, Russie, Inde) connaissent des dictatures se durcissant ou une démocratie illébérale fascisante… qui s’est cependant laissé surprendre aux dernières élections fédérales de l’Inde. Plusieurs moyennes puissances du Moyen-Orient vont dans le même sens (Iran, Turquie, Égypte, Arabie saoudite) avec, en Amérique latine, le Brésil qui branle dans le manche et une Argentine à la démocratie extrême-droitiste débridée qui pourrait inspirer Trump. Les grandes démocraties africaines (Nigeria, Afrique du Sud) et du sud-est asiatique (Indonésie qui vient d’élire un ex-général aux mains pleines de sang) s’enfoncent dans la putréfaction néolibérale. Quant aux quelques exceptions de centre-gauche, dont tout récemment le Sri Lanka, surfant sur des grandes mobilisations non abouties, elles prennent garde de ne pas remettre en question l’ordre néolibéral du monde.

L’armée étasunienne toute-puissante en constitue le « Deep State »

Contrairement à Hitler à qui il a fallu six ans pour reconstruire la puissance de l’armée allemande, tronquée par le traité de Versailles, au vu et au su de ses ennemis sans qu’ils ne bronchent, les Républicains trumpistes ont en mains de loin l’armée la plus puissante du monde sans compter l’appui de celles de ses alliés de l’OTAN. Cette armée, cependant, étirée sur tous les continents, a failli à la tâche dans les récentes guerres impériales au Moyen-Orient. Chez les Républicains, l’isolationnisme, absent chez les Démocrates, le dispute à l’affirmation de la puissance. Chez Trump, la tentation du « deal » transactionnel aux dépends de l’Ukraine et de Taïwan le dispute à la perte de crédibilité du gendarme mondial. La tentation d’appuyer l’allié stratégique sioniste pour étendre sa guerre génocidaire à l’Iran le dispute à donner la priorité à l’Asie du Pacifique.

Aux ÉU, le « Deep State » c’est l’armée même si ce n’est pas aussi évident que par exemple en Égypte et au Pakistan. La base de la conception marxiste de l’État bourgeois n’est-elle pas, en dernière analyse, un « groupe d’hommes armés » ? Aux ÉU, le financement gargantuesque de l’armée explique la déficience des services publics et du soutien au revenu tout comme, paradoxalement, la fierté populaire à son égard explique le chauvin patriotisme. On peut penser qu’en dernier ressort, en cas de l’aiguisement au paroxysme de la crise politique étatsunienne, l’état-major de l’armée, dont rien cependant ne garantit l’unité, serait l’arbitre de la situation par des tactiques et des formes respectant ou non la Constitution. On peut être assuré que, quelle que soit l’issue, la démocratie, bourgeoise ou pas, en prendra un coup.

Un soulèvement de masse animé par la décroissance matérielle solidaire

L’alternative à ce probable sombre scénario ne peut être qu’un soulèvement de masse comme le monde en a connu depuis 2011, y compris aux ÉU avec le mouvement Occupy, Black Lives Matter et aussi chez les femmes, en 2016, quand Trump a été élu une première fois. Pour être efficace, cependant, ce soulèvement doit être soutenu, ce pour quoi il lui faut un plan d’action ce qui suppose une organisation dotée d’une orientation politique enrichie d’un programme dont découle une stratégie. Sans cette alternative, une polycrise laissée à elle-même mène tout droit à une dictature fascisante. Parce qu’elle n’aura pas le choix, cette dictature imposera un capitalisme vert dans une société orwellienne. Cette société subventionnera à la planche et en vain la géo-ingénierie prétendant contrer les GES des hydrocarbures. C’est là la substantifique moelle de l’alliance de Trump avec Musk, le roi « tout-électrique » des milliardaires, l’autre côté de la médaille de ce capitalisme vert qui ne saurait renoncer à l’hégémonie du marché.

La décroissance matérielle solidaire, non seulement réconciliant l’humanité avec elle-même mais aussi avec la nature, que l’on peut qualifier d’écosocialisme, quoique l’expression commence à être un lieu commun galvaudé, souligne son côté anti-croissance intrinsèquement anticapitaliste. Cette décroissance matérielle solidaire basée sur une planification démocratique ne peut qu’être l’horizon, la lumière au bout du tunnel, de cette alternative seule capable de vaincre le fascisme assis sur un peuple-travailleur confus et apeuré nourrissant le vote de l’extrême- droite, la milice et la troupe.

Marc Bonhomme, 25 novembre 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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