Édition du 18 février 2025

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Québec

Le cas de l’école Bedford : Quand L’Aut’journal (prétendument progressiste ») verse dans l’islamophobie

On sait que la question de la laïcité de l’État divise la gauche. Il y a ceux qui appuient la Loi 21 et ceux qui la dénoncent.

De façon générale, les premiers s’arriment à une forme ou l’autre de nationalisme (identitaire ou non) qui côtoie une certaine acception du « féminisme » et les seconds se revendiquent d’un Québec plus ouvert à la diversité, plus inclusif, prêt à intégrer les différentes conceptions du vivre-ensemble afin de les orienter dans le sens d’un projet de société qui dépasse les clivages et qui vise une plus grande justice sociale.

L’Aut’journal appartient sans conteste au premier groupe. A été publié, dans son édition de novembre 2024, un article signé par nul autre que le Président du Mouvement Laïque Québécois (MLQ), Daniel Baril, intitulé : « L’école Bedford et les limites de la loi 21 (Interdire toute activité religieuse à l’école)  ».

On ne pourrait pas trouver de meilleur exemple d’un texte qui cumule à lui seul tous les travers de ce qu’il convient d’appeler, dans les circonstances : « Les “intégristes” de la laïcité ». À lire les propos de Daniel Baril, la religion n’est ni plus ni moins comparable à la « peste bubonique » dont il faudrait se débarrasser au plus vite tellement elle risque de contaminer tout le corps social, à commencer par nos écoles publiques, véritables pouponnières qui auraient la responsabilité de préserver nos enfants et adolescents, si purs, chastes et innocents qu’ils sont, de l’influence néfaste des convictions religieuses du corps enseignant, surtout lorsque celles-ci sont coiffées d’un foulard, signe sans équivoque d’une aliénation consentie de la part de celles qui l’arborent ostensiblement, à savoir les musulmanes voilées (pour ne pas les nommer…)

Quand on prend connaissance de propos qui affirment sans ambages que : «  Le port de signe religieux a un effet conflictuel manifeste entre les enfants d’une même communauté qui ne partagent pas le même mode de vie, les mêmes valeurs ou les mêmes convictions.  »1, on se croirait directement parachuter dans l’Hexagone à une Assemblée du RN de Marine Le Pen (ou pire, de Reconquête d’Éric Zemmour) où les orateurs n’ont cesse de nous faire part de l’évidence qu’il y a incompatibilité « naturelle » entre la culture occidentale (au sens où ils l’entendent, bien évidemment) et les « Autres » cultures, entendre celles issues de la tradition arabo-musulmane, pourtant tout aussi séculaires. C’est le « Choc des Civilisations », version québécoise...

Que ce soit l’épisode du mot en « N » à l’Université d’Ottawa, le concept « douteux » d’appropriation culturelle appliqué au théâtre de Robert Lepage ou le cas du prosélytisme religieux à l’École Bedford, tous ces déraillements, ces maladresses, ces exagérations biens « réels » sont du « petit lait » pour nos Don Quichotte de la laïcité. Ces dérapages (conséquences directes de la culture « woke » ou de l’idéologie « islamo-gauchiste » défendue par QS) sont, à leurs yeux, la preuve vivante que la loi 21 doit être renforcée parce qu’en vérité, un signe religieux laisse transparaître un état d’esprit « archaïque », pré-moderne, dont on doit à tous prix éviter le contact avec nos jeunes ouailles de l’école publique, non seulement pendant les heures de cours mais aussi en dehors du temps passé en classe ; autrement dit, presque tout le temps...

Il va sans dire que, pour des raisons qu’elles seules connaissent, plusieurs personnes au Québec ont la religion à travers la gorge. À tel point que, et cela est particulièrement odieux de leur part, elles vont jusqu’à prendre les enfants en otage en leur mettant dans la bouche des mots dont on peut douter qu’ils saisissent véritablement le sens. Et pour ajouter du sérieux à l’entreprise, tout en discréditant un peu plus les enseignantes qui veulent exercer leur liberté de conscience au travail, on fait peser sur le corps enseignant la lourde responsabilité d’être des « Représentants de l’État » (titre « pompeux » s’il en est un), comme si sa tâche n’était pas déjà assez ardue comme elle l’est à l’heure actuelle. Pour avoir moi-même enseigné dans le réseau « public » des Universités du Québec, je ne me souviens pas d’avoir dû prêter serment devant le fleurdelisé, la main sur le cœur, jurant d’être un digne ambassadeur de la République du Québec ! Les profs ne sont pas des diplomates expédiés dans les cours d’école pour promulguer les principes de la laïcité de l’État et prêcher la Bonne Nouvelle de la nécessaire conversion à la sécularisation généralisée de la société ; ils ont d’autres chats à fouetter…

Au fond, la « sacro-sainte » laïcité n’est qu’un prétexte pour imposer un conformisme vestimentaire, comportemental, idéologique et politique. Elle s’inscrit dans l’argumentaire identitaire de la droite populiste, apeurée par les changements « culturels » inévitables qui accompagnent les mouvements de population à l’ère de la globalisation des marchés, des échanges commerciaux à l’échelle internationale, de la mondialisation, qu’elle soit « capitaliste » ou « humaniste ». En durcissant ainsi les critères d’admissibilité et les conditions d’adaptation des nouveaux arrivants au groupe majoritaire, le Québec se prive de précieux apports venus de l’étranger, d’autant plus que le Christianisme, le Judaïsme et l’Islam ont beaucoup de choses en commun, ayant déjà cohabité à partir d’une tolérance mutuelle sans qu’il soit nécessaire à quiconque de renier ses propres convictions.
Le « conflit » est générateur de créativité, d’innovation, de « progrès ». Il est la condition de possibilité à la constitution d’une société qui « tolère » la diversité ethnoculturelle, qui appréhende les différences de culture à l’aune d’une contribution bienfaisante pour le groupe majoritaire et non comme une menace de désintégration, de dislocation, un empêchement pour l’affirmation « identitaire » de ce dernier, ce qui ne signifie pas qu’il faille passer sous silence les difficultés « réelles » et inhérentes à cette cohabitation. Le destin du Québec ne doit pas s’inscrire dans le sens d’un repli sur nos soi-disant « valeurs » mais dans celui d’une ouverture à l’Autre pour des raisons à la fois morales, humanitaires, politiques et économiques…

Mario Charland
Shawinigan

Note
1.L’Aut’journal, novembre 2024, n° 431, p.6.

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