Édition du 17 décembre 2024

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Le Monde

Les Etats-Unis de Donald Trump : quels possibles contours sur le plan international ?

Le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ne peut rivaliser avec le choc de son accession en 2016. Toutefois, il oblige à opérer un véritable changement de perspective historique. En 2020, la victoire de Joe Biden a été considérée par les adversaires nationaux et internationaux de Trump comme une libération d’une crise de démence. Or, en 2024, c’est le mandat unique de Biden qui ressemble à une interruption de l’ère Trump provoquée par le Covid. En matière de politique étrangère, Trump a toujours suscité la confusion. Fut-il, lors de son premier mandat, une menace pour l’ordre mondial dirigé par les Etats-Unis ou une sorte de révélateur du véritable visage de cet ordre mondial ? Et qu’aurait fait exactement Trump si ses toquades n’avaient pas été si souvent contrecarrées par la bureaucratie de la sécurité nationale [politique de la défense nationale et des relations extérieures] et par sa propre incompétence ?

3 décembre 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/les-etats-unis-de-donald-trump-quels-possibles-contours-sur-le-plan-international.html

Ecrire sur Trump, c’est souvent sombrer dans la psychopathologie, ce qui est très bien dans la mesure où cela va de soi. Trump à Mar-a-Lago serait peut-être plus facile à supporter s’il ressemblait davantage à Tibère à Capri [allusion à l’empereur romain lors de son séjour de perverti à Capri au début de notre ère]. Mais loin d’être un libertin débauché, Trump est un abstinent forcené qui ne s’intéresse à rien d’autre qu’au pouvoir et à la célébrité. Cette prédilection pour le pouvoir conduit à évoquer le fascisme et l’Europe des années 1930, ou un despotisme oriental transposé. Il a toujours été facile d’essayer de voir Trump comme faisant partie d’un ensemble international de dirigeants autocratiques (Modi, Erdogan, Orbán, Duterte), chacun d’entre eux étant, en fait, davantage défini par des conditions nationales spécifiques que par une quelconque tendance générale.

En réalité, Trump est une figure extrême de l’Americana [ce qui a trait à l’histoire, la géographie, le folklore et la culture des Etats-Unis]. Il fait appel à une forme typiquement états-unienne de nationalisme mercantile assorti d’une certaine dose d’escroquerie. Ses contemporains analogues les plus proches – et ils ne sont pas si proches – se trouvent au Brésil et en Argentine. Mais il a toujours eu plus en commun avec ses adversaires états-uniens qu’ils ne veulent bien l’admettre.

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Que signifiera un second mandat de Trump pour le monde au-delà des Etats-Unis ? Il est difficile de faire des prévisions étant donné la nature fantasque de Trump et les récentes transformations du système politique des Etats-Unis. Ni les Républicains ni les Démocrates ne sont vraiment des partis politiques au sens du XXe siècle : ils ressemblent davantage à des regroupements mouvants d’entrepreneurs performants. La monnaie de la cour de Mar-a-Lago – avec ses comparses, ses sbires, ses acolytes, ses clans et ses lumpen milliardaires –, c’est la loyauté. La future directrice de cabinet de Trump, Susie Wiles, qui a dirigé sa campagne électorale et qui est à la tête de la faction de la « mafia de Floride » [comme la qualifie aussi The Economist du 26 octobre 2024], aura son mot à dire sur les personnes qui obtiendront l’oreille de Trump. Mais la pensée de ce dernier est une concoction instable. Trump est un guerrier passionné du deal qui se laisse parfois aller à une rhétorique anti-guerre. Son discours anti-empire peut être aussi peu sincère que la « politique étrangère pour la classe moyenne » de Jake Sullivan [telle que présentée en février 2021], le conseiller installé par Biden en matière de sécurité nationale. Tous deux font un clin d’œil à des sentiments qu’ils ne peuvent pas assumer. Après tout, une position anti-guerre impliquerait moins de pouvoir, ou moins d’utilisation du pouvoir. Or, s’il est favorable à quelque chose, Trump l’est pour le maximum de pouvoir.

Comme Biden avant lui, Trump donne le ton à la cour plus qu’il ne gère les affaires pratiques du gouvernement. Dans ces conditions, les nominations au sein du cabinet prennent une importance accrue. Certaines de ses nominations sont assez conventionnelles. Son choix pour le poste de conseiller à la sécurité nationale, Mike Waltz, est un soldat de Floride qui n’aurait pas été dépaysé dans l’équipe de George W. Bush [2001-2009]. Mike Waltz a passé une grande partie de ces dernières années à s’insurger contre le retrait des forces américaines d’Afghanistan [décidé par Trump en février 2020 avec un délai de 14 mois et mis en œuvre par Biden], qui, selon lui, allait conduire à un « Al-Qaida 3.0 ». En ce qui concerne la Russie et la guerre en Ukraine, il s’est insurgé non pas contre le coût financier pour les Etats-Unis, mais contre la stratégie « trop peu, trop tard » de Biden.

Pour le poste de secrétaire d’Etat, Trump a nommé Marco Rubio [sénateur de Floride depuis 2011], un autre membre de la faction néoconservatrice orthodoxe qui a un jour coécrit un article avec John McCain [sénateur de 1987 à 2018 de l’Arizona, qui a succédé à Barry Goldwater] dans le Wall Street Journal, affirmant que le renversement de Kadhafi conduirait à « une Libye démocratique et pro-américaine ». Marco Rubio [d’une famille d’immigrés cubains] est obsédé par des projets visant à déstabiliser Cuba, le Venezuela et l’Iran. En 2022 encore, il critiquait les louanges « malheureuses » de Trump à l’égard des services de renseignement de Poutine. Un dossier interne de sélection des Républicains (très certainement obtenu et divulgué par des pirates iraniens) note que « Rubio semble s’être généralement présenté comme un néoconservateur et un interventionniste ».

Si Trump a nommé à des postes importants des membres de second rang de l’establishment, c’est en partie parce que beaucoup de professionnels les plus compétents avaient migré vers les démocrates. Kamala Harris a été soutenue par la plupart des membres de l’équipe de sécurité nationale de George W. Bush, notamment Michael Hayden [militaire, directeur de la CIA de 2006 à 2009, directeur de la National Security Agency-NSA de 1999 à 2005], James Clapper [directeur du renseignement national de 2010 à 2017], Robert Blackwill [diplomate, membre du think tank important Council of Foreign Relations] et Richard Haass [assistant de George H. Bush et président du Council of Foreign Relations de 2003 à 2023] – un véritable « who’s who » de l’establishment de la politique étrangère.

Cela a conduit les républicains à faire un peu de ménage dans leurs rangs. Pour le poste de directeur de la CIA, Trump a choisi John Ratcliffe [élu de l’Illinois 2015-2020], son dernier directeur du renseignement national [de mai 2020 à janvier 2021] au cours de son premier mandat. Il a été sélectionné pour sa loyauté politique plutôt que pour toute autre qualité. Pete Hegseth offre la perspective d’un secrétaire à la Défense qui croit que les guerres d’Israël sont un accomplissement de la prophétie biblique et que les soldats états-uniens ne devraient pas être punis pour avoir commis des « soi-disant crimes de guerre ». Hegseth est un représentant du contingent de Fox News qui a la bouche écumante. Il nous rappelle également que nombre de ces personnes ont peu de chances de durer, si tant est qu’elles parviennent à être confirmées dans leurs fonctions [par le Sénat]. Le choix de Tulsi Gabbard [membre de la Chambre des représentants de 2013 à 2021] comme directrice du renseignement national irrite les commentateurs centristes et les politiciens européens en raison de ses opinions trop peu critiques à l’égard de la Russie de Poutine. Elle est également un prétexte pour que des démocrates prétendent que le retour de Trump est le résultat d’une ruse russe plutôt qu’un événement pour lequel l’establishment démocrate pourrait avoir une part de responsabilité. Dans l’ensemble, les nominations de Trump ne démontrent aucune désapprobation de l’establishment de la sécurité nationale. La logique des choix semble suivre une loyauté de tribu plus qu’autre chose.

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Les républicains MAGA (Make America Great Again) aiment à se considérer comme différents des traditionnels fonctionnaires de Washington chargés de la sécurité nationale. Mais le sont-ils ? En juillet, Eliot Cohen, passionné de la guerre en Irak et cofondateur du Project for the New American Century [think tank néoconservateur créé entre autres par Dick Cheney, Robert Kagan, David Kristol, etc.], a décrit le programme politique de Trump comme étant « du réchauffé, et du réchauffé pas spécialement inquiétant d’ailleurs ». Selon Robert O’Brien, ancien conseiller de Trump en matière de sécurité nationale [de septembre 2019 à janvier 2021], il n’y a jamais eu de doctrine Trump, puisque ce dernier adhère « à ses propres instincts et aux principes états-uniens traditionnels qui sont plus profonds que les orthodoxies mondialistes de ces dernières décennies ». S’il y a eu un thème unificateur, Robert O’Brien insiste sur le fait qu’il a pris la forme d’une « réaction aux carences de l’internationalisme néolibéral ». Robert O’Brien, qui n’a pas reçu d’offre d’emploi dans la nouvelle administration, est à l’origine de la description de la philosophie de Trump comme étant « la paix par la force ». Il aime à dire que cette expression provient d’une citation un peu plus longue, qu’il attribue à tort à l’empereur Hadrien : « la paix par la force – ou, à défaut, la paix par la menace ». Cette phrase est en fait tirée d’un commentaire d’un historien moderne. Et comme beaucoup de choses chez Trump, « la paix par la force » est un héritage d’un ancien président des Etats-Unis : Ronald Reagan [janvier 1981-janvier 1989].

La politique étrangère de Trump présente des caractéristiques particulières, mais ce ne sont pas des aberrations. Les républicains MAGA sont prêts à peser de tout leur poids sur l’Amérique latine. Comme les démocrates, les alliés de Trump pensent que les Etats-Unis sont au cœur d’une deuxième guerre froide avec la Chine. La principale exception à la continuité entre Trump et Biden pourrait être l’Ukraine. Certaines personnalités proches de Trump, mais pas toutes, ont critiqué le soutien des Etats-Unis à l’Ukraine, principalement en raison de son coût élevé. La question de savoir si Trump mettra fin à ce soutien est probablement la plus importante sur le plan stratégique. Sous Joe Biden et Jake Sullivan, les Etats-Unis ont traité la guerre en Ukraine comme une possibilité d’affaiblir la Russie, et se sont peu souciés du fait que le prix pour cela soit payé en morts ukrainiens. Trump a affirmé qu’il mettrait fin à la guerre « avant même d’arriver dans le bureau ovale ». Mais la forme qu’il envisage pour cet objectif, si tant est qu’il l’ait imaginée, n’est pas claire. Il est probable qu’il aborde l’OTAN de la même manière qu’en 2018, avec de l’esbroufe et des menaces, mais sans conclusion. Les menaces risquent d’être un outil diplomatique très utilisé, quelle que soit leur efficacité.

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En ce qui concerne le Moyen-Orient, un membre de l’équipe de transition a déclaré que Trump était « déterminé à rétablir une stratégie de pression maximale pour mettre l’Iran en faillite dès que possible », même s’il convient de préciser que Biden n’a jamais tenté d’améliorer les relations avec l’Iran. Trump, comme Biden, est partisan d’Israël en tant qu’atout ou même expression de la puissance des Etats-Unis dans le monde. Les atrocités de la terre brûlée à Gaza sont le meilleur témoignage des conséquences horribles du consensus politique américain sur Israël. Pour une grande partie du monde, la destruction de Gaza sera le souvenir le plus marquant de la présidence de Joe Biden. Mais sous Trump, cela n’aurait pas été différent. Le problème, lorsqu’on présente Trump comme le signe avant-coureur de la fin d’un ordre international « éclairé », c’est qu’il pousse à se s’interroger sur ce qu’est réellement cet ordre. Au Liban, on dénombre 3500 morts [1], qui s’ajoutent aux dizaines de milliers de morts à Gaza. Les Etats-Unis ont soutenu Israël, qui avait sommé les forces de maintien de la paix de l’ONU (FINUL) de quitter le Liban et avait même attaqué leurs bases. Après l’élection présidentielle, le ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer [Likoud, ex-ambassadeur aux Etats-Unis de 2013 à 2021], a rendu visite à Antony Blinken, secrétaire d’Etat de Biden, à Washington, et à Trump à Mar-a-Lago afin de discuter des opérations israéliennes au Liban. Le 15 novembre, le président du parlement libanais, Nabih Berry, a confirmé que des responsables à Beyrouth étudiaient un dit plan de cessez-le-feu proposé par les Etats-Unis. Le même jour, une frappe aérienne israélienne sur Tayouné, dans la banlieue sud de Beyrouth, a détruit un immeuble résidentiel de 11 étages. Au Liban, comme à Gaza, les Etats-Unis se sont posés en médiateurs distants tout en soutenant en pratique une agression brutale.

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Les héritiers néoconservateurs de Reagan, qui dirigent de nombreuses d’institutions, critiquent parfois la politique étrangère de Trump, non pas parce qu’il s’agit d’un désengagement du monde, mais parce qu’il s’agit d’un abandon de l’idéologie justificatrice de la puissance états-unienne. Lorsque vous renoncez à la profession trompeuse du respect des normes, des règles et de l’ordre international, vous renoncez également au jeu lui-même. La question de savoir si les Etats-Unis se sont jamais réellement soumis à des règles, quelles qu’elles soient, est abordée au mieux comme une question académique. La réalité à Gaza et au Liban est plus facilement ignorée que défendue. A cet égard, Trump est attaqué pour avoir rétabli la norme historique des Etats-Unis. Comme le dit Hal Brands – Henry Kissinger Distinguished Professor of Global Affairs à l’université Johns Hopkins [et intervenant à l’American Enterprise Institute] : sous Trump les Etats-Unis agissent « de la même manière étroitement intéressée et fréquemment exploiteuse que de nombreuses grandes puissances tout au long de l’histoire ». Trump n’est pas un isolationniste, pour autant que ce terme ait un sens utile, et ne propose pas de se retirer comme puissance mondiale. Au contraire, écrit Hal Brands, sur certaines questions, son administration « pourrait être plus agressive qu’auparavant ».

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Plus que tout autre homme politique états-unien, Trump a été associé au recentrage de l’attention impériale états-unienne en direction de la Chine. Mais dire que sa deuxième administration sera pleine de faucons visant la Chine ne rend pas compte de l’ampleur de la transformation qui s’est opérée à Washington depuis 2016. En ce qui concerne la Chine, l’administration Biden a repris tous les éléments du discours de Trump et en a ajouté quelques-uns. En juin 2024, le Council on Foreign Relations a organisé sa China Strategy Initiative pour discuter de l’avenir des relations entre les Etats-Unis et la Chine. La plupart des responsables de la politique étrangère qui s’intéressent à la Chine étaient présents. Dans son allocution d’ouverture, Kurt Campbell, haut responsable de la politique en direction de la Chine dans les administrations Obama et Biden, a souligné que « les caractéristiques essentielles de la stratégie états-unienne dans l’Indo-Pacifique font l’objet d’un accord largement bipartisan ». La preuve de l’efficacité de cette stratégie, a-t-il ajouté, est que la Chine et la Russie « considèrent nos partenariats transcontinentaux avec une inquiétude croissante ». Il est probable que Trump aborde la Chine de la même manière que Jake Sullivan, mais plus encore, de la mauvaise manière, mais plus rapidement.

S’il y a une question de politique étrangère sur laquelle Trump a été cohérent, c’est bien celle des droits de douane face aux exportations de la Chine et du protectionnisme en général. Cela fait très longtemps qu’il fait des déclarations, mal fondées, sur le déficit commercial des Etats-Unis. Son projet prévoit des droits de douane de 60% sur les importations chinoises et de 10 à 20% sur toutes les autres [y compris 25% pour le Mexique et le Canada, membres de l’Alena, au lieu de zéro sur la plupart des importations]. Les Etats-Unis sont une économie à dimension continentale et sont beaucoup moins orientés vers le commerce international que des pays comme le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la Chine. Ils peuvent envisager des mesures drastiques que d’autres ne peuvent pas prendre. Mais les droits de douane imposés à un seul Etat sont souvent difficiles à appliquer, car les chaînes d’approvisionnement transnationales peuvent être modifiées pour les contourner. Des économistes compétents et agressifs tels que Robert Blackwill, qui a servi sous George W. Bush et rédigé une étude importante sur la « géoéconomie », ont pour la plupart soutenu Kamala Harris et ne sont pas actuellement disponibles pour aider Trump. Peut-être que certains reviendront du froid lorsque les courtisans loyalistes auront inévitablement tout gâché. Robert Lighthizer, le représentant américain au commerce pendant le premier mandat de Trump, pourrait bien reprendre son rôle [le Financial Times annonçait le 8 novembre qu’il avait été approché par Trump].

Le projet de tarifs douaniers à hauteur de 60% est la dernière manifestation d’une stratégie états-unienne plus générale à l’égard de la Chine que les démocrates ont qualifiée de puissance concurrente du XXIe siècle. En Chine, on considère qu’il s’agit d’un endiguement (containment). Les idéologues de l’orbite de Trump sont généralement plus combatifs sur cette question que ceux qui sont plus proches des démocrates. Pourtant, dans l’esprit du consensus bipartisan de Kurt Campbell [en charge pour l’Asie de l’Est et le Pacifique sous Obama de juin 2009 à février 2013, une fonction prolongée sous Biden], ils ne sont pas fondamentalement en désaccord. Trump n’a pas encore choisi son équipe chinoise, mais son intention d’étendre la guerre froide économique est dangereuse. Robert O’Brien estime qu’un second mandat de Trump entraînera davantage de mesures de containment, y compris « une attention présidentielle accrue aux dissidents et aux forces politiques susceptibles de défier les adversaires des Etats-Unis ». Cela n’augurerait rien de bon pour l’avenir des relations sino-américaines, qui sont déjà médiocres. Au cours des années Biden, selon le rapport annuel du renseignement national sur l’évaluation des menaces, la Chine a commencé à réorienter son dispositif nucléaire vers une compétition stratégique avec les Etats-Unis, en partie parce qu’elle s’inquiétait de l’augmentation de la « probabilité d’une première frappe états-unienne ». La Chine ne possède pas encore de forces nucléaires capables d’égaler celles des Etats-Unis, mais cette situation pourrait ne pas durer. La gestion de ce problème est rendue encore plus délicate par le caractère instable de Trump.

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En Europe, le retour de Trump a été accueilli avec le même sentiment de panique perplexe que sa victoire en 2016. Le 6 novembre, Le Monde titrait « La fin d’un monde américain ». La Frankfurter Allgemeine Zeitung a titré « Trumps Rache », soit « La revanche de Trump ». Les rumeurs d’un plan pour la guerre en Ukraine qui impliquerait de geler la ligne de front en échange de l’abandon par l’Ukraine de son adhésion à l’OTAN pour au moins vingt ans – édulcoré par une garantie compensatoire que les armes états-uniennes continueraient d’affluer – ne sont pas bien accueillies. Pourtant, personne ne croit que Trump démantèlera réellement la position militaire états-unienne en Europe. Elle a récemment été renforcée par une nouvelle base de défense antimissile en Pologne dont le personnel est composé de membres de la Marine des Etats-Unis. Il ne fait aucun doute que la Commission européenne s’efforce de trouver des moyens de protéger les économies européennes des répercussions des droits de douane voulus par Trump. Mais la réaction pavlovienne a été de profiter de l’occasion pour plaider en faveur d’une augmentation des dépenses militaires, ce qui ne contribue guère à l’investissement productif dont l’Union européenne a besoin.

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Un second mandat de Trump est clairement une catastrophe pour le peu d’efforts internationaux existants afin de coordonner la lutte contre le changement climatique. Sous Biden, les Etats-Unis ont pris la diplomatie climatique presque au sérieux. Dans la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act, août 2022), les Etats-Unis ont adopté une législation sur le climat qui allait au-delà de celle de tous les gouvernements précédents. Il est facile d’exagérer ces réalisations, qui sont tellement insuffisantes qu’elles relèvent de la négligence. Mais la position de Trump – « drill, baby, drill » – est certainement différente. Il y a fort à parier qu’il publiera une série de décrets démantelant les mesures limitées de transition énergétique actuellement en place aux Etats-Unis. En mai 2024, Wood Mackenzie, l’une des principales sociétés de recherche et de conseil du secteur de l’énergie, a publié un document indiquant que sa réélection « éloignerait encore davantage les Etats-Unis d’une trajectoire d’émissions nettes zéro ». L’équipe états-unienne à la COP29 (le deuxième sommet climatique successif organisé dans un grand Etat d’hydrocarbures – l’Azerbaïdjan) est apparue découragée.

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En Grande-Bretagne, on pourrait s’attendre à ce que le retour imminent de Trump provoque une remise en question de la portée des liens entre le pays et les Etats-Unis. Les tarifs douaniers sont évidemment préjudiciables aux intérêts commerciaux britanniques. Le 11 novembre, le président de la Commission des affaires et du commerce de la Chambre des communes, Liam Byrne (Labour), les a qualifiés de « scénario catastrophe ». La solution proposée par Liam Byrne était que la Grande-Bretagne négocie avec Trump une exemption des droits de douane en proposant de se rapprocher encore plus de la position états-unienne sur la Chine. Une réaction plus intéressante est venue de Martin Wolf dans le Financial Times. Il est d’accord avec Byrne pour dire que le gouvernement britannique devrait essayer de « persuader la nouvelle administration qu’en tant qu’allié proche et pays avec un déficit commercial structurel il devrait en être exempté ». L’offre proposée par Martin Wolf à Trump est une nouvelle augmentation des dépenses militaires. Cela pourrait ne pas fonctionner, mais « Trump apprécierait sûrement cette attitude soumise ».

Martin Wolf reconnaît que le retour de Trump implique des problèmes plus graves pour la Grande-Bretagne. Depuis la Seconde Guerre mondiale, affirme-t-il, le Royaume-Uni a cru que « les Etats-Unis resteraient le grand défenseur de la démocratie libérale et du multilatéralisme coopératif. Aujourd’hui, tout cela est plus qu’incertain. » Où était ce pilier de la démocratie au cours de la folie meurtrière internationale ininterrompue qui constitue le bilan des Etats-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale ? Si les millions de morts au Vietnam, en Corée et en Irak n’ont pas remis en question l’alignement stratégique de la Grande-Bretagne sur les Etats-Unis, pourquoi la seconde élection de Donald Trump le ferait-elle ? Gaza est-elle la preuve du multilatéralisme coopératif que Martin Wolf a à l’esprit ? En fin de compte, cela n’a pas d’importance, car pour lui, « il n’y a pas de substitut à cette alliance de sécurité avec les Etats-Unis ». Aujourd’hui encore, même après Gaza, la réalité d’un monde façonné par la puissance états-unienne, souvent démocrate, se heurte à un tel déni. Le gouvernement britannique a refusé de mettre fin à l’utilisation des bases britanniques à Chypre pour soutenir les attaques israéliennes contre Gaza, ou de mettre fin à la vente de pièces détachées de F-35 à Israël. Selon le secrétaire à la Défense, John Healey, cela « saperait la confiance des Etats-Unis dans le Royaume-Uni ».

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Le style potentat de Trump modifiera l’ambiance des sommets du G7 et du G20, où la façade de coopération respectueuse a survécu à la destruction de l’enclave de Gaza. La réaction à sa victoire rappelle la raison pour laquelle les diables et les démons étaient nommés d’après des divinités étrangères dans l’Antiquité : votre diable est le dieu de votre voisin. Trump est un démon commode. Mais sa victoire n’amènera pas beaucoup de pays à reconsidérer leurs relations avec les Etats-Unis. Les différences tactiques mises à part, les centres traditionnels des préoccupations états-uniennes resteront l’Europe de l’Est, l’Asie de l’Est et le Moyen-Orient. Le thème sous-jacent de la politique étrangère des Etats-Unis reste le consensus des dites élites. Dans son utilisation des mécanismes de l’empire états-unien et de l’idéologie de sa primauté perpétuelle, Trump partage beaucoup avec ses prédécesseurs. Puissance maximale, pression maximale – sans illusions rassurantes. (Article publié dans la London Review of Books, vol. 46, n° 23, décembre 2024 ; traduction rédaction A l’Encontre)

Par Tom Stevenson est membre de la rédaction de la London Review of Books et auteur de Someone Else’s Empire : British Illusions and American Hegemony, Verso Books, 2023.


[1] Un cessez-le-feu instable – déjà marqué par des bombardements israéliens – d’une durée de 60 jours est en cours depuis le 28 novembre. Déjà, selon L’Orient-Le Jour du 29 novembre, « des bombardements israéliens avaient ciblé les localités de Markaba, Taloussé et de Bani Hayan, dans le caza (district) de Marjeyoun, tandis que des bulldozers de l’armée israélienne ont pénétré dans d’autres villages frontaliers, également ciblés par des tirs d’artillerie israéliens ». Le 3 décembre, L’Orient-Le Jour titre : « Israël menace de ne plus “faire de différence entre le Hezbollah et l’Etat libanais” si la guerre reprend », ce qui traduit le projet politico-militaire israélien pour ce qui est de la « reconfiguration » du Liban. (Réd. A l’Encontre)

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