Tiré de aplutsoc
19 novembre 2024
Par VP
Cette ligne, exprimée d’ailleurs avec plus de clarté par celui qui est devenu l’un de ses hommes quand il était candidat à l’investiture républicaine, Ramaswamy, est la suivante : isoler la Chine en se réconciliant avec la Russie, en lui sacrifiant l’Ukraine ; en renforçant l’axe États-Unis/Inde ; affaiblir les puissances européennes par rapport à la Russie et aux États-Unis (ce qui implique maintien mais refonte de l’OTAN).
A quoi s’ajoute une compulsion particulière qui, elle, n’est pas coordonnée avec Poutine, mais que celui-ci laisse faire : une alliance forcenée (et non gênée et traînarde comme c’était le cas pour Biden) avec l’extrême-droite sioniste israélienne, pouvant aller jusqu’à sacrifier tout ce qui reste des gages donnés à l’Iran sous Obama pour son rôle contre-révolutionnaire régional. L’Iran étant par ailleurs un allié clef et un fournisseur d’armes de la Russie, mais Netanyahou étant lui aussi relié à Poutine, ce dernier, sans pouvoir tirer toutes les ficelles pour autant, joue sur les deux tableaux avec les contradictions que cela entraîne.
L’élection de Trump entraîne une embardée radicale des États-Unis vers cette politique internationale là, qui était déjà présente et sous-jacente comme une option fondamentale pour l’impérialisme nord-américain dans la multipolarité impérialiste présente.
Fait caractéristique et décisif, cette embardée se produit immédiatement et n’attend pas le 20 janvier 2025. Les autres puissances tiennent Trump pour le président, la marge de manœuvre de Biden étant réduite. Ce constat est également important d’un point de vue interne aux États-Unis : les démonstrations trumpistes de politique extérieure préparent les attaques intérieures dont il a été question dans la première partie de cet article.
Ukraine.
Les commentateurs divers glosent là aussi à l’infini sur les développements possibles, alors qu’en fait tout le monde sait très bien le minima que Trump a promis à Poutine : désarmer l’Ukraine de façon à la contraindre à accepter, au moins dans un « provisoire » visant à être définitif, l’annexion de la Crimée, et l’occupation du Donbass.
Les exigences immédiates de Poutine sont connues : j’avais signalé en juillet dernier la fuite du quotidien K’yiv Independant sur le plan transmis par le ministre russe Kolokovstev à New York les 26-27 juin : échange de la totalité du Donbass contre le Sud entre mer et Dnipro (on a donc là une zone de fluctuation pour négociation, ainsi que pour la petite zone occupée en Russie au Sud de Koursk) sous condition de démilitarisation et d’interdiction faite à l’Ukraine de vouloir entrer dans l’OTAN – elle pourrait par contre entrer dans l’UE, les pays de l’UE étant même sommés de fournir des forces d’interposition pour la « zone tampon » entre Ukraine et territoires occupés.
Nul doute que Trump va faire en sorte d’imposer cela à l’Ukraine. Dans cette situation, Zelenski manœuvre en combinant des offres de vente – matières premières offertes aux États-Unis, lithium, etc., et la valorisation du savoir faire et du début rapide de production militaire ukrainiens, et même menace de réactiver un programme nucléaire qui, de toute façon, demanderait des années. Les réformes néolibérales, la casse des services publics et la corruption lassent la population qui, pour autant, rejette la pérennisation à l’infini de l’occupation et de la russification d’une partie du pays.
Voila donc la paix de Trump, qu’il entend offrir à Poutine « en une journée », n’est-ce pas. Problème : ceci ne satisfait pas du tout la Russie, et c’est logique. Expliquons cela.
Le 11 novembre, Nicolai Patrushev, n°2 officieux du régime russe, expliquait ceci en démarrant une interview au journal Kommersant :
« Pour gagner les élections, Donald Trump s’est appuyé sur certaines forces envers lesquelles il a des obligations. Et comme personne responsable, il sera obligé de les tenir.
Au cours de la campagne, il a fait de nombreuses déclarations pour gagner les électeurs, qui ont voté au final contre les politiques étrangères et intérieures destructrices de l’actuelle administration présidentielle américaine. Mais la campagne est finie et, en janvier 2025, il sera temps pour le président élu de se mettre au travail. On sait qu’aux États-Unis les promesses électorales peuvent souvent s’écarter des actes qui s’ensuivent. »
Si vous n’avez pas compris, traduction : Trump est redevable aux forces qui l’ont aidé et maintenant, il va falloir qu’il renvoie la balle, et il a intérêt. Langage de parrain mafieux à peine dissimulé.
Douguine, idéologue clef du régime russe, a de son côté écrit le 11 novembre un texte largement traduit depuis par la fachosphère « eurasienne » :
« L’état actuel de l’Ukraine est incompatible avec l’existence même de la Russie. Et si cette question est gelée une fois de plus, même si nous incluons tous nos nouveaux territoires dans des frontières administratives, cela ne résoudra rien.
(…) Il est regrettable d’entamer un dialogue avec la nouvelle administration américaine, généralement opposée au mondialisme et aux valeurs anti-traditionnelles, sur une note aussi dure. Mais il s’agit là d’un autre piège tendu par les mondialistes. Peut-être que Trump ne le comprend pas. Et nous, tout en manœuvrant diplomatiquement, nous hésitons à appeler les choses par leur nom. Il vaut mieux être direct avec Trump. L’Ukraine est à nous (toute l’Ukraine), et cela ne se discute pas.
(…) Encore une fois, il n’y a pas d’extrémisme ici – juste les lois froides de la géopolitique, clairement décrites des deux côtés : par nous et par Brzezinski. Le détachement de l’Ukraine de la Russie a été et reste un impératif de toute l’école atlantiste (…). Pour l’école eurasienne, l’axiome inverse est vrai : soit l’Ukraine sera russe, soit il n’y aura ni Ukraine, ni Russie, ni personne d’autre. »
Les « lois froides de la géopolitiques » sont les calembredaines pédantes de rigueur ici. Mais ce qu’écrit Douguine est vrai : un empire russe, tsariste, stalinien ou poutinien, ne peut tolérer qu’existe une Ukraine, c’est pour lui existentiel. Inversement, l’existence d’une Ukraine libre, souveraine et indépendante, est la condition d’existence d’une nation russe démocratique. L’impérialisme capitaliste russe a pour axe l’expansion militaire en Ukraine, non pour conquérir, de son point de vue, un pays extérieur, mais pour se constituer enfin en empire russe reconstitué – et, sur cette base, envahir ou vassaliser l’« extérieur » centre-européen et centre-asiatique.
Donc, au-delà de la première étape, celle de la garantie de maintien des troupes russes dans les territoires qu’elles ont envahis, n’est du point de vue impérialiste russe que la base pour anéantir tout de suite, ou vassaliser à nouveau puis anéantir, l’Ukraine, et pousser l’avantage vers la Baltique, les Balkans et le Caucase.
Donc, la « paix en un jour » de Trump est le plus court chemin vers la poursuite des guerres. La seule voie de la paix est celle de la défaite de l’État russe et de la chute de Poutine. Certes, ceci est plus dur aujourd’hui, fin 2024, que cela avait pu le sembler à certains moments en 2022 ou 2023. Mais le peuple ukrainien étant menacé dans sa vie, collective et celle de chacune et chacun des individus qui le forment, résistera.
Europe.
L’avènement de Trump soulève immédiatement en Europe la perspective de l’abandon américain et d’une crise de l’OTAN que Trump tentera d’aligner contre les intérêts des vieux impérialismes européens.
En France, Macron a tenté d’exister un peu à nouveau en tentant de porter au niveau européen la ligne supposée de genèse d’une défense européenne, dans laquelle la dissuasion nucléaire française aurait une place centrale. Sa position intérieure est très affaiblie et la crise de régime française ne peut qu’être accrue par la crise diplomatique globale qui s’amorce. La déclaration d’amour à Elon Muskd’un Kasbarian est un signe avant-coureur de ce qui s’annonce.
Mais de façon immédiate, la plus grande combinaison entre crise intérieure et crise des relations internationales se produit en Allemagne. En même temps que l’élection américaine, la coalition entre le SPD et les Grünen, d’une part, les libéraux du FDP, d’autre part, éclatait avec la démission du ministre libéral des Finances, Christian Lindner. La crise couvait et, comme en France, tournait autour du budget : c’est une tentative de forcing de C. Lindner pour faire passer sa ligne dans le gouvernement au motif de l’annonce de la victoire de Trump qui l’a précipitée.
Le conflit budgétaire prend racine dans la contrainte faite par le Tribunal constitutionnel fédéral, gardien de l’ordolibéralisme, fin 2023, de ne pas affecter une partie de la dette « publique » de la période Covid à la lutte contre la crise climatique. Le ministre Vert de l’Économie et du Climat tentait, depuis octobre 2024, de relâcher l’endettement public pour « aider les entreprises ». Lindner voulait l’interdire, « baisser les impôts » et pour finir, amputer les dépenses dites climatiques.
Ce conflit interne au pouvoir s’est élargi en crise existentielle sur la place de l’Allemagne en Europe, les 5-7 novembre dernier. Les États-Unis s’apprêtent à retirer le tapis et le parapluie. L’Allemagne doit-elle s’engager dans un réarmement avec défense européenne en alliance conflictuelle avec la France ? Ou repartir dans un partenariat structurel avec la Russie ? Donc partager avec elle l’influence en Europe centrale et orientale.
Olaf Scholz a basculé dans ce sens à en téléphonant à Poutine. Peu importe ce qu’ils se sont dit : il a ainsi, volontairement, créé un précédent mettant fin à l’absence de discussion bilatérales officielles des grands États européens avec la Russie.
La « réponse » russe a été le bombardement massif des infrastructures ukrainiennes dans la nuit du 16 au 17 novembre, le pire depuis le début de la guerre. Les pays baltes et la Pologne frémissent sur ce qu’une entente Berlin-Moscou signifie pour eux – faut-il rappeler qu’ils en ont déjà subi une, il y a 85 ans ?
Dans cette situation, Biden a fait son premier geste fort – le dernier ? nous verrons – depuis l’élection présidentielle : il a « autorisé » l’Ukraine à utiliser des missiles américains à longue portée en territoire russe. Les dynamiques s’accélèrent …
Palestine.
La victoire de Trump permet, premièrement, à Netanyahou de s’asseoir définitivement, espère-t-il, sur Gaza. Environ 100 000 morts, deux millions trois cent mille personnes ballottées d’un champ de ruines à un autre champ de ruines depuis un an, soumis aux traumatismes et à la famine, le territoire étant encerclé et cisaillé par Tsahal, sans que la population palestinienne n’ait cessé de maudire les occupants coloniaux, que le Hamas ait disparu, et que les otages, qui meurent les uns après les autres dans la souffrance, aient été libérés. Que faire de ce territoire ? Avec Trump, le pouvoir israélien est autorisé à tenter d’en faire ce qu’il veut, en poursuivant la réduction meurtrière du nombre de ses habitants. Nous entrons, maintenant, dans la réalité du génocide. Nous devrons donc reparler, nous, de Genocide Donald .
Le programme de l’extrême-droite du sionisme est donné par le ministre Bezalel Smotrich, en charge de la « gestion civile » de la Cisjordanie, dans des termes qui sont ceux que les rashistes poutiniens utilisent contre les Ukrainiens, apparentement non fortuit :
« Les nouveaux nazis [les Palestiniens, pas seulement le Hamas auquel ils les amalgame] doivent payer un prix sur le territoire qui leur sera enlevé pour toujours, à la fois à Gaza et en Judée-Samarie. »
« L’année 2025 sera, avec l’aide de Dieu [et de Trump] l’année de la souveraineté en Judée et en Samarie. »
Il s’agit d’annexer officiellement à Israël la Cisjordanie (appelée « Judée-Samarie » par Smotrich comme par Myke Hukabee), en expulsant sa population palestinienne. La raison fondamentale n’est ni religieuse, ni de satisfaire les colons : elle est « d’éliminer le danger existentiel d’un État palestinien ».
La symétrie de l’extrême-droite sioniste avec l’impérialisme russe est parfaite. L’existence ne serait-ce que d’une caricature impuissante, corrompue et non souveraine d’État palestinien est une menace jugée existentielle pour la « nation » judéo-israélienne définie comme coloniale, impériale et raciste. Inversement, l’existence d’une Palestine souveraine, libre et indépendante est la condition d’existence d’une nation, sans guillemets, judéo-israélienne démocratique.
Trump et Hukabee, c’est la dynamique génocidaire à Gaza et en Cisjordanie débridée. Elle ne conduira à aucune stabilisation ni à aucune sécurité pour les judéo-israéliens, bien au contraire.
Asie.
Le but global des manœuvres poutiniennes de Washington avec Trump sera de détacher Russie et Chine pour isoler la Chine. C’est un but qui peut être atteint, mais l’intérêt du régime chinois est bien entendu de faire monter les enchères avec tout le monde.
Or, il y a un joker : la Corée du Nord, sortie de son légendaire isolement comme fournisseur essentiel d’armes à la Russie, puissance nucléaire ayant maintenant des moyens de lancement, et envoyant des troupes contre l’Ukraine, chargées de pousser contre la zone occupée par l’Ukraine au Sud de Koursk, avec mission de la reprendre, on l’aura compris, avant le 20 janvier – au minimum : ces troupes « fraîches » peuvent aussi être utilisée pour tenter d’enfoncer plus gravement le Donbass, mais leur efficacité pour l’instant n’a pas été prouvée.
La Corée du Nord veut sa place dans l’ordre-désordre de la multipolarité impérialiste : elle est candidate aux BRICS+.
Cette partie s’est montée entre Poutine et Kim : Xi n’y est pour rien, même s’il s’agit pour Moscou de verrouiller l’alliance militaro-stratégique eurasiatique. Aux dernières rumeurs, la Corée du Nord devrait envoyer encore de nouvelles troupes. Tout le monde se dit qu’il y a, forcément, une contrepartie : garantie russe de soutien en cas d’invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord ? Cette éventualité déplaît à Beijing et suscite, à Séoul, Tokyo et Taipei, des débats sur une aide militaire à l’Ukraine venant d’Extrême-Orient au moment où les États-Unis vont la lâcher !
Contre la Chine, Trump a su également être ambivalent. La défense du droit des taïwanais à l’autodétermination n’est absolument pas un principe pour lui : il n’a pas de principes, et encore moins de principes démocratiques. Si les États-Unis améliorent, comme ils y travaillent, leur approvisionnement en semi-conducteurs, actuellement dépendant stratégiquement des usines TSMC à Taïwan, et en terres rares, actuellement dominées par la Chine (d’où l’importance de la question de l’emprise US sur le Groenland), ils peuvent laisser Xi ou son successeur faire main basse sur Taïwan, à condition de verrouiller l’espace océanique situé au-delà, avec la collaboration des Philippines, de la Malaisie, et de l’ancien ennemi vietnamien. Mais nous n’en sommes pas là ; et la guerre mondiale demeurerait, là encore, à l’horizon.
* * *
Ce cursif tour d’horizon montre deux choses :
1°) le rapport de force dans les affrontements sociaux qui s’annoncent aux États-Unis va être impacté par les évènements internationaux d’ici maintenant au 20 janvier. Toute défaite supplémentaire des peuples ukrainien et palestinien aura des répercussions négatives sur ce rapport de force.
2°) toute victoire de Trump sur la « voie de la paix » sera un pas vers la guerre, même si le jeu des alliances dans la guerre qui vient reste ouvert.
VP, le 17/11/2024.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Un message, un commentaire ?