Édition du 10 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La grève à Postes Canada

Entretien avec Renaud Viel, président de la section locale de Montréal du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes

La direction de Postes Canada veut implanter un Nouveau modèle de livraison de courrier STL (Séparation Tri Livraison) ce qui fait en sorte que le facteur ne trie plus du tout le courrier. C’est un achemineur de nuit qui trie la route, (travaille de jour) C’est d’autres facteurs qui trient pour notre route. Il n’y a aucune valeur de temps qui y est attribuée (comme le prévoit le Système de Mesure des Itinéraires des Facteurs selon la convention collective) . L’administration fait des calculs arbitraires pour évaluer cette charge de travail. On n’a plus aucune manière de vérifier. Ce sont des employés à plein temps en général de 10h à 18h et trient les lettres pur le lendemain.

10 décembre 2024

Par la suite le facteur prend le courrier trié et va effectuer la livraison. Ce système implique un ajout de points de livraisons (étant donné qu’il n’y a plus de valeurs pour le tri) et les parcours de livraison deviennent de plus en plus longs. Le système de mesure n’est pas à jour pour tenir compte de cette nouvelle réalité.

La diminution du volume de courrier implique également un parcours plus long (puisqu’il est calculé sur la charge de travail). Lorsqu’on ajoute la livraison des circulaires la charge de travail devient immense. (Les circulaires ne sont pas comptabilisés en termes de valeurs de temps comme les lettres, mais calculés en valeur monétaire à la pièce, ce qui rend maintenant la tâche colossale.)

La grosse problématique à Montréal est causée par ce qu’on appelle les colis late, la remorque de Toronto, qui arrive plus tard au centre de tri Léo-Blanchette et retarde tout le tri et la livraison.

Depuis 2023 il y a eu beaucoup de démissions causées par ce nouveau système de livraison. En 2024 il y a eu au-delà de 250 démissions de facteurs et factrices seulement à Montréal environ 10% des facteurs. À cause de la charge de travail et des horaires où la livraison se fait beaucoup en soirée. L’horaire jusqu’à récemment débutait à 6h le matin.

Cela a un impact important particulièrement dans la période hivernale parce-que les facteurs doivent livrer à la noirceur. Ce n’est pas comme la livraison d’Amazon qui livre des colis un à la fois. Les facteurs marchent avec leur pile de lettres dans la main et doivent lires les adresses à la noirceur, ce n’est pas évident. Plus de temps à la livraison implique aussi plus de risques d’accident de travail, particulièrement l’hiver avec le risque de Chutes et glissades.

Qu’en est-il de l’embauche des employés occasionnels ? Embauche d’employés occasionnels et temporaires pour assurer le service les fins de semaines pour réduire les coûts.

Postes Canada veut créer des postes de facteurs de fins de semaine, des temps partiels avec garantie de 8 h par semaine, mais avec une disponibilité de 3 à 4 jours. C’est un gros point qui achoppe à la table de négociation. Cela obligerait ces personnes à ne pas pouvoir travailler ailleurs durant cette période tout en se limitant à 8h de travail, c’est inacceptable. Il faut aussi protéger les itinéraires de semaine, parce que selon le système de mesure des itinéraires, le fait de retirer des colis de l’itinéraire sur semaine pour les livrer la fin de semaine obligera à augmenter le nombre de portes de livraison.
Postes Canada donne comme motif son déficit pour justifier ces changements mais il ne parle pas des propositions syndicales de nouveaux services qui contribueraient à augmenter les revenus comme le service bancaire ajouté aux services fournis dans les bureaux de poste.

Il n’y a pas d’écoute ça peut être plein de choses, la livraison de médicaments, le service de vigilance pour les personnes âgées.

Il faut aussi revendiquer le dernier kilomètre devrait revenir à Poste Canada. Cela signifie que toutes les compagnies privées de livraison de colis livreraient régionalement dans des entrepôts de postes Canada comme par exemple à la succursale de Repentigny et ce sont les facteurs qui livreraient le dernier kilomètre à la résidence appropriée. Cela aurait pour conséquence qu’il y aurait beaucoup moins d’autos et de camions de livraison sur la route et beaucoup moins de pollution, moins d’embouteillage. Et cela devrait être inclus dans la loi postale, cela protègerait le service à la population partout au Canada.

Il va falloir que Poste Canada se réinvente parce qu’elle perd beaucoup d’argent. Le nouveau modèle (STL Séparation Tri Livraison) se fait entièrement en livraison par camion ce qui est très dispendieux. Cette perspective nécessite de motoriser toute la livraison au Canada. En 2023 cela a couté $200 millions de nouveaux camions et ce n’est pas terminé, à Montréal par exemple on a des réorganisations jusqu’en 2025. Au coût d’achat il faut ajouter, l’essence, les assurances et l’entretien.

Postes Canada perd de l’argent mais investi inutilement dans une flotte de camions que personne n’a demandé, en tout cas pas les facteurs et factrices. Il n’y aura plus aucun facteur à pied à la grandeur du Canada.

Une problématique est l’augmentation des circulaires qui occasionne une surcharge de travail, il y a souvent de 10 à 15 sortes de circulaires à trier par jour ( qui ne sont pas comptabilisés dans la charge de travail, mais payés à l’unité). Cela débalance la planification de la livraison parce qu’avec cette charge de poids et volume, le facteur ne peut livrer qu’une vingtaine de portes à la fois alors que le circuit prévu qui le ramène au camion en compte 130. Cela équivaut aux 50 livres de poids maximum à transporter prévu à la convention collective. Cela oblige plusieurs allers-retours au camion non comptabilisés dans le temps prévu. Ce système a remplacé les boîtes à relais qu’on pouvait voir au coin des rues et auxquelles les facteurs et factrices se réapprovisionnaient. Il faut aussi calculer le temps de préparation des circulaires qui peut prendre une couple d’heures non comptabilisées parce que payées à l’unité. Ce système rallonge considérablement la journée de travail.

Postes Canada a commencé des mises à pied et annulation d’avantages sociaux parce qu’il n’y a plus de convention collective. Au moment de l’avis de grève, Postes Canada a coupé tous les avantages sociaux comme les assurances médicaments. Ils ont licencié des employés pour cause de manque de travail alors qu’on est en grève, c’est du jamais vu. Le syndicat a déposé une plainte au CCRI (Conseil Canadien des Relations Industrielles) pour licenciement illégal. Cette décision n’est basée sur aucun motif financier, mais représente une épée de Damocles sur les grévistes. La direction de Postes Canada a en effet laissé entendre que leur réembauche n’était pas garantie, cela dépendrait du travail disponible. En ce qui nous concerne, ce sont des licenciements illégaux.

Dans une autre perspective, le syndicat veut également fusionner les deux unités de négociations que représentent les FFRS (Facteurs et factrices Ruraux et sub urbains) avec l’unité urbaine des facteurs et factrices et des employésEs au tri et à l’entretien mécanique.

On veut aussi rattraper le salaire perdu selon l’inflation. Au niveau des avantages sociaux, on demande le minimum d’assurances selon les provinces. Par exemple, au Québec la RAMQ couvre plus de médicaments que notre assurance. On veut des véhicules fournis par Poste Canada aux facteurs et factrices ruraux qui utilisent leur propre véhicule. C’est tout de même contradictoire de constater que Postes Canada investit $200 millions pour des véhicules aux facteurs et factrices qui n’en ont nul besoin et le refusent pour les FFRS qui eux le demandent et ont besoin.

La direction de Poste Canada perd $748 millions mais dépense $200 millions pour des camions dont on n’a pas besoin. Elle a également construit le nouveau plan mécanisé Albert-Jackson à Toronto qui a coûté $470 millions. Elle avait un plan quinquennal avant la pandémie mais l’ont maintenue quand même lorsque le volume a baissé durant la pandémie. Postes Canada savait que ce nouveau plan était inutile dans ces circonstances mais ont maintenu sa construction quand même. Ils ont continué à motoriser tout le monde.

Moi quand je n’ai pas d’argent, je ne me permets pas de rénover ma cuisine, il est temps que le ministre fasse du ménage dans cette administration-là.

En 2020 on était les seuls à livrer, mais les compagnies privées comme Amazon sont venues prendre une grande part du marché.

Selon Jan Simpson présidente nationale du syndicat, en 2022, M. Ettinger et ses cadres ont informé la société Amazon que Postes Canada n’avait pas la capacité de traiter ses colis. Résultat : Amazon est allée voir ailleurs. La diminution du nombre de colis est majoritairement attribuable à cette mauvaise décision. Si la Société avait conservé Amazon parmi ses clients, elle ne pourrait pas invoquer la « crise » comme argument à la table de négociation.

À l’origine, le plan quinquennal de Postes Canada allouait quatre milliards $ pour la mise à niveau des infrastructures afin de répondre à l’explosion du nombre de colis durant la pandémie. Comme on le voit bien, la croissance du nombre de colis a fléchi, mais Postes Canada a continué de dépenser. En somme, quatre milliards $ dépensés en cinq ans équivaut à 800 millions $ par année, d’où la perte financière de 748 millions $ pour l’exercice 2023. Ce n’est pas une coïncidence.

De plus, le STTP a proposé à Postes Canada de nombreuses initiatives de diversification des services, dont la mise en œuvre des nouveautés suivantes : banque postale, service de vigilance, plateforme efficace de commerce en ligne destinée aux PME du Canada et nouveaux services de livraison. Ces nouvelles mesures, porteuses de revenus, n’ont pas encore été acceptées par Postes Canada, qui se montre indifférente à tout ce qui ne s’inscrit pas dans son plan. [1]

Une bataille pour une société égalitaire

Au final il s’agit également d’une question de justice sociale et de vision de la société. La tendance à la privation des services publics dont Postes Canada en exprime la tendance et du phénomène de morcellement du travail à la pièce conduit à une précarisation du travail tant au niveau salarial mais également de la santé et des conditions de travail. La bataille du STTP représente un enjeu de société pour des emplois décents, rémunérés à leur juste valeur.

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[1Bulletin STTP no 23, 16 août 2024, Jan Simpson Présidente nationale, https://www.sttp.ca/fr/affirmations-trompeuses-de-postes-canada-une-mise-au-point-s%E2%80%99impose

Mots-clés : Canada
André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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