C’est dans cette cité que le colour bar, la barrière de couleur, se traduit avec le plus de rigueur pour les populations noires. Le système discriminatoire est fondé sur l’évolution dissociée de chaque race dans l’espace qui lui est dévolu. Le grand apartheid concerne la division spatiale, les zones de résidence racialement cloisonnées. Le petit apartheid se rapport à la vie quotidienne, prohibition des mariages interraciaux, interdiction de contact entre différents groupes dans les lieux publics. S’invente une forme perverse de société géographique, fragmentée, parcellarisée, où le statut social, ethniquement déterminé, se rattache à un périmètre régi par des contraintes de mouvement et de comportement, un contrôle systématique des déplacements. Les habitants sont déportés, transplantés, déplacés, sans prévis, d’un endroit à l’autre, dépossédés de leur maison, de leur ferme, de leur village, définitivement éloignés de leurs racines. Tous ces éléments se transposent identiquement aux territoires palestiniens occupés. L’idéologie sioniste façonne une perception paranoïde des réalités. Partout où il se trouve, le citadin israélien se sent encerclé, cerné, menacé. Il se fortifie. Il se cuirasse. Il dort sur son fusil. Il s’octroie l’autorisation de tuer. Les colons disposent de leurs propres milices, armées jusqu’aux dents. La politique se dissout dans le délire exterminateur. Le livre d’Isaïe s’invoque comme caution divine.
La rhétorique sioniste ne s’embarrasse pas de considérations diplomatiques. Elle méprise les lois internationales. Elle formule brutalement ses projets de purification ethniques. Les Nations Unies, les organisations non gouvernementales, constatent unanimement, dans une sidérante impuissance, le génocide. En un mois et demi de bombardements intensifs, 15 000 palestiniens, dont 6 000 enfants, assassinés. Gaza City, une ville de 700 000 habitants, n’est qu’une montagne de ruines. Des milliers de cadavres gisent sous les décombres. Le néologisme génocide, forgé en 1943 par le juriste polonais Raphael Lemkin (1900-1959), est utilisé au procès de Nuremberg avant d’être officiellement adopté le 9 décembre 1948, au palais de Chaillot, par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Raphael Lemkin, Qu’est-ce qu’un génocide, éditions du Rocher, 2008. Le génocide et l’ethnocide participent du même procès d’anéantissement. Le sionisme lie l’existence d’Israël à la disparition physique, biologique, historique, culturelle du peuple palestinien. Le sioniste n’a à la bouche que le mot terroriste. Il voit du terrorisme partout.
La paranoïa sioniste se matérialise dans la barrière anti-terroriste, le mur de la honte, le mur d’annexion, le mur de la séparation raciale, le mur de l’apartheid. Une clôture de sept-cents kilomètres au final et un mur de huit mètres de haut le long de l’autoroute. La barrière suit la ligne verte, mais pénètre aussi, profondément, en Cisjordanie pour intégrer les colonies israéliennes et les puits les plus importants. Des sections sont construites sur des terres confisquées aux palestiniens. Des villes comme Tulkarem, 90 000 habitants, Qalqilya, 50 000 habitants, peuplées de 80 % de réfugiés, sont isolées, privées d’eau et d’échanges avec l’extérieur, condamnées à dépérir. La moitié des terres palestiniennes arables se retrouvent à l’extérieur de la barrière. Les paysans doivent demander des permis aux autorités israéliennes pour y accéder. A Jérusalem, le mur serpente entre les quartiers arabes. L’alibi sécuritaire écrase tout. Le mur relève, de toute évidence, d’une stratégie d’annexion de territoires. Dans le documentaire Mur, 2004, un ancien ministre israélien de la défense précise : « Le mur, du point de vue de l’ingénierie, est le plus grand projet réalisé. Chaque jour, 500 engins mécaniques lourds déplacent des millions de mètres cubes de terre ». Du cynisme poussé à son paroxysme. Les ouvriers sont des palestiniens. Le sionisme enclave les villages, démembre la Cisjordanie en bantoustans, multiplie les barrages, détruit l’économie, divise les familles, soumet chaque palestinien, prisonnier à ciel ouvert, aux brimades physiques et psychologiques. Le sionisme fait fi des injonctions internationales. La Cour internationale de justice considère, le 9 juillet 2004, « que le mur israélien dans le territoire palestinien est contraire au droit international. Israël est dans l’obligation de mettre un terme à ses violations du droit international. Il est tenu de cesser immédiatement les travaux d’édification du mur. Il doit démanteler sans délai l’ouvrage. Il doit abroger les actes législatifs et réglementaires s’y rapportant ». L’Assemblée générale des Nations Unies vote, le 15 décembre 2006, la création d’un office, installé à vienne, pour recueillir les plaintes des palestiniens. Pour toute réponse, le gouvernement israélien rétorque : « La clôture de sécurité continuera de se construire ».
- Le mur est devenu un support gigantesque de street art, un espace contestataire fourmillant de créativité. Vendredi, 24 novembre 2023. Nous nous arrêtons au musée Banksy, rue du Faubourg Montmartre, une exposition immersive devenue permanente. Dès 2005, Banksy dissémine ses œuvres en Palestine, des pochoirs protestataires, humoristiques, poétiques. Il fonde le projet Santas’s Ghetto avec d’autres artistes comme l’américain Ron English. Banksy raconte dans son livre Wall & Piece, éditions Century, 2006, traduction française éditions Alternatives, 2010, qu’un jour, pendant qu’il peint sur le mur de séparation, un vieux palestinien lui dit : « Vous embellissez le mur ». Banksy lui répond « Merci, c’est gentil ». Son interlocuteur lui coupe la parole : « Nous ne voulons pas que ce mur soit beau. Nous voulons qu’il soit démoli ». Le rat muni d’un lance-pierre de Banksy, baptisé Slingshot Rat, est recouvert de menaces de mort avant que la portion du mur qui l’abrite ne disparaisse. La fresque nettoyée refait surface dans une galerie de Tel Aviv. L’œuvre militante s’insère pleinement dans la révolution palestinienne. L’insurrection elle-même se marchandise. En 2018, à l’occasion d’une exposition touristique à Londres, Banksy offre mille affiches au stand palestinien. Le poster représente des enfants s’amusant sur un manège planté dans un mirador militaire avec la légende : « Visitez la Palestine. L’armée israélienne l’aime tellement qu’elle ne la quitte jamais ». En 2017, Banksy fait bâtir Walled Of Hotel à Bethléem, équipé de chambres, d’un piano-bar, d’un musée. Tous ses profits sont réinjectés dans des projets locaux. Le site de l’établissement indique que les visiteurs peuvent circuler librement contrairement aux palestiniens. Les décorations évoquent l’intolérable colonisation. En décembre 2019, Banksy installe dans son hôtel une crèche singulière, baptisée Cicatrice de Bethléem. On y voit l’enfant Jésus au pied du mur de séparation. L’étoile de Bethléem, censée avoir guidé les Rois mages, est représentée par un impact de balle. Banksy réalise plusieurs pochades, La Petite fille fouillant un soldat, Le lanceur de fleurs, Les Garçons à la plage, une grande échelle pour enjamber le mur, le garçon creusant un trou pour passer de l’autre côté. « Si les graffiti faisaient changer les choses, ils seraient illégaux ». Raison de plus pour poursuivre les indignations artistiques, les dénonciations, les subversions.
Mustapha Saha
Sociologue
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