En commençant par la fin
En règle générale, depuis 1964-1965, une négociation des conventions collectives de travail dans les secteurs public et parapublic peut donner lieu ou non à des arrêts de travail et elle peut également se conclure par une entente de principe négociée entre la partie syndicale et le gouvernement ou par l’imposition d’une loi spéciale. Depuis 2015, la Cour suprême du Canada a rendu un jugement qui semble avoir eu pour effet de baliser le pouvoir de l’État d’imposer unilatéralement sa volonté à la partie syndicale. Rappelons quand même qu’en 2017 le gouvernement Couillard avait mis un terme à la grève des avocats et notaires de l’État en recourant à l’adoption d’une loi spéciale qui a été déclarée par la suite inconstitutionnelle par la Cour supérieure du Québec et par la Cour d’appel. Ces jugements, par contre, n’ont pas eu pour effet d’accorder des dommages financiers aux juristes. Jusqu’à quel point l’État législateur est-il limité dans sa capacité d’être mis au service des intérêts de l’État employeur ? Personne ne le sait vraiment. La question concernant l’aboutissement prévisible de la présente négociation reste donc ouverte et sujette à de nombreuses spéculations. Pour le moment, le gouvernement Legault dit vouloir en arriver à une entente négociée avec ses vis-à-vis syndicaux qui représentent un peu plus de 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s qui sont à environ 75% des femmes et ce avant la période du « temps des fêtes ». Il reste fort peu de temps pour constater si le souhait de François Legault et de Sonia Lebel sera exaucé ou si la présente ronde se poursuivra en 2024 ou se terminera abruptement, tôt ou tard, par l’adoption d’un décret ou d’une loi spéciale. C’est tout ce que nous pouvons dire aujourd’hui au sujet d’un dénouement possible de la présente ronde de négociation dans les secteurs public et parapublic. Puisque tel est le cas, intéressons-nous à d’autres aspects de la négociation.
Une négociation à sens unique et la nomination d’un conciliateur
Il ressort de plus en plus dans les médias que les pourparlers entre les deux parties, autant aux tables dites sectorielles qu’à la table centrale, n’ont pas été fructueux. Pire, la partie gouvernementale ne semble même pas s’être véritablement adonnée à la négociation. Les porte-parole syndicaux - toutes organisations confondues - accusent la présidente du Conseil du trésor et les porte-parole de divers comités patronaux de négociation de faire du « surplace » depuis le début du processus qui remonte à l’année dernière. Voilà ce qui explique pourquoi les quatre organisations syndicales membres du Front commun (CSN-CSQ-FTQ-APTS) ont décidé de faire appel à un conciliateur. Celui-ci parviendra-t-il à rapprocher les parties et à convenir d’une entente négociée ? La question se pose et, si cela s’avérait, ce serait une véritable première dans l’histoire des négociations dans les secteurs public et parapublic. Rappelons par contre que le pouvoir du conciliateur est très circonscrit. Tout au plus est-il habileté ou mandaté pour « rapprocher » les parties. Il ne dispose d’aucun moyen véritable pour dénouer quoi que ce soit sur l’enjeu des salaires.
Un gouvernement qui veut se donner le « beau rôle »
Au cours des dernières semaines, la présidente du Conseil du trésor a multiplié les déclarations en vue de se donner le « beau rôle » en prétendant qu’elle a effectué jusqu’à maintenant « quatre dépôts ». Ce qui est faux. Il y a eu une première offre gouvernementale en décembre 2022 qui a été suivie de deux légères retouches par la suite. Nous avons assisté, en octobre 2023, à un pseudo deuxième dépôt accompagné d’une proposition salariale bonifiée de 1,3 %. À ce moment-ci, le gouvernement propose pour la majorité des salarié.e.s syndiqué.e.s un tout petit 10,3% d’augmentation salariale sur une période de cinq ans. Ce qui est un pourcentage ridiculement bas en cette période marquée par une poussée inflationniste. Il s’agit là également d’une offre qui est à des années lumières des 30% que les député.e.s de l’Assemblée nationale se sont accordé.e.s pour une seule année. En clair, le gouvernement caquiste propose à la majorité de ses salarié.e.s syndiqué.e.s rien d’autre qu’un appauvrissement progressif et assurément permanent.
Petit rappel historique
Cela fait des décennies que les travailleuses et les travailleurs des secteurs public et parapublic sont mis à contribution en vue de sauver les finances publiques. Tout au long des quatre dernières décennies, le gouvernement du Québec leur a consenti des augmentations salariales plusieurs fois inférieures au taux réel de l’inflation sous prétexte que ce régime austère était incontournable en vue de sauver l’économie du Québec. Quand les finances publiques ont été rétablies, au lieu de mieux rémunérer ses salarié.e.s syndiqué.e.s, le gouvernement s’est lancé dans divers programmes de subventions milliardaires ou millionnaires à des entreprises rentables ; il s’est engagé également dans un programme de réductions des impôts des entreprises et de certains particuliers ; il a envoyé des chèques parfois à des personnes nullement dans le besoin ; il a même eu la non brillante idée d’accorder une subvention se situant autour de 5 à 7 millions de dollars à une équipe professionnelle de hockey dont les joueurs ont de plantureux contrats millionnaires, etc..
Les divers gouvernements péquistes comme libéraux et maintenant caquiste n’ont cessé des années quatre-vingt-dix à 2022 de contenir - à une exception près en 1999 - les augmentations salariales des salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic dans une fourchette se situant entre 0 et 2%. Ce genre d’augmentation salariale a incontestablement contribué à l’accentuation des inégalités économiques au Québec entre les plus favorisés et les moins nantis de notre société. De plus, comme nous le rappelle infatigablement l’ISQ chaque année (le ou vers le 30 novembre), les salaires versés dans les secteurs public et parapublic du Québec sont de plus en plus éloignés de ceux qui sont accordés dans les autres secteurs publics (universités, municipalités et gouvernement fédéral).
La suite des choses du côté gouvernemental
Sonia Lebel reste dans l’attente que la « gélatine » prenne avec une organisation syndicale… À l’instar de la ronde précédente, elle est à la recherche d’une organisation syndicale qui sera prête à conclure sur la base des offres du gouvernement, qui pour le moment s’accompagnent d’une faible augmentation salariale et incontestablement d’une dégradation des conditions au niveau de l’organisation du travail. Bref, l’actuel gouvernement propose à ses salarié.e.s syndiqué.e.s rien de moins que des reculs et le statu quo. Autrement dit, la présidente du Conseil du trésor souhaite que la présente ronde de négociation s’accompagne de nouveaux gains pour le gouvernement et les employeurs des réseaux de la santé et de l’éducation. Elle demande à ses vis-à-vis syndicaux de la souplesse et de la flexibilité, en clair elle exige des concessions avant de mettre sur la table sa véritable proposition d’offre salariale finale. Le gouvernement caquiste est, par conséquent, sur la même lancée que les gouvernements qui l’ont précédé depuis la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt du siècle dernier. Ce gouvernement souhaite conclure un contrat de travail qui s’inscrit dans une vision essentiellement néolibérale. Christian Dubé a même déclaré, la semaine dernière, qu’il désire « changer le droit syndical pour un droit personnel ». La logique néolibérale n’a jamais été exprimée d’une manière aussi claire depuis la déclaration de nulle autre que Margaret Thatcher qui osait clamer : « there is no such thing as society » (1).
La suite des choses du côté syndical
Qui va se mettre en position, du côté syndical, pour faire entendre, sans concession sur le fond, les revendications de ses membres auprès gouvernement Legault ? Telle est la question qui semble s’imposer à ce moment-ci. Il n’y aujourd’hui que les 66 000 membres de la FAE qui sont en grève générale illimitée. En l’absence d’un fonds de défense professionnel nous pouvons nous demander pendant combien de temps les enseignantes et les enseignants de la FAE vont se montrer déterminé.e.s à poursuivre dans la voie de la GGI ? Pour ce qui est du front commun intersyndical CSN-CSQ-FTQ-APTS, les dirigeant.e.s ont décidé de mettre sur pause l’interruption de service. Nous sommes ici dans l’attente de son prochain mot d’ordre de débrayage. Il en va de même pour les autres organisations syndicales, c’est-à-dire la FIQ, le SPGQ et le SFPQ.
Quelle sera la suite des choses du côté syndical ? La conciliation ou le déploiement de moyens de pression plus lourds et le recours à la GGI du côté du Front commun et de la FIQ ? L’obligation de donner un avis de grève de sept jours francs est une contrainte majeure pour les organisations syndicales. De plus, le recours à ce moyen de pression doit être évalué à la lumière de ce qui est atteignable. La partie syndicale estime-t-elle qu’elle peut obtenir ou non un règlement satisfaisant pour ses membres sans recourir à la GGI ? Là est selon nous la question du moment actuel ?
Un premier ministre plus émotif que politique
Quoi qu’il en soit, François Legault donne de plus en plus l’impression qu’il n’est plus l’homme de la situation. Il est dépassé par les événements et il ne parvient plus à susciter l’adhésion à ses solutions. Ses appuis, dans les sondages, s’effritent vite, très vite même. De plus, il semble incapable de décoder le caractère politique du moment tumultueux qu’il traverse. Il s’imagine qu’il s’agit seulement d’une question d’appréciation subjective de sa personnalité, alors que ce sont ses politiques austères et néolibérales qui sont ouvertement contestées. Les votes fortement majoritaires en faveur de la grève et la participation massive à ce moyen de pression illustrent à merveille qu’il y a des centaines de milliers de salarié.e.s syndiqué.e.s qui contestent ouvertement ses choix politiques de financer le superflu au lieu d’investir dans le nécessaire à l’amélioration de la qualité de vie en société. Le tour de force de François Legault dans son passage dans le fauteuil de premier ministre du Québec réside indiscutablement en ceci : il est parvenu à mettre en grève, la même journée, plus de 550 000 salarié.e.s syndiqué.e.s. Il s’agit là d’une journée de grève historique.
Conclusion
Pour les salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic la présente ronde de négociation doit enfin déboucher sur la reconnaissance par leur employeur qu’elles et qu’ils ont besoin et méritent mieux et plus que ce qui leur est présentement offert.
Pour le gouvernement ou l’État employeur, il prétend qu’il aura plus à offrir à ses 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s en échange de plus de souplesse dans les conventions collectives et surtout du côté de l’organisation du travail. Nous assistons donc à un bras de fer qui devra tôt ou tard aboutir à une solution négociée entre les deux parties ou imposée unilatéralement par l’État législateur. L’heure de la fin de la négociation n’a pas encore été annoncée. Le délai à respecter avant de recourir à l’exercice de la grève dans les secteurs public et parapublic est, selon le Code du travail, de « sept jours francs » (environ 10 jours de calendrier). Une chose est certaine, ce n’est pas en se confinant dans le silence que les 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s parviendront à faire entendre leur voix et à avoir raison face à leur employeur. Il n’y a que la voix de la rue et celle de l’opposition parlementaire pour freiner le gouvernement caquiste dirigé par François Legault dans la voie de la réalisation de ses desseins néolibéraux.
Yvan Perrier
27 novembre 2023
Midi
yvan_perrier@hotmail.com
(1) Traduction libre : « La société n’existe pas ». Il est sous-entendu ici qu’il n’y a que des individus. Le droit d’association n’a, par conséquent, aucune valeur chez celle et celui qui adhèrent à un tel point de vue.
Ajout
27 novembre 2023
19h15
De passage à {}Tout le monde en parle la présidente du Conseil du trésor, madame Sonia LeBel, aurait déclaré - à 5 m 20 de son entrevue - que les enseignant.e.s auraient obtenu "16% d’augmentation salariale" en 3 ans. Cette déclaration est en partie incorrecte. Voici les augmentations paramétriques qui ont été négociées et accordées aux enseignant.e.s : 2% en 2020-2021 ; 2% en 2021-2022 et 2% en 2022-2023, pour un total de 6%. L’auteur des présentes lignes oeuvrent dans l’enseignement collégial depuis 1979 et est au fait des hausses salariales qui ont été négociées ou décrétées depuis plusieurs décennies.
Ajout
Mardi le 28 novembre
3h15AM
« Le Front commun fera le point sur la négociation et les moyens de pression à venir […]
Mardi 28 novembre 2023 à 11 h »
Ajout
28 novembre 2023
3h30 AM
Les 25 000 membres du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) ont voté « majoritairement » en faveur de mandats de grève. Les personnes qui ont participé au vote ont également décidé de se doter d’un fonds de grève.
Ajout
28 novembre 2023
11h20
Le Front commun CSN-CSQ-FTQ-APTS tiendra sept nouvelles journées de grève du 8 au 14 décembre. Les dirigeant.e.s syndicaux ont annoncé vouloir arriver à une entente de principe le plus rapidement possible avec le gouvernement. Il y a du mouvement aux tables sectorielles ainsi qu’à la table centrale en présence du conciliateur. En l’absence d’une entente de principe, d’ici la fin de l’année, la prochaine étape sera le déclenchement d’une grève générale illimitée en 2024.
La FIQ doit annoncer, le 29 novembre, une nouvelle séquence de grève.
Ajout
28 novembre 2023
16h30
Après le Front commun CSN-CSQ-FTQ-APTS, c’est au tour de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) d’annoncer que ses 80 000 membres infirmières, infirmières auxiliaires et autres professionnelles en soins seront en grève du 11 au 14 décembre.
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