Édition du 11 février 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec : Objectif et stratégie pour le combat contre le trumpisme

Sortir de la défensive commerciale pour l’offensive du soin et lien

L’éditorial, pourrait-on dire, de la lettre du samedi 8 février « Sous la loupe » de l’IRIS propose une réponse de gauche à ce qu’elle appelle la « guerre commerciale » des ÉU qui a mis le Canada au pied du mur. Rappelant que « les mouvements sociaux progressistes » avaient à l’époque critiqué les accords de libre-échange, l’IRIS souligne que les réponses droitières que sont tant l’augmentation des dépenses militaires et l’abandon de l’imposition des gains en capital promis par le banquier favori au poste de chef des Libéraux fédéraux que s’attaquer au « manque de “productivité, [à] la surréglementation, [à] la bureaucratie et [à] la taxation” » du Premier ministre québécois, loin d’être un remède, n’ont comme conséquences que de lisser le règne du marché tout en se soumettant davantage aux ÉU.

Semblant aller plus loin en termes d’intervention de l’État, le Premier ministre du Québec surfe sur les « nouveaux projets d’infrastructures énergétiques » du Plan d’action 2035 d’Hydro-Québec et se dit prêt, avec les autres Premiers ministres provinciaux, à faciliter la déréglementation du commerce interprovincial pendant que son ministre de l’Environnement réouvre la porte aux gazoducs exportateurs. Le plan caquiste réconcilie l’extractivisme moderne à la québécoise avec celui à l’ancienne canadien… et avec le « fossilisme » trumpiste. L’IRIS propose plutôt de « diversifier l’économie canadienne (et non simplement de diversifier ses partenaires), mais aussi de réduire à la source sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures (et non simplement de produire davantage d’énergie pour le marché intérieur) » tout en renforçant les programmes sociaux.

L’ébauche du plan de l’IRIS ouvre certes des portes à gauche mais reste nébuleux. Est-ce parce que son diagnostic du problème est étroit ? Autant un Biden sortant et piteux a-t-il justement et solennellement dénoncé l’oligarchisation des ÉU, autant un Trudeau en fin de course a-t-il, à l’anglaise mais néanmoins pertinemment, mit en garde contre l’absorption du Canada par les ÉU. Le 51e état, en tout ou en partie, est appelé à devenir non seulement une réserve de ressources naturelles à portée de mains mais aussi à être le bastion militarisé pour contrôler l’Arctique. L’enjeu de la crise, du point de vue québécois et canadien, c’est non pas la seule oligarchisation des ÉU mais sa fascisation, non pas la seule « guerre commerciale » mais l’avalement du Québec et du Canada dans un État fascisant ou carrément fasciste. La gauche anticapitaliste doit se doter pour contrer ce danger mortel d’un objectif répondant tant à cette menace imminente qu’au fondamental enjeu écologique du XXIe siècle. Ajoutons-y une stratégie en mesure de mobiliser l’ensemble du peuple-travailleur au-delà de toutes ses contradictions internes exacerbées par tous les identitarismes.

L’électricité existante suffit amplement pour la solidaire décroissance matérielle

Une attaque de cette ampleur, se conjuguant avec la plongée vers la terre-étuve, exige d’engager sans tarder la lutte pour un projet de société alternatif qui soit, d’un, une autonomisation du Québec-Canada pour échapper aux griffes de l’ogre, de deux, l’édification d’une société de solidaire décroissance matérielle dont le but est le soin et le lien écoféministes et non le profit productiviste et masculiniste. Le moyen d’y arriver ne réside pas dans l’ajout gargantuesque d’électricité hydraulique et éolienne, que ce soit par Hydro-Québec ou le secteur privé — priorité de combat des vieux socialistes du XXe siècle — mais le recyclage de l’existante hydroélectricité québécoise (et des « négawatts » récupérés du secteur résidentiel) vers l’électrification mur-à-mur de l’économie québécoise en débutant par le transport en commun se substituant à l’auto solo qu’elle soit liée à l’extractivisme des hydrocarbures d’Exon-Mobil ou à celui électro-électronique d’Elon Musk. La meilleure façon de vaincre ces matamores devenant imperméables aux lois et détruisant l’État-providence est de les rendre redondants. Comment ? En socialisant le capital financier et le secteur énergétique tout en généralisant transport en commun, logements sociaux écoénergétiques, agriculture biologique, quartiers et villages 15 minutes et la durabilité et la circularité des produits indispensables mais détachés de toute publicité.

Pendant que toutes les droites, extrêmes ou pas, tapent sur les clous des nombreuses différences identitaires et sociales du peuple-travailleur pour le diviser, la catastrophe éminente va son bonhomme de chemin, envenimée par son contingent de guerres. Sans nier l’absolue nécessité des luttes contre tous les sexismes, racismes et autres statuts privilégiés, dont l’amenuisement est tout à fait nécessaire pour l’unification dans un combat commun, la meilleure tactique pour les combattre reste la lutte commune contre la catastrophe éminente et ses séquelles guerrières surtout quand elles sont génocidaires. Dans le Québec concret d’aujourd’hui ça veut dire la lutte contre le plan tout-électrique de la CAQ et en faveur d’une société de soins et de liens qui passe par la bonification des services publics austérisés et le surgissement du transport public gratuit et d’une pléthore de logements sociaux écoénergétiques, la lutte contre le génocide palestinien mais aussi celui, au ralenti, de l’Ukraine.

La lutte indépendantiste, la plus efficace si elle est internationaliste

Faut-il ajouter que le caractère planétaire de la catastrophe éminente commande une rigueur internationaliste à toute épreuve. Est-ce à dire qu’il faille laisse tomber la lutte pour l’indépendance comme le suggère la montée de l’actuel sentiment populaire pro-Canada contre l’impérialisme étatsunien ? Lâcher la proie pour l’ombre en pensant que le Quebec bashing ait disparu serait une monumentale erreur stratégique. N’en reste pas moins qu’il faille prendre note d’un début de déplacement des plaques tectoniques dans l’État canadien. Plus que jamais la lutte indépendantiste doit se présenter comme la stratégie la plus efficace vers une société canadienne, et même nord-américaine, de solidaire décroissance matérielle par la vertu de la libération nationale du peuple québécois comme « quelque chose comme un grand peuple » en mesure d’entraîner les autres. On verra plus tard pour la suite des choses. Chose certaine, cette indépendantisme n’a rien à voir avec le renforcement, au-delà même de la CAQ, de la xénophobie antiimmigrant du PQ qui le pousse dans les bras de Trump. Au contraire, l’internationalisme commande d’ouvrir les bras à tou-te-s ces damné-e-s de la terre qui fuient les catastrophes déjà en cours et dont les services essentiels québécois ont besoin en toute égalité de traitement, crise démographique oblige.

Québec solidaire saura-t-il se démarquer avec un indépendantisme écosocialiste lui qui vient de se mettre à la refondation de son programme qui a certes vieilli quoique contenant des perles anticapitalistes oubliées mais à conserver. Par où commencer dans l’immédiat ? Amazon de Jeff Bezos n’est pas autre chose que la cristallisation oligarchique du trumpisme fascisant. Sa fermeture sauvage, antisyndicale (et illégale) de ses sept entrepôts québécois offre au peupletravailleur québécois et canadien et nord-américain une poignée bien visible pour accrocher la concrète lutte de classe à la lutte anti-Trump. La CSN, qui syndique l’entrepôt Amazon de Laval, le seul syndiqué au Canada, invite tout le peupletravailleur à une manifestation ce 15 février. Puisse cette manifestation être autre chose que le baroud d’honneur habituel de la bureaucratie syndicale mais le début d’une mobilisation qui embrasera tout l’Amérique au nord du Rio Bravo/Grande.

Marc Bonhomme, 9 février 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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