Édition du 11 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Féminisme

Patriarcat ?

Ce texte a été lu lors du Cabaret féministe du 1 mars organisé par le comité des femmes de Québec Solidaire de la Capitale nationale.

Plus de 70 personnes ont assisté à cette prestation.

20 % d’écart de salaire, mondialement.
1⁄3 de nos corps violentés ou agressés.
81 % des victimes de violences conjugales au Québec.
J’imagine que vous avez compris de qui je parle ?
Je parle de cette esclave du patriarcat, de cet outil si facile à jeter lorsque l’on n’en a plus
besoin. Oui, je parle de “la femme”.
Je parle de mes idoles de jeunesse aux longs cheveux crêpés et aux yeux cernés d’abus.
De ces jouets qui font du bruit quand on appuie dessus, entre les pattes de chiens enragés
par l’argent.
Ok.
Je m’arrête ici.

J’ai la mauvaise manie d’écrire des mots coups-de-poing. J’ai la révolte sur le bout de la
langue, mais l’auto-censure coincée entre les dents.
Ça fait une semaine que je me demande ce que je vais faire, ce que je vais lire. J’ai plein de
textes sur le féminisme, mais j’ai l’impression soudainement de n’avoir plus rien à dire. J’ai
le féminisme gêné, le féminisme écrasé, le féminisme peureux de crier trop ou pas assez
fort. J’ai peur de ne pas oser jusqu’au bout.

J’ai le féminisme qui s’accroche à l’ombre de ma mère, des fois.
J’ai jamais douté d’être féministe par contre et je comprends aujourd’hui que c’est un
privilège que je dois à mon éducation.

Faque, sans savoir par ou commencer, j’ai décidé d’écrire une lettre au dos de cette femme
si petite et pourtant si immense devant moi qui, un jour, m’a annoncé que ce qu’elle
souhaitait pour ses filles, c’était simplement la liberté. J’avais jamais réalisé ce que le mot
“liberté” voulait dire, avant d’être une adulte. - Quand je dis adulte, je parle du moment où j’ai
rempli mon premier rapport d’impôt .Le moment où j’ai compris que des chaînes, on en avait
beaucoup, pis que certaines d’entre elles sont invisibles/. Le moment où j’ai compris ce que
ça voulait dire pour vrai, un “rapport de pouvoir” dans une relation hétérosexuelle
monogame.

J’avais jamais réalisé ce que le mot “liberté” voulait dire, avant de comprendre pourquoi
c’était un “rêve” et pas “un souhait”. parce que c’est crissement pas si facile que ca dans
l’fond, d’être femme et libre.

Une lettre donc, à la naissance de mon féminisme.
“Allô mom,
Encore une lettre au “je”, ça doit être à force d’écrire du théâtre, je finis par penser comme
un personnage.

Je voulais te dire merci. Merci de m’avoir faite comme je suis. Des fois j’imagine ce que
j’aurais pu devenir dans les mains d’autre parents, genre des pro-trump et j’en ai des
frissons d’horreur.

Ça va fatigué autour de moi. J’ai l’impression qu’être militante après 2012, c’est comme
ramasser l’océan à coups de chaudières, ça a pas de criss de sens. Des bâtons dans les
roues avant même d’avoir pu essayer de rouler un peu. De la glace sur toute la
circonférence de la terre et personne pour la faire fondre.

En ce moment, j’ai l’impression que s’engager politiquement, c’est l’équivalent de retenir sa
respiration sous l’eau le plus longtemps possible pis espérer un miracle.
Les seuls miracles que j’ai vus, ils étaient sur scène, au théâtre, pis si y’a bien un endroit où
faut qu’on arrête de faire des miracles avec rien, c’est bien dans les théâtres. Criss qu’on
rush pareil. Ben, pas juste les théâtres je sais, mais les théâtres aussi, mettons.
Je dis souvent qu’on a toutes et tous deux espaces à l’intérieur de nous. Un pour les luttes,
pis un pour la guérison. Pis que ces deux espaces-là se nuisent, quand on essaie de les
mélanger.

Moi, des fois, j’ai besoin de m’arrêter pour guérir, sinon mes luttes me détruisent. Pis quand
je lutte, j’ai moyen la délicatesse de guérir quelqu’un qui est pas sûr de vouloir être là. Ça
fait quelques semaines que je suis en mode “lutte”, mais aujourd’hui, j’ai envie de guérison.
J’arrive à l’âge de la reconnaissance où je comprends enfin un peu mieux l’amour d’un
parent pour son enfant. Donc voilà, j’ai envie de te dire merci.

Merci de m’avoir emmenée à ma première manif quand j’étais encore un tout petit bébé.
Merci de m’avoir emmené à toutes les autres qui ont suivi aussi.

Merci pour toutes ces années de patience à m’expliquer ce que ça veut dire d’être une
femme. Ce que ça veut dire pour vrai, pas ce qu’on nous demande de devenir.
Merci de m’avoir expliqué mes privilèges assez tôt pour que j’aie le temps d’en être horrifiée,
de les refuser, de vivre dans le déni, de revenir sur mes pas, de voir un psy, de réfléchir à
comment les utiliser – et tout ça avant que je parte en appart à 17 ans.

Merci de m’avoir parlé de l’intersectionnalité dans les luttes.
Merci d’avoir persévéré,
de t’être excusée quand tu en ressentais le besoin,
de m’aimer.
Ben, j’pense.
Merci pour toutes ces heures de relecture, tous ces partages de connaissances.
Merci de m’avoir laissée présenter ma pétition pour sauver les ours polaires dans ton cours
d’université quand j’étais au primaire.

Merci de ne pas m’avoir dit que, même si j’envoyais ma pétition aux conservateurs, ils la
liraient probablement jamais. De m’avoir encouragée à faire quelque chose.
Si je suis aussi résiliente aujourd’hui, c’est sûrement grâce à toi.

Merci de ne jamais m’avoir dit de faire attention aux ruelles, de pas rentrer seule le soir, de
ne pas m’habiller trop sexy. Sans toi, j’aurais grandi dans la même peur que 95 % de mes
amies. Qui aurait été là pour les raccompagner ? Pour les rassurer ?
Merci d’avoir fait de moi la femme fragile la plus forte de ma classe au cégep.
Merci d’avoir arrêté de me dire si j’avais maigri ou grossi quand je t’ai dit que j’aimais pas ça,
les commentaires sur mon corps. Merci de ne pas dire “oui, mais c’est parce que je t’aime”.
Merci de m’avoir appris que l’amour n’est pas une excuse ou un moyen pour avoir du
contrôle sur quelqu’un. De m’avoir laissé faire mes erreurs amoureuses sans me dire “je te
l’avais dit !”

Merci d’avoir refusé de motiver mes absences quand j’allais manifester en 2012, à 14 ans,
mais de m’avoir proposé d’aller marcher ensemble. Grâce à toi, j’ai appris par cœur les
premiers paragraphes du code de règlement de l’école en retenue. Et je me suis sentie plus
motivée que jamais à retourner dans la rue.

Merci de t’être confiée à moi.

Merci de m’avoir montré tes larmes, de me les avoir racontées, une goutte à la fois.
Merci de me poser des questions quand tu as un doute sur comment aborder les pronoms et
les genres dans une classe universitaire. Merci de m’inclure dans ta réflexion.
Merci de me rappeler que les luttes évoluent et que c’est pas parce que le féminisme est “un
combat des femmes, pour les femmes”, qu’une femme trans qui n’a pas été socialisée
comme femme ne peut pas se proclamer féministe.

Merci de me dire la vérité. De me dire que toutes les féministes ne sont pas toujours
d’accord, qu’il existe plusieurs types de féminisme, mais qu’une féministe fasciste, c’est pas
une féministe. Qu’une anarchiste est par définition féministe. Et qu’il n’existe aucun parti
nazi qui se revendique féministe, même quand on me traite de “fémi-nazi” sur Facebook.
Merci pour ton ouverture d’esprit, même quand je me suis nonchalamment allumé une
cigarette à côté de toi et que tu m’as dit “tu fumes maintenant ?” sans me rappeler le nombre
de fois où je cachais tes cigarettes en pleurant parce que je voulais pas que tu meures du
cancer.

Merci de ne pas me demander si je suis vraiment certaine de ne pas vouloir d’enfant.
Merci de m’avoir laissée choisir la musique, puis le théâtre. Merci de ne pas me demander
combien je fais par année, de me rappeler que j’ai toujours une place chez vous, même si
ma chambre d’ado est devenue la chambre d’ami.e.s.

Merci, oh, déesse, merci de ne pas être restée en France et de m’avoir fait naître au
Québec. C’est un esti de beau cadeau.
Maman, j’ai le féminisme déconstruit, qui se reconstruit. Le féminisme ouvert, le feéminisme
évolutif, que j’aime l’appeler. Et ça, c’est grâce à toi.
Merci. “

Ma mère et moi (et plusieurs femmes de différents milieux sociaux/classes sociales/âges) on
a écrit des textes pour un zine feministe publié par ma compagnie de théâtre “Tête de l’Art”
J’aimerais vous lire son extrait ;

« 

Il y a toujours l’idée que le problème du corps féminin, c’est le fait que ses organes génitaux
soient à l’intérieur, ce qui les rend inquiétants : on pense que la femme est soumise à son
utérus, à cet organe dont on ne maîtrise pas les soubresauts, les cycles et les secousses

 »
Aurélie Chatenet-Calyste, historienne et maîtresse de conférences en histoire moderne à
l’université Rennes-II
Que signifie, socialement, avoir un utérus ? La réponse à cette question dépend évidemment
des lieux et des époques, mais laissez-moi vous partager quelques expériences personnelles
qui, je suis sûre, auront des échos parmi les lectrices. Pour bien camper l’histoire, je suis une
femme hétérosexuelle de 52 ans. Une histoire très banale en quelque sorte....
Avoir un utérus, cela a signifier enfant, être un objet de jeu pour des petits gars de neuf ans
à l’arrière d’une camionnette... où ils m’ont déshabillés et m’ont touché sans mon
consentement sous le regard bienveillant de leurs parents, qui jetaient des regards attendris
dans le rétroviseur.

Avoir un utérus, c’est aussi avoir mal au ventre, au dos, à en vomir de douleur, à ramper au
lieu de marcher... C’est bénéficié de la pilule de première génération à l’âge de 13 ans pour
y remédier, contenant de fortes doses d’œstrogène et d’en vivre les effets secondaires (dont
le gonflement des seins, et l’anéantissement de la libido).
Avoir un utérus, c’est, à l’âge de 17 ans, aller chez le médecin (que je ne connaissais pas)
pour une grippe, et me retrouver sur la table d’examen, sans culotte, soumise à son œil
acéré.

Avoir un utérus, c’est la possibilité de se faire malmener et harceler par des policiers sur une
plage en Italie la nuit, avec la lampe de poche dans la face, du chantage et des menaces.
Avoir un utérus c’est avoir la chance inouïe de vivre la ménopause et ses conséquences bien
connues, mais encore taboues : chaleurs, sommeil entrecoupé, débalancement hormonal et
j’en passe....

Avoir un utérus, c’est avoir le droit, comme représentante du sexe dit faible, d’être
injustement rabaissée, lors d’une conversation, d’un débat, d’une situation professionnelle.
Mais avoir un utérus, c’est aussi, avoir le privilège d’enfanter, d’être mère, de connaître le
monde merveilleux et bienveillant des sages-femmes, d’apprendre avec sa progéniture,
d’être amoureuse, de jouir.

C’est aussi devenir une personne qui parfois est considérée au-delà de son utérus, dans son
intégralité, avec lui certes, mais ne se réduisant pas à lui. Et ça fait du bien...
Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous marcherons (Marche mondiale des
femmes)”

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