Édition du 11 février 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

« Casser les syndicats »

Notes sur l’Assemblée Générale du Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM-CSN) du 29 janvier 2025.

Il y a beaucoup de monde, ému et en colère, à l’Assemblée générale mensuelle du Conseil Central du Montréal Métropolitain CSN, en ce mercredi 29 janvier 2025. Cela fait huit ans, jour pour jour, qu’au cours de l’attaque terroriste à la Mosquée de Québec, six personnes ont été assassinées par un militant d’extrême droite.

6 février 2025

Donald Trump vient d’être réinvesti à la présidence des États-Unis. Il a déjà annoncé son plan d’annexion du Canada ; lancé, par décrets, sa chasse aux « millions et millions d’étrangers criminels » et coupé des milliards de dollars d’aides publiques destinées aux pauvres, aux femmes, aux minorités LBGTQI+, aux personnes handicapées, aux États-unis comme dans le reste du monde. Il s’est aussi ouvertement attaqué aux travailleurs et aux travailleuses, en particulier aux fonctionnaires du gouvernement fédéral. Ses complices, des multimilliardaires comme lui et le grand patronat jubilent et s’accaparent davantage encore les ressources publiques.

Nombreux·ses sont celles et ceux qui se demandent si le Québec va résister face à cette vague réactionnaire, raciste et antisyndicale. Le Premier ministre du Québec continue de cibler les étranger·ères pour justifier son incompétence et l’effondrement des services publics. Et alors qu’Amazon vient de licencier 4 500 personnes pour faire comprendre à tous et toutes ce qu’il en coûte de tenter de se syndiquer, François Legault déclare « [u]n, le Canadien a encore gagné. Deux, je n’ai pas bu de jus d’orange ce matin ». Enfin, comme le rappelle la Présidente du CCMM-CSN dans son mot d’ouverture, les souverainistes du Parti Québécois appuient ouvertement la politique de Trump en matière d’immigration. Et dans ce contexte des plus décourageants, la gauche est complètement inaudible.

Pourtant, la grande salle du siège social de la deuxième centrale syndicale du Québec est pleine, à 18h. C’est la première fois depuis plus d’un an. 80, peut-être même 90 personnes, dont une dizaine debout appuyées sur les murs, sont présentes. Et l’ambiance est émouvante, chaleureuse et bien plus dynamique que lors des Assemblées de l’an passé. Cette fois-ci, à 21h30, la salle, encore remplie, scande « Solidarité ! Solidarité ! Solidarité ! ». Après plus de trois heures et de nombreuses interventions de travailleurs et travailleuses « crinqué·es », on vibre encore au son des « On lâchera pas ! On lâchera rien » ; « On es-tu pépés ! ouais ! ouais ! ». et on se sent porté par diverses manifestations de solidarité « on est avec vous », « lâchez pas ; il peut pas rouler la business sans vous ! » On a chaud au coeur, dans cette assemblée en colère, prête à faire front contre un patronat qui parait plus déterminé que jamais.

Car les travailleurs et les travailleuses en lutte en ont beaucoup d’« écoeurentries patronales » à partager aujourd’hui. Ce patronat québécois se montre tout aussi décomplexé et déterminé que celui de nos voisin·es à bloquer les salaires, augmenter le temps de travail, supprimer le paiement des heures supplémentaires, détruire les pensions de retraite, se retirer du financement des assurances collectives, dresser les travailleurs et travailleuses les unes contre les autres, celles et ceux qui ont la nationalité canadienne contre les migrant·es.

Difficile de nier l’attaque frontale du patronat contre « l’exception québécoise » et ses quelque 39% de syndiqué·es. Comme le souligne une vice-présidente du CCMM-CSN, comment ne pas voir une volonté de « casser les syndicats » et de briser, par là, l’un des derniers remparts contre la droite dure, sinon extrême, au Québec.

Lock out contre 600 travailleuses et travailleurs à l’Hôtel Reine Elisabeth de Montréal – 2 mois .

Une quinzaine de représentant·es des travailleuses et des travailleurs de l’Hôtel Reine Elizabeth s’approchent les premier·es de la tribune. Comme à l’accoutumée, la salle se lève et les applaudit. Une porte-parole du syndicat, connue pour sa longue expérience militante, notamment au sein du CCMM, prend la parole, visiblement très émue.

« Je n’ai jamais cru que ce serait mon tour, que je serais ici, dans cette position.
J’ai participé à de nombreuses instances à la CSN, j’ai longtemps participé au CCMM et le moment le plus touchant pour moi c’était toujours quand j’entendais les grévistes et les lockouté·es ; je ne supportais pas... Mais je n’ai jamais cru que ce serait un jour mon tour. Aujourd’hui, ça fait 79 jours qu’on a été mis·es en lock out ».

Tandis que de nombreux hôtels ont signé des conventions collectives depuis le début des négociations coordonnées que mène la CSN dans le secteur de l’hôtellerie, la direction du Reine Elisabeth ne veut rien lâcher pour améliorer les conditions de travail des préposées aux chambres. Au contraire, elle veut faire un exemple contre un syndicat qui a conquis, en 40 ans de luttes et à coup de nombreuses grèves, l’une des conventions collectives les plus « enviables… peut-être la meilleure en Amérique du Nord », explique un intervenant au micro. C’est ce que « l’employeur ne supporte pas » : « il a congédié la secrétaire du syndicat », et « il mène une guerre personnelle en multipliant les suspensions ».

Et cet employeur, c’est la compagnie immobilière Ivanhoé Cambridge qui appartient à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), soit le « mandataire de l’État » qui gère les cotisations de retraites des Québécois·es . En fait, « de vrais voyous », selon un conseiller syndical : « [s]i vous saviez le nombre de briseurs de grève qu’ils mobilisent, ils se foutent des lois ces gens-là, même si c’est public ».

Désormais, le « modèle d’affaire » c’est le recours à des agences de placement. Mais « les agences de placement c’est un cancer, ça crève les gens » ajoute un autre travailleur de l’hôtellerie au micro. « Les agences ce sont des briseurs de grève ; ils travaillent dans l’hôtel en ce moment » rapporte un autre. « Les agences, nous on n’en veut pas et c’est pour ça qu’on est dehors, c’est pour ça qu’on est sur les lignes de piquetage » explique une gréviste.

Et la porte-parole du Reine Elisabeth de conclure :

« Je veux souligner quelque chose qui m’a touchée… le point qui me touche le plus c’est l’immigration. Je suis née dans un petit pays, (…), je suis arrivée au Québec dans les années 1980 d’un petit pays. Et dès les premiers pas, malgré l’hiver que je déteste, j’ai aimé ce pays. Mais aujourd’hui, le phénomène populiste me fait peur ; ma crainte c’est que j’entends au sein même de mon syndicat des discours qui sont très semblables à ceux de Trump … et je voulais le souligner aujourd’hui ».

Une résolution est alors adoptée à l’unanimité, appelant à la solidarité et aux dons.

Lock out des 50 salariés de Demix/Béton provincial - 2 mois

Deux représentants de l’entreprise Demix s’approchent à leur tour de la tribune. Ils sont en lock out depuis le 5 décembre 2024. De nouveau, la salle se lève et scande « Solidarité ! »

L’un des deux représentants, encore ému par les interventions précédentes, nous dit :

« Je suis intimidé par les grosses foules… Face au patron, c’est pas pareil ».

Son nouveau patron, c’est un « oligarque de Matane, André Bélanger », propriétaire de Béton Provincial, la plus importante entreprise canadienne dans l’industrie du béton. (2600 employés, 115 usines, une centaine de carrières et de gravières et une cimenterie…). Demix est l’une de ses usines, basée à Longueuil. Le syndicat représente une cinquantaine d’employés, principalement des chauffeurs de bétonneuse, tous des hommes. En avril 2024, Béton Provincial a acquis l’entreprise. En septembre de la même année, la convention collective est arrivée à échéance.

Après avoir fait trainer les négociations, le nouvel employeur a finalement « offert » aux travailleurs : 1) d’abolir sa contribution au REER collectif, soit une diminution de 5.5% du salaire ; 2) de réduire sa contribution aux assurances collectives (de 100% à 50%) ; 3) une convention de sept ans et des augmentations salariales de 0% les deux premières années et de 2% les suivantes ; 4) une prime de 0.5$ de l’heure ; et, pour finir et couronner le tout, 5) de « couper le temps supplémentaire et de supprimer le temps double le dimanche. Et ils veulent ramener le temps de travail sur 6 jours alors que c’était de cinq jours jusqu’à présent. C’est un recul de plus de 20 ans en arrière ».
Fin novembre, le syndicat s’est doté d’un mandat de grève :

« on s’était voté 10 jours de grève à prendre de manière aléatoire. Finalement, on n’a pas pris une seule journée (…) Le 5 décembre, je suis rentré chez nous à 7h du soir, j’étais avec ma femme. Pan. Courriel : lock out ».

Ainsi, juste avant les fêtes, « l’employeur nous prive de l’Assurance-chômage… on se retrouve sans rien ; il y a des gars avec leurs familles, y pouvaient plus suivre, ils ont trouvé une autre job… mais nous on lâche pas, on tient la ligne ». Le représentant poursuit et raconte :

« quelques jours après le déclenchement du lock out, juste avant Noël, on a tous reçu une lettre d’André Bélanger, qui disait qu’il offrait une dinde pour Noël à tous les employés. Mais on n’en voulait pas d’sa criss de dinde ! ».

Un conseiller syndical intervient : la Convention chez Demix est l’une des meilleures dans le secteur du béton. Selon lui :

« c’est pour ça que l’employeur veut faire un exemple il veut les casser, c’est ça le plan de match. Mais y va pas les casser…. Le patron, il a oublié que ce sont des gars qui se lèvent à tous les jours à 4 h du matin pour livrer le béton. Il a pas compris qu’il avait tous ces gars-là… ce sont des tough, que sur les lignes de piquetage ça y va et qu’y aura pas de recul. Quand les gars vont retourner dans le camion, la tête haute, c’est le boss qui va dire “pardon monsieur” ».

Une résolution est adoptée à l’unanimité, appelant à la solidarité et aux dons.

Mobilisation dans les Centres de la petites enfance – 13 000 employées

Une représentante syndicale, seule, s’approche de la tribune. Elle est membre du CPE de Montréal-Laval. On entend le « so-so-so » de la salle.

Elle nous explique que les travailleuses des CPE sont sans convention collective depuis plus d’un an et demi, soit depuis le 1er avril 2023. Le gouvernement fait délibérément trainer les négociations. Les 13 000 travailleuses affiliées à la CSN, 80% des employées dans le secteur, revendiquent principalement un allègement de la charge de travail, une augmentation salariale et des primes pour les régions éloignées.

Pour le moment, les travailleuses ont adopté 5 jours de grève à prendre au moment jugé opportun. Une seule journée de grève a été prise, à ce jour, le 23 janvier 2025.
« Il y a eu une forte couverture médiatique… mais le patron n’a pas modifié son angle d’attaque… Il est sur l’offre initiale ». En revanche, le gouvernement Legault a offert des « avancées à la CSQ », l’autre centrale syndicale présente dans le secteur, « comme quoi… il veut casser la CSN ».

Il n’a rien changé non plus dans son attitude, paternaliste, arrogante et méprisante :

« Au niveau du ton, à la table de négociation, ils commencent par dire « « au moins on ne vous propose pas de recul ; on pourrait vous donner rien », c’est cette ambiance-là à la table de négo ».

Une deuxième journée de grève a été prise le 6 février . À suivre donc…

Une résolution de solidarité et d’appel aux dons est votée à l’unanimité : « solidarité ! solidarité ! solidarité ! ».

Amazon. 4 500 emplois supprimés à la suite d’une campagne de syndicalisation.

Finalement, cinq travailleurs d’Amazon montent à la tribune. Là encore la salle se lève et plus fort encore que les fois précédentes : « Solidarité ! Solidarité ! Solidarité ! ».

L’un des représentants prend la parole, il a l’air jeune, très ému, sa voix tremble :

« Merci tout le monde. Merci pour la solidarité. Beaucoup d’émotions… Mercredi, je me suis réveillé comme 3 500 personnes, en apprenant qu’Amazon nous crissait dehors et attaquait le mouvement syndical québécois au grand complet. C’est pas vrai que c’est 1 700 personnes. Avec les osties de sous-traitants, c’est 3 500 personnes à la rue ».

Il s’arrête. La salle l’applaudit. Il reprend :

« S’cusez.… Amazon ferme parce que 250 employé·es ont décidé de se tenir debout, de simplement s’organiser dans un entrepôt où il y avait un accident par jour, qui sont pas déclarés. Anyway ! On voulait plus se faire traiter comme des machines, on voulait le respect… juste ça c’était inacceptable pour cette multinationale-là… »

La salle applaudit :

« Malgré les larmes que j’essaie de retenir, l’heure n’est pas aux larmes, l’heure est au combat. À la chope je me fais demander tous les jours : C’est quand la manif, c’est quand la grève ? On va pas se laisser faire… on va se mobiliser ».

Et enfin, il appelle au boycott mais surtout à l’unité des luttes et des syndicats :

« Je salue le boycott… En fait, je vous encourage à appuyer toutes les mobilisations pour résister à la tyrannie… c’est pas vrai qu’au Québec on va casser le mouvement syndical. Arrêtez d’acheter à ces criss de tabarnac-là. Ultimement, si on veut gagner contre ces criss de tabarnac-là, contre ces osties d’Américains-là… s’cusez, mais c’est ensemble, tous les syndicats ensemble…. Alors oui, prenez vos actions individuelles mais c’est le mouvement ensemble qui a la balance du pouvoir… Icit, on boycott et j’espère vous voir bientôt dans la rue avec nous ».

Les interventions qui suivent saluent le courage des travailleurs et des travailleuses, soulignent le caractère historique de cette lutte en Amérique du Nord. « Avec 3 500 personnes mises à pied pour empêcher la syndicalisation… on n’est pas capables de trouver de précédent dans l’histoire du Québec », lance un conseiller syndical. Dans tous les cas, cette lutte va marquer le mouvement ouvrier, « peut-être même qu’elle sera dans la même page d’histoire que l’emprisonnement des dirigeants syndicaux » en 1972. Effectivement, « Installer le premier syndicat dans Amazon et négocier une Convention, ça demandait un courage exceptionnel ! ». Alors, « On va leur crisser une volée et on va les sortir du Québec. Solidarité ».

D’autres intervenant·es appellent à soutenir le boycott, à lancer des procédures judiciaires contre Amazon et à augmenter les dons d’appui au Centre des travailleurs et travailleuses migrantes (CTTI), comme au Mouvement action chômage (MAC) qui sont en première ligne pour répondre aux besoins des licencié·es.

Enfin, une conseillère syndicale raconte, au sujet de la première assemblée syndicale chez Amazon.

« À l’assemblée, les gens avaient peur. Ils avaient très peur. Il y avait des femmes… Il y avait plein d’immigrantes. Je suis allée voir l’une d’elles… et la première chose qu’elle m’a dite : « Mais le boss, il va nous mettre dehors ! ». Et moi je lui ai répondu « mais non ! On a des lois au Québec… ».

Une résolution est adoptée qui appelle au boycott de la multinationale et qui accorde un don de 7 500 dollars au CTTI et au MAC .

Une manifestation contre Amazon est prévue à Montréal le samedi 15 février.

Francis Dupuis-Déri, membre du SPUQ
Elsa Galerand, membre du SPUQ
Martin Gallié, membre du SPUQ


Le texte a été rédigé à partir des notes prises par MG lors du CCMM-CSN

Martin Gallié

Martin Gallié, Montréal, militant internationaliste, professeur à l’UQAM.

Francis Dupuis-Déri

Professeur de science politique à l’UQAM et auteur de L’armée canadienne n’est pas l’Armée du Salut (Lux, 2010) et de L’éthique du vampire. De la guerre d’Afghanistan et quelques horreurs du temps présent (Lux, 2007)

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