Dans ce cadre, les 30 syndicats portent une plateforme de revendications communes qu’ils ont le mandat de négocier avec leurs employeurs respectifs. Chaque syndicat peut ajouter ses propres revendications à cette plateforme commune, décide de ses propres moyens d’action, négocie sa propre entente de principe et la soumet au vote de ses membres.
Sans convention collective, depuis le 30 juin 2024, après plusieurs journées de grève ponctuelles tenues entre juillet et août 2024, les travailleuses et travailleurs de l’hôtel Bonaventure déclenchent une grève illimitée le 12 septembre. Les employé·es de l’hôtel PUR à Québec font la même chose le lendemain tandis que celleux de l’hôtel Delta à Sherbrooke ont adopté une banque de 120 heures de grève, qui sera en partie utilisée le 12 septembre .
Les revendications communes des négociations coordonnées étaient alors les suivantes :
• Obtenir des augmentations salariales de 36 % sur quatre ans pour combler la perte du pouvoir d’achat liée à l’inflation.
• Augmenter la contribution de l’employeur au régime d’assurance collective.
• Encadrer la formation pour la relève et mieux appuyer les formateurs et les formatrices.
• Revoir l’accès et la rémunération pour les vacances annuelles pour attirer la relève et reconnaître l’expérience du personnel en place.
• Éliminer le recours aux agences de placement.
• Freiner la surcharge de travail pour mieux protéger le personnel.
• S’assurer que les personnes salariées décident entre elles du partage des pourboires.
Au moment où nous écrivons ces lignes, le 18 octobre 2024 , seule la grève générale illimitée des travailleuses et travailleurs de l’hôtel PUR de Québec se poursuit. Le 1er octobre 2024, les travailleurs et travailleuses de l’hôtel Delta à Sherbrooke ont adopté une entente de principe à 92% ; tandis qu’à l’hôtel Bonaventure, la grève qui a duré près d’un mois a pris fin le vendredi 11 octobre 2024, avec l’adoption d’une entente de principe à 80,4%.
Le jour même, nous avons rencontré sur zoom, Annette, Irène et Alice, trois préposées aux chambres qui ont participé à l’une ou l’autre de ces grèves. Toutes les trois travaillent à temps plein en tant que préposées aux chambres depuis plus de 15 ans, 17 ans et 40 ans. Mères de famille, elles vivent avec leurs conjoints : « avec le prix des loyers montréalais, même en travaillant à temps plein, on ne pourrait pas s’en sortir seules » nous disent-elles.
Leur travail consiste à « faire les chambres » : changer les draps, refaire les lits, passer l’aspirateur, nettoyer la salle de bain, changer les serviettes et les peignoirs, vérifier et au besoin préparer de nouveau le service à café et à thé, ranger et laver les tables, vider les poubelles, etc.
Nous restituons ici nos échanges sur 1) leurs revendications et conditions de travail d’abord, 2) le déroulement de la grève et le premier bilan qu’elles en font, ensuite.
1) Au sujet des revendications et conditions de travail
Si les travailleurs et travailleuses de tous les départements des hôtels dans lesquels elles travaillent ont fait grève (réception, cuisines, équipiers, entretien technique, restauration, etc.), c’est néanmoins la surcharge de travail des préposées aux chambres qui a été un moteur pour la mobilisation et une revendication centrale lors des négociations : « l’enjeu de la surcharge dans les chambres est tellement énorme qu’on ne peut pas laisser passer ».
Elles nous expliquent d’abord que le nombre de chambres à faire par jour est conventionné. Dans l’un des hôtels par exemple, et avant la grève, les préposées devaient « faire » 14 chambres par jour en automne et hiver et 12 en été. Cette variation selon la saison tient au fait qu’en été, les chambres sont plus souvent occupées par des familles si bien que la charge de travail est plus lourde. Celle-ci augmente aussi quand les chambres à faire correspondent à des départs (check out). Et dans certains hôtels, les travailleuses doivent compléter un minimum de 11 check out par jour.
Irène nous décrit ainsi une journée habituelle :
« On travaille 7h30 de temps car il faut enlever les 30 minutes de pause. Ça fait 7h30, soit 450 minutes pour 14 chambres. Donc sans compter une seule minute de pause, on doit faire la chambre en 32 minutes. Dans ces 32 minutes, il faut que tu comptes le temps d’aller chercher le linge en bas, les produits à l’étage, préparer ton chariot. Rien que pour tout ramasser, il faut souvent 10 minutes ; mais compte au moins 10 minutes pour la salle de bain ; plus de 10 minutes pour les draps et après, préparer les cafetiers, aller chercher les robes de chambre… On court dans les chambres ».
Et depuis plusieurs années, cette cadence imposée par la charge de travail ne cesse d’augmenter. Elles prennent l’exemple du ménage des salles de bain pour illustrer le surcroit du travail exigé des préposées aux chambres, un surcroit qui n’a jamais été ni comptabilisé, ni rétribué par les employeurs. Dans de nombreux hôtels, les salles de bain ont été rénovées et « modernisées », au cours des dernières années. Les rideaux de douche ont été remplacés par des portes vitrées à la mode. Or ces portes « ça prend beaucoup de temps à nettoyer ! » dit Annette :
« La cabine des douches, avant c’était un rideau, qu’il suffisait de changer quand il était sale. Maintenant, ce sont des portes vitrées coulissantes. Chaque fois il faut nettoyer pour que ce soit « impeccable ! » on nous dit. On doit donc tout laver et ça prend plus de temps. Ça fait 4 surfaces à nettoyer, à passer avec ton bras, dans 14 chambres, 4 ou 5 jours par semaine. Et puis, il y a beaucoup de clients qui restent plus d’une nuit et qui refusent le service de nettoyage mais avec l’accumulation de shampoing et de produits qui ont séché, ça double le temps, ça fatigue car il faut frotter encore plus fort en tendant le bras en l’air ».
Tout en faisant de la propreté des chambres une de leur priorité, les gérants et propriétaires d’hôtels sont soucieux d’offrir toujours plus de services à la clientèle sans pourtant augmenter le budget consacré aux salaires. Non seulement exigent-ils toujours davantage de travail de la part des préposées chaque fois qu’ils offrent un nouveau service mais ils coupent dans d’autres services, explique Alice. Par exemple, l’employeur a décidé de supprimer le « grand ménage ».
« Avant, il y avait le grand ménage : dans les chambres, on démontait tout (radiateur, rideaux, etc) et on nettoyait tout. Mais il y avait une équipe qui venait nous aider. Plus maintenant. Ça coute cher à l’employeur de faire un grand ménage, ils ont arrêté ».
Les employeurs ont aussi coupé le service de mini-bars, dit Irène, celui qui était chargé de le remplir et de s’occuper de la station de café, tout en offrant de nouveau « services », comme les robes de chambres ou le service aux chambres :
« l’employeur a décidé de couper le service de mini-bar, les chocolats, les cafetiers etc. Avant c’était cette équipe qui s’occupait de la station de café. Là c’est nous qui faisons ça. Il nous demande aussi de mettre les robes de chambres partout, ça veut dire aller à la lingerie, il a coupé le service au chambre donc on a des plateaux roulants, avant c’était le service aux chambres qui passait. Moi, je refuse de faire le service en chambre. Moi, je laisse tout dans le couloir, ce n’est pas moi qui ramène tout. Mais moi je peux m’y opposer car ça fait longtemps que je suis là. Les robes de chambre, c’est mon département, c’est ok. Mais pas le service aux chambres. Il nous rajoute toujours un petit temps d’action supplémentaire ».
Enfin, les employeurs exigent maintenant des préposées qu’elles déplacent elles-mêmes les chariots de linge, qui sont lourds, jusqu’à la buanderie :
« Auparavant, c’était les hommes d’entretien qui venaient vider les chariots du linge sale. Maintenant c’est nous qui devons les mettre dans les sacs et les porter à nettoyer ; les déchets maintenant c’est nous… On rajoute des surcharges aux employés. À la fin on accumule des minutes par chambre ».
Cette augmentation du rythme, du nombre de tâches et des exigences physiques du travail, ont d’importantes répercussions sur la santé des travailleuses. Irène raconte ainsi :
« Beaucoup de préposées partent en congé maladie car elles ont mal au dos, au bras (…) ; il y a beaucoup plus d’accident au travail, on travaille de plus en plus vite, on se fait mal. Il y a plein de situations problématiques pour nos bras avec des mouvements répétitifs. Beaucoup de filles ont mal au tunnel carpien. Surtout dans les bras, le haut du corps ; avec le chariot qu’on pousse d’une chambre à l’autre, c’est pas mal pesant… je l’ai pesé une fois, je peux vous dire combien ça fait [elle sort son téléphone] : 293 livres. C’est pour ça qu’on a tout le temps mal aux mains ».
Annette décrit un épuisement collectif au travail devenu si frappant qu’il fallait faire quelque chose :
« Aujourd’hui il n’y a pas un sourire qui nous accueille au travail. Tout le monde est fatigué, écœuré, la mine basse. Tout ce qu’on entend c’est des critiques, dans tous les départements. C’est triste de voir ça, de rentrer au travail de voir des employés qui pleurent à tout bout de champ (…) La charge de travail, ça touche notre santé, notre physique, notre vie, tout. Quand tu es trop fatiguée tu n’as pas envie de revenir au travail le lendemain. Ça fait des années qu’on la dénonce mais ça continue. Alors, il fallait dire d’arrêter, arrêter de nous surcharger ; il fallait faire réfléchir l’employeur qu’on est des êtres humains, qu’on n’est pas des machines et qu’on doit pouvoir prendre nos pauses. Ce qui arrive c’est qu’on prend même pas nos pauses ».
2) Le déroulement de la grève et le premier bilan qu’elles en font.
Au sujet du déroulement des évènements, des négociations et de la grève, Irène explique d’abord que dès le début, l’employeur a fait savoir qu’il comptait augmenter le nombre de chambres à faire, de 14 à 15. Il argumentait que le département des préposé·es aux chambres était celui qui lui coûte le plus cher et que c’était donc à ce département de faire des efforts.C’était tout simplement inacceptable, un recul, « une insulte », pour Annette qui travaille depuis des dizaines d’années dans l’hôtel :
« Quand j’ai commencé on était à 15 chambres. On s’est battues et on a réussi à réduire le nombre à 14. Quand ce charmant monsieur arrive et qu’il propose des reculs, c’était une insulte. Quel imbécile ! Quel imbécile de mettre en doute le nombre de chambre qu’on peut faire ».
Alice ajoute : « l’employeur, il arrive avec un nombre de demandes incalculable, plus de 100 demandes, toutes des reculs. Tout ça pour nous niaiser, puisqu’à chaque fois après, il les enlève à 95% à la fin ». Non seulement soumettait-il des propositions totalement inacceptables mais il faisait trainer les négociations : « il disait, « on renégociera la prochaine fois ». Il nous a fait attendre tellement longtemps, il ne nous écoutait pas alors c’est pour ça que j’étais partante pour partir en grève ».
Avant le vote, les travailleuses les plus anciennes comme Annette craignaient que les plus jeunes ne suivent pas le mouvement de mobilisation et s’opposent à la grève :
« Moi je vais bientôt partir mais j’ai continué à me battre car on avait confiance en moi. Mais ma peur était qu’étant donné qu’il y avait beaucoup de nouvelles employées et que c’était leur première négociation, j’avais peur qu’elles ne soient pas impliquées. Alors je leur disais ‘‘n’oubliez pas que vous allez sûrement rester comme beaucoup d’entre nous pendant 10 ou 15 ans. Ce que vous n’allez pas gagner, ce que vous allez perdre, vous allez le subir. Vous devez comprendre que c’est un enjeu important. Vous êtes jeunes mais dans quelques années ce ne sera pas pareil de faire les chambres’’ »
Finalement, le vote de grève a été adopté par la quasi-totalité des employé·es des différents départements des hôtels. Et, au moins pour parti, ce vote en est un de solidarité de tou.te.s les employé.e.s avec les préposées aux chambre :
« Avoir des votes de 97 ou 98 % de votes, je n’ai pas vu ça souvent. J’étais fière du vote. Ils ont vu que c’était important. Le point majeur, c’était les préposées et ma crainte c’est que les autres départements ne suivent pas. Mais ils ont été solidaires des préposées aux chambres et ça c’était vraiment très apprécié ».
La grève illimitée a donc débuté le 16 septembre et les grévistes ont immédiatement organisé des lignes de piquetage :
« On a demandé à tout le monde de participer aux lignes de piquetage 20h par semaine. On voulait toujours le même nombre de personnes sur la ligne de 8h à 18h. On vient le matin, on a de la musique, on a des drapeaux, on manifeste, on danse, on a mis de la musique forte, il y avait toujours minium 20 personnes parfois, 30 personnes (…) À la fin, les gens amenaient des repas pour aider. En général, il y avait de la bonne humeur. Pendant les trois semaines et demi ».
Alice précise « on a eu de la chance car on a pu avoir des tentes pour nous protéger du froid alors que dans certains hôtels en grève, il n’y a pas de place pour mettre des tentes ». Les travailleuses ont également organisé d’autres actions, comme des visites de solidarité dans les autres hôtels en grève avec lignes de piquetage.
Elles dressent un bilan positif des lignes de piquetage, des clients et des passants plutôt sympathiques se sont arrêtés pour les soutenir et elles ont su « que ça dérangeait la direction de l’hôtel ». Et comme le souligne Annette, « faut se le dire, le fond de grève est meilleur que dans mon temps : 320$ alors qu’avant on avait peut être 150$ par semaine », ajoute-t-elle, difficile de tenir. Mais même avec un meilleur fonds de grève, « quand ça commence à durer, c’est plus dur, le piquetage fonctionne bien mais ça ne veut pas dire que ça peut continuer longtemps ».
Toujours en guise de premier bilan, les travailleuses évoquent deux problèmes majeurs : la présence de scabs et l’absence de soutien médiatique. Si l’hôtel a pu fonctionner pendant la grève, c’est que les superviseurs et les gens de la comptabilité ont été sollicités notamment pour faire les chambres, mais il y a également eu des scabs :
« Ils étaient quoi, une trentaine de scabs. On a eu deux fois la visite d’un inspecteur. On ne les voyait pas rentrer car il y a plusieurs entrées. Donc ils ne passent pas devant le piquetage. On sait aussi qu’ils ont embauché des cuisiniers d’une compagnie extérieure jusqu’au début octobre ».
Concernant les médias, Annette rapporte :
« C’est vrai qu’on ne parle pas de nous dans les médias. On voit parfois des journalistes. Mais nous, on n’a pas d’impact comme dans la santé ou dans le système d’autobus. Nous c’est une clientèle internationale, temporaire. C’est complètement passé sous silence. Le public il se fout complètement de ce qui se passe dans l’hôtellerie car ça n’a aucun impact sur eux. Et puis l’employeur il n’a aucun compte à rendre à personne ».
Elsa Galerand et Martin Gallié, 25 octobre 2024
Les auteur·es remercient les travailleuses qui ont accepté de prendre du temps pour répondre à leurs questions et Alice Lepetit de la CSN .
Photo : Dominic Morissette.
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