Raison, déraison et religion
Michel Seymour
Je voulais lire cet essai depuis sa publication en 2021. L’auteur y défend une laïcité ouverte inspirée du libéralisme politique du philosophe John Rawls. Il y explique, dans un esprit de tolérance et de respect, l’importance d’accorder aux droits collectifs la même légitimité qu’aux droits individuels. Et donc de concevoir, dans le respect des institutions de l’État et des valeurs de la société d’accueil, que des personnes puissent s’identifier étroitement à leur religion sans que cela ne porte préjudice à cette société d’accueil. Une bouffée d’air frais en somme devant l’intolérance et l’islamophobie de certains chroniqueurs du Journal de Montréal et des médias d’extrême droite.
Extrait :
Dans cet ouvrage, j’ai voulu débusquer les différents présupposés qui ne sont presque jamais remis en cause par les auteurs occidentaux et qui se trouvent dans l’angle mort de leurs considérations. L’individualisme moderne est vite apparu comme un obstacle à une véritable ouverture à l’égard des sociétés communautariennes ou de certains groupes minoritaires religieux. Sans fournir des réponses à toutes les questions et sans prétendre résoudre tous les problèmes, la pensée de Rawls nous a fourni des clés pour prévenir l’escalade des tensions. Elle permet de déconstruire des raisonnements qui s’appuient sur des prémisses non fondées. Elle permet de réfléchir à une ouverture d’esprit possible qui est à la disposition des personnes et des peuples raisonnables.
L’économie de la foi
Alain Deneault
Ce second feuilleton théorique d’Alain Deneault sur l’économie n’est pas toujours d’une lecture facile, mais il est remarquablement intéressant sur les origines du christianisme et le passage de l’économie de la foi, qui lui sert de fondement, à l’économie telle que nous la connaissons aujourd’hui dans son sens le plus étroit. C’est un véritable traité, s’il en est, sur la manipulation et la tromperie.
Extrait :
Le concept d’« économie » que nous a légué le champ théologique nous instruit sur la façon que nous avons encore de subordonner ainsi, à des projections supérieures, les institutions et les discours. Au tournant du IIIe siècle de notre ère, cette question amène un des premiers théologiens de l’Église, Tertullien, à dénoncer tous les modes de représentation hormis l’office chrétien : le cirque, le théâtre, la mythologie et les rites païens. Que tous ces « spectacles » procèdent de manière analogue aux mises en scène religieuses, que tous allient une scène avec un principe, lui paraît insupportable. Ces dispositifs de croyance ressemblent trop à celui du christianisme. Il fallait trier le bon grain de l’ivraie, les bons autels des pervers, en distinguant, malgré leur apparence commune, ceux qui sont requis pour médiatiser la Voie à suivre de ceux qui font errer. En quoi se ressemblent-ils ? En ce qu’ils renvoient tous à un principe, que ce principe ne saurait exister sans eux, mais qu’ils ne signifieraient rien en eux-mêmes si un tel principe ne venait pas leur conférer du sens. Il ne saurait y avoir de spectacle sans profession de foi ni de profession de foi sans spectacle. Qu’est-ce qu’une manifestation, une scène, une déclamation, si elle ne s’arrime pas à une idéalité rayonnant sur elle pour qu’elle acquière sens et légitimité ? Inversement, comment un tel principe peut-il peser sur une communauté dans son histoire s’il est relégué à sa pure abstraction, sans une incarnation esthétique qui lui donne corps et voix hic et nunc ?
Mémoires d’une jeune fille rangée
Simone de Beauvoir
Il émane des recueils autobiographiques de Simone de Beauvoir une telle atmosphère de liberté et d’accomplissement qu’on ne peut prendre que beaucoup de plaisir à les lire. Le premier, « Mémoires d’une jeune fille rangée », couvre les vingt et une premières années de la vie de l’auteure. Simone de Beauvoir y décrit son éducation dans un univers bourgeois désargenté et son engagement — contraire aux souhaits de sa famille — vers la littérature et la philosophie. Ces mémoires de jeune fille, ce sont aussi les premières rencontres, celles plus formatrices de l’adolescence, puis celles plus définitives du monde de la littérature.
Extrait :
Je suis née à quatre heures du matin, le neuf janvier 1908, dans une chambre aux meubles laqués de blanc, qui donnait sur le boulevard Raspail. Sur les photos de famille prises l’été suivant, on voit de jeunes dames en robes longues, aux chapeaux empanachés de plumes d’autruche, des messieurs coiffés de canotiers et de panamas qui sourient à un bébé : ce sont mes parents, mon grand-père, des oncles, des tantes, et c’est moi. Mon père avait trente ans, ma mère vingt et un, et j’étais leur premier enfant. Je tourne une page de l’album ; maman tient dans ses bras un bébé qui n’est pas moi ; je porte une jupe plissée, un béret, j’ai deux ans et demi, et ma sœur vient de naître. J’en fus, paraît-il, jalouse, mais pendant peu de temps. Aussi loin que je me souvienne, j’étais fière d’être l’aînée : la première. Déguisée en chaperon rouge, portant dans mon panier galette et pot de beurre, je me sentais plus intéressante qu’un nourrisson cloué dans son berceau. J’avais une petite sœur : ce poupon ne m’avait pas.
Mégantic
Anne-Marie Saint-Cerny
« Mégantic » a été publié cinq ans après la terrible tragédie qui a frappé la petite ville de Lac-Mégantic en 2013. C’est le fruit d’une enquête fouillée qui fait admirablement le tour de la question avant, pendant et après l’événement. Il nous offre un portrait d’un monde où presque tout est subordonné au capital, au profit et à la richesse. C’est un bel exemple du vrai monde de l’économie et un ouvrage que l’on devrait étudier dans les écoles, pour en mieux connaître le fonctionnement, comme on le fait avec le fameux « Petit cours d’autodéfense intellectuelle » de Normand Baillargeon. Rappelons l’événement. Nous sommes à Lac-Mégantic, aux environs d’une heure du matin, le 6 juillet 2013. en une chaude nuit d’été. Un train fou sans conducteur tirant des bombes de pétrole explosif dévale la pente qui mène au cœur de la localité et en pulvérise le centre-ville, carbonisant 47 victimes prises au piège et laissant dans son sillage une insouciance à jamais perdue...
Extrait :
Dans les années précédant la tragédie de Mégantic, il s’est publié une pléthore de rapports sur la sécurité ferroviaire. Une longue liste d’examens, d’enquêtes, de dénonciations et de mises en garde, qui remontent à plus d’une décennie. Dans chacun de ces rapports, on prévient les élus et leurs hauts fonctionnaires des dangers des trains, du pétrole, du CP, de MMA et ainsi de suite.
Lorsqu’ils portent sur la tragédie elle-même, les rapports produits mettent en lumière des manquements relatifs aux freins, aux rails, aux locomotives, aux wagons, aux politiques publiques, au Système de gestion de la sécurité (SGS), aux lois en vigueur, à la réglementation. Le Bureau de la sécurité des transports (BST), dont le rapport final a été altéré par des autorités encore non identifiées, a énuméré 18 causes de l’accident.
Malgré tout, l’impression de ne pas savoir demeure. Parce que chacun d’entre nous sait pertinemment que les rails, les freins, les règlements n’existent pas par eux-mêmes. Des êtres de chair et d’os, derrière, élaborent les lois et les mesures de sécurité, les promulguent, les appliquent. D’autres détiennent et gèrent ces mastodontes d’acier, ces bombes sur rail.
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Dans les heures suivant le drame, tous les politiciens possibles sont passés – et repassent encore – par Mégantic. Tous ont promis à tour de rôle des « séries de mesures »… face aux « causes identifiées »… pour « accroître la sécurité ferroviaire, une priorité ». Pourtant, en 2018, un train sans dérailleur a encore le droit de stationner dans une pente, sur la voie principale d’un chemin de fer. Deux facteurs pourtant reconnus comme causes de la tragédie dans le rapport du BST sur Mégantic.
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