Rue Duplessis
Jean-Philippe Pleau
Ce roman a davantage l’allure d’une courte biographie ou d’un essai que d’un roman. L’auteur y décrit son passage de la classe sociale de ses parents – son père étant pratiquement analphabète et sa mère peu scolarisée – à une classe sociale supérieure après des études en sociologie. Ces récits de transfuge de classe sont devenus récurrents en littérature depuis quelques années, mis en valeur en particulier par les romans autobiographiques d’Annie Ernaux, récipiendaire, il y a deux ans, du Prix Nobel de littérature. Je ne peux m’empêcher de trouver très durs, ici encore, les propos rendus publics d’un auteur sur l’état d’aliénation de ses parents. Les tentatives d’en transférer en partie le poids sur l’inégalité des chances dans nos sociétés n’y changent rien. Je ne peux quand même éprouver que des regrets et de l’empathie pour les parents et la famille de l’auteur dont les travers ont été ainsi mis à nu par ce bouquin vite devenu fort populaire.
Extrait :
Je me souviens que quand je demandais à mes parents d’où ils tenaient cette information sur les restos chinois, ils répondaient toujours : « C’est ce qu’ils disent ». Ce fameux « ils », instrument de légitimation de leur discours et de leurs petites aliénations.
L’économie esthétique
Alain Deneault
Ce troisième feuilleton théorique d’Alain Deneault sur l’économie, qui porte sur l’économie esthétique, traite de la réorientation du terme à des fins exclusivement mercantiles, à l’aide de nombreuses métaphores et récupérations artistiques, en vue de détourner les consciences des effets pervers et destructeurs du capitalisme. C’est une œuvre éclairante, mais plutôt théorique.
Extrait :
L’économie n’a pas tant de référent propre qu’elle se révèle elle-même le nom d’une puissance de créer et d’imager à l’œuvre dans l’expression. C’est pourquoi la rhétorique s’en remet à elle pour traiter d’« économie du discours », la littérature et le cinéma d’« économie du récit » et les arts en général d’« économie d’une œuvre ». L’économie tient ici à nouveau d’un principe d’organisation : dans tout exercice rhétorique ou littéraire, un propos s’expose avec précision et justesse, le choix des éléments ainsi que leur orchestration se faisant avec mesure et parcimonie pour ménager les efforts d’un lecteur, tout en provoquant chez lui un effet esthétique. Par une figure de style telle que l’ellipse, on réunit en un minimum de moyens l’essentiel d’une intrigue pour épargner tout développement superflu et servir une unité d’action. Mais d’autres recours, comme la métaphore dans sa puissance d’imagerie, et le récit lui-même dans sa fonction allégorique, ne font pas que fournir à l’esprit des propositions obéissant à la loi du moindre effort ; ils créent des sèmes, des figures, de la signification et du sens là où la lexis et l’entendement faillissent. Ils sont en cela productifs.
Le feu
Henri Barbusse
Mon grand-père Marquis a participé à la Première Guerre mondiale et en est revenu blessé d’un éclat d’obus dans la jambe. Il n’a jamais voulu en parler. Il suffit de lire ce roman, carnets de guerre écrits par un soldat de l’époque, pour facilement comprendre pourquoi. L’auteur nous y décrit, dans les mots des poilus, comme on les appelait, en argot bien souvent, toute l’horreur et l’absurdité de cette longue guerre dans les tranchées, avec tous ses cadavres, sa saleté et sa misère, au contact quotidien de la souffrance et de la mort des proches. Ce roman se méritera en 1916 le prix Goncourt. Un des meilleurs romans, certainement, sur cette terrible guerre trop vite oubliée.
Extrait :
Quand on apprend ou qu’on voit la mort d’un de ceux qui faisait la guerre à côté de vous et qui vivaient exactement de la même vie, on reçoit un choc direct dans la chair avant même de comprendre. C’est vraiment presque un peu son propre anéantissement qu’on apprend tout d’un coup.
La force de l’âge
Simone de Beauvoir
Comme je l’ai déjà mentionné, il émane des recueils autobiographiques de Simone de Beauvoir une telle atmosphère de liberté et d’accomplissement qu’on ne peut prendre que beaucoup de plaisir à les lire. Le second, « La force de l’âge », couvre les années décisives de Simone de Beauvoir, de sa rencontre avec Jean-Paul Sartre à l’accomplissement de sa vocation d’écrivaine. Ce sont dix ans passés à écrire, à voyager, à nouer des amitiés et à se passionner pour des idées nouvelles. Un superbe deuxième recueil qui se termine en 1939, lorsque éclate la guerre.
Extrait :
Avec Nizan, on ne discutait jamais ; les sujets sérieux, il ne les abordait pas de front ; il racontait des anecdotes choisies dont il évitait avec soin de tirer les conclusions ; il proférait en se rongeant les ongles des prophéties et des menaces sibyllines. Nos divergences étaient donc passées sous silence. D’autre part, comme beaucoup d’intellectuels communistes de cette époque, Nizan était un révolté plutôt qu’un révolutionnaire, aussi y avait-il entre lui et nous un tas de complicités : certaines reposaient d’ailleurs sur des malentendus que nous laissions dans l’ombre.
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