Édition du 25 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

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Trump II, après deux mois de décrets

De la sidération à la contestation ouverte

« Représentez-vous maintenant le Prince tel qu’il est fréquemment. Il ignore les lois, est assez hostile au bien général, car il n’envisage que le sien ; il s’adonne aux plaisirs, hait le savoir, l’indépendance et la vérité, se moque du salut public et n’a d’autres règles que ses convoitises et son égoïsme. » Érasme (1964[1511], p. 74).

Deux mois absolument intenses

Vaut-il la peine de rappeler certains faits sur lesquels reposerait un court condensé des deux mois de la présidence américaine en place depuis le début de l’année 2025 ? D’un côté, un sentiment mariant évitement et épuisement semble vouloir l’éviter, de l’autre, un besoin de se sortir un tant soit peu de ce tourbillon afin de véritablement profiter d’un portrait général et ainsi voir où nous en sommes renduEs. Faisons donc ici le choix de ce second côté, car mieux vaut se familiariser avec les changements de notre environnement extérieur que d’opter pour le déni, et récapitulons comme suit : l’actuel occupant de la Maison-Blanche met à rude épreuve, à peu d’exception près, pour le moment, la patience de ses homologues — qu’elles ou qu’ils soient ses alliéEs — et ce, à travers le monde.

Aussitôt installé au pouvoir, il a fait l’annonce d’un projet d’investissement de 500 milliards de dollars dans le projet SpaceGate. Projet qui a eu pour effet d’emballer et de réjouir les compatriotes du Tech Power de la Silicon Valley. Il a procédé à un renversement d’alliances en matière de relations internationales et d’échanges commerciaux. Il a retiré son pays de l’Organisation mondiale de la santé et affiche une attitude hostile à l’endroit de ses partenaires économiques que sont la Chine, le Canada, le Mexique et les pays de l’Europe de l’Ouest. Dans le conflit militaire qui oppose l’Ukraine à la Russie, il a sacrifié celle-là au profit de celle-ci. Bref, il jette par-dessus bord ses alliés occidentaux pour afficher clairement son parti pris en faveur de la Russie. Son abandon de l’Ukraine s’explique en raison de la richesse des minéraux présents sur son territoire, dont il convoite l’accès avec Poutine.

Il reçoit au Bureau ovale de la Maison-Blanche le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou avec qui il convient de la mise en application d’un plan d’évacuation militaire et belliqueux de la population palestinienne de la bande de Gaza. Après avoir annoncé durant la campagne présidentielle qu’il réglerait la guerre en Ukraine en moins de 24 heures…, deux mois plus tard, Poutine se montre plus exigeant avant de convenir ou d’accepter un cessez-le-feu.

Certains de ses traditionnels pays alliés ne semblent plus en mesure de le suivre et pour cause : Trump ne cesse de changer d’idée constamment. Il annonce des tarifs douaniers et, à la veille de l’entrée en vigueur de la mesure, s’accorde le droit de rétropédaler pour ensuite tantôt la reporter, tantôt l’imposer. Pour ce qui est des tarifs eux-mêmes, ils sautillent ; ils vont, un jour, en ordre décroissant (25 %, 20 % ou 10 %) et le lendemain, ils doublent (passant de 25 % à 50 %). Dans le cadre d’une mesure de rétorsion, le pourcentage qui accompagne la menace pulvérise les plafonds précédents, en clair c’est l’escalade : Trump II évoque des droits de douanes pouvant atteindre 200 %. Bref, au premier temps de la valse, il annonce la possibilité d’imposer des tarifs, au deuxième temps de la valse, ses partenaires réagissent avec des contre-tarifs et, au troisième temps de la valse, Trump réplique avec des sur-tarifs.

Et dans un proche avenir, il prévient la planète que le 2 avril sera le « Jour de la libération » pour les USA, car en cette journée entreront en vigueur des « Tarifs douaniers réciproques ». Une mesure susceptible de créer un imbroglio administratif ingérable en raison du nombre élevé de produits concernés ; selon les premières données, il s’agit de 2,6 millions de tarifs qui devront être appliqués. Bonne chance aux agentes et aux agents ici !

À première vue, Trump II est, et cela n’a rien de nouveau, imprévisible. Il ressemble à une poule étêtée. Il agit d’une manière erratique. Il se comporte comme un être parfaitement irrationnel. Qu’il le soit ou non, une chose est par contre certaine : le programme qu’il applique prend sa source dans trois idéologies, c’est-à-dire libertarienne, illébérale et broligarque. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Débutons avec son point de vue, à notre avis, en ce qui concerne le marché extérieur. Il voit son pays comme une victime du libre-échange et, en vue de renverser le cours des choses, il met unilatéralement entre parenthèses les règles du jeu de la mondialisation.

Maintenant à l’intérieur des frontières de son pays, il entreprend des coupures drastiques dans l’État fédéral, autant du côté de la taille de l’appareil gouvernemental que du nombre d’employéEs, de façon à se situer en deçà du minimum requis pour un État régalien. Par ailleurs, l’idée consiste certes à couper le personnel d’abord, pour installer ensuite de nouvelles et nouveaux titulaires dont la fidélité et la loyauté à son endroit seraient hors de doute ; autrement dit, l’exercice consiste à garantir un personnel entièrement soumis à l’influence du chef.

Pour ce qui est des subventions votées et adoptées au préalable par les membres du Congrès, elles peuvent être coupées, et ce selon son humeur du moment et ses critères arbitraires, pour ne pas dire ses caprices présidentiels. En bref, tout semble y passer : l’administration (le nombre d’employéEs), la redistribution des ressources monétaires, certains des contrats signés ainsi que des engagements pris, et ce, autant sur les plans intérieur qu’extérieur.

Il agit donc de la sorte, à la tronçonneuse, d’abord parce qu’il est un grand adversaire de l’administration publique et un farouche partisan de l’entreprise privée, ensuite en raison du fait qu’il entend réduire la dette fédérale coûte que coûte — dette qui s’élève à 36 000 milliards de dollars US. Et pour ce faire, il n’est pas seulement question du délestage des fonctionnaires du côté du ministère de l’Éducation, mais de son abolition pure et nette qui aura des conséquences indubitables. On peut s’attendre à ce qu’il y ait, éventuellement, auprès des jeunes et des nouvelles générations, un affaiblissement du récit unificateur sur le plan de la nation, car c’est bien là un des rôles du système de l’éducation américain, c’est-à-dire de contribuer à la diffusion d’un sentiment national à travers un tronc commun d’enseignement appelé maintenant à relever de chaque État-membre. S’ajoute à cela une opération de révision-épuration terminologique et l’imposition d’une Chape de plomb sur la communauté scientifique et universitaire.

Trump II veut contrôler et orienter la recherche scientifique. Il coupe dans les budgets et les subventions, en plus d’imposer sa novlague aux chercheuses et chercheurs. Son ennemi de l’intérieur est maintenant bien ciblé : les Left Lunatics (les « gauchistes lunatiques »). Lire ici, les universitaires, les journalistes qui refusent de relayer les paroles présidentielles qui sont à ses propres yeux vérités d’Évangile. D’ailleurs, un scientifique français a été refoulé aux frontières américaines pour des opinions anti-Trump. Pour avoir manifesté activement son soutien à la population de Gaza, durant le printemps 2024, l’étudiant de l’Université Columbia, Mahmoud Khalil, est maintenant accusé par l’administration Trump de « terroriste ». Il est présentement emprisonné et risque rien de moins que la déportation. Trump II sabre par centaine de millions de dollars dans les universités. Ces dernières licencient et réduisent en masse leurs effectifs. La relève scientifique se retrouve dans une situation précaire et les plus âgés développent un sentiment de peur. Il veut que les arts fassent la promotion de son régime et de ses idéologies. Il congédie les journalistes de la chaîne de Radio Voice of America. Trump II pratique, verbalement, un nationalisme offensif et agressif.

Nous avons appris, au moment même où nous écrivons le présent texte, que l’administration Trump a mis fin au statut légal de 500 000 latinos américains en provenance de Cuba, d’Haïti, du Nicaragua et du Venezuela. Ces personnes devront quitter les USA d’ici le 24 avril, sauf si elles parviennent à obtenir un nouveau statut d’immigration leur permettant de rester aux États-Unis.

Il vise à élargir son territoire par la reprise unilatérale (le canal de Panama), l’annexion (le Canada), l’achat ou la guerre (le Groenland). Il ne se gêne pas pour dire qu’il a pour modèle William McKinley (1897 à 1901), ce président américain qui a mené une politique active d’acquisition territoriale. Dans une même journée, il peut affirmer sans ambages qu’il n’a pas besoin de la production canadienne et immédiatement après prétendre avec un sourire intéressé que le territoire qui est voisin au nord devrait accepter de devenir le 51e État des USA. Ici, il faut vraiment trouver l’erreur.

Avec lui, au Bureau ovale de la Maison-Blanche, l’extractivisme est au poste de commande, et ce sans égard pour les conséquences sur le plan de l’environnement. Le développement durable, la crise écologique, pour lui, c’est « Ne connais pas ». Drill baby drill ! Telle est sa devise susceptible de faire revivre à son pays un nouvel Golden Age. Il a sabré dans l’Agence NOAA, responsable de l’étude de l’océan et de l’atmosphère. Trump est climatosceptique. Il a un plan pour l’accumulation d’une réserve de cryptomonnaie qui sera probablement profitable pour certains membres de son entourage qui en détiennent déjà. Il multiplie l’adoption de décrets, dont un qui a pour effet de suspendre les poursuites dans le cadre de la loi « anticorruption ».

Sous prétexte qu’il a été élu par 70 millions d’électrices et d’électreurs, il annonce que son programme politique prime sur les décisions des juges. Il méprise, par conséquent, certaines décisions des tribunaux. Il demande même la révocation d’un juge qui a rendu une décision qui ne lui convenait pas. Il est manifestement à la tête d’un État d’exception. Il est même prêt à provoquer une crise constitutionnelle. Avec Donald Trump, c’est l’ère du « Grand chambardement » même s’il semble difficile, à première vue, d’identifier clairement dans quelle(s) direction(s) il s’oriente et quels objectifs précis il vise.


Une première synthèse

Tentons une première synthèse : c’est un ultra radical de droite, un contre-révolutionnaire, il méprise l’ordre international, les traités signés par son pays, la séparation des pouvoirs, etc.. Il se détourne de ses alliés traditionnels et veut nouer des relations privilégiées avec des dictateurs ou d’autres régimes autoritaires. Il a mis à sa main une majorité des membres du Congrès américain. Il est sous l’impression qu’il contrôle la majorité des juges de la Cour suprême des USA (ce qui n’est pas nécessairement le cas). Le juge en chef de la Cour suprême, John Roberts, vient de le rabrouer publiquement dans l’affaire qui oppose le président à un juge fédéral au sujet de l’expulsion de 200 migrants déportés au El Salvador. Force est de constater que, pour Donald Trump, être le président élu veut dire qu’il a obtenu un blanc-seing. Il peut, selon lui, gouverner sans entraves. Il a toute liberté pour agir à sa guise, sans avoir à se soumettre à l’instance juridique. Bref, il considère qu’il n’est aucunement lié par l’État de droit. Il est l’autorité suprême. Il n’a aucunement l’obligation d’agir dans le cadre du respect de la constitution. Il peut aller de l’avant en toute impunité, sans avoir à accepter l’examen de ses décisions ou de ses décrets par des juges. Son pouvoir, selon lui, s’exerce sans partage.

De notre côté, nous n’avons aucune antenne privilégiée à Washington. Tout au plus, nos sources d’information, qui sont les mêmes que n’importe quel quidam qui suit l’actualité, nous permettent d’abord de constater certains éléments de la vie politique américaine et ensuite de spéculer et de hasarder des hypothèses. Dès lors, certaines questions doivent être posées, afin de juger un tel agissement de la part d’un chef d’État. Si des raisons économiques et de sécurité nationale semblent servir de base argumentaire à ces actions politiques multiples (décrets), il y a lieu de réfléchir sur d’autres points assurément capitaux. En effet, qu’est-ce que la science ? qu’est-ce que la justice ? qu’est-ce que l’échange ? Si la tâche serait digne d’un imposant volume, allons-y de quelques pistes seulement.

Premièrement, l’évocation de la sécurité nationale repose sur une aversion à accepter la différence. Autrement dit, l’intolérance repose sur le mépris alimenté par des stéréotypes, des généralisations et des prima de conclusion. Ces types, étant davantage de l’ordre de l’opinion que des faits véritables, méritent normalement d’être rationalisés pour éviter des débordements néfastes. Le problème ici concerne leur intrusion au sein des pouvoirs de décision. Sur la base d’un argument de sécurité nationale, des droits et libertés individuelles sont (et seront) bafoués en toute légalité. Ce contournement n’a rien à voir avec le bien-être général et les lois officielles, puisqu’une pensée, une vision, voire une idéologie le supporte. Il semble donc y avoir tentative de ramener des distinctions de classes au sein de la société américaine, de façon à faire trôner la « race blanche » et « l’homme blanc » au sommet. Ainsi, les anciennes et actuelles luttes sociales pour la reconnaissance chez plusieurs groupes, sans tous les nommer, se voient soudainement rabrouer par des décrets allant à l’opposer de l’esprit des lois en vigueur, à l’opposer donc de l’acceptation du bien-être pour toutes et tous.

Deuxièmement, la question économique et de l’échange au sens large permet d’envisager cette fois-ci une utopie trumpiste rattachée au label Made in USA. Avant d’être président des États-Unis, Donald Trump se voulait à l’origine un promoteur immobilier. Par contre, ses constructions n’avaient rien d’iconique en soi, mais portaient un nom qui les rendait, semble-t-il, plus « valuable  ». Ainsi, « TRUMP » est devenu une marque de commerce pour des gratte-ciel et autres réalisations immobilières, de façon à les distinguer et à gagner en valeur aux yeux du public et des acquéreurs. La marque de commerce constitue un actif incorporel, voire un bien immatériel pouvant rapporter gros, tout dépendant de la foi ou de la conviction accordée à ce qui s’y trame (bien entendu, la réputation et l’expérience entrent en ligne de compte). Tout est une question d’argent, voire de facilité pour en créer et en accumuler.

Pour le président américain, l’argent est le noeud de la guerre et doit être entièrement recherché. Son allusion aux balances commerciales déficitaires se base sur la perte d’argent pour les États-Unis, d’où l’idée selon laquelle le pays financerait ses partenaires commerciaux. Il s’agit là d’une conception particulière des échanges internationaux qui rappelle même des discours de l’époque des métropoles et des colonies ou, pour être encore plus précis, de celle du mercantilisme. Les métaux précieux étaient alors le produit le plus prisé dans les échanges, puisque leur accumulation rendait automatiquement le pays acquéreur plus riche. Cantillon (1755, pp. 309-310) soulignait d’ailleurs au sujet des échanges avec l’étranger : « […] il faut encourager, tant qu’on peut, l’exportation des ouvrages et des manufactures de l’État, pour en retirer, autant qu’il est possible, de l’or et de l’argent en nature. […] Cependant il ne serait pas avantageux de mettre l’État dans l’habitude annuelle d’envoyer chez l’étranger de grandes quantités du produit de son crû, pour en tirer le paiement en manufactures étrangères. Ce serait affaiblir et diminuer les habitants et les forces de l’État par les deux bouts  » (grammaire et orthographe adaptées aux règles actuelles).

Autrement dit, tout échange avec les autres pays ou territoires doit viser à faire entrer plus d’argent dans l’État. Et que fait la présidence américaine ? Elle cherche à ramener des industries et des entreprises dans le but de les inciter à produire à partir des États-Unis, d’où toutes sortes de tarifs en vogue et en devenir. L’idée revient à utiliser leur production à la fois pour les besoins intérieurs et pour l’exportation contre de l’argent. La présidence américaine actuelle cherche donc non seulement à créer un marché à ce point enviable pour inciter les étrangers à y avoir accès, mais aussi à créer un « nom » qui donnera une plus-value à la production nationale vendue à l’extérieur. Autrement dit, une marque de commerce Made in USA, dont la présence sur chaque produit vendu en fera augmenter la valeur et, conséquemment, le prix. Derrière les tarifs s’expose une stratégie d’enrichissement par un retour à l’industrialisme, avec pour support un nom à ajouter afin de créer une plus-value, soit un moyen facile d’enrichissement, à condition que les acheteurs reconnaissent toutefois cette prétendue valeur ajoutée.

Troisièmement, la science se voit soudainement soumise à des restrictions ou à un nouvel ordre. Il importe de dépasser le désir de son instrumentalisation, afin de revenir à son essence. Une liaison naturelle se fait entre la science et la connaissance ; alors que ce qui est connu possède une valeur de vérité. Mais pour devenir connaissance, celle-ci doit avoir été testée, scrutée, reproduite et admise par des personnes légitimes et reconnues pour leurs expertises scientifiques. Descartes (1901[1637], pp. 20-21) précisait d’ailleurs quelques considérations au sujet de la science dans ses sciences : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes [dans le sens que tout être humain sait raisonner, sans signifier qu’il raisonne bien G.B. et Y.P.] ; et ainsi, que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons par les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien.  »

De là, l’importance de s’entendre sur des méthodes utiles à identifier la connaissance. Mais le vrai se jumelle au faux, car la connaissance repose aussi sur la non-vérité (Benmakhoulf, 2006). Autrement dit, la science doit nous permettre de dire ce qui est vrai et ce qui est faux, en fonction de la connaissance admise qui doit reposer sur des méthodes éprouvées et non sur des idéologies trafiquant les résultats. Ce postulat se lève donc face à un chef d’État qui prêche des vérités alternatives. Or, son pouvoir d’autorité manifeste doit-il dominer à ce point sur la science qui, par essence, consiste en une quête de vérité destinée à l’humanité et non à la politique ? Si la science aux États-Unis subit des entraves, des effets se feront sentir sur la connaissance humaine en général. Cela suppose un devoir allant au-delà des frontières, insinuant ainsi une déterritorialisation et une souveraineté de la science. Par contre, son exercice implique des balises, afin d’éviter les dérives éthiques. Son importance exige certes un encadrement législatif, sur la base de principes et donc d’une discussion engageant diverses parties prenantes de divers milieux et non un seul homme.

Quatrièmement, la justice subit des assauts comme jamais auparavant. En apostrophant les juges de la Cour suprême, le président des États-Unis vise à fragiliser la dernière instance pouvant freiner ses élans décisionnels. Mais il y a lieu de se questionner sur ses actions et se demander si elles sont véritablement justes. Sans nommer des philosophes pour en rester à certains principes, est juste ce qui ne cause pas de tort à autrui, aux règles communes et aux institutions garantissant la bonne marche de la société. La justice se base sur des valeurs communes, pour ne pas dire aussi une morale et une éthique régissant les conduites humaines. Ce corpus apparaît d’ailleurs au sein des lois régies par une institution chapeautant tout groupe et individualité évoluant dans un État déterminé. En conséquence, cela inclut aussi les représentantEs des gouvernements et donc le président des États-Unis. Dans les divisions du pouvoir, Montesquieu voyait dans le système judiciaire un garde-fou contre les visées absolutistes et/ou arbitraires de dirigeantEs. Il s’agit alors d’une institution capitale sur laquelle repose, comme déjà dit, les règles et les valeurs d’un vivre ensemble jugé harmonieux — en respect conséquent des droits et des libertés individuelles. Or, le président américain juge comme étant une entrave à ses droits et libertés de gouverner toute intervention de la Cour. Mais cela doit être justifié, sur la base de l’État de droit, toujours dans le but de garantir le bon ordre de la société. Rawls (1987, pp. 495-496) dit en ce sens : une société bien ordonnée est «  conçue pour favoriser le bien de ses membres et étant gouvernée efficacement par une conception publique de la justice. Ainsi, c’est une société où chacun accepte et sait que les autres acceptent les mêmes principes de la justice et où les institutions sociales de base respectent — et sont connues pour respecter — ces principes  ». Par conséquent, la justice reconnaît chez le président américain des intentions qui contreviennent aux principes reconnus dans sa propre société.

Il aurait été possible de se questionner aussi sur l’État américain, quoique déjà plusieurs points aient permis de mettre en lumière une transformation profonde de son régime. L’espace nous limitant ici, l’occasion se présentera assurément plus tard. Cela dit, un constat inquiétant apparaît, dans la mesure où le président américain et sa garde rapprochée attaquent les derniers piliers d’opposition à son libre agir total, c’est-à-dire la Science et la Justice, sans négliger les résistances extérieures à ses aspirations économiques et hégémoniques.

De la sidération à l’opposition de la rue

L’opposition du Parti démocrate ne semble pas s’être encore remise de sa défaite électorale de novembre dernier. Les victimes de l’agence DOGE d’Elon Musk manifestent maintenant de plus en plus bruyamment, tout en prenant connaissance ou en attente de jugements des tribunaux de première instance. Les personnes trompées ou congédiées par Trump prennent la rue et elles aussi manifestent bruyamment. Après la sidération, place à la contestation. Il y a un début de mouvement d’opposition parlementaire qui prend forme. Un nouveau rapport de force est en train de se mettre en branle. Rapport de force qui traverse plusieurs couches de la société. Le milieu de la finance assiste à l’effondrement du marché boursier et les perspectives de croissance économique sont fragilisées par les déclarations incohérentes du président. Les promesses en lien avec la chute de l’inflation ne se concrétisent pas à la vitesse annoncée — en effet, comment réduire la hausse des prix, lorsque les tarifs à l’importation les font augmenter ? Pour Trump, tout ce qui va mal est imputable à l’administration précédente et pour ce qui va bien, à ses yeux, tout le crédit lui revient. Trump a un plan. Il entend baisser les impôts, lesquels ou de qui ? C’est à suivre. Nous le verrons quand il déposera les différentes mesures à ce sujet. Il veut combattre l’inflation et réduire le déficit du gouvernement fédéral en effectuant des coupes drastiques dans les effectifs, les agences gouvernementales, les programmes, les prestations ou aides à des personnes dans le besoin, etc.. Il est convaincu que l’imposition de tarifs douaniers aura pour effet de rétablir la balance commerciale de son pays et amènera l’implantation d’entreprises sur le sol américain. Ce qui aura pour effet de réduire le chômage et qui sait de créer des emplois mieux rémunérés que les Mac Job’s. Son plan de guerre commerciale tous azimuts prévoit un moment de démondialisation et seul l’avenir pourra dire si cela s’avérera durable dans le temps. Il veut aller plus loin que Ronald Reagan en matière de déréglementation et de réduction des effectifs de l’administration publique et d’agences gouvernementales. L’achat de Bitcoins — ou autres cryptomonnaies — diminuera éventuellement l’importance de la FED dans la détermination de la politique monétaire et profitera à certaines personnes de son entourage qui en détiennent déjà. Il entend élargir l’accès de son pays aux ressources des territoires voisins comme le Canada (l’eau), le Groenland (les minerais) et l’Ukraine (les terres rares), etc.. Réussira-t-il dans l’atteinte des objectifs qu’il poursuit ? Le temps et le temps seul, ce puissant principe de réalité, nous le dira.

Hypothèses

Élu démocratiquement ? Certes, et ce par une très faible majorité sur sa concurrente. Oligarque ? Avec la quantité de milliardaires qui l’entourent (dont un a des affinités fascistes clairement affichées), indubitablement. Autoritaire ? Absolument. Tyrannique ? Assurément. Raciste, antiféministe, antiwoke, nationaliste agressif ? Cela ne saurait faire aucun doute et les preuves à ces sujets sont accablantes. Dictatorial ? Il en donne constamment des signes. Totalitaire à la manière des Mussolini, Hitler et Staline ? Toujours pas. Oppresseur ? Osons simplement rappeler les deux classes de l’oppression selon Simone de Beauvoir : d’un côté, celle qui profite sur divers plans des avantages de l’humanité, de l’autre, celle condamnée « à piétiner sans espoir’’ dans une vie répétitive dont l’unique but est la reproduction matérielle de la collectivité » (cité dans Cuerrier, 1990, p. 84). Autrement dit, l’oppresseur ordonne et les oppresséEs exécutent. Et il aurait été possible de parler « du pouvoir sur le corps », à la manière de Michel Foucault, non seulement dans l’industrialisme trumpiste imposé à la population américaine, mais aussi au droit notamment des femmes et des personnes du groupe LBGTQ+ sur leur propre corps.

Conclusion

À ce moment-ci, même si la liberté d’opinion et de pensée est menacée, attaquée et pas réellement respectée par le 47e président des USA, il est important que les scientifiques prennent la parole et n’hésitent pas à contester les affirmations erronées de Donald Trump et de J.-P. Vance, respectivement président et vice-président américains. Les économistes doivent montrer le caractère loufoque des thèses présidentielles au sujet de la balance commerciale et dénoncer le caractère mensonger de l’impact qu’il attend sur le budget national de l’imposition des tarifs douaniers. Les constitutionnalistes et les politologues doivent signaler les dérives anticonstitutionnelles de ce président dont on peut s’interroger sérieusement sur la nature même de sa personnalité. Donald Trump sait qu’il n’y a qu’une vérité. Le problème ici est le suivant : il ne croit que dans sa seule vérité. Il est mythomane. Dans son cas, des spécialistes en santé mentale devraient prendre la parole. Les psychiatres doivent maintenant soulever des hypothèques(1) quant à la condition mentale requise pour occuper la fonction de chef politique du supposément plus puissant pays du monde, et ce avant que cela ne soit trop tard. Le juge en chef de la Cour suprême émet des avis extraordinaires en ce moment. Il faut se rappeler que le pouvoir judiciaire est le plus faible des pouvoirs étatiques, malgré toute sa valeur. Il se peut que la voie judiciaire s’avère impuissante devant les décisions unilatérales de Trump. Les scientifiques, les universitaires, les gens d’affaires, les représentantEs du monde du travail, les éditorialistes, les porte-parole de la société civile, les artistes sont des personnes influentes. Il appartient à chacune et à chacun de prendre position à ce moment-ci et de choisir par conséquent son camp. Avant de clore ce présent texte, nous osons nous demander si, avec le duo Trump-Vance à la tête de la direction politique des USA, Albert Einstein aurait choisi ce pays pour fuir Hitler ?

Pré-scriptum

Vous souvenez-vous de la citation mise en exergue ? Il nous semble qu’elle s’applique parfaitement à Donald Trump : « Représentez-vous maintenant le Prince tel qu’il est fréquemment. Il ignore les lois, est assez hostile au bien général, car il n’envisage que le sien ; il s’adonne aux plaisirs, hait le savoir, l’indépendance et la vérité, se moque du salut public et n’a d’autres règles que ses convoitises et son égoïsme », disait ainsi Érasme (1964[1511], p. 74) dans son Éloge de la folie. Et dire que ceci a été écrit il y a plus de cinq cents ans. Décidément, plus ça change, plus c’est pareil. Ce qui est généré est appelé à se corrompre, mais en attendant jusqu’à quel point faut-il tolérer l’intolérable et accepter l’inacceptable sans mot dire, sans maudire ?

Guylain Bernier

Yvan Perrier

22-23 mars 2025

6h15

(1) Au sens de prendre le temps d’identifier les difficultés susceptibles d’entraver l’accomplissement de quelque chose.

Références

Benmakhlouf, Ali. 2006. Vérité. Dans Dominique Lecourt (dir.), Dictionnaire de l’histoire et philosophie des sciences. Paris : Presses Universitaires de France, pp. 1128-1133.

Cantillon, Richard. 1755. Essai sur la nature du commerce en général. Londres : Fletcher Gyles, dans Holborn, 430 p.

Cuerrier, Jacques. 1990. L’Être humain, panorama de quelques grandes conceptions de l’homme. Montréal : McGraw-Hill, 136 p.

Descartes, René. 1901[1637]. Discours de la méthode. Paris : Librairie Ch. Poussielgue, 139 p.

Érasme. 1964[1511]. Éloge de la folie. Paris : FGF-Flammarion, 94 p.

Honneth, Axel. 2000. La lutte pour la reconnaissance. Paris : Éditions du Cerf, 350 p.

Rawls, John. 1987. Théorie de la justice. Paris : Seuil, 672 p.

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Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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