Édition du 12 novembre 2024

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Comptes rendus de lecture du 15 octobre 2024

Ma gauche
Edgar Morin

Le sociologue et philosophe français Edgar Morin a fêté ses 103 ans en juillet. On lui doit près de 120 œuvres, dont la principale, « La Méthode », publiée en sept tomes, donne probablement le ton à l’ensemble de son œuvre. Il a aussi écrit dans de nombreux journaux. « Ma gauche » est en fait une sélection de ses textes le plus souvent publiés dans des journaux ou des revues dans les années 1990 et 2000. Certaines des prises de position que l’on y retrouve, parfois frileuses, quelquefois schématisées, posent en mon sens toute la responsabilité des intellectuels... des intellectuels de gauche, faut-il le préciser aujourd’hui.

Extrait :

C’est seulement dans cette petite planète qu’il y a, à notre connaissance, une vie et une pensée consciente. C’est le jardin commun à la vie et à l’humanité. C’est la Maison commune de tous les humains. Il s’agit de reconnaître notre lien consubstantiel avec la biosphère et d’aménager la nature. Il s’agit d’abandonner le rêve prométhéen de la maîtrise de l’univers pour l’aspiration à la convivialité sur terre.

Les angoisses de ma prof de chinois
Jean-François Lépine

Je n’ai pas aimé cette lecture. Sans être un grand admirateur de la Chine actuelle, je ne m’attendais tout de même pas à ce qu’on témoigne dans ce livre autant de hargne à l’endroit de ce pays et de son histoire. Je comprends bien que la Chine est actuellement prise pour cible par les États-Unis, qui voient leur hégémonie sur le reste du monde mise à mal, mais un devoir d’objectivité s’imposait tout de même. Les critiques et statistiques de l’auteur à l’endroit de Mao Zedong semblent d’abord tout droit sorties de l’ouvrage « Mao : l’histoire inconnue » de Jung Chang et Jon Holliday, un ouvrage très sévèrement critiqué par de nombreux sinologues quant à sa méthodologie, à son interprétation de la réalité et à son manque d’objectivité. (L’auteur devrait se rappeler que Mao Zedong, ce « monstre », a tout de même unifié son pays après des siècles d’humiliation de la part de l’Angleterre, puis du Japon, que son parti a fait passer en moins de trente ans l’espérance de vie des Chinois d’environ 35 ans à 65 ans, et qu’il y a fait passé le taux d’alphabétisation de 15 % en 1949 à près de 90 % au début des années 1970 ; enfin qu’il a permis, malgré ses erreurs, le développement économique fulgurant du pays sous Deng Xiaoping, développement qui a permis de sortir plus de 800 millions de personnes de la pauvreté…) Les critiques de l’auteur à l’endroit de l’actuel gouvernement chinois sont aussi à l’avenant. Pour ce qui est du Canada, l’auteur n’a que des éloges pour des « visionnaires » comme Paul Desmarais de Power Corporation (société de gestion qui voulait et voudrait bien encore privatiser notre système de santé public), pour Laurent Beaudoin de Bombardier, et pour les anciens premiers ministres Philippe Couillard et Lucien Bouchard (ces Robins des Bois à l’envers, qui prenaient aux pauvres pour donner aux riches). Le premier ministre canadien Justin Trudeau y est pour sa part décrit comme un naïf et un maladroit, presque comme un imbécile. À la défense de cet ancien journaliste de Radio-Canada, je dois dire que j’y ai appris des choses, principalement quant à nos rapports avec la Chine et aux nouvelles générations de Chinois.

Extrait :

Pour beaucoup de pays et de populations qui partagent nos valeurs, ces dernières années de relations avec la Chine ont marqué la fin d’une certaine naïveté.

Menaud maître-draveur
Félix-Antoine Savard

La première édition de cet incontournable roman du terroir québécois a été publiée en 1937. Le héros est un draveur de Charlevoix, inspiré à Savard par un homme des bois rencontré dans cette région. Il raconte la lutte du vieux Menaud pour délivrer son peuple de l’asservissement des étrangers, les Anglais, qui se sont emparés de la Montagne, microcosme du pays. On assiste à la mort de Joson, fils unique de Menaud, emporté par la débâcle. Menaud, rongé par la douleur, tente de rallier à sa cause les habitants de Mainsal. Seul le Lucon, son fils spirituel, accepte de le suivre et d’affronter le Délié, le traître. Menaud voudra aussi l’affronter. Perdu dans la tempête, mais sauvé par le Lucon, Menaud sombre dans une espèce de folie. L’action du maître-draveur n’aura cependant pas été inutile. Le Lucon et Marie, fille de Menaud, sont déterminés à poursuivre la lutte…

Extrait :

Alors, au milieu des hommes qui se passaient la main sur le front contre le frôlement de la démence, lentement le vieil ami de la terre, Josime, prononça : « Ce n’est pas une folie comme une autre ! Ça me dit à moi, que c’est un avertissement. »

L’économie de la nature
Alain Deneault

Ce brillant petit essai est d’une lecture un peu ardue au départ, mais on y prend goût assez vite. Il nous décrit intelligemment comment, au cours des deux derniers siècles, le terme « économie » a pu être dévoyé de son sens général englobant l’ensemble du monde naturel à une approche essentiellement comptable et utilitaire, mettant en fin de compte l’humain en opposition avec la nature. C’est le premier « feuilleton théorique » d’une série de six de l’auteur. J’aurai tôt fait de lire aussi le second, « L’économie de la foi ».

Extrait :

La science économique n’a pas seulement neutralisé la notion d’ « économie de la nature », mais elle l’a totalement intégrée au rang de ses savoirs et capitaux. Les entités multinationales et leurs actionnaires se fantasment aujourd’hui comme des souverains de l’évolution, celle qui, hier encore, nous fascinait comme une chose infinie. Leurs technosciences ont pénétré les secrets repliés de la génétique, au point de prétendre à la pleine maîtrise de la nature. Il s’est ensuivi au dernier tiers du XXe siècle des effets de manipulations inouïes dans le domaine animal et végétal. Maintenant, des exploits génétiques et agricoles d’apprentis sorciers perturbent en profondeur les écosystèmes, plus qu’ils ne les contrôlent. C’est à eux qu’on attribue en Europe la disparition de 80 % des insectes, parmi lesquels de forts contingents d’abeilles.

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Bruno Marquis

Bruno Marquis est un lecteur qui s’est impliqué dans plusieurs organismes voués à la protection de l’environnement, à la paix et à l’élimination de la pauvreté chez les enfants au cours des vingt dernières années. Il publie actuellement une chronique sur l’environnement dans le mensuel Ski-se-Dit. Il a aussi tenu régulièrement une chronique dans le webzine tolerance.ca.

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