Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Monde

Un changement de période historique : crise structurelle et montée de l’extrême droite

Nous vivons une période marquée par la montée des guerres et des violences. Les contradictions sociales, écologiques, politiques, idéologiques, toujours très présentes, s’approfondissent dans chaque pays et à l’échelle mondiale. L’extrême droite progresse, sous différentes formes, dans un grand nombre de régions du monde.

25 août 2024 | Source : https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71911
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/12/un-changement-de-periode-historique/#more-85532

Les mouvements sociaux et citoyens sont toujours présents et actifs, mais ils sont à la recherche de la définition de nouvelles perspectives et de nouvelles stratégies. L’hypothèse est que nous sommes dans une crise structurelle qui nous rappelle, par certains côtés, celle des années 1930. Elle marque un changement de période au niveau de l’organisation du monde. Même si les situations ne se reproduisent jamais pareillement, la référence permet de réfléchir à certaines caractéristiques de la situation actuelle avec l’approfondissement d’une crise économique et sociale, des guerres, des alliances entre les droites et les extrêmes droites, des changements géopolitiques et idéologiques[3]. L’interrogation porte sur la définition de la situation et de la période que nous vivons. Elle rappelle une des dernières anecdotes soviétiques ; celle d’un homme hagard qui, en 1989, sur la place Rouge, interpelle les passants en demandant à chacun : quelle heure est-il ? Traduisons sa question : qu’est-ce qui se passe ? dans quelle période sommes-nous ?

Les grandes contradictions à l’œuvre sont toujours celles qui caractérisent le capitalisme contemporain même si leur caractérisation change suivant les périodes. Les changements concernent toutes les dimensions. Trois grands types de contradictions sont à l’œuvre. La première est la question sociale, les rapports entre les classes sociales, avec l’importance considérable des inégalités et des discriminations. La deuxième est un élément nouveau et déterminant, la rupture écologique, et la manière de penser le climat, la biodiversité, la Nature. La prise de conscience de cette contradiction est plus récente, la question est toujours controversée. La phase sécuritaire du néolibéralisme est accentuée par la rupture écologique qui introduit une très grande discontinuité, déjà sensible, avec la crise climatique et ses conséquences sur la biodiversité. La troisième concerne les guerres et la démocratie, locale, nationale et internationale. La démocratie interroge les rapports entre le politique et l’idéologique. La démocratie locale intègre les territoires et les différentes formes de régionalisme et de municipalisme. La démocratie nationale interroge les rapports entre les peuples, les nations et les États. La démocratie mondiale passe par la démocratie internationale qui, dans sa forme existante, se réfère à un système international qui doit être radicalement réformé et réinventé.

L’hypothèse est que la période actuelle correspond à une nouvelle crise structurelle du capitalisme. Ces crises préparent et définissent une nouvelle phase du mode de production capitaliste. Elles soulèvent aussi la question du dépassement du capitalisme. De nouveaux réaménagements des rapports de production se définissent et s’imposent. Les structures sociales se transforment et les contradictions sociales s’aiguisent et changent de nature. Dans chacune de ces périodes, les classes sociales se redéfinissent ainsi que les rapports entre elles. Nous analyserons la période actuelle à partir de la crise de 2007- 2008. Nous commencerons par rappeler deux périodes de crises antérieures, celle de la crise financière de 1873, qui va en fait de 1860 à 1880, et la crise financière de 1929, qui va de 1914 à 1945. Nous aborderons ensuite la crise des années 1970 et la domination du néolibéralisme. Ces périodes ont commencé par des périodes de montée des conservatismes et des droites extrêmes ; mais, ensuite, les contradictions sociales et politiques se sont accrues et ont conduit à des redéfinitions majeures. Ainsi, en France, la période de crise de 1873 a vu la guerre franco-allemande et Thiers, mais aussi la 1ère Internationale et la Commune. Et pour la crise de 1929, il y a eu, en France, les manifestations massives de l’extrême droite, en1934 ; mais aussi, le Front Populaire, en 1936. Ce sont des périodes de fortes luttes sociales et de guerres. C’est ce qui devrait marquer la période à venir.

Retour sur quelques leçons de deux des crises structurelles précédentes

De 1860 à 1880, la crise de la deuxième révolution industrielle et la première internationale

La période 1860 à 1880 est une période de crise structurelle du capitalisme[4]. On y retrouve des mutations structurelles du mode de production capitaliste, des guerres, des luttes sociales radicales et révolutionnaires, des bouleversements politiques, un débat idéologique et théorique intense. La période est marquée par l’arrivée au pouvoir en Europe de partis qui se rattachent au conservatisme radical et à la droite extrême, mais les contradictions sociales et politiques se traduisent aussi par des actions et une pensée révolutionnaire renouvelée qui dépasseront la période.

La période de 1860 à 1880 est celle de la deuxième révolution industrielle, celle du capitalisme industriel et du capitalisme marchand, celle des doctrines libérales. C’est une période des grandes usines et de l’urbanisation. L’innovation technologique est intense dans les nouvelles machines et les processus de production. Les secteurs en expansion sont l’électricité, le pétrole, le moteur à combustion, l’acier, les moyens de communication avec le téléphone et le télégraphe et les câbles intercontinentaux. La production de masse s’appuie sur les nouvelles chaînes de montage. Elle prépare le taylorisme à partir des années 1880. C’est aussi, avec l’urbanisation, la nouvelle classe ouvrière, le syndicalisme, les classes moyennes et l’accès à la consommation.

La période est marquée par le krach boursier de 1873, la fermeture de banques, la dépression économique et le chômage. La spéculation sur les chemins de fer accompagne la baisse des prix, les faillites d’entreprise et le chômage. Plusieurs guerres marquent cette époque. La guerre de sécession en 1861-1865 et la crise économique mondiale qui l’accompagne. L’unification de l’Italie, de 1859 à 1871, redessine les frontières de l’Europe. La guerre franco-prussienne, 1870-1871, entraîne la chute de Napoléon III et la proclamation de l’empire allemand à Versailles. L’influence ottomane baisse en Europe. La colonisation européenne s’étend en Afrique et en Asie ; elle est formalisée par la Conférence de Berlin en 1884.

En réponse à cette situation, les mouvements sociaux connaissent un essor remarquable. La Première internationale, l’AIT, Association internationale des travailleurs est créée en 1864, à Londres. Elle sera active de 1864 à 1876 et regroupera des syndicalistes et des intellectuels, dont Marx, Engels, Proudhon, Bakounine, Louise Michel. En 1871, La Commune de Paris va bouleverser la pensée révolutionnaire avec son pouvoir autogéré et ses principes démocratiques et sociaux, jusqu’à la Semaine sanglante de mai 1871. A la lumière de cette extraordinaire insurrection, Marx redéfinira sa conception de l’Etat.

Les conservateurs radicaux et la droite extrême dominent toute la période. Au début de la période, ils se partagent, et s’affrontent entre bonapartistes et royalistes légitimistes. Après la Commune, ce sera la République de Thiers et de Mac Mahon. Entre droite et extrême droite, il y a des contradictions mais un accord contre l’ennemi socialiste. À la fin de la période, se forment des petites organisations qui préfigurent les organisations de l’extrême droite du XXème siècle, comme, par exemple, l’Action française et, déjà, Charles Maurras. Malgré une hégémonie apparente des droites réactionnaires, les luttes révolutionnaires ont culminé avec la Commune ; les luttes sociales ont continué avec les Bourses du Travail qui ont préparé le syndicalisme moderne. Et la 1e internationale a jeté les bases de l’affirmation et de l’organisation de la classe ouvrière.

De 1913 à 1945, la crise du capitalisme fordiste ; le keynésianisme, le soviétisme et la décolonisation

La crise de 1929 est marquée par un krach boursier, la chute de la production, la baisse de l’investissement, la déflation et l’accroissement du chômage. Le krach boursier de 1929 bouleverse les marchés financiers à l’échelle mondiale. Il se traduit par la tendance à la surproduction et par la baisse des taux de profit. La crise financière de 1929 est la première crise du capitalisme fordiste. Le capitalisme fordiste s’est construit et s’est développé à partir du secteur de l’automobile. Il combine le travail à la chaîne, la standardisation des produits et la consommation de masse. Ford lance la première chaîne de montage en 1913 et double les salaires en 1914 pour permettre aux salariés d’acheter ses produits et stimuler la demande intérieure. Le fordisme nécessite un marché de l’emploi stable et des salaires relativement élevés. La crise fordiste accélère l’effondrement de la demande, la surproduction, des faillites d’entreprises et une crise de l’emploi. La consommation de masse repose sur le recours au crédit. L’endettement des ménages se traduit par une consommation insuffisante, le non-remboursement des dettes et des déséquilibres économiques. La crise fordiste est aggravée par les politiques monétaires et fiscales, les déséquilibres commerciaux internationaux et les spéculations financières.

Le keynésianisme, le capitalisme keynésien, est une réponse à la crise fordiste. La période du capitalisme keynésien est dominante depuis les années 1930 jusqu’aux années 1970. Le keynésianisme complète le capitalisme fordiste après la crise des années 1930. Keynes propose l’intervention de l’État pour gérer la demande et stabiliser l’économie à partir des dépenses publiques. Roosevelt fait adopter en 1934, sous le nom de New-Deal, un nouveau modèle de développement, fordiste et keynésien. Ce modèle sera surtout appliqué en 1945, après la guerre mondiale. Il implique des concessions sociales importantes, formalise le rôle de l’État et la protection sociale. Du début du 20ème jusqu’aux années 1970, le fordisme va associer la production de masse, l’amélioration des salaires, la consommation de masse et l’intervention de l’État. Le keynésianisme, à partir des années 1930, le complétera par la régulation assurée par l’État, le soutien de l’emploi et des salaires, les dépenses publiques et les investissements dans les infrastructures. La régulation passe par les accords collectifs et les négociations avec les syndicats. Plusieurs caractéristiques de cette période restent encore actuelles aujourd’hui dans la période du capitalisme mondialisé qui commence en 1970.

Le capitalisme fordiste, puis fordiste et keynésien, développe plusieurs branches industrielles ; l’automobile, l’électroménager, la sidérurgie et la métallurgie, la chimie et la pétrochimie, le textile, l’agroalimentaire, la construction. Les grandes entreprises sont les acteurs économiques et politiques dominants. La classe dominante allie les dirigeants des entreprises, surtout des grandes entreprises privées, et une bourgeoisie d’État, acquise à la préservation du capitalisme, qui gère l’État et les entreprises publiques et les transforme dans le sens des intérêts du capitalisme privé. L’État développe un secteur public composé des administrations et des entreprises publiques qui sont transformées suivant la logique des entreprises privées. Les deux classes principales du capitalisme fordiste et keynésien opposent la classe ouvrière et la classe capitaliste, avec ses deux composantes, les actionnaires et les chefs d’entreprise d’un côté, et les cadres de la bourgeoisie d’état de l’autre. Une catégorie de cadres, ingénieurs et techniciens, de plus en plus nombreuse assure la gestion du système. Une petite bourgeoisie traditionnelle prolonge les catégories sociales précapitalistes, Les paysans se partagent entre les capitalistes agricoles et les paysans travailleurs, prolétarisés. Et, déterminant, il y a toujours le travail des femmes invisibilisées et prolétarisées.

La crise financière de 1929 est significative de la crise structurelle du capitalisme. La réponse keynésienne se caractérise par une intervention de l’Etat et la régulation des marchés financiers. La période est marquée par les guerres qui caractérisent toute période de crise structurelle. Celle-ci l’a été particulièrement. La période, de 1913 à 1945, est marquée par les deux guerres mondiales[5]. La première guerre mondiale de 1914 à 1918 ; et la deuxième guerre mondiale de 1939 à 1945. Il y a eu beaucoup d’autres guerres qui marquent la scène politique mondiale. Certaines étaient liées à des révolutions. Rappelons, parmi d’autres, la guerre civile russe de 1917 à 1923, la guerre gréco-turque de 1919 à 1922, la guerre civile finlandaise en 1918, la guerre civile irlandaise en 1922, la guerre civile espagnole de 1936 à 1939, la guerre sino-japonaise de 1937 à 1945, la guerre civile chinoise de 1927 à 1945, la révolution mexicaine de 1910 à 1920.

La révolution soviétique en Russie, en 1917, et la révolution chinoise de 1927 à 1949, vont complètement bouleverser l’état du monde. Le rôle de l’Union soviétique pendant la guerre de 1939 à 1945 va lui donner une place centrale dans l’ordre mondial ; on entre dans un monde à deux blocs qui va caractériser l’état de la planète jusqu’en 1989. Cette situation va déterminer les débats politiques et idéologiques qui seront intenses. Le capitalisme fordiste et keynésien ne manque pas de penseurs très actifs dans les universités et les centres de recherches occidentaux. En contrepartie, de nombreux penseurs défendent une pensée socialiste très diverse ; comme par exemple Lénine, Mao, Trotski, Gramsci et bien d’autres. Il y a des tentatives de relier le marxisme et le keynésianisme, notamment, celles de Joan Robinson et Michal Kalecki.

La période est marquée par la montée en puissance de la décolonisation. Les luttes de résistance à la colonisation n’ont jamais cessé ; les peuples ont toujours résisté et ont été très violemment réprimés. Parmi les grands mouvements qui ont marqué l’Histoire, rappelons la révolution anticolonialiste, antiesclavagiste et anti ségrégationniste à Haiti, en 1804 et la révolution paysanne mexicaine avec Zapata en 1905. En 1920, à Bakou, au Congrès des Peuples d’Orient, une alliance stratégique est passée entre les mouvements de libération nationale et les mouvements communistes de 1917. Cette alliance va permettre l’encerclement des impérialismes et l’essor des libérations nationales. En 1927, se tient à Bruxelles le premier Congrès contre le colonialisme et l’impérialisme présidé par Albert Einstein et Madame Sun Yat-Sen, autour du mot d’ordre « Liberté nationale, égalité sociale ». À partir de 1945 commence le mouvement des indépendances nationales. L’Indonésie et le Vietnam proclament leur indépendance. La Jordanie, les Philippines, la Syrie le font en 1946. En 1955, à Bandung, le président d’Indonésie, Soekarno, invite les chefs d’Etat des dix-sept premiers pays indépendants d’Afrique et d’Asie[6] et notamment Tito, Nasser, Nehru et Chou en Lai. Chou en Lai résume la situation en ces termes : « les États veulent leur indépendance, les nations veulent leur libération, les peuples veulent la révolution ». Les participants définissent une orientation, celle du non-alignement. La révolution cubaine, amorcée en 1953, est victorieuse en 1956. La conférence Tricontinentale, en 1966, à La Havane, amorce l’émergence d’un Sud par rapport aux deux blocs de l’Ouest et de l’Est.

Le mouvement des non-alignés va tenter de définir un modèle de développement[7] qui prenne à la fois en compte le modèle keynésien, sur les formes étatiques de régulation, et le modèle soviétique, notamment sur l’industrie lourde et l’agro-industrie. Il met en avant le rôle prédominant de l’Etat dans la conduite de l’économie. Ce modèle trouvera en partie son expression dans la déclaration sur le droit au développement qui sera adopté en 1986 par l’Assemblée des Nations Unies[8]. Mais depuis la fin des années 1970, une autre notion du développement s’est imposée, celle du néolibéralisme.

La droite et l’extrême droite ont joué un rôle déterminant de 1913 à 1945. Pour l’extrême droite, les fascistes en Italie, les nazis en Allemagne, les franquistes en Espagne sont suivis par des mouvements nationalistes radicaux dans toute l’Europe et sur d’autres continents. L’idéologie d’extrême droite se caractérise par un nationalisme radical, la xénophobie, l’opposition à la démocratie libérale, le soutien à l’autoritarisme et au fascisme, les références au racisme, à l’antisémitisme et au militarisme. Les partis de droite comprennent les conservateurs, les monarchistes et les libéraux économiques. Ils défendent l’ordre, l’autorité, le conservatisme social et le libre marché économique. Il est intéressant de rappeler la période de 1934 à 1936 en France, celle des affrontements violents entre extrême droite et Front populaire. Les Ligues d’extrême droite organisent les manifestations du 6 février 1934. En réponse, les partis de gauche forment le Front Populaire, une alliance électorale, qui gagne les élections en 1936.

De la crise des années 1970 au néolibéralisme

Le capitalisme a fortement évolué après 1945. De 1945 jusqu’aux années 1970, on est dans un prolongement du capitalisme fordiste et keynésien, dans un contexte géopolitique d’un monde bipolaire partagé entre l’Occident (Amérique du nord, Europe, Japon) et l’Union soviétique et ses alliés. Dans les années 1970, le capitalisme mondialisé a pris le relais du capitalisme keynésien en tant que forme dominante du capitalisme et a mis en place le capitalisme néolibéral.[9]

Les relations du capitalisme fordiste et keynésien au marché national et à la mondialisation sont complexes. Pour le capitalisme keynésien, la production de masse est orientée vers le marché domestique, ce qui justifie les augmentations de salaires et qui légitime la régulation et le protectionnisme. La mondialisation est limitée, les exportations sont sélectives et la priorité est donnée au marché national. Les investissements directs étrangers sont contrôlés. Le post-fordisme va accélérer la transition vers une mondialisation accélérée. La crise des années 1970 est marquée par les chocs pétroliers et une stagflation. La mondialisation accrue se traduit par la priorité donnée à la réduction des coûts et à la flexibilité pour s’adapter à l’environnement économique mondial, à la délocalisation vers les faibles coûts de main d’œuvre, à l’explosion du commerce mondial, à la domination des chaînes d’approvisionnement mondiales, à l’imposition de la flexibilité pour répondre à la priorité de la demande mondiale.

Un affrontement Nord-Sud, postcolonial, avait commencé, en 1953, avec la nationalisation en Iran du pétrole par Mossadegh. Il a été renversé. L’affrontement aura lieu en 1973 avec le quadruplement du prix du pétrole et en 1979, à la suite de la révolution islamique en Iran, avec un nouveau doublement du prix du pétrole. Mais les États pétroliers ne préservent pas l’unité des pays du Sud et laissent les pays occidentaux retourner la situation en leur faveur. En 1975 est créé le G5, qui deviendra le G7, qui regroupe les pays dirigeants occidentaux. Ils lancent, en organisant l’endettement des pays du Sud, une contre-offensive qui réussit et qui rallie certains pays pétroliers à l’offensive occidentale. Les institutions de Breton-Woods, FMI et Banque Mondiale, vont imposer, à partir d’une gestion inique de la dette, les Programmes d’Ajustement Structurel, les PAS. C’est une entreprise de recolonisation des pays du Sud. De nombreux mouvements contre la dette vont se développer dans les pays du sud, avec des mouvements de soutien dans des pays du nord, mais sans réussir à sortir de ce piège qui va fonctionner de 1979 jusqu’à aujourd’hui. Le capitalisme réussit une nouvelle mutation avec la mise en place du capitalisme financier et sa stratégie : marchandisation, privatisation, financiarisation.

La poussée de la droite et de l’extrême droite a commencé, pendant quarante ans, par une bataille pour l’hégémonie culturelle autour de cinq offensives. La première offensive, idéologique, a porté d’abord sur trois questions : contre les droits et particulièrement contre l’égalité, les inégalités seraient justifiées parce que « naturelles » ; contre la solidarité, le racisme et la xénophobie s’imposent ; contre l’insécurité, l’idéologie sécuritaire serait la seule réponse possible. La deuxième offensive est militaire et policière ; elle a pris la forme de la déstabilisation des territoires rétifs, de la multiplication des guerres, de l’instrumentalisation du terrorisme. La troisième offensive a porté sur le travail, avec la remise en cause de la sécurité de l’emploi et la précarisation généralisée, par la subordination de la science et de la technologie, notamment du numérique, à la logique de la financiarisation. La quatrième offensive a été menée contre l’Etat social par la financiarisation, la marchandisation et la privatisation ; elle a conduit à la corruption systématique des classes politiques. La cinquième offensive, dans le prolongement de la chute du mur de Berlin en 1989, a porté sur la disqualification des projets progressistes, socialistes ou communistes.

A partir de 1977, commence une nouvelle phase du capitalisme en réponse aux difficultés du capitalisme keynésien et au danger géopolitique de montée en puissance d’un Sud postcolonial. La réponse est à la fois économique et géopolitique. Sur le plan économique, le keynésianisme n’étant pas applicable à l’ensemble de la planète, on proposera de promouvoir une nouvelle forme d’organisation capitaliste et impérialiste, le néolibéralisme. Sur le plan géopolitique, on s’attachera à marginaliser les Nations Unies et à promouvoir les institutions de Breton-Woods (FMI, Banque Mondiale et OMC). Pour imposer cette nouvelle orientation, la stratégie est claire : l’endettement des pays du Sud.

Le capitalisme néolibéral

Le capitalisme néolibéral est précisé et expérimenté au Chili, à partir du coup d’État fomenté par Pinochet en 1973 qui a permis de mettre en place une politique, appliquée par un régime fasciste, définie à l’Université de Chicago par Milton Friedman. Le président français Giscard d’Estaing crée en 1975, le G5, qui deviendra G7, pour répondre au choc pétrolier. La stratégie est claire : endetter les pays du Tiers-monde ! Et, pour assurer le remboursement de la dette, imposer des PAS, des programmes d’ajustement structurel, organisés en fonction d’une doxa néolibérale et gérés par le FMI et la Banque Mondiale. Encore une fois, l’extrême droite est présente et active dans une période de crise du capitalisme. Le néolibéralisme est expérimenté et imposé par un régime fasciste celui de Pinochet au Chili. A partir de la nouvelle théorie des Chicago-boys ! Elle sera reprise, perfectionnée et imposée par Mme Thatcher en Grande Bretagne, Ronald Reagan aux États Unis et Giscard d’Estaing en France.

Le modèle s’impose du fait des difficultés et des échecs des politiques liées aux modèles d’indépendance nationale. La construction de l’État, au départ moyen du développement, est devenue une fin en soi. La fonctionnarisation accélérée et l’urbanisation galopante ont provoqué un déséquilibre structurel des fondamentaux économiques (budget, balance commerciale, balance des paiements). La bureaucratie et la corruption ont gangrené les sociétés. Le déni des droits fondamentaux et l’absence de libertés ont achevé de réduire fortement la crédibilité de ces régimes. La crise de la décolonisation, de sa première phase, celle de l’indépendance des États, est ouverte.

Un mouvement altermondialiste émerge en réponse à cette stratégie du capitalisme et de la financiarisation. En réponse à l’affirmation de Madame Thatcher, « il n’y a pas d’alternative », il affirme « un autre monde est possible ». La première phase de ce mouvement commence, dès 1979, avec les mouvements contre la dette et contre les programmes d’ajustement structurel. Le mouvement ATTAC, pour la taxation des transactions financières et le CADTM, Comité pour l’annulation des Dettes du Tiers-Monde, relayent et élargissent, dans le monde, les mouvements des pays du Sud contre la dette. A partir de1989, la situation évolue avec la chute du mur de Berlin, l’effondrement du bloc soviétique et le passage à un monde unipolaire sous la direction des États Unis et du G7. Le G7 va chercher à construire un nouveau système international, conforme à son projet, en complétant les institutions de Breton-Woods, le FMI et a Banque Mondiale, par l’OMC, l’Organisation Mondiale du Commerce. Des grandes manifestations internationales de 1989 à 1999, ont lieu contre ces institutions et le G7, à Paris, Madrid, Washington, Gênes et partout dans le monde autour du mot d’ordre, « le droit international ne doit pas être subordonné au droit des affaires ». La réunion de l’OMC à Seattle en 1999 qui devait confirmer l’ordre mondial se heurte à l’opposition des mouvements et aux contradictions internes entre les différents pays.

Les Forums Sociaux Mondiaux se succèdent, après Seattle, et laissent la parole aux mouvements sociaux et citoyens. Le Forum de Belém en 2009 regroupe 4500 associations, plus de cent mille personnes. Par rapport à la crise financière ouverte en 2008, il avance des propositions immédiates : le contrôle de la finance, la suppression des paradis fiscaux et judiciaires, la taxe sur les transactions financières, l’urgence climatique, la redistribution… A Belém, un ensemble de mouvements, les femmes, les paysans, les écologistes et les peuples indigènes, surtout amazoniens, ont pris la parole pour affirmer : il s’agit d’une remise en cause des rapports entre l’espèce humaine et la Nature, il ne s’agit pas d’une simple crise du néolibéralisme, ni même du capitalisme ; il s’agit d’une crise de civilisation, celle qui dès 1492 a préparé une nouvelle géopolitique et certains fondements de la science contemporaine dans l’exploitation illimitée de la Nature et de la planète. C’est depuis les forums sociaux mondiaux que date la définition d’un projet alternatif, celui de la transition sociale, écologique et démocratique. Cette transition s’appuie sur de nouvelles notions et de nouveaux concepts : les biens communs, la propriété sociale, le buen vivir, la démocratisation radicale de la démocratie.

Le mouvement de solidarité international se recompose. Il organise des manifestations contre la guerre. En 1989, à Paris, deux grandes manifestations en réponse au G7 qui se réunit à Versailles : « dette, colonies, apartheid, ça suffat comme çi » et le Sommet des sept peuples parmi les plus pauvres. Se succéderont alors, en 1994, l’affirmation des zapatistes au Mexique ; en 1995, à Madrid, le sommet contre le FMI et la Banque Mondiale, 50 ans ça suffit ; la création d’ATTAC en 1998 ; en 2001 les manifestations de Gènes. Et, à partir de 2001 la succession des Forums Sociaux Mondiaux

La crise financière de 2008 est une nouvelle crise profonde du capitalisme. La crise financière démontre la fragilité du système. Le néolibéralisme est réaménagé en adoptant une stratégie austéritaire qui combine l’austérité et le sécuritaire. Les luttes sociales se durcissent en réponse à cet austéritarisme. L’extrême droite se renforce dans de nombreux pays et revendique, dans cette situation, le nationalisme, l’identité, la sécurité et la lutte contre les migrants. La situation s’aggrave avec la pandémie de Covid. Ce n’est pas la première fois dans l’Histoire que la pandémie et le climat s’invitent pour rappeler la fragilité de la situation.[10] Cette pandémie rend plus sensible la crise climatique et l’actualité des contradictions sociales, écologiques et démocratiques.

Nous sommes dans un changement de période qui se caractérise par le durcissement des contradictions. La montée des alliances entre les droites et les extrêmes droites sont générales ; elles instrumentalisent la question des migrations et la question des identités nationales. Les mouvements sociaux, féministes, antiracistes, écologistes, des peuples premiers, sont porteurs de nouvelles radicalités mais n’ont pas encore de projet commun. Le mouvement social, ouvrier et paysan, est fortement combattu. L’autoritarisme se présente comme une solution par rapport à la méfiance sur les formes contestées de démocratie[11]. Les Forums sociaux mondiaux continuent à exister mais ils doivent être renouvelés. De nouveaux mouvements explorent de nouvelles perspectives, comme les zapatistes, les femmes du Rojava, les jeunes iraniennes. Ces mouvements mettent en avant le féminisme, l’écologie, la démocratie locale. Ils explorent les voies d’avenir.

Le coup de tonnerre de 1989, avec l’autodissolution de l’empire soviétique semble accélérer l’hégémonie du capitalisme mondialisé. Plus rien ne paraît s’y opposer. On voit fleurir les odes au capitalisme éternel ; ce serait la fin de l’Histoire ! La crise financière de 2007-2008 va interrompre l’euphorie. Il n’est pas sûr que ce soit la crise centrale de la période, comme l’a été celle de 1929 ; une autre crise centrale viendra probablement ponctuer le processus. Deux éléments nouveaux sont venus compléter les crises sociales et démocratiques ; la pandémie et la crise du covid ont bouleversé la scène mondiale, la crise climatique rappelle l’actualité et l’urgence de la crise écologique.

À partir de 2007 - 2008, une nouvelle crise structurelle du capitalisme

En fonction de l’analyse des crises précédentes, et en faisant l’hypothèse que nous sommes dans une crise structurelle du capitalisme, nous analyserons l’évolution et la crise du mode de production capitaliste, les luttes sociales, les guerres, la décolonisation, les débats idéologiques et politiques, la droite et l’extrême droite.

La crise actuelle du mode de production capitaliste

De nombreux changements se traduisent par des fortes évolutions dans les rapports de production. Retenons-en deux : la progression exponentielle du numérique, les interrogations sur l’extractivisme.

Reprenons quelques données pour apprécier l’explosion du numérique. La croissance financière des entreprises du numérique est considérable, elle se compte en milliards de dollars[12]. C’est le cas des géants technologiques : Apple, Google, Amazon, Facebook. Apple a atteint 2000 milliards de dollars en 2020. Leurs revenus ont explosé, Amazon est passé de 19 milliards de dollars en 2008 à 469 milliards de dollars en 2021. Les investissements de Recherche-développement se sont multipliés, Google est passé de 2,8 milliards de dollars en 2008 à 31,6 milliards de dollars en 2021. Les innovations technologiques se sont imposées avec l’IA, l’intelligence artificielle, le blockchain, le cloud computing. Elles ont été facilitées par la progression des start-ups. Les utilisateurs d’internet sont passés de 1,5 milliards de personnes en 2008 à plus de 5 milliards en 2023 ; les smartphones sont passés de 200 millions de personnes en 2008 à plus de 3,8 milliards en 2021 ; la fréquentation des réseaux sociaux de 1 milliard en 2008 à 4,5 milliards en 2021 ; le commerce électronique de 1 milliard d’utilisateurs en 2008 à 4,5 milliards en 2021. La part du commerce électronique dans le commerce de détail est passé de 3,6% en 2008 à 19,6% en 2021. La numérisation des services transforme les secteurs traditionnels du commerce, des finances, de la santé, des médias. L’éducation en ligne a explosé. L’impact culturel est visible dans la communication, les messageries, les cultures numériques, la multiplication des influenceurs et des créateurs de contenus.

Les industries extractives et pétrolières doivent s’adapter à un environnement en mutation rapide marqué par la transition énergétique et la volatilité des marchés. La récession économique qui a suivi la crise financière de 2008 s’est traduite par une récession économique, la chute de la demande des minéraux et du pétrole et une baisse brutale des prix des matières premières. Le prix du pétrole a chuté à 30$ en 2009, contre 150$ en 2008 ; la surproduction a provoqué une nouvelle baisse en 2014 et la pandémie du COVID, en 2020, a provoqué une chute historique des prix. Avec le pétrole de schiste, les États-Unis sont devenus un des principaux producteurs de pétrole. Les crises géopolitiques au Moyen-Orient, en Russie et en Afrique ont eu des répercussions sur les prix et les approvisionnements en pétrole. La demande mondiale en énergie et en matières premières devrait être affectée par les interrogations sur une nécessaire transition énergétique mondiale cherchant à privilégier des sources d’énergie durables, la diversification économique des pays producteurs, les enjeux environnementaux pour la réduction des émissions carbone et les investissements dans les énergies renouvelables. Cette évolution, qui correspond à des enjeux majeurs, aura des conséquences considérables.

Le capitalisme des plateformes utilise les technologies numériques pour maîtriser les transactions en connectant les utilisateurs. Les plateformes redéfinissent les relations, les modèles d’affaires et les marchés. Elles modifient les formes de régulation et de concentration des pouvoirs. Elles concentrent le pouvoir économique. Elles exacerbent les inégalités et mettent en danger la sécurité de l’emploi. Elles stimulent l’innovation et aggravent la compétition, multipliant les emplois d’indépendants et de temporaires. Les premières plateformes datent des années 1990 à 2000 avec internet. Elles sont boostées par les smartphones et les applications mobiles. L’épidémie du covid a renforcé les plateformes numériques, et leurs compléments avec les services de livraison, le commerce électronique et le télétravail. Le capitalisme de plateformes crée un nouveau modèle économique ou les plateformes numériques servent d’intermédiaires pour faciliter les interactions entre les groupes d’utilisateurs à l’exemple de Amazon, Airbnb, Facebook.

La crise du COVID a aussi accéléré l’adoption du télétravail et transformé profondément le rapport au travail pour les travailleurs et pour les entreprises. Les entreprises modifient leur organisation du travail pour s’adapter aux nouvelles formes du travail en profitant du travail à domicile et de l’individualisation des travailleurs. Le télétravail renforce la flexibilité du travail et réduit les formes d’organisation collective des travailleurs. La productivité à l’échelle mondiale est affectée par le ralentissement du temps de travail, l’impact de la crise du Covid et le ralentissement démographique dans les pays développés. Après 2008, la baisse de la croissance de la productivité a affecté l’économie mondiale et a pesé sur la croissance économique, les inégalités, la compétitivité des entreprises et les niveaux de vie. Elle s’est traduite par une croissance des salaires ralentie et une productivité réduite qui a conduit à une stagnation et à une baisse du niveau de vie pour une partie de la population. Les tensions sociales ont accompagné la stagnation des revenus et les inégalités croissantes. L’instrumentalisation de la crise a permis de renforcer les politiques de réduction des salaires et des droits collectifs

La crise de la pandémie et du climat renforce cette tendance de reprise en main par des États autoritaires. Elle bouleverse les situations et les équilibres ; elle interroge la solidarité internationale, l’internationalisme et l’altermondialisme. A une crise par définition mondiale, les réponses sont surtout nationales et étatiques. Les institutions internationales sont peu écoutées et marginalisées. Les mouvements répondent par des actions de solidarité locale et par la résistance à leurs États. Les contradictions s’accentuent. Les affrontements opposent dans beaucoup de pays des alliances sécuritaires et de droite populiste, aux mouvements qui revendiquent les libertés démocratiques, la défense des droits sociaux, l’urgence écologique. L’austéritarisme s’est imposé. Le néolibéralisme ne cherche pas à convaincre ; il revendique la conjonction de l’austérité et de l’autoritarisme. Près de vingt ans après la chute du mur de Berlin, le néolibéralisme abandonne ses références aux libertés. Il ne cherche plus à convaincre, il ne cherche plus qu’à imposer. L’austéritarisme marque les limites du néolibéralisme en tant que système stable.

Il est probable que nous vivrons le passage à une nouvelle phase du mode de production capitaliste, comme entre 1914 et 1945, la rupture avec le passage au capitalisme fordiste et keynésien, formalisé à partir de 1929, avec le New Deal. L’hypothèse du passage à une nouvelle phase du mode de production capitaliste est très probable ; elle est amorcée avec les nouvelles formes de production, notamment le numérique. Elle est aussi interpellée par les changements dans les classes principales. Nous en avons quelques éléments. Dans la classe dominante, par la contradiction entre la financiarisation de la bourgeoisie et la culture des nouveaux dirigeants, cadres et managers du numérique. Dans la classe ouvrière, par les contradictions dans l’évolution des formes du salariat et avec le précariat.

L’hypothèse n’est peut-être pas seulement celle d’un changement de phase du capitalisme. Immanuel Wallerstein avance l’hypothèse qu’il s’agit d’une crise structurelle qui met en cause les fondements du mode de production capitaliste[13]. Il considère que le mode de production capitaliste est épuisé et que dans les trente prochaines années, il ne devrait plus être dominant. Mais, cette crise du capitalisme ne déboucherait pas sur le socialisme. Un autre mode de production, inégalitaire mais différent, lui succéderait. Il estimait qu’un nouveau mode de production allait succéder au capitalisme dans les trente ou quarante prochaines années. Mais, il soulignait que, si la fin du capitalisme est historiquement certaine, cela n’entraînait pas automatiquement l’avènement d’un monde idéal. Il pensait qu’un nouveau mode de production « post-capitaliste » pourrait être inégalitaire. Il voyait la possibilité de plusieurs bifurcations : « celle débouchant sur un système non capitaliste conservant du capitalisme ses pires caractéristiques (hiérarchie, exploitation et polarisation), et celle posant les bases d’un système fondé sur une démocratisation relative et un égalitarisme relatif, c’est-à-dire un système d’un type qui n’a jamais encore existé.

Dans cette hypothèse, le capitalisme ne disparaîtrait pas, mais il ne serait plus le mode de production dominant dans les formations sociales, un peu comme l’aristocratie n’a pas disparu en laissant la première place à la bourgeoisie. De nouvelles classes sociales principales seraient en gestation dans nos sociétés. Le nouveau prolétariat viendrait du précariat et associerait les précaires et certaines formes de salariat. Les nouvelles classes dirigeantes pourraient être issues des techniciens et des cadres comme on peut le voir à travers les mutations sociales entrainées par le numérique. Les bourgeoisies, parasitaires et rentières, ne seraient plus dominantes et pourraient laisser la place à de nouvelles classes dirigeantes. Le néolibéralisme pourrait être toujours présent, mais ne serait plus dominant. Il a déjà perdu une large part de sa légitimité et il a besoin de durcir ses moyens de répression pour maintenir son pouvoir.

Quelle que soit l’hypothèse, celle du passage à une nouvelle phase du mode de production capitaliste ou celle du passage à un nouveau mode de production, les changements seront considérables et se traduiront par des années de transition marquées par des bouleversements sociaux et idéologiques. Les conséquences seront considérables au niveau de l’écologie et du changement climatique, au niveau social pour les inégalités et les discriminations, au niveau des guerres et de la nature des régimes politiques, au niveau de la définition même des démocraties.

Les luttes sociales, les guerres et la deuxième phase de la décolonisation

Les luttes sociales

Les luttes sociales, sous des formes diverses, sont toujours présentes et déterminantes. Elles sont très présentes au niveau local et elles sont plus visibles au niveau national quand elles interpellent l’État. Elles sont moins visibles au niveau international du fait des remises en cause du champ géopolitique. Elles concernent surtout les inégalités sociales de plus en plus grandes et partout présentes. Les luttes pour la démocratie sont aussi très présentes mais sont plus spécifiques en fonction des situations locales ; elles convergent très rarement au niveau des grandes régions ou au niveau mondial. Les luttes sur les questions écologiques sont très pertinentes mais se heurtent à une contre-offensive très déterminée pour éviter la jonction avec la critique radicale du néolibéralisme qui exacerbe les inégalités.

Les inégalités sociales sont considérables[14]. En France, avec un taux de pauvreté de 15%, le Smic, salaire minimum, est de 17000 euros par an et la rémunération moyenne d’un PDG du CAC 40 est de 5,5 millions d’euros par an, soit 331 fois le smic. Cette situation est accentuée par la réduction des impôts sur les revenus du capital. Au niveau mondial, les 1% les plus riches possèdent 45% de la richesse mondiale en termes de patrimoine net. Oxfam a calculé que les 1% les plus riches possèdent, en patrimoine net, plus de deux fois la richesse de 6,9 milliards de personnes les moins dotées (sur 7,8 milliards de la population mondiale). Il y a une claire conscience de l’ampleur des profits des grandes entreprises et des grands actionnaires et de l’injustice du système ; mais cette prise de conscience ne se traduit pourtant pas par une remise en cause globale du capitalisme.

Les grandes luttes sociales ont été très fortes depuis 2008. Rappelons, en France

Les luttes contre la réforme des retraites en 2010, 2019 et 2023 ; celles contre la loi travail en 2016 ; l’émergence des Gilets jaunes en 2018 ; les luttes pour le climat depuis 2018 ; contre les violences policières et le racisme en 2020. Dans le monde, après 2008, il y a eu des mouvements d’ampleur dans plus de 59 pays. Parmi eux, rappelons les Printemps arabes en 2010 et 2011 ; les Indignés en Espagne en 2011, Occupy Wall Street en 2011 ; Black lives matter, contre la violence policière et le racisme, depuis 2013 ; les mobilisations à Hong Kong, pour les libertés démocratiques en 2019 ; les grèves mondiales pour le climat, depuis 2018 ; les mouvements au Chili, en Colombie, en Bolivie, en 2019 – 2020…

Les luttes sociales dépendent de l’évolution des rapports entre les classes sociales. La classe ouvrière demeure centrale mais elle a évolué et cette évolution s’accélère. La généralisation du salariat rend moins visible les rapports sociaux capitalistes. Ce qui est accentué par la numérisation et, depuis la pandémie du COVID, par la progression du télétravail. Il faut aussi noter l’importance des classes moyennes, malgré l’affaiblissement de leur situation, et le rapprochement des conditions de vie liées à l’urbanisation. Le précariat, les travailleurs précaires, les secteurs informels, l’ubérisation, le micro-entrepreneuriat représentent de nouvelles formes d’organisation du travail ; il s’est développé dans le Sud et aussi en Europe. La scolarisation modifie aussi les rapports entre les classes[15]. Le taux de scolarisation était, en 2020, de 95% en France et de 76% dans le monde. Il y avait 2,7 millions d’étudiants dans le supérieur en 2021. Dans le monde, le taux de scolarisation dans le secondaire était, en 2020, de 70% en Chine et Corée du Sud, de 50% en Amérique Latine, au Moyen Orient et en Afrique du Nord, de 9 à 10% en Afrique. Pour se rendre compte de l’évolution et des conséquences pour une société, il y avait trois bacheliers en République démocratique du Congo, au moment de l’indépendance, en 1960, dont 2 à Bruxelles ; il y en avait 235000 en 2008 et plus de 700000 en 2023. Ce n’est plus la même société !

Les luttes sociales ont toujours été très fortes et n’ont jamais cessé. Les crises structurelles sont toujours des moments de réaménagements géopolitiques majeurs. Elles s’accompagnent des guerres et des aménagements du système international.

La géopolitique, les guerres et le système international

Les crises structurelles sont toujours des moments de réaménagements géopolitiques majeurs. Et ces réaménagements géopolitiques passent par les guerres, par des affrontements, par les nouvelles frontières et les aménagements du système international qui concrétisent les règlements des conflits.

Après 1945, il y a de nombreuses guerres pour la décolonisation qui se prolongent dans des guerres de recomposition régionale au Moyen-Orient, en Asie et par des guerres d’intervention des États-Unis et de l’Union Soviétique. Parmi les principales guerres et les confrontations, citons : la guerre d’Indochine, de 1946 à 1954 et du Vietnam de 1955 à 1975 ; la crise de Suez en 1956 ; la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962 ; les guerres entre Israël et les pays arabes en 1967 et 1973 ; la guerre civile du Liban en 1975 jusqu’en 1990 ; la guerre du Cambodge en 1970 ; l’invasion soviétique en Afghanistan en 1979 ; les Malouines en 1982 ; la guerre du Golfe en 1990 ; le génocide rwandais en 1994 ; la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988 ; la guerre de Yougoslavie de 1991 à 2001 ; la guerre d’Afghanistan de 2001 à 2021 ; les guerres en Irak de 2003 à 2011, la guerre de Lybie en 2011 et depuis 2014 ; les guerres en République démocratique du Congo depuis 1994 …

Après 2008, il y a de nombreuses guerres qui prolongent les guerres de la période récente ou qui annoncent le passage à une nouvelle période. On compte ainsi, la guerre entre la Géorgie et la Russie en 2008 ; la guerre civile syrienne depuis 2011 ; l’intervention militaire au Yémen depuis 2015 ; la guerre contre l’État islamique en 2014 ; la guerre en Ukraine depuis 2014 ; la guerre civile en Lybie depuis 2014 ; le conflit au Mali depuis 2012 ; le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie en 2020 ; la guerre civile au Soudan du Sud de 2013 à 2018 ; le conflit en République Centre Africaine depuis 2012 ; la guerre au Tigré depuis 2020.

Les régions en guerre se multiplient. Mais deux guerres occupent une place centrale dans la période et sont porteuses de graves conséquences à l’échelle mondiale ; la guerre entre la Russie et l’Ukraine et la guerre entre Israël et la Palestine. Le conflit au Donbass, depuis 2014 et l’annexion de la Crimée, a pris une nouvelle dimension avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Dans un premier temps, l’Ukraine a réagi de manière assez efficace et a contenu l’invasion russe. Le front s’est stabilisé dans le Donbass ; l’armée russe impose une très forte pression malgré l’armement considérable, mais insuffisant, apporté par les États-Unis et l’Europe à l’Ukraine. Cette guerre interpelle l’ordre international sur plusieurs aspects : d’abord, la nécessaire réaffirmation de l’interdiction des invasions armées comme forme d’intervention dans un conflit politique. Ensuite la question du nucléaire, du point de vue de la sécurité des installations et aussi des possibilités de dérive et d’utilisation des armes nucléaires. La troisième question est celle du rôle de l’OTAN dans la recomposition géostratégique et dans la redéfinition des alliances et du système international.

La guerre israélo-palestinienne est le conflit majeur de la période. Il résume et exacerbe, d’une certaine façon, l’affrontement entre le Sud et l’Occident ; en mettant aussi en évidence la différence de positionnement entre les gouvernements des pays du Sud et les opinions publiques de ces pays. Il est marqué par la place dirigeante de l’extrême droite israélienne dans la gestion du conflit et sa capacité à imposer son point de vue aux États-Unis et à l’Europe. L’intervention du Hamas, marquée par certaines actions terroristes, a modifié le paysage. Une des questions clés va être celle de la définition d’une stratégie commune par l’ensemble des organisations palestiniennes. La reconnaissance d’un État palestinien pose une question immédiate, celle de la remise en cause de la présence des colons en Cisjordanie qui risque de conduire, comme le soulignent plusieurs Israéliens, à une guerre civile en Israël. Dans un temps futur, des solutions peuvent émerger dans la construction d’une grande région impliquant de nouvelles relations entre le Liban, la Jordanie, la Syrie, la Palestine et un Israël qui ne serait plus colonial.

La géopolitique est aujourd’hui organisée autour des États-nations. L’évolution récente a renforcé cette organisation. La montée des extrêmes droites dans le monde renforce cette imposition d’un monde organisé par les seuls États-nations. Il y a toutefois une tendance à l’émergence d’un autre aménagement géopolitique avec l’organisation de grandes régions qui ne remplaceraient pas les États mais qui les intégreraient dans des ensembles plus larges. Il y a une quinzaine de grandes régions qui pourraient émerger avec la Chine, l’Inde et l’Asie du Sud, l’Asie du Sud-Est y compris le Japon et la Corée, l’Amérique du Nord, l’Amérique centrale avec le Mexique, l’Amérique du Sud avec le Brésil et l’Argentine, les Caraïbes, l’Afrique du Nord, le Moyen Orient, l’Afrique du Sud, l’Afrique de l’Ouest et centrale, l’Afrique de l’Est, l’Europe, la Russie, l’Océanie.

Le système international est organisé aujourd’hui autour des Nations unies. Il comprend l’ONU et les institutions internationales qui lui sont rattachées et qui jouent un rôle considérable dans le fonctionnement du système international. L’ONU devra être réorganisée[16] ; une sortie de crise structurelle géopolitique rend nécessaire cette réorganisation. L’ouverture d’un débat sur la reconfiguration d’un système international peut faciliter la mise en avant de propositions pour un système démocratique mondial plus avancé.

La deuxième phase de la décolonisation

Avec l’évolution démographique, la décroissance démographique sur plusieurs continents et la croissance démographique en Afrique, on va vers un nouvel équilibre démographique mondial en 2050. La période peut être aussi caractérisée comme celle à la fois d’un renforcement et d’une crise des impérialismes. Elle est celle de la décolonisation qui a commencé dans les années 1920 et qui s’est traduite par les indépendances nationales, à partir de 1944. Nous avons déjà rappelé la conférence de Bandung, en 1955, et la formule sur l’indépendance des États, la libération des nations et la révolution pour les peuples. Aujourd’hui, l’évolution des nouveaux États indépendants et la domination de la scène mondiale par les États occidentaux rappelle que la décolonisation est inachevée. Les réorganisations géopolitiques sont à l’œuvre dans le monde. Elles accompagnent une revendication des peuples à une désoccidentalisation du monde.

À l’identification des peuples à l’État-nation, la période qui vient approfondira et enrichira les rapports entre les peuples, les États et les nations. On voit bien les difficultés quand on pense aux Nations Unies. La Charte, des nations, commence par « Nous les peuples », et en réalité, il s’agit d’une union d’États. Au niveau de la Ligue internationale pour les droits des peuples, nous donnons la priorité aux peuples et nous mettons en avant la définition, donnée par le juriste Charles Chaumont, « un peuple se définit par l’histoire de ses luttes ». Le rapport entre peuple et territoire ne peut pas être réduit au rapport entre nation et territoire. Elle confirme aussi que la langue et la culture caractérisent le peuple. Et que l’internationalisme relève des peuples et non des nations.

Nous entrons dans la deuxième phase de la décolonisation. La première phase est celle de l’indépendance des États colonisés. Elle a été largement entamée avec l’indépendance des colonies et la création des nouveaux États. Mais, il reste encore un certain nombre de situations coloniales, comme vient le rappeler, notamment, la Kanaky. La question de la Palestine est déterminante pour clore cette première étape des indépendances. La deuxième phase de la décolonisation concerne la possibilité pour chaque pays de définir et de maîtriser son développement et pour chaque peuple de construire des institutions lui assurant les libertés et des formes démocratiques. Elle concerne aussi la possibilité pour chaque pays de participer à l’organisation et la gestion de leur grande région et des institutions internationales.

Cette perspective est confirmée par les bouleversements géopolitiques qui sont en cours. Ils concernent directement les guerres qui accompagnent les bouleversements de l’ordre mondial et notamment la nature des régimes politiques et la démocratie. Les États-Unis sont toujours dominants économiquement et militairement, mais leur hégémonie est de plus en plus contestée. La confrontation principale se déplace vers l’Asie et oppose les États-Unis et la Chine. L’Europe est marginalisée et la guerre accroît ses divisions. Les États-Unis explorent une alliance avec l’Australie et le Japon qui inclurait la Grande-Bretagne. La Chine renforce les BRICS avec le Brésil, l’Inde, la Russie et l’Afrique du Sud et entame son élargissement avec, notamment, les pays du Golfe, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie et l’Iran. De nouvelles puissances renforcent leurs positions régionales. L’Inde en Asie du Sud, la Thaïlande et l’Indonésie en Asie du Sud-Est, l’Australie dans le Pacifique, la Turquie et l’Arabie Saoudite au Moyen-Orient, l’Afrique du Sud, le Nigéria et le Kenya en Afrique, le Brésil, le Mexique et le Canada en Amérique. Dans cette première phase des indépendances, nous pouvons distinguer trois sous-périodes : de 1944 à 1965, les luttes de libération nationale ; de 1966 à 1973, les « mai 1968 » dans le monde ; de 1973 à 1977, l’offensive pétrolière de pays du Sud.

La souveraineté est une valeur de référence de plus en plus prisée. Elle renforce les identitarismes et le poids des intégrismes dans les religions. Elle se traduit par la montée des autoritarismes[17] de différentes natures. Les libertés et la démocratie restent des valeurs de référence, mais en tant que valeurs abstraites. La méfiance par rapport aux régimes politiques est devenue générale. Elle se traduit par une grande défiance par rapport aux institutions internationales.

La situation est caractérisée par la montée en puissance de nouveaux blocs émergents. Ce sont des situations qui se traduisent historiquement par des périodes de tensions, de conflits et aussi de guerres. D’autant que cette évolution est très rapide à l’échelle historique, en quelques dizaines d’années et non en quelques siècles[18], comme dans les transitions précédentes. Le Sud global se présente à la fois comme un bloc émergent et comme une diversité des États-nations du Sud et de leurs intérêts nationaux. Depuis 2013, la Chine, l’Inde et le Brésil sont collectivement en train de dépasser les pays occidentaux en termes de commerce et de production mondiale.[19] L’affirmation politique d’un Sud global et la volonté du multilatéralisme coexistent avec le renforcement des grandes régions géoculturelles dans l’ordre mondial. Il y a un besoin urgent de réformes pour faire face à un monde en évolution rapide, pour arriver à une architecture globale. Il faut répondre aux défis principaux : le maintien de la paix ; la réduction des inégalités et des discriminations ; le défi écologique ; la redéfinition de la démocratie. L’ONU, si elle est réformée, pourrait jouer un rôle essentiel dans la promotion de ces réformes nécessaires.

Les débats idéologiques et politiques et la montée de l’extrême droite

L’idéologie renvoie à un système d’idées, elle propose un idéalisme opposé au réalisme politique. Marx introduit le terme quand il rédige, avec Engels, « L’idéologie allemande », en1846 (la publication attendra 1932). Il critique une vision de classe à dépasser par la science ; de là découle une vision négative des idéologies. Cette vision est renforcée par la liaison entre les idéologies et les utopies. Cette conception part de la Révolution française qui va marquer le débat d’idées depuis le XIXème siècle ; elle intègre la science newtonienne de la Nature du XVIIème et l’idée d’un progrès historique du XVIIIème siècle.

Immanuel Wallerstein propose de définir le débat idéologique à partir de trois idéologies politiques, toujours présentes, qui suivent la Révolution française : le conservatisme, le libéralisme et le socialisme[20]. Aucune n’a trouvé de configuration définitive ; elles s’opposent et s’influencent et se recomposent avec la prééminence actuelle du libéralisme. Le conservatisme est une réaction au rejet de l’ancien par la modernité qui met en avant, depuis la révolution industrielle, le culte du changement et du progrès qu’il cherche à refuser ou à limiter. Pour cela, il s’agit de garder ou de reconquérir le pouvoir dans l’État. C’est l’objectif depuis la Restauration qui remet en cause la Révolution. Le libéralisme est certain de la vérité de la modernité ; il est universaliste et propose de moderniser les institutions, de supprimer l’irrationnel du passé et les idéologies conservatrices. Son programme politique est d’imposer le progrès. Le socialisme se veut l’héritier de la Révolution ; il se différencie des conservateurs par sa volonté d’accélérer le processus historique pour faire avancer le progrès. Il se différencie des libéraux en prônant la révolution plus que la réforme pour affronter la résistance au progrès.

L’idéologie libérale propose un sujet, un acteur politique principal ; elle soulève la question de la souveraineté. La souveraineté du peuple succède à la souveraineté du monarque. Qui est le peuple ? Pour les libéraux, le peuple est l’ensemble des individus qui sont dépositaires de tous les droits politiques, économiques et culturels. L’individu est le sujet historique de la modernité, tous les individus sont égaux. Comment prendre des décisions collectives et réconcilier les positions ? C’est la question de la démocratie politique. Le néolibéralisme introduit une rupture avec le libéralisme en se détournant des préoccupations de souveraineté et de démocratie.

La question de l’individu et de la souveraineté est moins explicite chez les conservateurs et les socialistes. Pour les conservateurs, les individus passent, le bien public, le « commonwealth », restent identiques. Le sujet politique se retrouve dans la famille, les corporations, les Églises, les ordres. Pour les socialistes, le sujet principal, c’est le peuple ; la question reste : comment reconnaître la volonté générale du peuple ? Quel sujet incarne la souveraineté du peuple ? Pour les libéraux, ce sont les individus dit libres, pour les conservateurs, ce sont les groupes traditionnels, pour les socialistes, c’est le groupe entier formant société.

Le sujet, le peuple, a une représentation privilégiée, c’est l’État. C’est par l’État que le peuple exerce sa souveraineté, qu’il est souverain. Le peuple forme une société ; quel est le rapport entre État et société ? C’est la question de la modernité. En fait, Les trois idéologies prennent le parti de la Société contre l’État mais de manière différente. Pour les libéraux, il s’agit de dissocier État et vie économique. Et, pour la plupart des libéraux, de réduire l’État au minimum ; l’État est le veilleur de nuit. Pour les conservateurs, le sujet, le peuple, a un soutien privilégié, l’État. Il s’agit de concilier individualisme et étatisme en soutenant et appuyant les groupes intermédiaires traditionnels : famille, Eglise, corporations. Pour les socialistes, la bourgeoisie s’est emparée de la souveraineté politique en s’assurant le contrôle exclusif de l’État. La position par rapport à l’évolution de l’État en grand État bureaucratique et moderne se différencie. Pour les conservateurs, l’État doit protéger les droits traditionnels ; pour les libéraux, l’État doit permettre aux droits traditionnels de s’épanouir ; pour les socialistes l’État doit réaliser la volonté générale.

Les rapports entre les trois idéologies ont évolué. De la Révolution française à 1848, les libéraux s’opposent aux conservateurs. Ils considèrent que le Progrès est inévitable et souhaitable alors que pour les conservateurs, le progrès est néfaste. Les socialistes sont, au début, alliés des libéraux. L’alliance entre socialistes et libéraux soutient la pensée libérale et égalitariste du XVIIIe contre la monarchie absolue. Les deux courants défendent la productivité, base de la politique sociale de l’État moderne. Ils défendent aussi l’utilitarisme. À partir de 1830, et plus nettement après 1848, il y a une séparation entre libéraux et socialistes. Le marxisme ne se limite pas à la pauvreté, il condamne la déshumanisation par le capitalisme. Il y a un rapprochement entre conservateurs et libéraux, il s’agit de protéger la propriété et de combattre la révolution. Un libéralisme modéré divise, chez les socialistes les modérés, qu’on appellera sociaux-démocrates, qui défendent une action politique et des réformes et les radicaux qui appellent à l’insurrection. De 1848 à 1914, ou 1917, le libéralisme domine et l’idéologie socialiste se réfère au marxisme. Le libéralisme s’impose, avec une variante libérale socialiste qui affiche sa foi dans le progrès et la productivité et une variante libérale conservatrice. On peut considérer que les totalitarismes du XXème siècle ont tenté une approche entre conservateurs et socialistes en alliant socialisation et populisme. À partir de 1917 jusqu’à 1968, ou 1989, c’est la domination du libéralisme à l’échelle mondiale, avec un moment de débat particulier avec le léninisme et avec les tentatives récurrentes de plusieurs appels à dépasser les idéologies.

Peut-on dépasser l’idéologie libérale dominante ? C’est la question posée depuis les années 1968. A partir de 1989, la version socialiste est impactée par la chute du marxisme soviétique. Les conservateurs se soumettent à la direction néolibérale. La liaison entre libéralisme et modernité est remise en cause pour la première fois ; elle s’effondre aujourd’hui avec la crise structurelle du capitalisme. Le néolibéralisme dominant est en crise. A partir de la crise de 2007-2008, il a évolué vers un néolibéralisme autoritaire. Cette idéologie est dominante et même hégémonique. Et pourtant elle est contestée et ne permet pas de faire société. L’heure est venue d’élaborer une nouvelle approche. Une nouvelle vision socialiste devra tenir compte de plusieurs questions philosophiques et politiques. Plusieurs pistes sont ouvertes : le refus des inégalités, la mise en avant de l’égalité et des libertés comme valeurs centrales ; la recherche de nouveaux rapports de production pour permettre de nouvelles formes de production et de nouveaux rapports, individuels et collectifs, entre les classes sociales et les groupes sociaux ; la recherche d’une nouvelle voie tenant compte des impératifs qui découlent du climat, de l’écologie et des luttes contre les pandémies ; les formes d’organisation sociale démocratiques, sur les plans individuels et collectifs, au niveau local, national et international ; de nouveaux rapports géopolitiques qui organisent les rapports entre les États, les nations et les peuples. Ce sont les questions posées par la définition d’un nouveau programme, d’une nouvelle vision socialiste.

La vision socialiste est à réinventer. Il faut pour cela revenir à la 1e Internationale pour réexaminer les fondements du socialisme ; analyser les échecs de la social-démocratie subordonnée au néolibéralisme ; faire le deuil du soviétisme. Dans le débat philosophique, une analyse critique des tentatives passées est nécessaire pour mettre en avant ce qui peut être retenu. Parmi les références à mettre en avant, Antonio Gramsci est un de ceux qui a le mieux analysé l’évolution et la crise idéologique. Il définissait ainsi la situation des années 1930 en avançant une réflexion qui traduit bien toutes les crises structurelles : « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tend à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres »

L’extrême droite et son alliance avec la droite

Les périodes de crises structurelles précédentes commencent par la montée de la droite et de l’extrême droite. De 1860 à 1880, la droite conservatrice prend la forme du bonapartisme et de la IIIe République avec des périodes plus radicales, avec Bismarck et Thiers, et à la fin de la période l’émergence des groupes d’extrême-droite qui préfigurent les mouvements d’extrême-droite actuels. Mais les réactions de la gauche sont continues avec la 1e Internationale et avec La Commune. Pour la crise de 1929, la droite conservatrice domine de 1913 à 1945 et impose sa prédominance dans la suite des deux guerres mondiales. Elle conduit au fascisme en Italie et en Allemagne. Mais, il y a une grande présence de la gauche, sous différentes formes, et notamment les révolutions soviétique et chinoise. Rappelons que la droite et l’extrême droite prennent l’offensive en 1934, mais que le Front Populaire s’impose en 1936. Ainsi, la montée en puissance de l’extrême droite n’annule pas l’avenir. Les contradictions demeurent et les issues ne sont pas écrites. On le voit aujourd’hui avec les dernières élections. La droite et l’extrême droite ont progressé. Mais la gauche n’est pas absente et garde ses capacités de réaction. En phagocytant et paralysant la droite, l’extrême droite occupe un espace considérable et pèse sur l’ensemble de l’espace politique. La confrontation oppose les deux conceptions radicales de la droite et de la gauche.

Les trois idéologies qui ont accompagné la révolution industrielle sont toujours présentes. Au sein de la droite, le néolibéralisme est toujours dominant, mais il est fortement contesté et il doit faire face à un durcissement de ses contradictions. Le conservatisme s’est renforcé, mais il a adopté certaines caractéristiques du néolibéralisme sur la prédominance du capitalisme mondialisé par rapport à l’État. Un des enjeux de la période est la tentative d’alliance entre la droite et l’extrême droite avec la prédominance de cette dernière, mais aussi l’acceptation par elle des règles du néolibéralisme. Le socialisme reste présent à travers les luttes et le refus des propositions néolibérales et conservatrices, mais il est encore marqué par l’échec du soviétisme et n’a pas encore défini de nouvelles perspectives. Il faut aussi tenir compte des conséquences de la nouvelle crise sur les idéologies existantes, y compris avec la possibilité que les transformations du capitalisme se traduisent par la définition de nouvelles idéologies.

L’évolution du néolibéralisme, tant l’idéologie que les politiques néolibérales, est déterminante ; le néolibéralisme reste dominant, même s’il est en crise. Le néolibéralisme s’est imposé après la crise des années 1970 qui marque le passage du capitalisme industriel keynésien au capitalisme néolibéral mondialisé. Alors que les néolibéraux pensaient, après la fin de l’Union soviétique, en 1989, avoir imposé leur victoire et qu’ils proclamaient, selon les termes de Fukuyama et Huntington, « la fin de l’Histoire », la crise financière de 2007-2008 est venue rappeler les réalités de l’entrée dans une nouvelle crise structurelle. Cette crise ne se traduit pas, pour l’instant, par le retrait du néolibéralisme comme système dominant. Mais elle souligne sa fragilité et ses contradictions. Le néolibéralisme a bénéficié de l’échec du soviétisme, de la croissance du marché mondial et de l’expansion du capitalisme dans le Sud global. Mais il est confronté aux nouveaux rapports de production, toujours capitalistes, mais en mutation avec le numérique et les interrogations sur l’extractivisme. C’est la remise en cause de l’hégémonie occidentale néolibérale et on assiste à des formes de conservatisme donnant plus d’importance à l’État, combiné au néolibéralisme, comme en Chine, en Russie, en Inde, au Brésil, et dans une grande partie du monde.

Le conservatisme est à l’offensive. Il propose une alliance entre la droite et l’extrême droite, en donnant la direction à celle-ci. Pour cela, il a entamé une évolution. Il centre son offensive sur les couches populaires. Il propose de prendre en compte les revendications des couches populaires sur le pouvoir d’achat, sans le lier directement à la question des revenus. Il met l’accent sur l’identité et la sécurité, sur l’État et les frontières. Il glorifie la Nation et l’État-nation. Il centre son offensive contre les migrants et les étrangers. Il cherche une alliance avec le néolibéralisme et le capitalisme financier. L’alliance de la droite et de l’extrême droite se fait sur les positions de la seconde. L’accord comprend le respect du néolibéralisme : on ne touche pas aux intérêts du patronat et du capitalisme financier. Pour le reste, la droite trouve de plus en plus naturelle les positions de l’extrême droite. L’alliance entre l’extrême droite et le néolibéralisme reste contradictoire sur certains aspects ; elle bénéficie de l’échec du soviétisme et du fait que la gauche garde des possibilités de réaction mais n’a pas de projet alternatif.

Il faut préciser une question sur les rapports entre l’extrême droite et le fascisme.

L’extrême droite bénéficie de l’effondrement de la droite et présente une continuité entre elle et la droite. Il faut préciser que l’extrême droite actuelle n’est pas directement le fascisme qui est un modèle spécifique, même si d’une certaine manière le fascisme peut représenter une exacerbation de l’extrême droite. Il y a une continuité historique entre fascisme et extrême droite ; les groupes qui ont construit la nouvelle extrême droite venaient souvent des courants fascistes et certains y sont toujours liés. Pour mesurer la persistance du lien, il faut entendre Giorgia Meloni quand elle fait référence à Mussolini. Le lien sur les références est toujours réel. Mais la plupart de ceux qui, à la base, soutiennent et adhèrent aux partis d’extrême droite pour manifester le rejet radical de leur situation, ne se considèrent pas comme fascistes et ne le sont probablement pas. Ce qui n’est pas le cas d’une partie des dirigeants et du logiciel de l’extrême droite. Le risque de voir revenir un fascisme constitué existe et l’action de factions fascistes dans les mouvements d’extrême droite est réel. Ce danger est très actuel ; on le voit avec le peu de réactions, voire l’acceptation, par les pouvoirs occidentaux, de l’organisation d’un génocide à Gaza par l’extrême droite israélienne. Précisons aussi qu’il faut différencier l’extrême droite et le fascisme européen des courants d’extrême droite dans le reste du monde ; les références sur l’autoritarisme ne correspondent pas à la deuxième guerre mondiale et s’appuient sur d’autres références, notamment la décolonisation, ce qui ne diminue pas le danger qu’ils représentent.

Comment expliquer l’adhésion des couches populaires à des organisations d’extrême droite ?[21] Sans oublier qu’il y a toujours eu des fractions, parfois importante des couches populaires et de la classe ouvrière qui s’engagent aux côtés de l’extrême droite. Par exemple autour du général Boulanger, en 1886, ou avec Jacques Doriot, venu du parti communiste, à partir de 1934. Quelle est la part d’une réaction à la situation et celle d’une adhésion à des valeurs ? Quelle est la part de l’échec du soviétisme et de la recherche d’un socialisme qu’on ne sait pas définir ? L’évolution de la situation explique largement la colère et la radicalisation des couches populaires et la capacité de l’extrême droite à s’en saisir. La première revendication concerne le pouvoir d’achat et la détérioration des conditions de vie, la hausse des prix de biens essentiels, la détérioration de la santé, de l’éducation, des autres services publics et de la protection sociale, le non-remboursement des soins, la difficulté d’avoir accès à un logement HLM, les conséquences sociales des délocalisations. Le sentiment que leur situation économique se dégrade, que la pauvreté et le chômage les menacent, qu’ils sont exclus du progrès, alimente la peur de l’avenir. La difficulté d’avoir accès aux services de l’État est accentuée par la numérisation. La peur de l’avenir et le manque de reconnaissance de la société à leur égard accroissent un sentiment d’insécurité alimenté par les dégradations et les violences. Le mouvement des Gilets jaunes et le mouvement pour les retraites ont montré l’importance, dans les milieux populaires, de la question sociale. L’extrême droite attire celles et ceux qui se considèrent exclus de la mondialisation et du progrès. La question sociale combine le communautarisme et la mondialisation. Elle n’est pas perçue comme la conséquence du néolibéralisme.

La montée de l’extrême droite ne se résume pas au pouvoir d’achat ; elle traduit un manque de reconnaissance issu de la société. Stigmatiser les votants d’extrême droite ne sert à rien ; il faut comprendre pourquoi ils se sont radicalisés. Il faut comprendre le rôle des inégalités insupportables, le spectacle des fortunes insolentes, la méfiance des intellectuels et de leur mépris, le rejet violent de la corruption considérée comme généralisée. Toutes ces situations répandues en Europe et dans le monde ont bénéficié aux organisations d’extrême-droite. Elles auraient pu et dû, être mieux entendues par la gauche ; mais le désastre des gouvernements socialistes, qui ont géré le néolibéralisme, et la faillite du soviétisme ont conduit les couches populaires à écouter les sirènes des extrêmes droites qui ont su s’en saisir.

Nous avons insisté sur la capacité de l’extrême droite à séduire les couches populaires et les classes moyennes, à travers une combinaison alliant pouvoir d’achat et populisme, parce que ses succès sur cette question nous interpellent. Mais la stratégie du Rassemblement national ne se résume pas à cette question. La stratégie du Rassemblement national articule trois volets : le pouvoir d’achat, sécurité et identité, les migrations et les étrangers. Nous avons développé l’importance donnée au pouvoir d’achat dans cette stratégie. Elle soulève la question de l’alliance avec le patronat que l’on voit avec le refus, du Rassemblement national, de s’engager sur la hausse des salaires et le SMIC, ainsi que sur les impôts. Cette question est au centre des contradictions du conservatisme dans l’alliance entre l’étatisme et le néolibéralisme. Les dirigeants du grand patronat français font le pari qu’ils pourront trouver des accommodements avec le Rassemblement national, comme ils ont toujours su en construire avec l’extrême droite dans plusieurs situations historiques.

Sur le deuxième volet de sa stratégie, la conception de l’État est directement liée à l’identité et à la sécurité. Le Rassemblement national reste en continuité avec l’extrême droite par l’importance donnée à l’identité nationale, à la préférence nationale et, on peut y rajouter, aux positions conservatrices sur les mœurs. Le consensus idéologique inclut les questions de police, l’autorité, notamment l’autorité scolaire, le refus du multiculturalisme, qualifié de « séparatisme ». Elle implique la désignation de boucs émissaires : les migrants et les étrangers ; ceux de l’extérieur ou de l’intérieur. L’identité, et pour commencer l’identité nationale fait référence à une forme d’identité ethnique, qui fonde les autres aspects de l’identité. La stratégie donne une grande importance à la communication, au contrôle des médias et des réseaux. Le Rassemblement national a déjà annoncé que dès son arrivée au pouvoir, il privatiserait la télévision et la radio publiques. Un aspect très important de cette stratégie comporte la construction d’une internationale conservatrice en Europe et dans le monde.

Un enjeu stratégique, la question des migrations

Dans la stratégie de l’extrême droite, la carte maîtresse, celle qui est mise en avant et répétée à l’infini, c’est la question des migrations et la haine des migrants. En fait, dans l’histoire de l’extrême droite, les migrations étaient mises en avant pour masquer l’offensive centrale contre l’égalité. Mais, en mettant au centre de son action l’offensive contre les migrants, l’extrême-droite a rencontré une question stratégique centrale, la question stratégique de la mondialisation[22] et du rapport entre État-nation et mondialisation capitaliste. Les migrations sont présentes dans les trois grandes contradictions centrales : les contradictions sociales, avec la question du travail et de la concurrence mondiale sur le travail entre la Nord et le Sud ; les contradictions écologiques, avec le rapport entre démographie et mondialisation ; les contradictions démocratiques, de la démocratie locale et nationale à la démocratie mondiale.

La bataille pour l’hégémonie culturelle accompagne la crise idéologique. Elle oppose violemment deux conceptions du monde ; d’un côté l’identitarisme et le sécuritarisme, de l’autre l’égalité et la solidarité. La bataille porte sur les libertés avec d’un côté une conception individualiste et libertarienne et de l’autre le lien entre les libertés individuelles et les libertés collectives. Les idées d’extrême droite n’ont pas été aussi présentes et fortes depuis la deuxième Guerre mondiale. La priorité donnée à l’affrontement sur la question des migrants est une instrumentalisation médiatique. La bataille pour l’hégémonie culturelle porte d’abord sur l’égalité. Les migrations sont instrumentalisées mais elles partagent toujours autant les sociétés ; il y a autant d’appels à la haine que de manifestations de solidarité. Depuis quatre ans, en France, les sondages annuels indiquent que 60% des sondés sont pour la citoyenneté de résidence et la participation des résidents étrangers non-communautaires aux élections locales. Et quand on les interroge sur leurs sujets d’inquiétude, les Français mettent en tête le pouvoir d’achat et l’écologie ; l’islam arrive en dixième position et l’immigration en treizième position.

Le GRECE, Groupement de recherche et d’étude pour la civilisation européenne, fondé en 1968 par Alain de Benoist, a joué un rôle central dans la Nouvelle droite et le renouvellement de l’extrême droite. Il défend le différentialisme culturel (importance primordiale des différences entre les cultures et les peuples), par rapport au multiculturalisme, sans adhérer pour autant au racisme biologique. Il emprunte à Gramsci la proposition de mener la bataille culturelle et de gagner d’abord l’hégémonie culturelle, pour gagner la bataille politique. Il défend les cultures traditionnelles en opposition à l’universalisme, et aussi à l’individualisme et au matérialisme. Il relie l’écologie à la préservation des cultures locales. Il permet à l’extrême-droite de s’emparer des thèmes culturels et identitaires. Le Club de l’Horloge, créé en 1974, prolonge l’action du GRECE. Il met en avant l’immigration, l’identité nationale, la critique du multiculturalisme et de l’État-providence. Cette critique de l’État-providence va permettre une ouverture vers le néolibéralisme et l’alliance avec le patronat. La question des migrations est théorisée comme une question centrale de construction de l’extrême droite et d’élargissement vers la droite. En 1976, nous avions créé en France, pour répondre au Club de l’Horloge, un Club du Réveil, avec quelques militants du GISTI, de la Cimade, du CCFD et du CEDETIM. Mais nous avions sous-estimé le fait que l’offensive du Club de l’Horloge, en attaquant les migrants, visait un objectif plus fondamental, celui de l’égalité. Le travail du Club de l’Horloge a débouché, à partir de 1995 à 2000, sur le discours identitaire et sécuritaire qui est la version grand public des conceptions ethno-nationalistes.

La question des migrations s’inscrit dans l’histoire, mais elle joue aujourd’hui un rôle central particulier. C’est une bataille stratégique qu’il faut resituer dans l’histoire longue ; il faut prendre conscience de ses évolutions et de sa place capitale. L’histoire des migrations se confond avec l’histoire de l’humanité. Elles s’inscrivent dans le temps long et structurant de l’histoire humaine. Cette histoire a commencé en Afrique à partir des migrations des Néanderthaliens et de l’Homo Sapiens. Les migrants ne sont pas des intrus ; ils sont partie prenante de l’histoire de chaque société. Les migrations marquent l’imaginaire de notre monde : citons parmi d’autres le nomadisme, la sédentarisation avec la maîtrise de l’agriculture, l’exil, les colonisations, les diasporas, l’exode rural. Les migrations, avec l’industrialisation et l’urbanisation font partie des questions stratégiques du peuplement de la planète. Il faut revenir sur la question du peuplement. La crainte de l’explosion démographique a marqué les cinquante dernières années. Depuis le rapport du Club de Rome en 1970, la prise de conscience des limites écologiques a fait exploser la conception du développement.

Dans l’histoire du capitalisme, il reste encore les traces profondes de l’esclavage et de la colonisation. Aujourd’hui, avec la mondialisation capitaliste dans sa phase néolibérale, on peut définir trois formes importantes de migrations. Les migrations économiques sont caractérisées par la différence des situations qu’on peut définir pour simplifier par l’impérialisme et le néocolonialisme. Comme l’exprimait très bien Alfred Sauvy, dès 1950, « si les richesses sont au Nord et que les hommes sont au Sud, les hommes iront là où sont les richesses et vous ne pourrez rien faire pour les en empêcher ». De plus, les gouvernements et les capitalistes ont recours aux migrations chaque fois qu’ils en ont besoin. Les migrations politiques résultent des guerres et des conflits et se traduisent par des vagues de déplacements de réfugiés. En général, la plupart des réfugiés restent dans les régions et les pays proches de leur région. Les migrations environnementales qui commencent vont bouleverser les équilibres de la population mondiale. La question des migrations nous rappelle que la décolonisation n’est pas terminée. La première phase de la décolonisation, celle de l’indépendance des États, est presque achevée ; on en voit les limites. La deuxième phase, celle de la libération des nations et des peuples commence.

Dans le domaine des migrations, et dans la situation actuelle, les ruptures sont considérables. Prenons notamment la contradiction entre nomades et sédentaires qui a accompagné l’histoire de l’humanité depuis l’invention de l’agriculture en Mésopotamie. Nous vivons aujourd’hui le passage des populations agricoles, dans pratiquement tous les pays, de la majorité de la population à environ 5% de la population totale. Cette évolution va bouleverser la situation et l’image même des migrants. Il en est de même pour la notion des frontières. Dans l’histoire longue des migrations, un changement important a eu lieu, entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, avec le passage de l’État-empire à l’État-nation. Comme l’État-empire, Les États-nations n’ont pas existé de tous temps et ne sont pas une forme éternelle ; l’existence de l’État ne présuppose pas sa forme et sa nature. L’identité nationale est d’invention récente. Comme le disent si bien Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, chaque individu a des identités multiples ; il est réducteur et faux de vouloir le rabattre à une seule identité, celle de l’identité nationale. La liberté de circulation et la citoyenneté de résidence font partie des droits émergents qui se renforceront dans l’avenir. Ces droits sont complémentaires du droit de vivre et travailler au pays.

Les migrants sont déjà des acteurs de la transformation des sociétés et du monde. Il y a quelques années, les flux financiers des migrants et des diasporas, vers leurs pays d’origine, représentaient, en 2021, 630 milliards de dollars alors que l’« aide » publique plafonnait à 179 milliards de dollars. On estime que la population mondiale sera de 9 milliards entre 2040 et 2060, et que la population sera en décroissance, en 2050, dans une trentaine de pays, contre une vingtaine aujourd’hui. La raison en est de l’émancipation des femmes qui explique que le taux de reproduction se stabilise aujourd’hui à 1,7 enfant par femme. Le vieillissement social devient un problème essentiel. Les pays qui s’en sortiraient le mieux sont ceux qui, à l’exemple du Canada, qui compte 20 % de personnes nées hors du Canada, accepteraient culturellement la diversité et les migrants.

La Nouvelle droite a prétendu rompre avec le racisme biologique au profit du différencialisme culturel. Mais les dérapages sont significatifs et le naturel revient au galop. À travers l’immigration, ce que vise le Rassemblement national, c’est une ethnie, les maghrébins, une langue, l’arabe, une religion, l’islam. Il fait de l’arabe une menace endémique. Il s’appuie sur le traumatisme qu’a laissé la guerre d’Algérie et sur la mémoire toujours vivace, en France, d’une population issue des réfugiés d’Algérie. Il construit une image d’un ennemi héréditaire qui n’est pas soluble dans l’État de droit. Cette conception a été vivifiée, à partir de 1980, avec les attentats de la rue Copernic ; en 1985 et 1986, de la rue de Rennes ; en 2015, à Charlie Hebdo et du Bataclan et, en 2021, l’assassinat de Samuel Paty, … L’internationalisme d’extrême droite et l’internationalisme djihadiste s’accompagnent et se renforcent l’un par l’autre. La très large récupération islamophobe de la laïcité a profité aux courants ethno-nationalistes, au renforcement du repli communautaire et du séparatisme ethno-religieux. La laïcité a été érigée en religion d’État et le libéralisme culturel a été instrumentalisé contre les musulmans. Les principaux courants des droites radicales affirment désormais défendre les femmes, les Juifs, les homosexuels contre les musulmans. C’est une « dédiabolisation » qui masque la Nouvelle droite. En France, la référence à la Nation est permanente et on ne compte pas les références à son unité et à sa « grandeur ». C’est un pays qui gère de manière contradictoire son statut d’ancienne puissance coloniale. C’est un pays où doivent cohabiter anciens colonisateurs et anciens colonisés. C’est là aussi où un parti, clairement antisémite dans son histoire, se présente comme le meilleur défenseur des juifs pour mieux défendre, sans avoir besoin de le proclamer, son caractère anti-arabe et antimusulman.

Une réponse à l’offensive de l’extrême droite contre les migrations existe, c’est le droit international. Le droit international définit les principes qui devraient guider les politiques migratoires. Il met en avant six principes de base : la dignité ; les droits des migrants ; la lutte contre le racisme ; la redéfinition du développement ; la liberté de circulation ; le respect du droit international. La dignité est le fondement de toutes les propositions. À la définition que donne l’extrême droite de l’identité et de la sécurité, Il faut opposer la dignité. Les migrants doivent être reconnus dans leur humanité et comme acteurs de la transformation des sociétés de départ et d’accueil. Ils sont des acteurs de la transformation du monde. Le respect des droits des migrants s’inscrit dans le cadre du respect des droits de tous. Le droit des étrangers doit être fondé sur l’égalité des droits et non sur l’ordre public. Il commence par la régularisation des sans-papiers. Il met en avant le droit de vivre et travailler dans son pays et aussi le droit de libre circulation et d’installation. Il propose de reconnaître la citoyenneté de résidence.

Si on veut revitaliser la démocratie, il faudrait donner le droit de vote aux étrangers non-communautaires, au moins pour les élections locales. Pour lutter contre l’immigration clandestine et les passeurs, il faut multiplier les permis de travail légaux et contrôler et réprimer les employeurs clandestins. Si l’on souhaite vraiment limiter l’immigration clandestine, il y a une solution : un développement de l’immigration légale. C’est ce qu’on a pu vérifier en Italie, ou après une diatribe sur l’immigration clandestine, Giorgia Meloni a fini par signer l’accord pour la régularisation de 500 000 travailleurs migrants. Il faut le répéter, le droit de vivre et travailler au pays est indissociable de la liberté de circulation et d’installation. L’envie de rester est inséparable du droit de partir. Les migrations évoluent avec le changement de période historique, avec la deuxième phase de la décolonisation et la mutation de la population mondiale. La prise de conscience de cette évolution sera douloureuse et prendra du temps ; elle fera partie de la réponse à l’autoritarisme. La coexistence des peuples, après l’État- nation comme forme des États et des nations, implique la mutation des États et la mutation des nations.

Une révolution conservatrice mondiale

La période est marquée par une révolution conservatrice à l’échelle mondiale qui prend différentes formes suivant les régions et les pays. Depuis 40 ans, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont appliqué violemment des politiques néolibérales et ont éliminé tous les obstacles à la rentabilité des capitaux. Ils ont détruit progressivement les services publics et se sont attaqués à l’État de droit. Ils se sont attaqués aux syndicats, aux associations et ont remis en cause le lien social et les solidarités. L’action publique se préoccupe d’abord du maintien de l’ordre et de sa propre réduction ; elle se considère elle-même comme un coût. L’extrême droite progresse particulièrement là où le pouvoir d’achat et les services publics se sont dégradés. Les droites radicales travaillent sur les liens entre les idéologies et la constitution de leur base sociale[23]. L’extrême droite a reconstruit son discours. Elle a repris à son compte la détestation de l’élite, l’opposition entre le peuple et les élites. Elle attaque la gauche comme le camp des donneurs de leçons diplômés. Elle s’appuie sur l’idée que la corruption est généralisée. Et que les allocations profitent aux fraudeurs et aux migrants.

Les élections européennes ont confirmé la montée de l’extrême droite et des autoritarismes en Europe et dans le monde. L’extrême droite construit une internationale. Elle n’est pas une exception française ; en Italie, en Autriche, en Hongrie, en Flandre, en Belgique, l’extrême droite est arrivée également en tête du scrutin européen. La révolution conservatrice, sous différentes formes, s’étend en Hongrie, en Russie, en Turquie, en Iran, en Israël, en Inde, aux États-Unis, en Afrique, en Amérique latine, et dans plusieurs pays ouest-européens. Après deux ans de gouvernement de Giorgia Meloni en Italie, on voit une grande normalisation de l’extrême droite. Son parti Fratelli d’Italia n’est plus vu comme l’extrême droite mais comme la droite.

L’extrême droite s’organise sur le plan international, Il y a des tentatives d’internationales qui regroupent les organisations d’extrême droite autour des idéologies nationalistes, conservatrices et anti-immigration. Parmi elles, le Mouvement identitaire en Europe, l’Alliance pour la Paix et la Liberté, Alt-Right (Alternative Right) un mouvement américain qui relie le nationalisme blanc à des idéologies racistes et suprémacistes blanches. Il est animé par Steve Bannon, conseiller stratégique de Trump, qui a cherché à coordonner des partis d’extrême-droite pour créer un mouvement populiste nationaliste européen. La dernière réunion d’une Internationale de l’extrême droite, « Viva 24 », a eu lieu à Madrid, en Espagne, le 19 mai 2024, quelques semaines seulement avant les élections européennes, à l’initiative de Vox, le parti d’extrême droite espagnole. À cette rencontre internationale il y avait toute l’extrême droite européenne, les frères d’Italie de Méloni, Chega du portugais André Ventura, le Rassemblement National français … Étaient représentés également les « Trumpistes » nord-américains et beaucoup de partis radicaux sud-américains. Notons en particulier la présence du président argentin ultralibéral-libertarien Javier Milei. Plusieurs orateurs ont insisté sur le fait que « l’année de l’extrême droite mondiale » pourrait être 2025. Car en janvier prochain, un nouveau président des États-Unis sera en exercice. Suivant les résultats, il pourrait donc exister un axe politique entre les États-Unis trumpistes et l’Europe avec une extrême droite surpuissante.

La période est marquée par la montée de la multipolarité. Il s’agit d’une révolution géopolitique, d’un saut qualitatif dans un monde radicalement nouveau. Elle repose sur l’intensification des contradictions inhérentes au système impérialiste occidental, en particulier la forme unipolaire qu’il a prise depuis 1991, lorsqu’il a eu les coudées franches pour dominer le monde après la chute du bloc soviétique de l’Est. Les institutions multipolaires telles que les BRICS+, l’Organisation de coopération de Shanghai, l’Union économique eurasienne et d’autres commencent à construire une alternative au monde unipolaire. Ce qui est en cause, c’est le système, érigé il y a plus de 500 ans, depuis 1492, qui élève l’accumulation du capital au rang de suprématie, au-dessus de la communauté, des individus et des familles, et des traditions civilisationnelles. C’est le système qui a engendré le génocide des indigènes, l’esclavage des Africains, le pillage du monde, l’appauvrissement, l’oppression et l’endettement des travailleurs dans le monde.

La multipolarité ne va pas sans contradictions. Elle pose la question des autoritarismes qui ont fleuri dans toutes les régions du monde, à la tête de chaque bloc. Comme l’analyse fort bien Kavita Krishnan[24], « tous les courants de gauche plaident depuis longtemps pour un monde multipolaire par opposition à un monde unipolaire dominé par les États-Unis impérialistes. La multipolarité est devenue la clé de voûte du langage commun des autoritarismes mondiaux, y compris des fascistes ; il leur sert à déguiser leur guerre contre la démocratie en guerre contre l’impérialisme. Le déploiement de la multipolarité pour déguiser et légitimer le despotisme est incommensurablement rendu possible par l’acceptation par la gauche mondiale de la multipolarité en tant qu’expression bienvenue de la démocratisation anti-impérialiste des relations internationales. »

La montée des autoritarismes traduit la déception par rapport à la démocratie. Les tentatives de démocratie n’ont pas été capables de corriger les inégalités sociales, encore moins de les prévenir. Le néolibéralisme subordonne la démocratie à l’austéritarisme. Le pouvoir politique est subordonné au pouvoir des capitalistes. La mutation du capitalisme accroit les contradictions et les incertitudes. L’État-nation, cadre de la souveraineté du peuple et donc de la démocratie, s’est plus préoccupée de la libre circulation des capitaux et des marchandises et a organisé la réduction des droits sociaux. Il a toléré, sinon organisé, le manque de démocratie participative, de non-développement de biens communs, et l’absence de reconnaissance de chaque individu. Comme au moment des autres crises structurelles, nous assistons à une incroyable montée de la violence des gangs comme à Haïti, et du grand banditisme dans tous les pays. La lutte des classes est toujours présente et encore plus violente, mais les classes sociales sont en transformation, en mutation. La nouvelle phase du capitalisme entraîne déjà une mutation des forces sociales. Cette évolution entraîne la remise en cause d’une gauche d’accompagnement et la nécessité d’une gauche de rupture.

Les nouvelles droites se sont imposées dans chacune des religions en s’appuyant sur les intégrismes. Que l’on pense à l’islamisme radical au sein du monde musulman ; aux catholiques intégristes, malgré la surprise du Pape François ; aux évangélistes et aux pentecôtistes extrêmes chez les protestants ; aux juifs intégristes dans le sionisme ; aux hindouistes de Modi ; aux boudhistes extrêmes en Birmanie. Et, n’oublions pas l’intransigeance de certains laïcards chez les athées. Il faut repartir de la confrontation, dans chacune des religions, entre les extrêmes-droites et les tenants d’une universalité solidaire, de la mobilisation dans chaque religion des personnes qui sont engagées dans des politiques d’ouverture et d’émancipation. En donnant la parole à celles et ceux qui s’opposent aux divers intégrismes et à leurs prolongements vers les extrêmes-droites.

C’est une alliance de long terme, analogue à celle qui avait relié les mouvements de libération nationale et les mouvements communistes pendant la première phase de la décolonisation. Ou à l’alliance entre les mouvements chrétiens et communistes dans la « théologie de la libération » en Amérique latine. L’échec du projet socialiste et communiste a créé un vide sur la question du sens de l’Histoire, et par extension du sens de la vie. Les religions et les spiritualités s’en sont emparées. Le marxisme sur cette question avait été rapide dans ses jugements. Si on reprend le texte de Marx sur la religion, la première partie sur « le soupir des peuples opprimés » proposait une analyse percutante ; la fin du texte, « la religion est l’opium du peuple » correspondait à la période de montée en puissance de la bourgeoisie et à son instrumentalisation de la religion. Dans les luttes pour la décolonisation, des approches plus complètes ont été proposées. Que l’on pense à la théologie de la libération en Amérique Latine, à la place des courants musulmans dans la lutte du mouvement de libération algérien. De même aujourd’hui, différents courants religieux populaires jouent un rôle important dans la création de la Via Campesina.

Et maintenant ? Lutter contre l’ancien monde et réinventer l’alternative

Rappel de quelques conclusions

Rappelons quelques conclusions en résumant les chapitres précédents. Cette analyse de la situation est partie de l’hypothèse que nous étions dans une crise structurelle du mode de production capitaliste. En fait, le capitalisme fonctionne en crise permanente, mais il connaît des crises structurelles qui marquent des évolutions qualitatives majeures. Pour en comprendre les caractéristiques et en mesurer les conséquences, nous sommes partis de l’analyse de deux crises structurelles précédentes. Les crises financières majeures correspondent à des périodes de crises plus longues. La crise financière de 1873 correspond à la période de 1860 à 1880 ; c’est la crise de la deuxième révolution industrielle, avec La Commune et la première internationale. La crise de 1929 correspond à la période de 1913 à 1945 ; c’est la première crise du capitalisme fordiste. Nous avons ensuite analysé la crise des années 1970 avec le passage au néolibéralisme aujourd’hui dominant. Pour chacune de ces crises, se définissent et s’imposent de nouvelles formes des rapports de production et les classes sociales se transforment. On voit aussi comment s’organisent les luttes sociales, les structures sociales et culturelles, les débats idéologiques, les rapports géopolitiques et internationaux, les guerres. On mesure que dans chacune de ces périodes, les contradictions sociales et politiques se renforcent, l’alliance des droites et des extrêmes droites est à l’offensive pour maintenir sa domination sur la société. On mesure aussi à chaque fois que les luttes de classes s’aiguisent et que les forces de gauche résistent, sont souvent à l’offensive et définissent des alternatives.

En 2007-2008, la crise financière correspond à une nouvelle crise structurelle du capitalisme. Elle est loin d’être terminée. C’est une crise du mode de production. Deux changements caractérisent de nouvelles formes dans les rapports de production : la progression exponentielle du numérique, les interrogations sur l’extractivisme. Les changements seront considérables et se traduiront par des années de transition marquées par des bouleversements sociaux et idéologiques. Les conséquences seront considérables au niveau de l’écologie et du changement climatique, au niveau social pour les inégalités et les discriminations, au niveau des guerres et de la nature des régimes politiques, au niveau de la définition même des démocraties.

La deuxième phase de la décolonisation ouvre la possibilité pour chaque pays de définir et de maîtriser son développement et pour chaque peuple de construire des institutions lui assurant les libertés et des formes démocratiques. Elle concerne aussi la possibilité pour chaque pays de participer à l’organisation et la gestion de leur grande région et des institutions internationales. Elles concernent directement les guerres qui accompagnent les bouleversements de l’ordre mondial et notamment la nature des régimes politiques et la démocratie. La souveraineté devient la valeur de référence. Elle renforce les identitarismes et le poids des intégrismes dans les religions. Elle se traduit par la montée des autoritarismes de différentes natures. Les libertés et la démocratie restent des valeurs de référence, mais ne peuvent pas rester des valeurs abstraites. La méfiance par rapport aux régimes politiques est devenue générale. Elle se prolonge par une grande défiance par rapport aux institutions internationales.

Immanuel Wallerstein explicite les trois idéologies qui coexistent depuis la Révolution de 1789. Le conservatisme qui met en avant l’État, la propriété, l’identité et la souveraineté. Le libéralisme qui prône aujourd’hui le marché mondial capitaliste et le néolibéralisme. Le socialisme qui reste une référence des luttes sociales mais qui peine à se relever de l’échec du soviétisme. L’extrême droite a réussi à dépasser la droite et à en rallier une large partie autour d’une stratégie mettant en avant le pouvoir d’achat, l’identité et la sécurité, la lutte contre les migrants et les étrangers. Elle a réussi à rallier de larges parties des couches populaires déçues par la social-démocratie ralliée au néolibéralisme et par l’échec du soviétisme. Elle tente aujourd’hui de passer une alliance avec le patronat néolibéral en refusant toute augmentation des impôts permettant d’équilibrer les revenus. L’extrême droite s’inscrit dans une révolution conservatrice mondiale et s’appuie sur la montée des autoritarismes qui ont réussi à capter et déformer les références à la souveraineté et à la multipolarité.

La définition d’une stratégie

La définition d’une stratégie

La définition d’une stratégie doit prendre en compte plusieurs volets : lutter contre le néolibéralisme, contre les valeurs identitaires et sécuritaires de l’extrême droite ; lutter contre les guerres et le danger nucléaire ; lutter pour une écologie solidaire ; lutter pour la deuxième phase de la décolonisation ; soutenir l’action des mouvements politiques, sociaux, culturels contre l’alliance des droites et de l’extrême droite ; expérimenter des alternatives au capitalisme néolibéral ; réinventer une alternative socialiste au néolibéralisme. C’est l’élaboration et la mise en place de cette stratégie qui permettra d’engager l’affrontement idéologique et politique contre l’alliance des droites et de l’extrême droite.

Le capitalisme néolibéral est aujourd’hui dominant ; c’est contre lui qu’il faut lutter. L’extrême droite aurait préféré un capitalisme national, identitaire et sécuritaire. Elle a fini par accepter la domination du néolibéralisme et par chercher l’alliance avec la classe dirigeante, les capitalistes néolibéraux, mondialistes et dominants à l’échelle mondiale. Cette alliance introduit une contradiction pour l’extrême droite. Pour consolider son succès auprès des couches populaires et des classes moyennes, et pour améliorer le pouvoir d’achat, qui est la première revendication, il faudrait mettre à contribution les plus riches, ce qu’elle se refuse à envisager. Il lui faut alors refuser des moyens supplémentaires à l’État en se ralliant à des politiques néolibérales. Ce choix correspond à celui qu’avait adopté l’idéologie conservatrice.

La situation internationale est caractérisée par la prédominance du capitalisme néolibéral, elle l’est aussi par la décolonisation. Après la fin de la première phase de la décolonisation qui est à peu près terminée, à l’exception de quelques situations et notamment de la question palestinienne, la situation est caractérisée par la domination occidentale, contestée mais toujours présente. La montée d’une forte référence à la souveraineté diffère entre la référence à la décolonisation, pour la gauche, et pour l’extrême droite, à la référence à l’identité et à l’autoritarisme. Plusieurs éléments concourent à ce changement de période historique : les changements géopolitiques, les guerres, les fanatismes, une démographie mondiale contrastée entre les continents, les migrations, les mutations des États-nations.

La mobilisation des mouvements contre l’extrême droite

L’extrême droite prétend parler au nom du peuple contre toutes les élites en place. Elle propose de retrouver l’identité et l’unité perdue de la nation divisée par la fragmentation des sociétés. Les alliances entre les droites et les extrêmes droites instrumentalisent la question des identités nationales et la question des migrations. L’autoritarisme se présente comme une solution par rapport à la méfiance envers les formes contestées de démocratie. Nous vivons une période de profondes contradictions. Les idéologies identitaires et sécuritaires sont contradictoires par rapport à l’émergence des mouvement sociaux, culturels, écologistes porteurs de nouvelles radicalités : le féminisme, l’antiracisme et les révoltes contre les discriminations, contre le précariat, pour les peuples premiers, les droits des migrants et les diasporas. Ces mouvements complètent le mouvement social, ouvrier et paysan, toujours déterminant. Ils sont renouvelés par de nouveaux mouvements qui explorent de nouvelles perspectives à l’exemple des zapatistes, des femmes du Rojava, des jeunes femmes iraniennes. Ils sont porteurs de nouvelles radicalités mais n’ont pas encore de projet commun.

La stratégie de ces mouvements est en pleine évolution. Par exemple, le mouvement paysan a réussi à mettre en avant l’agriculture paysanne considérée comme plus avancée que l’agro-industrie et correspondant plus aux impératifs écologistes, à rejeter les OGM, et à proposer la souveraineté alimentaire. L’urgence est de définir le projet de dépassement et d’émancipation correspondant à une alliance stratégique de ces mouvements ; d’inventer les nouvelles formes du politique renouvelant une approche de la démocratie. Et de rappeler que les migrantes et les migrants sont le sel de la terre. De même, la prise de conscience de la crise écologique d’approfondit. Le climat et la pandémie en ont rappelé l’importance et l’urgence. Par son refus de répondre à l’urgence climatique, le secteur extractiviste est interpellé et entraîné dans la crise du mode de production capitaliste.

La question du rapport entre les partis politiques et les mouvements sociaux et culturels est en pleine évolution. Les forums sociaux mondiaux ont expérimenté une forme de cohabitation à partir des mouvements, et des partis politiques qui leur sont liés. La situation actuelle montre qu’il faut aller plus loin. Dans beaucoup de pays, la résistance à l’alliance entre la droite et l’extrême droite occupe le champ politique. Et les partis politiques sont en première ligne dans les affrontements électoraux. Mais la réponse idéologique, politique et culturelle ne peut se résumer à la scène électorale. La redéfinition des rapports entre les partis politiques et les mouvements sociaux et culturels fait partie d’un chantier majeur, celui de la redéfinition du politique.

Expérimenter des alternatives au capitalisme néolibéral

Le mode de production capitaliste s’est défini et expérimenté dans les sociétés féodales, sous un mode de production féodal dominant. Le dépassement du capitalisme, qu’on peut appeler, pour simplifier, des modes de production socialistes, sera défini et expérimenté dans des sociétés ou le mode de production capitaliste est dominant, c’est-à-dire dans les sociétés actuelles.

Nous allons explorer trois propositions : la définition et la mise en œuvre d’un financement alternatif au capital privé et au capital public quand il est subordonné au capital privé, le développement des services publics, la fiscalité.

On peut déjà définir des hypothèses de financement alternatif au capital privé. Il s’agit de lutter contre la stratégie néolibérale qui consiste à subordonner toutes les activités au capital financier privé. Cette stratégie néolibérale commence par la subordination du capital public, auquel on substitue des financements privés et auquel on impose de fonctionner suivant les logiques et les règles du privé. La même logique est recherchée pour l’économie sociale et solidaire dans ses différentes formes coopératives, mutuelles et associatives. La subordination prend plusieurs formes. La plus directe est la privatisation ; la plus large passe par l’imposition, à toutes les activités, des formes de gestion managériale enseignées par les « Master of business administration » (MBA) qui ont acquis un monopole mondial dans l’enseignement commercial, économique et de gestion des entreprises, du secteur public et des associations.

On peut proposer un financement alliant un apport mutualiste, du capital public et du financement des collectivités locales, sans intervention de capital privé. Pour répondre à la crise des services publics vampirisés par le capitalisme néolibéral, proposons de créer un secteur combinant l’économie sociale et solidaire, le mutualisme, les syndicats, le mouvement associatif, les collectivités locales, avec un fonctionnement refusant la logique néolibérale. On retrouverait ainsi certaines propositions de la 1e Internationale, sur l’économie sociale, qui ont pour une part été récupérées et déviées par le capitalisme privé.

D’autres initiatives sont possibles. Par exemple, on peut proposer, pour le financement des start-ups non-spéculatives, si elles sont porteuses d’une innovation scientifique ou technologique, une alternative au financement par le capitalisme néolibéral par une alliance de fonds mutualistes, de capital public, des collectivités locales qui concurrencerait l’aspiration des initiatives individuelles et collectives par le capital financier néolibéral.

Ces nouvelles formes de financement alternatif au capital privé doivent aller de pair avec de nouvelle formes d’organisation du travail salarié. Des propositions sont avancées par l’Atelier travail et démocratie. Citons les propositions de Coralie Perez et Thomas Coutrot[25] qui proposent, comme première mesure, d’instaurer la codétermination dans les entreprises. Avec au sommet un partage égal du Conseil d’administration, entre salariés et actionnaires (ce qui est déjà le cas en Allemagne). Et à la base un conseil d’établissement constitué uniquement de salariés avec un pouvoir réel sur l’organisation du travail et avec un temps, pour les salariés, consacré à la discussion sur l’organisation du travail.

L’expérimentation des initiatives alternatives au capitalisme néolibéral nécessite la mobilisation de ressources financières pour investir dans l’avenir et construire l’alternative. Le financement des services publics est particulièrement stratégique. Il est l’objet d’un affrontement majeur. Les investissements dans la santé, la protection sociale, l’éducation, la recherche, les infrastructures de transports, les infrastructures énergétiques sont particulièrement stratégiques. Ces investissements indispensables vont fortement augmenter et la discussion porte sur la manière de les financer. On peut passer par un capital privé, à partir de la privatisation des services publics existants ou de la création de services privés concurrentiels des services publics existants. On peut aussi passer par un financement public par des ressources fiscales.

La question des recettes fiscales est particulièrement stratégique. Surtout si on abandonne l’idée de recettes gratuites extérieures, comme par exemple les avantages tirés de la colonisation. Il s’agit de l’équilibre des comptes des différentes collectivités locales, nationales, des grandes régions, et des institutions mondiales. L’État social, dans la période keynésienne, a permis une croissance sans précédent du niveau de vie et de la productivité. Les recettes fiscales, en Europe, sont passées de moins de 10 % du revenu national avant 1914 à 40-50 % dans les années 1980-1990. L’offensive néolibérale contre l’État social a été menée avec une très grande efficacité. Elle s’est appuyée sur la bataille idéologique contre l’égalité qui a légitimé les inégalités de revenus fondés sur la compétence et l’héritage, et sur la référence, mensongère, à une corruption généralisée qui délégitimerait toute action publique. C’est cette offensive qui permet à l’alliance de la droite et de l’extrême droite de refuser toute hausse d’impôt et de rejeter toute taxation des hauts revenus, alors que les inégalités de revenus ont atteint des niveaux astronomiques. La croissance la plus contestable est celle du nombre de millionnaires dans chaque pays et dans le monde. En France, le nombre de millionnaires est passé de 1,8 million en 2008 à 2,82 millions en 2022 ; et dans le monde, de 10 millions en 2008 à 62 millions en 2021. Il est difficile de demander un effort supplémentaire aux citoyens tant que les milliardaires et les multinationales sont aussi largement exonérés de toute contribution. L’acceptation des inégalités de richesse est une des défaites les plus graves de la gauche.

Réinventer l’alternative, inventer l’après-capitalisme

On peut expérimenter des alternatives au capitalisme néolibéral comme nous l’avons souligné ; mais pour sortir du capitalisme, il faut inventer, il faut définir et imposer, un nouveau mode de production. On peut l’appeler un mode de production socialiste puisqu’il se réfère à l’idéologie qui après la Révolution industrielle s’est opposé au conservatisme et au libéralisme. Mais, il aura peut-être un autre nom correspondant à ses nouvelles caractéristiques. Ce nouveau mode de production ne sera pas la fin des contradictions, la fin de l’Histoire. Ce ne sera pas non plus une société sans classes, un genre de paradis ! Ce sera une nouvelle étape, non prédéterminée de la civilisation humaine.

Il y a déjà plusieurs hypothèses qui circulent. Le nouveau projet sera formalisé et porté par quelques individus, mais il ne sera pas une révélation individuelle. Il mûrira à travers de nombreux débats publics et contradictoires. Il sera porté par un nouveau mouvement philosophique qui dégagera de nouvelles perspectives, comme l’ont été au XVIIe siècle, le mouvement rationaliste avec Descartes, Spinoza et Leibniz ; le mouvement empiriste avec Locke et Hume ; au XVIIIe siècle, le mouvement des Lumières, avec Kant, Voltaire et Rousseau ; au XIXe siècle, l’idéalisme avec Hegel et Schelling ; l’utilitarisme avec Bentham et Stuart Mill ; l’existentialisme avec Kierkegaard ; l’anarchisme avec Proudhon, Bakounine, Kropotkine et Emma Goldman ; le marxisme avec Karl Marx, Engels, Lénine, Trotski, Rosa Luxembourg, Gramsci ; au XXe siècle, l’existentialisme, à nouveau, avec Sartre et Simone de Beauvoir ; la phénoménologie, avec Husserl et Heidegger ; le structuralisme avec Lévi Strauss et Foucault ; l’école de Francfort avec Adorno et Horkheimer ; le marxisme encore avec Samir Amin et Wallerstein. Si je cite tous ces noms, c’est pour montrer que les propositions philosophiques ne se résument pas à un auteur mais qu’elles résultent de débats vivants et contradictoires et qu’il faut accentuer la richesse de cette histoire des idées pour en dégager de nouvelles. Sans oublier l’apport philosophique des sciences, dites exactes, de leur capacité d’expérimentation et de leur apport méthodologique que l’on pourrait résumer par la formule « liberté d’inventer, obligation de vérifier ».

Les périodes de luttes sociales, politiques et culturelles sont des périodes d’élaboration, d’invention et de vérification. Deux périodes sont encore d’une grande actualité. Celle que Immanuel Wallerstein appelait la période « des mai1968 dans le monde »[26] qui a proposé, avant d’être bâillonnée, de renouveler le socialisme participatif pour le XXIe siècle par un nouvel horizon égalitaire à visée universelle, une nouvelle idéologie de l’égalité, une nouvelle société basée sur l’égalité, la justice sociale, la participation démocratique. Cette contestation des valeurs et des normes de la société capitaliste, patriarcale et autoritaire est toujours d’actualité. La deuxième période est celle qui a suivi la crise financière de 2007-2008. Nous avons assisté à une succession ininterrompue de mouvements partout dans le monde : après Tunis et la place El Tahrir au Caire, les indignés en Espagne, au Portugal et en Grèce, les Occupy à Londres, New York et Montréal, les étudiants chiliens et les parapluies de Hong Kong. Les manifestations ont éclaté dans plus de cinquante pays avec des formes nouvelles : ainsi, le Hirak algérien, les manifestations à Hong Kong, la démission de tout le gouvernement à Beyrouth, … Ces mouvements, très divers, éclatent en contre-point de l’idéologie dominante et des réactions, brutales et autoritaires, des pouvoirs contestés. À partir de 2020, les pandémies et le climat occupent le devant de la scène. Ce n’est pas la première fois qu’ils s’invitent dans l’Histoire[27].

Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve ! (Hôlderlin)

Dans tous les pays de nouveaux mouvements amènent les États à mettre en place des politiques de prévention et de soutien aux populations, notamment en termes médicaux et sociaux. Les mouvements mettent en avant de nouvelles propositions pour la garantie des droits : droit à la santé, droit à l’éducation, droit au revenu qui, il y a peu, avant leCOVID, apparaissait comme complètement utopique, droit au travail, droit aux services publics, droit à une action publique qui n’est pas uniquement la bureaucratie et l’État, droit des communs par rapport à la propriété. Les mouvements mettent en avant une floraison extraordinaire d’idées nouvelles. Évidemment, elles ne vont pas s’imposer tout de suite ; elles sont le support de ce que peut être un nouveau monde. Les mouvements sociaux et citoyens réagissent aux situations ; ils proposent et ils inventent. Ils sont des acteurs directs de l’Histoire. Ils rappellent que les classes sociales structurent les sociétés et qu’elles sont capables d’initiatives et d’inventions. Ils illustrent les contradictions sociales et la multiplicité des formes de la lutte des classes.

L’extrême droite progresse partout dans le monde, mais elle n’a pas gagné ! En France, le Rassemblement national a obtenu le plus de voix aux élections européennes et législatives. Mais, le Nouveau Front populaire a adopté un programme politique en trois jours et a réussi à être le premier groupe à l’Assemblée nationale. La bataille politique entre l’extrême droite et la gauche commence, les trois prochaines années seront décisives. Aux États Unis, Trump caracole en tête des sondages avec un programme affichant le capitalisme, l’hégémonie américaine, les riches, le racisme, l’anti-migration, l’interdiction de l’avortement. Kamala Harris, pour s’opposer à lui, devra s’appuyer, malgré l’attachement du parti démocrate au capitalisme et à la domination américaine, sur les droits des femmes, les minorités, l’antiracisme. Ce sont les thèmes qui se dégagent pour s’opposer à la montée de l’extrême droite trumpiste !

Rappelons-le, toutes les crises structurelles du capitalisme ont commencé par une offensive de la droite et de l’extrême droite. Et toutes ont connu une exacerbation des contradictions et un renouvellement des idées de gauche. Nous sommes dans une période de crise structurelle stratégique. Les contradictions s’aiguisent. Ce n’est pas gagné, mais la bataille de la prochaine période a commencé. Les luttes populaires seront déterminantes. Tout est possible. Le meilleur comme le pire. L’avenir n’est pas écrit.

Gustave Massiah

Notes

[1] Cet article peut sembler long et parfois répétitif. Les longueurs sont la conséquence d’un choix pédagogique ; elles répondent à la demande de nombreux militants de retrouver, par rapport à la période actuelle, les références dans l’histoire longue des mouvements et des idées d’émancipation. L’objectif est de donner à la génération qui va mener la lutte engagée, contre le néolibéralisme et pour les mouvements sociaux et culturels et la décolonisation, un rappel de l’histoire de ce mouvement.

[2] Merci pour leur lecture attentive et leurs corrections à Jean-Marie Harribey et Jean-Philippe Milesy

[3] Les données et les références proviennent des livres et articles cités ; les vérifications et actualisation ont été effectuées à partir de Encyclopedia Universalis, et de Google et Chatgpt utilisés comme dictionnaires.

[4] Philippe Levillain, La Troisième République, 1870-1940, Ed PUF

Eric Hobsbawm, The Age of capital, 1848-1875, Ed Vintage Books

Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de La Commune de 1871, La Découverte

[5] Jean-Jacques Becker et Serge Berstein, La France de 1914 à 1940, Ed Armand Colin

A.JP. Taylor, The Origins of the Second World War. Ed Penguin Books

[6] Gustave Massiah, Bandung, un moment historique de la décolonisation, Conférence Bandung, Belgrade, La Havane – novembre 2022

[7] Samir Amin, Le développement inégal, Editions de Minuit, 1973

[8] Nations Unies – Déclaration sur le droit au développement, 1986

[9] Gustave Massiah, Les mouvements sociaux et citoyens ; Les mouvements sociaux et les stratégies d’émancipation. Revue Dirassate, janvier 2023

[10] Gustave Massiah, Le rôle de la pandémie et du climat dans la crise de civilisation, Revue Les Possibles, juin 2020

[11] Kavita Krishnan, L’autoritarisme est-elle la mantra de la multipolarité ? 2023

[12] Forum économique mondial, The digital transformation of industries, site World Economic Forum

La Grande Ecole du numérique, Enjeux du secteur numérique : chiffre clés et études, https://www.grandeecolenumerique.fr...

[13] Immanuel Wallerstein, avec Randall Collins, Michael Mann, Georgi Derluguian et Craig Calhoun, Does Capitalism Have a Future ?, Oxford University Press, 2013

Immanuel Wallerstein, « Préface »Dilemnas of the Global Left" to Gustave Massiah, Strategy for the Alternative to Globalisation, Montréal, New-York, London, Black Rose Books, 2015

[14] Observatoire des inégalités. https://www.inegalites.fr

[15] UNESCO, https://www.unesco.org> ;artic... ;

[16] Gustave Massiah, Les Nations Unies et la réforme radicale du système international, septembre 2023

[17] Kavita Krishnan, la multipolarité est-elle la mantra de l’autoritarisme ?

[18] Khalid Malik, La grande transition : le non-alignement et la montée des pays du Sud Other-NewsThe Great Transition : Non-alignment and the Rise of the Global South

[19] PNUD, L’essor du Sud : le progrès humain dans un monde diversifié. Rapport sur le développement humain, 2013

[20] Immanuel Wallerstein. Trois idéologies ou une seule ? La problématique de la modernité. Genèses. Sciences sociales et histoire, 1992, n°9. « Conservatisme, libéralisme, socialisme », sous la direction d’Étienne Balibar.

[21] Parmi les très nombreux textes qui ont proposé des réflexions sur la montée de l’extrême-droite :

Jean-François Bayart https://aoc.media/analyse/2024/06/1... ;

Alain Caillé https://www.marianne.net/agora/entr...

Etienne Balibar https://www.alternatives-economique... ;utm_medium=email&amp ;utm_content=06072024&amp ;utm_campaign=quotidienne

René Monzat https://laviedesidees.fr/Une-nouvel... avril 2022. Les Droites nationales et radicales en France. Répertoire critique (Lyon, PUL, 1992), en collaboration avec Jean-Yves Camus

[22] Gustave Massiah, « Les migrations, une révolution à venir », 13-12-2023

Gustave Massiah, « Migrations et mondialisation », 15-12-2014

Gustave Massiah, « Migrations coopération et développement », 01-02-1998

[23] Thomas Frank, dont le Pourquoi les pauvres votent à droite, écrit en 2004, Agone, 2012 et Thomas Piketty, Capital et Idéologie, Paris, le Seuil, 2019

[24] Kavita Krishnan, « La multipolarité, est-elle le mantra de l’autoritarisme ? », 24-12-2022

https://aplutsoc.org/202?2/12/24/la...

[25] Coralie Perez, Thomas Coutrot, Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire, Le Seuil, Paris, 2022

[26] Gustave Massiah, « Mai 1968 dans le monde. Une déferlante commune au-delà des spécificités nationales », Octobre 2007

[27] Gustave Massiah, « Le rôle de la pandémie et du climat dans la crise de civilisation », Paris, juin 2020. A partir de l’excellent livre de Kyle Harper, Comment l’empire romain s’est effondré. La Découverte 2019.

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Gustave Massiah

Ingénieur, membre du Conseil international du Forum social mondial, ancien président du CRID, membre du Conseil scientifique d’Attac, auteur de Une stratégie altermondialiste (La Découverte, 2011).

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