Ovide Bastien
Cependant, je dénonce aussi la punition collective du peuple palestinien que constituent le blocus et le bombardement sans relâche de Gaza. « Il importe de reconnaître que les attaques du Hamas ne se sont pas produites dans un vacuum, » poursuit Guterres. « Le peuple palestinien souffre depuis 56 ans d’une occupation inhumaine. (...) Les Palestiniens ont vu leur terre dévorée par les colonies et ravagée par la violence, leur économie asphyxiée, leur population déplacée et leurs maisons démolies. Leur espoir d’une solution politique à leur situation s’est évanoui. (...) Pour mettre fin à ces souffrances épiques, je réitère mon appel à un cessez-le-feu humanitaire immédiat. La solution de deux États est la seule alternative possible, garantissant la sécurité d’Israël et donnant aux Palestiniens un État conformément aux résolutions de l’ONU. »
Israël réagit avec colère devant cette déclaration. Son ambassadeur auprès de l’ONU, Gilad Erdan, qui est l’un des dirigeants les plus extrémistes du parti Likoud du Premier ministre Benjamin Netanyahu, poste immédiatement un message incisif sur le site de réseau social X, anciennement connu sous le nom de Twitter : « Je demande à Guterres de démissionner », affirme Erdan. « Il n’y a aucune justification ni aucun sens à parler à ceux qui montrent de la sympathie pour les actes les plus terribles commis contre les citoyens d’Israël, et encore moins par une organisation terroriste déclarée (...). Il est vraiment triste que le chef d’une organisation qui a vu le jour au lendemain de l’Holocauste exprime des opinions aussi horribles. »
Il y a cinquante ans, je me trouvais au Chili au moment où la junte militaire venait de renverser le gouvernement de Salvador Allende. J’écoutais quotidiennement des histoires d’horreur : personnes fusillées dans le Stade national ; cadavres découverts dans l’océan par des pêcheurs à Valparaiso ; torture de toutes sortes - insertion d’une souri dans le vagin ; chocs électriques au pénis, au sein, au vagin ; ongles arrachés ; établissement de camps de concentration. Tout cela1 me bouleversait profondément et me poussait à aider les gens qui fuyaient la terreur à trouver refuge dans une ambassade. Et, dans un contexte de censure totale, à fournir de l’information à de nombreux journalistes qui arrivaient au Chili.
Pinochet voulait éliminer le cancer qui rongeait le Chili. Il voulait se débarrasser de toutes ces personnes qui, en optant pour le socialisme, avaient perdu leur ‘chilenidad’, c’est-à-dire leur âme judéo-chrétienne. Il se déclarait catholique et se sentait inspiré par Dieu. Exactement un mois après son coup d’État du 11 septembre 1973, il décrivait ce dernier comme le jour où la « main de Dieu se fit présente pour nous sauver ».
Toute personne qui s’opposait au coup devenait automatiquement, pour Pinochet, ennemi de la patrie et « terroriste ».
Comme Augusto Pinochet, Hitler voulait éliminer le cancer qui rongeait l’âme de son peuple. C’est-à-dire ces six millions de juifs que la propagande nazie présentait depuis longtemps comme de simples « rats ». Et pour le faire, il s’inspirait, comme Pinochet, de Dieu. Dans un discours prononcé le 23 mars 1933 devant le Reichstag, Hitler déclarait que les « Églises chrétiennes sont un élément essentiel pour la sauvegarde de l’âme du peuple allemand ».2
Aujourd’hui, nous assistons quotidiennement à d’autres histoires d’horreur. Le 7 octobre, le Hamas attaque Israël, massacrant plus de 1 400 personnes, la plupart des civils, dont de nombreux enfants et vieillards, et prenant plus de 224 otages. Un événement interprété par plusieurs commentateurs comme le 9/11 d’Israël, après celui du Chili en 1973 et celui des Etats-Unis en 2001.
Israël répond à ces attaques en prenant des mesures on ne peut plus radicales. On coupe Gaza – une population de 2.2 millions – de nourriture, eau, fournitures médicales, électricité et carburant. On avertit la population du nord de Gaza de quitter cette région, puis on bombarde sans relâche, dans l’attente d’une probable immense invasion terrestre. Les bombardements ont produit, en date d’aujourd’hui 29 octobre, plus de 7 700 victimes, dont 3 000 enfants. Ils ont même lieu parfois dans le sud où de centaines de milliers de Gazaouis se sont, à la demande d’Israël, réfugiés.
Mardi 24 octobre, une frappe aérienne israélienne tuait la femme, le fils, la fille et le petit-fils du chef de bureau d’Al Jazeera à Gaza, Wael al-Dahdouh. Acquiesçant à la demande d’Israël, ce journaliste avait quitté le nord de Gaza pour se réfugier avec sa famille dans le camp de Nuseirat.
Save the Children estime qu’un enfant à Gaza est tué chaque 15 minutes et l’Euro-Med Human Rights Monitor estime ce nombre à 200 chaque 24 heures.
Le 28 octobre, une invasion terrestre de Gaza commence et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu déclare que cette invasion « va nous aider dans cette sainte mission ». Et l’ex-ministre de la défense d’Israël déclare qu’avec « l’aide de Dieu, nous allons nous battre, nous allons vaincre ».
Voici comment le responsable de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), Philippe Lazzarini, décrit, le 26 octobre, la situation :
« Depuis plus de deux semaines, des images insoutenables de tragédie humaine nous parviennent de Gaza. Des femmes, des enfants et des personnes âgées sont tués, des hôpitaux et des écoles sont bombardés, personne n’est épargné. À l’heure où j’écris ces lignes, l’UNRWA a déjà perdu, tragiquement, 35 de ses employés, dont beaucoup ont été tués alors qu’ils se trouvaient chez eux avec leur famille.
« Des quartiers entiers sont rasés au-dessus de la tête des civils dans l’un des endroits les plus surpeuplés de la planète. Les Forces de défense israéliennes (FDI) ont averti les Palestiniens de Gaza de se rendre dans la partie sud de la bande de Gaza alors qu’elles bombardent le nord, mais les frappes se poursuivent également dans le sud. Il n’y a aucun endroit sûr à Gaza.
« Près de 600 000 personnes sont réfugiées dans 150 écoles et autres bâtiments de l’UNRWA, vivant dans des conditions insalubres, avec peu d’eau potable, de nourriture et de médicaments. Les mères ne savent pas comment nettoyer leurs enfants. Les femmes enceintes prient pour ne pas avoir de complications lors de l’accouchement, car les hôpitaux n’ont pas la capacité de les accueillir. Des familles entières vivent désormais dans nos bâtiments parce qu’elles n’ont nulle part où aller. Mais nos installations ne sont pas sûres : 40 bâtiments de l’UNRWA, dont des écoles et des entrepôts, ont été endommagés par les frappes. De nombreux civils qui s’y abritaient ont été tragiquement tués.
« Au cours des 15 dernières années, Gaza a été décrite comme une grande prison à ciel ouvert, avec un blocus aérien, maritime et terrestre qui étouffe 2,2 millions de personnes sur 365 km². La plupart des jeunes n’ont jamais quitté Gaza. Aujourd’hui, cette prison devient le cimetière d’une population prise au piège entre la guerre, le siège et les privations.
« Ces derniers jours, d’intenses négociations au plus haut niveau ont finalement permis l’entrée dans la bande de Gaza d’un nombre très limité de fournitures humanitaires. Bien que cette avancée soit la bienvenue, ces camions ne représentent qu’un petit filet d’eau plutôt que le flux d’aide qu’exige une situation humanitaire de cette ampleur. Vingt camions de nourriture et de fournitures médicales sont une goutte d’eau dans l’océan pour les besoins de plus de 2 millions de civils. Le carburant, en revanche, a été fermement refusé à Gaza. Sans lui, il n’y aura pas de réponse humanitaire, pas d’aide aux personnes dans le besoin, pas d’électricité pour les hôpitaux, pas d’eau, pas de pain.
« Avant le 7 octobre, Gaza recevait chaque jour quelque 500 camions de nourriture et d’autres fournitures, dont 45 camions de carburant pour alimenter les voitures, les usines de dessalement de l’eau et les boulangeries de la bande. Aujourd’hui, Gaza est étranglée et les quelques convois qui y pénètrent n’apaiseront pas le sentiment de la population civile d’avoir été abandonnée et sacrifiée par le monde. »3
Le gouvernement d’Israël affirme vouloir éliminer le Hamas, cette organisation qu’il qualifie de « terroriste ». De même qu’au Chili, Pinochet déclarait terroriste, après le 11 septembre 1973, toute personne qui s’opposait au coup d’État, Israël qualifie de terroriste tout Palestinien qui cherche à mettre fin à l’occupation inhumaine que subit son peuple depuis des décennies.
En rappelant les racines historiques du conflit, António Guterres refuse de réduire les membres du Hamas à de simples terroristes sans plus. Il refuse d’adopter l’attitude du ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, qui, à la suite des attaques du 7 octobre, affirme qu’Israël se bat « contre des animaux ». Il refuse d’adopter l’attitude du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui affirme que « Gaza est une ville du mal ». Il refuse de réduire les Palestiniens, comme plusieurs l’ont fait sur les réseaux sociaux israéliens après les attaques, à de simples « rats ou serpents ».
Et en affirmant que la « solution de deux États est la seule alternative possible, garantissant la sécurité d’Israël et donnant aux Palestiniens un État conformément aux résolutions de l’ONU », António Guterres ne fait que rappeler ce dont se rendait graduellement compte le soldat israélien, alors âgé de 20 ans, Ariel Bernstein, membre de l’Unité des forces spéciales Nahal. J’ai passé environ deux semaines en 2014 à me battre à Gaza, maison par maison, affirme Bernstein.
« Nous n’avions qu’une vague idée de ce qu’était Gaza, de la façon dont les gens y vivaient, de qui ils étaient ; nous ne voyions Gaza que comme un endroit perfide où tout le monde souhaitait notre mort. Je me souviens avoir été envahi par l’anxiété, redoutant que certains d’entre nous ne reviennent pas. (...) Notre mission était de conquérir le quartier Al-Burrah de Beit Hanoun et de nettoyer le quartier des terroristes tout en soutenant les forces d’ingénierie envoyées pour détruire les tunnels du Hamas.
« Les combats à Gaza étaient différents de tout ce que j’avais fait auparavant en Cisjordanie. Je n’avais jamais vu les Forces de défenses israéliennes utiliser une puissance de feu aussi intense. Celles-ci ayant ordonné aux civils de quitter le quartier, tous ceux qui restaient étaient - nous a-t-on dit - des agents ou des partisans du Hamas, et donc des cibles légitimes. (...)
« Une équipe d’une unité voisine a rencontré une famille palestinienne de dix personnes, dont aucune n’était un terroriste. Peu à peu, il est devenu plus difficile de croire que nous nous trouvions sur un champ de bataille. Après tout, il s’agissait aussi d’un quartier civil. Ces souvenirs des combats et des destructions que nous avons laissés derrière nous me hanteront à jamais.
« Mon expérience à Gaza m’a conduit à une conclusion claire : nous devons faire pression pour obtenir un accord avec les Palestiniens qui mette fin à l’occupation et au siège de Gaza. La vie à Gaza n’est pas viable. J’ai été stupéfait de voir à quel point notre société refuse de réfléchir à la situation à Gaza.
« Cela fait des années que je me demande pourquoi j’ai participé au conflit de 2014 s’il n’a pas été suivi d’une action politique qui empêcherait le prochain. Nos dirigeants nous ont menti en nous disant que nous pouvions gérer et contenir ce conflit sans jamais avoir à le résoudre. C’est pour ces raisons que je me suis plongé dans l’activisme. Il était clair pour moi que Gaza était une bombe à retardement prête à exploser. »4
Notes
1. Il a été établi qu’il y a eu au moins 3,000 morts et 40 000 personnes torturées à la suite du coup. De centaines de milliers de Chiliens et Chiliennes ont dû s’exiler. Le Canada en compte présentement 50 000, dont 15 000 au Québec
2.Cité dans Guillermo Blanco, El Evangelio de Judas, Pineda Libros, 4e édition, 1973, Santiago, Chili, p. 46.
3. Philippe Lazzarini, I run the UN agency for Palestine refugees. History will judge us all if there is no ceasefire in Gaza, The Guardian, le 26 octobre 2023. Consulté le même jour. C’est moi qui traduis de l’anglais.
4.Ariel Bernstein, I fought house to house in Gaza ... I know force alone won’t bring peace, The Guardian, le 29 octobre 2023. Consulté le même jour. C’est moi qui traduis de l’anglais.
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