Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débats : quel soutien à la lutte du peuple ukrainien ?

Syndicats allemands : pas de solidarité avec l’Ukraine à cause de l’OTAN ?

La confédération syndicale britannique TUC et le grand syndicat allemand des services ver.di ont tenu leurs grands congrès à la mi-septembre. Dans les deux cas, l’attitude vis-à-vis de la guerre déclenchée par la Russie, de la résistance ukrainienne et de l’augmentation des dépenses d’armement dans leur propre pays a pesé sur les débats.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Il existe toutefois des différences marquantes. Alors qu’au congrès du TUC, une motion de soutien à la résistance des syndicats et de la population ukrainienne contre les troupes d’occupation russes l’a emporté, une telle orientation n’a même pas été discutée au congrès de ver.di. Au lieu de cela, un éventail de divers militants de la gauche syndicale demande explicitement de mettre fin au soutien armé à la résistance de l’Ukraine aux troupes d’occupation russes, ce qui revient à accepter l’occupation d’une grande partie du pays. Ils ont lancé une pétition dans ce sens qui ne fait délibérément pas mention des syndicats ukrainiens. Ce rejet de la solidarité internationale en faveur des syndicats ukrainiens et de leur résistance aux troupes d’occupation traduit un resserrement de la perception de la guerre autour d’un point de vue purement allemand et l’abandon d’une conception globale de la solidarité anti-impérialiste.

La Solidarité Syndicale – En Fait, Une Évidence

En Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse, les syndicats font preuve d’une solidarité remarquable avec la résistance ukrainienne contre les troupes d’occupation russes. John McDonnell, membre de la direction du parti travailliste et ancien vice-chancelier du cabinet fantôme à l’époque de Jeremy Corbyn, est un ardent promoteur de la campagne de solidarité avec l’Ukraine [1]. Le congrès du TUC, qui s’est tenu du 10 au 13 septembre dernier, a adopté une résolution par laquelle les délégués se déclarent explicitement solidaires de la résistance ukrainienne contre les forces d’occupation russes et, surtout, des syndicats en Ukraine [2].

La résolution place la solidarité syndicale dans la tradition de la résistance antifasciste et anti-impérialiste ainsi que du soutien à l’armement de la République espagnole. «  Le TUC est fier de son histoire de solidarité avec les victimes de l’agression fasciste et impérialiste, y compris son soutien à l’armement de la République espagnole. En tant que syndicalistes, nous sommes par nature anti-impérialistes et notre travail consiste à combattre l’impérialisme et la tyrannie à chaque fois que l’occasion se présente. Nous comprenons qu’une victoire de Poutine en Ukraine sera un succès pour les politiques autoritaires réactionnaires dans le monde entier ».

La déclaration fait référence à la solidarité des syndicats ukrainiens avec la population dans le besoin et souligne la coopération exemplaire du syndicat britannique des conducteurs de train avec ses collègues en Ukraine : «  Les syndicats ukrainiens ont manifesté une solidarité et un soutien véritables en fournissant des abris et de la nourriture aux réfugiés. L’ASLEF a travaillé en étroite collaboration avec les syndicats de cheminots ukrainiens et a pu constater l’énorme travail qu’ils ont accompli pour soutenir les travailleurs en ces temps de conflit ».

Dans sa résolution, le TUC constate qu’il ne peut y avoir de paix juste et durable tant que l’Etat russe conteste la souveraineté ukrainienne. Il exige le retrait immédiat des troupes russes de l’ensemble du territoire ukrainien, c’est-à-dire de toutes les régions occupées depuis 2014. Dans le même temps, il exige le rétablissement total des droits des travailleurs, ainsi qu’une reconstruction socialement juste et un programme de développement incluant des conventions collectives sans dérégulation ni privatisation. «  Le rétablissement intégral des droits sociaux en Ukraine et un programme de reconstruction et de redéveloppement socialement juste qui intègre la négociation collective et rejette la déréglementation et la privatisation  ». Enfin, le congrès du TUC a également décidé de coopérer étroitement avec les syndicats ukrainiens à tous les niveaux.

Contrairement à ce que prétendent les critiques cyniques des staliniens et des courants liés à une pensée géopolitique de camp, cette résolution ne contient aucun soutien au renforcement des moyens de l’OTAN. On peut cependant déplorer le fait que la résolution du TUC ne le refuse pas explicitement. Malgré cette restriction, les syndicats britanniques engagés dans la solidarité considèrent que cette résolution constitue un point d’appui important pour leur travail de solidarité concret de la base avec la résistance ukrainienne. Les syndicats ukrainiens ont également apprécié favorablement ce message fort.

Un regard sur les syndicats en France donne une image similaire. Tous les syndicats significatifs en France se déclarent solidaires de la résistance ukrainienne. Ils ont organisé des convois de solidarité [3].

L’organisation altermondialiste Attac France s’est associée dès septembre 2022 à une déclaration d’organisations syndicales et de gauche qui se solidarisent avec la résistance ukrainienne [4].

Une Perception Politique Tronquée

Comment se déroulent les débats en Allemagne ? Les horloges ne tournent pas comme en Grande-Bretagne et en France et les débats prennent parfois des allures bizarres.

La direction du syndicat des services Ver.di a soumis au vote des délégués de son 6e congrès fédéral du 17 au 22 septembre une résolution qui approuve également la livraison d’armes à l’Ukraine [5] : «  Notre respect et notre solidarité vont aux personnes menacées en Ukraine qui défendent courageusement leur liberté. Et notre respect et notre solidarité vont également aux personnes en Russie et en Biélorussie qui s’opposent courageusement à cette guerre malgré les arrestations et la répression incessante  ». La résolution se prononce en faveur de sanctions ciblées contre le régime de Poutine et rejette les sanctions qui touchent la grande majorité de la population [6]. La résolution indiquait correctement que «  soutenir l’Ukraine dans sa défense contre les attaques russes et dans ses actions visant à rétablir son intégrité territoriale, y compris avec du matériel militaire tel que des armes provenant des membres de l’OTAN, est permis par le droit international et constitue un soutien aux personnes attaquées, leur permettant de continuer à se défendre ».

La résolution critique également le réarmement de l’OTAN et les 100 milliards d’euros de fonds spéciaux supplémentaires alloués à l’armement. Cependant, elle ne fait aucunement référence à la solidarité avec les syndicats ukrainiens qui se sont engagés sans réserves dans la résistance aux troupes d’occupation russes et qui doivent en même temps faire face à la politique antisyndicale du gouvernement néolibéral.

Des membres de l’opposition syndicale ont mené campagne contre ce projet de résolution. Mais ils n’ont pas réclamé par exemple la solidarité avec les syndicats ukrainiens et leur résistance contre les troupes d’occupation russes, comme le TUC venait de le décider ; bien au contraire, ils ont lancé une pétition qui ne condamne pas la guerre d’occupation russe et ne se déclare pas solidaire de la résistance ukrainienne.

La pétition « Dites non », qui a recueilli environ 13 000 signatures au 21 septembre, estime au contraire que l’Allemagne a « pris parti dans la guerre » et que le gouvernement allemand poursuit une politique belliciste. Les initiateurs pensent-ils sérieusement que des soldats allemands se battent déjà en Ukraine ? Si les livraisons d’armes devaient être considérées comme un critère de participation à une guerre, l’Allemagne aurait déjà été partie prenante dans de nombreuses guerres.

Cette pétition compare la situation actuelle de manière totalement erronée du point de vue historique avec l’absence de résistance des directions syndicales contre la Première Guerre mondiale [7]. Les initiateurs de cette pétition estiment que le syndicat ver.di est sur la voie de la guerre et reprochent à sa direction de se soumettre au militarisme.

Dans cette pétition il n’y a pas un mot de solidarité avec les syndicats ukrainiens. Pire, ils ont fait le choix de ne même pas les mentionner. Sur ce point décisif, la direction de ver.di et ses critiques de la « gauche radicale » semblent même avoir une vision tout autant restreinte au cadre national. Les premiers se basent sur des intérêts allemands prétendument communs à tous, les seconds regardent le monde avec des lunettes géopolitiques allemandes et ne voient que l’expansion de l’« Ouest » et les réactions des autres grandes puissances. Celles et ceux qui se battent et qui ne rentrent pas dans ce schéma ne sont même pas pris en compte.

Les auteurs de la pétition se voient « aux côtés des travailleurs qui luttent contre les livraisons d’armes en Italie et en Grèce », mais pas aux côtés des travailleurs qui luttent contre l’occupation russe en Ukraine. La solidarité se perd dans des considérations générales : « Notre solidarité va aux travailleurs/euses, aux objecteurs de conscience, aux déserteurs/euses et aux réfugiés d’Ukraine, de Russie, de Biélorussie et du monde entier ». Les travailleurs résistants et leurs syndicats en Ukraine ne sont pas mentionnés dans cette pétition. Il y a là une arrogance occidentale, voire allemande, qui transparaît. Ou bien les travailleurs ukrainiens seraient-ils du bord opposé, parce qu’ils luttent pour l’indépendance de leur pays et la survie de leur société civile et de leurs droits démocratiques ?

Paradoxalement, les initiateurs de cette pétition font de l’internationalisme leur étendard. Mais ce concept se transforme en une formule cynique. Car ils ne reconnaissent même pas les salariés et leurs syndicats en Ukraine comme des acteurs à part entière. En outre, ils assimilent la dictature fasciste et impérialiste de la Russie [8] à la démocratie parlementaire, fût-elle corrompue, de l’Ukraine. C’est une aberration complète et une insulte à toute approche démocratique.

Les auteurs critiquent la direction de Ver.di pour avoir fait du « désarmement général » et du « droit de tous les êtres humains à être protégés contre la persécution, la torture et la guerre » des « bavardages d’hier », réaffirmés mille fois. Mais ils refusent eux-mêmes d’accorder aux habitants de l’Ukraine « une protection contre la persécution, la torture et la guerre ».

Un Débat Biaisé

Les motions présentées au congrès de ver.di sur la base de cette pétition sont tout aussi biaisées. Elles assimilent agression et résistance et reviennent à relativiser les crimes de la dictature de Poutine. La proposition d’amendement Ä008 au point E 084 constate certes à juste titre que «  les travailleurs russes, ukrainiens et allemands » n’ont décidé ni de la « guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine ni de l’escalade guerrière par l’OTAN, sous la direction des Etats-Unis ». En même temps, elle nie la volonté de résistance d’une partie écrasante des salariés ukrainiens à l’occupation russe et se moque du peuple ukrainien en inversant bizarrement la responsabilité de l’escalade de la guerre.

Qui a intensifié la guerre par le bombardement de villes et la destruction écologique ciblée de régions entières ? Était-ce l’OTAN ? Qui a finalement chassé les troupes d’occupation de Kyiv et de nombreuses autres villes et régions ? Étaient-ce des troupes de l’OTAN, ou même allemandes ? Sans les succès de la résistance des Ukrainien.n.es – des salarié.e.s ukrainien.ne.s – ni l’OTAN, ni les États-Unis, ni le gouvernement allemand, ni les syndicats en Allemagne ou ailleurs ne seraient confrontés à la question de prendre parti. Car sans cette résistance, l’Ukraine serait depuis longtemps un État satellite soumis à une grande Russie impérialiste ressuscitée. Peut-être se poserait-on alors l’amère question de savoir quelle solidarité il conviendrait de mettre en œuvre avec des millions supplémentaires de personnes déplacées et une résistance de partisans ukrainienne.

L’amendement demande « l’abandon d’une politique de sanctions que l’Allemagne paie par une aggravation de la crise économique, un risque de désindustrialisation et une hausse drastique des prix, qui mettent en question l’existence de nombreuses petites et moyennes entreprises ainsi que d’entreprises artisanales, et qui menacent d’entraîner des millions de travailleuses et travailleurs* dans une chute sociale  ». Sans la moindre preuve concrète, les auteurs de cette proposition imputent le risque de désindustrialisation aux sanctions contre la Russie. C’est tout simplement un non-sens, que malheureusement bien d’autres à gauche reprennent aujourd’hui. Les élucubrations nationalistes, de défense de la production sur le sol allemand et pro-russes de Sahra Wagenknecht atteignent-elles déjà des cercles qui se considèrent comme la gauche syndicale ? [9] Quelles dimensions atteint donc la confusion ? L’économiste Rudolf Hickel a récemment développé une argumentation convaincante selon laquelle, premièrement, il n’y a pas de désindustrialisation en Allemagne, deuxièmement, la faiblesse conjoncturelle et les problèmes structurels ont de toutes autres causes : la hausse des prix de l’énergie (qui ont déjà augmenté avant le début de la guerre et qui resteront probablement plus élevés), celui des prix des matières premières due à leur raréfaction, le recul des exportations à destination de la Chine, le protectionnisme des États-Unis et, surtout, le coût de la transition vers une économie non fossile, différée depuis de longues années, entraîneront une augmentation des prix significative [10].

Sans surprise, la résolution de la direction s’est nettement imposée lors du vote, avec quelques petits aménagements. Contrairement à la pétition de l’opposition dont les positions ne sont de gauche qu’en apparence et ses amendements pour la plupart rejetés, les amendements E104 et 105 issus des conférences de district de Moyenne-Franconie et de Bavière, adoptés comme « documents de travail » complémentaires, allaient dans le bon sens. «  Notre sympathie, notre respect et notre solidarité vont aux personnes dont les conditions d’existence et les vies sont menacées en Ukraine, et qui défendent courageusement leur liberté ». Les auteurs de ces amendements se solidarisent avec les collègues qui continuent à se battre au sein de la Confédération syndicale internationale pour de meilleures conditions de travail et de vie et condamnent les mesures anti-syndicales prises par le gouvernement ukrainien. Ils demandent également de nouvelles sanctions ciblées. « Le système Poutine, qui est principalement en Russie appuyé par des structures oligarchiques, ne doit plus être financé par l’importation de pétrole, de gaz, de charbon et d’autres matières premières  » [11]. Sans pouvoir l’affirmer positivement, il est tout à fait probable qu’une motion proposant des mesures concrètes de solidarité avec les syndicats ukrainienns ancrées dans le travail syndical quotidien à la base aurait pu rencontrer l’assentiment d’une majorité de délégué.e.s. Mais malheureusement, cette force solidaire reste à construire. Un nouvel appel a été lancé par le groupe des initiateurs de cette pétition à Berlin. Des représentants de grands syndicats berlinois de la DGB se sont réunis pour former le «  Conseil syndical de Berlin contre la course à l’armement et la guerre ». Ils exigent l’arrêt immédiat du soutien militaire à l’Ukraine et la fin des sanctions économiques contre la Russie. Les syndicats ukrainiens continuent d’être ignorés. On ne peut pas se prononcer plus clairement en faveur de la victoire de l’impérialisme russe contre le peuple ukrainien [12].

La Solidarité Anti-Impérialiste aujourd’hui

Oui, il est juste de critiquer la direction de ver.di, mais pas de cette façon. Les documents adoptés ne reconnaissent pas les syndicats ukrainiens comme des partenaires pour une politique de promotion de la paix par en bas. Cela contraste fortement avec la position du TUC britannique et des grands syndicats français, qui se déclarent explicitement solidaires des syndicats en Ukraine.

Oui, l’OTAN, sous la conduite des Etats-Unis, poursuit ses propres objectifs impérialistes, qui n’ont rien à voir avec les intérêts de la population ukrainienne. Cette observation est ancienne et banale. De même, des fractions essentielles du capital – notamment dans les pays germanophones – poursuivent, chacune à sa manière, l’objectif de renouer au plus vite des relations commerciales « raisonnables » avec les grands groupes russes et les dirigeants politiques du pays (et peu importe qui voudra en prendre la tête). Après tout, le pétrole et le gaz doivent continuer à couler et les matières premières à être livrées.

Oui, il reste juste de s’opposer au réarmement de l’OTAN et à la militarisation de la société. Mais cela n’est possible que dans une perspective paneuropéenne. Cela signifie que nous devons trouver des moyens pour que tous les peuples d’Europe s’opposent ensemble aux impérialismes, à la géopolitique réactionnaire et à la concurrence entre les sites de production, et ce dans une perspective de solidarité globale. Ce n’est pas facile, mais une gauche qui veut reprendre pied dans le présent et l’avenir ne peut pas se dérober.

Oui, il est juste de rechercher des solutions négociées pour mettre fin à la guerre. Mais tout le monde sait que les négociations se font sur la base d’un rapport de forces. Les syndicats combatifs qui ont l’expérience de la grève le savent bien. Il s’agit donc de déterminer quel est l’objet des négociations. Et c’est là que la décision du TUC est juste : il ne peut y avoir de paix juste et durable tant que l’État russe refuse la souveraineté de l’Ukraine. La fin de la guerre exige le rétablissement de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et la garantie de l’autodétermination du peuple ukrainien [13]. Mais qui négocie avec qui, et sur quelles bases ? Le 25 septembre, Vyacheslav Volodin, porte-parole de la Douma, le parlement fictif russe, a une fois de plus fait part au monde des objectifs de guerre génocidaires de la Russie. « L’Ukraine cessera d’exister en tant qu’Etat, à moins que le régime de Kiev ne capitule aux conditions de la Russie » [14]. Que ceux qui veulent contraindre l’Ukraine à des négociations serviles admettent qu’ils acceptent cette perspective (« comme un moindre mal »).

Si ce n’est pas par les armes, avec quoi d’autre l’Ukraine, la société ukrainienne, pourrait-elle se défendre contre l’occupation par la terreur d’une puissance impérialiste ? Les signataires de la pétition ici critiquée devraient se demander s’ils préfèrent une victoire de Poutine à une résistance victorieuse de l’Ukraine. Une grande partie du mouvement pacifiste estime que sans livraison d’armes, la guerre prendrait fin plus tôt. C’est faux. La guerre continuerait, et ce jusqu’à ce que le régime de Poutine ait atteint son objectif : l’occupation de larges parties de l’Ukraine et l’établissement d’un régime vassal. Cela s’accompagnerait d’une occupation fondée sur la généralisation de la terreur contre la population et probablement d’une guerre de partisans contre cette terreur. Est-ce là la perspective que la gauche doit accepter en Europe et ailleurs ? Si Poutine s’imposait, les Erdogan, Aliev et leurs semblables pourraient également se réjouir.

Une gauche vraiment internationaliste et émancipatrice inviterait ver.di à renforcer la solidarité avec les syndicats ukrainiens, de manière très pratique, avec un soutien concret sur place et, ici, avec un travail d’information parmi les collègues dans les entreprises. Elle essaierait d’amener les syndicats à s’engager pour l’annulation de la dette de l’Ukraine, contre la stratégie néocoloniale du gouvernement allemand dans le domaine de l’énergie et de l’hydrogène, et dans la perspective d’une reconstruction solidaire et socio-écologique.

Les Ukrainiens ont fait d’énormes sacrifices et subi d’énormes pertes : plus de 70 000 morts et 120 000 blessés [15]. Le nombre de victimes russes est encore plus élevé : selon un rapport publié dans le New York Times, la Russie compte près de 300 000 victimes, dont 120 000 ont été tuées. Outre la dévastation écologique, la destruction des infrastructures civiles et des habitations, l’Ukraine est aujourd’hui le pays le plus miné au monde [16]. Il faudra des années, voire des décennies, pour déminer ces zones. C’est précisément au vu de cette situation dramatique qu’il doit revenir à la population ukrainienne de décider quand et sur quelle base elle souhaite négocier avec la dictature de Poutine. En Europe et ailleurs dans le monde, il s’agit de soutenir la résistance anticoloniale et anti-impérialiste légitime du peuple ukrainien. Tout comme les forces progressistes et les syndicalistes ont soutenu les luttes anticoloniales et anti-impérialistes en Amérique latine, en Asie et en Afrique, ils devraient également le faire dans le cas de l’Ukraine et d’autres nationalités opprimées en Russie et dans les régions de l’ancien bloc soviétique.

La pétition critiquée ici et les motions et amendements qui s’appuient sur elle défendus lors du congrès de ver.di sont l’expression des progrès de la sclérose politique qui gagne une partie de la gauche allemande. Portés par une vision géopolitique du monde et enrichis d’arguments pseudo-pacifistes, ils enterrent la solidarité. Une gauche solidaire s’efforcerait de faire en sorte que les syndicats allemands – comme leurs organisations sœurs en Angleterre, au Pays de Galles, en Ecosse et en France – participent activement au travail de solidarité avec les syndicats ukrainiens.

Elle ne caractériserait pas avec dédain cette solidarité, comme simplement humanitaire parce qu’elle ne voit pas quelle est au fond tout à fait politique, tout en faisant silence sur leur engagement dans la résistance au troupes d’occupation russes, contrairement à ce que font certains [17], mais elle soutiendrait leur double résistance : leur guerre contre l’occupation et la résistance sociale au gouvernement néo-libéral conduit par le président Zelenski. Les syndicats, tout comme les socialistes, les anarchistes et les feministes se battent en civil et en uniforme, armés et non armés. Ils et elles ont besoin de notre solidarité. Il est tragique qu’il n’existe actuellement en Allemagne aucune force écosocialiste organisée porteuse d’un projet d’émancipation pour prendre en charge concrètement et rendre visible une telle perspective au moyen d’initiatives politiques. C’est à cela qu’il faut s’atteler.

Christian Zeller
Christian Zeller enseigne la géographie économique à l’université de Salzburg. Rédacteur de la revue « Emanzipation – Zeitschrift für ökosozialistische Strategie ». Auteur de plusieurs ouvrages. Le dernier : « Revolution fur das Kima. Warum wir eine ökosozialistische Strategie brauchen » (Révolution pour le climat. Pourquoi nous avons besoin d’une stratégie écosocialiste »
https://emanzipation.org/2023/09/gewerkschaften-keine-solidaritaet-mit-ukraine-wegen-nato/http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article68327
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article68327

[1] https://ukrainesolidaritycampaign.org/about-2/ ; https://twitter.com/GMB_union/status/1697279494006919233
[2] TUC Congress Motions. Guide to Congress motions and composite motions, 10-13 September 2023. https://congress.tuc.org.uk/c21-solidarity-with-ukraine/#sthash.Cf1PIBTp.usGNpW6b.dpbs
[3] Les syndicats ukrainiens reçus par leurs homologues français. 21 juillet 2023
https://www.cgt.fr/actualites/international/interprofessionnel/solidarite/les-syndicats-ukrainiens-recus-par-leurs-homologues-francais ; Solidaires (Paris) 20 juin : Meeting du Convoi Intersyndical pour l’Ukraine (avec des représentant-es du FPU et du KVPU) 20 juin 2023
https://solidaires.org/sinformer-et-agir/actualites-et-mobilisations/internationales/paris-20-juin-meeting-du-convoi-intersyndical-pour-lukraine-avec-des-representant-es-du-fpu-et-du-kvpu/ ;
https://twitter.com/edwyplenel/status/1671207921777094684
[4] Attac France : Pourquoi soutenir la résistance ukrainienne. 5 septembre 2022
https://france.attac.org/se-mobiliser/ukraine-pour-une-solidarite-internationaliste/article/pourquoi-soutenir-la-resistance-ukrainienne
[5] Leitantrag E 084 – Perspektiven für Frieden, Sicherheit und Abrüstung in einer Welt im Umbruch
https://www.verdi.de/++file++64f86ea886fc8f2ceb3dbe8d/download/Leitantrag%20E%20084.pdf
[6] Antrag E 084 : Perspektiven für Frieden, Sicherheit und Abrüstung in einer Welt im Umbruch.
[7] Sagt Nein ! Gewerkschafter:innen gegen Krieg, Militarismus und Burgfrieden https://www.change.org/p/sagt-nein-gewerkschafter-innen-gegen-krieg-militarismus-und-burgfrieden
[8] Le révolutionnaire socialiste russe Ilya Budraitskis caractérise même le poutinisme comme uen nouvelle forme de fascisme.
[9] Même Angela Klein va jusqu’à affirmer dans le Sozialistische Zeitung de septembre 2023, que « du fait des sanctions contre la Russie l’Allemagne subirait des pertes économiques
https://www.sozonline.de/2023/09/sagt-nein-2/
Les socialistes révolutionnaire doivent-ils vraiment déplorer que quelques grosses entreprises allemandes doivent renoncer momentanément ou pour une période plus longue à faire des affaires en Russie ? Angela Klein, dans le numéro de juin du Sozialistische Zeitung, a même exprimé l’idée que l’état-major ukrainien, s’il est réellement responsable du sabotage du pipe-line Nordstream, aurait « commis un acte de guerre économique contre la population allemande. Il a par la force stoppé les relations économiques de l’Allemagne avec la Russie pour la pousser à la dépendance des USA pour ses approvisionnements en énergie ». Qui répand de telles inepties s’oppose consciemment à la construction de la solidarité avec la résistance ukrainienne et trouvera difficilement des arguments pour s’opposer à la propagande des populistes de droite.
[10] Hickel, Rudolf (2023) : Kampfbegriff Deindustrialisierung : Wider die Schwarzmalerei. Blätter für deutsche und internationale Politik(10/2023), S. 31-35.
[11] ver.di-Bundeskongress, Berlin, 17.9.2023 – 22.9.202. Inhaltsverzeichnis E – Gewerkschafts- und Gesellschaftspolitik, E- Allgemein.
https://www.verdi.de/++file++650d345286fc8f2ceb3dc242/download/Sachgebiet-E-Beschlussfassung-20230921.pdf.
Alle Beschlüsse finden sich hier :
https://www.verdi.de/ueber-uns/bundeskongress-2023/antraege-kongressunterlagen.
[12] Berliner Gewerkschafter*innen mobilisieren gegen Aufrüstung und Krieg, 29. September 2023 https://gewerkschaftliche-linke-berlin.de/berliner-gewerkschaftlicher-ratschlag-gegen-aufruestung-und-krieg/
[13] The Congress affirms : “b) Its belief that there can be no just or enduring peace while the Russian state continues its denial of Ukrainian sovereignty.” The Congress supports : “III. A peaceful end to the conflict that secures the territorial integrity of Ukraine and the support and self-determination of the Ukrainian people.”
https://congress.tuc.org.uk/c21-solidarity-with-ukraine/#sthash.Cf1PIBTp.XkGE64D8.dpbs
[14] “Ukraine will cease to exist as a state unless the Kiev regime capitulates on Russia’s terms,” Volodin stressed. TASS Russian News Agency : Ukraine to either surrender on Moscow’s terms or cease to exist — top Russian lawmaker. 25 September 2022.
https://tass.com/world/1679849.
Le ministre des affaires étrangères Sergei Lawrow a utilize à plusieurs reprises le terme “Novorossiya“, nouvelle Russie, qui provident du tsarisme, pour confirmer l’intention d’absorber de vastes portions de l’Ukraine. TASS Russian New Agency, 27. September 2023
https://tass.com/russia/1681505.
[15] BBC, 29. August 2023 : ‘Dying by the dozens every day’ – Ukraine losses climb ‘Dying by the dozens every day’ – Ukraine losses climb – BBC News
[16] Helene Cooper, Thomas Gibbons-Neff, Eric Schmitt and Julian E. Barnes : Troop Deaths and Injuries in Ukraine War Near 500,000, U.S. Officials Say. New York Times, August 19, 2023, page A1
https://www.nytimes.com/2023/08/18/us/politics/ukraine-russia-war-casualties.html?searchResultPosition=1
[17] Appel syndical dont des membres de l’Internationale Sozialistische Organisation (ISO) sont à l’origine, Humanitäre Hilfe für ukrainische Gewerkschaften“. 24. Februar 2023
https://intersoz.org/gewerkschaftliche-solidaritaet/

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