Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Le sundae aux cerises constitutionnel et le ragoût de boulettes social démocrate

On a souligné la semaine dernière le quarantième anniversaire du premier référendum sur la souveraineté tenu le 20 mai 1980. Le « Non » à l’indépendance l’avait emporté sur le « Oui » à l’indépendance par 51% contre 41%. On a aussi passé en revue l’échec de la tentative de réinsertion constitutionnelle dans la Fédération canadienne à la suite de celui de l’Accord du Lac Meech le 23 juin 1990 et de l’Accord de Charlottetown le 26 octobre 1992. On a évoqué, bien sûr, l’échec du second référendum tenu le 30 octobre 1995, où le « Non » a gagné de justesse par 50.5 % de voix contre 47,4% pour le « Oui »

Il est de coutume d’attribuer une bonne part des déboires péquistes aux tribulations constitutionnelles qui ont secoué le Québec, en particulier aux deux défaites référendaires.

Pourtant, le 13 avril 1981 moins d’un an après l’échec référendaire de mai 1980. le Parti Québécois était reporté au pouvoir avec 49,2% des voix ; il l’a cependant perdu dans le discrédit général le 2 décembre 1985. Il l’a reconquis sous Jacques Parizeau le 13 septembre 1994 avec 44,7% des votes et il l’a conservé sous le leadership successif de Lucien Bouchard et de Bernanrd Landry jusqu’au printemps 2003, et ce, en dépit du second échec référendaire.

On peut donc affirmer que les défaites électorales péquistes ne sont pas dues qu’à l’échec du projet souverainiste. Il existe aussi d’autres raisons à cet état de fait.

On oublie (ou on omet) souvent de mentionner que la défaite électorale du gouvernement de Pierre Marc Johnson en 1985 relève avant tout de la façon arbitraire et brutale dont l’équipe ministérielle de René Lévesque tout d’abord à ses compressions budgétaires que son cabinet avait imposées par surprise aux Québécois et Québécoises sans y faire le moindre allusion durant la campagne électorale de mars-avril 1981, et aussi à la manière dont il a géré la récession de 1982-1984.

Dès lors, la légitimité des politiques économiques et sociales péquistes a été à bon droit contestée. Ce fut une grande déception pour l’électorat, mais aussi pour la masse de militants et de militantes de gauche qui formaient la base du parti. Les compressions budgétaires sont tombées dru dès mai 1981.

Lévesque et ses lieutenants ont infligé une immense douleur à la population, ce qui explique la défaite péquiste au scrutin de décembre 2005. Plus que la « nuit des longs couteaux » de novembre 1981, ce sont les quatre années de coupures budgétaires et de récession qui expliquent la défaite de 1985.

Bien entendu, le gouvernement péquiste ne fut pas l’unique responsable des déboires économiques et sociaux de la population. La politique monétaire très restrictive de la Banque du Canada mise n place à la même époque pour juguler l’inflation et la diminution drastique des paiements de transferts fédéraux aux provinces expliquent en bonne partie cette réorientation de la gestion des deniers publics par le gouvernement péquiste. Mais la façon dont il a procédé pose problème et s’avère révélatrice du personnage.

Sur le plan social, le réformisme de Lévesque a toujours été très tiède. En raison de l’appui des centrales syndicales et de plusieurs groupes communautaires au projet indépendantiste et la présence d’une masse de militants et militantes de gauche à la base du parti, Lévesque durant toute la décennie 1970 a dû accepter (souvent du bout des lèvres) un programme électoral qui, dans l’ensemble en correspondait guère à ses convictions. Le soutien de ses alliés syndicaux et communautaires était à ce prix.

Mais à partir de 1981, le masque tombe. Le cabinet péquiste était aux prises comme on l’a dit, avec une baisse marqué des ses revenus. Au lieu de négocier avec les centrales syndicales des compressions devenues inévitables dans les circonstances, de les étaler dans le temps, il a plutôt choisi la voie de l’affrontement.

Il s’agissait de tout un retournement de situation, qui s’explique moins par une brutale poussée de franchise de la part de Lévesque que part un véritable volte face politico-social de sa part.

La direction péquiste a rompu avec ses alliés syndicaux et a plutôt essayé de rallier à sa cause les entrepreneurs québécois. Elle a alors révélé sa vraie figure. Si elle a bel et bien réussi à s’aliéner ses alliés naturels (syndicaux et communautaires) elle n’est pas parvenue pour autant à se gagner la plupart des gens d’affaire, ceux-ci préférant la stabilité politique et voulant préserver leurs liens avec les places fortes de la haute finance torontoise et new-yorkaise. Question d’intérêt bien compris !

Certains observateurs-e-s et historien-ne-s estiment que c’est en 1982 que Lévesque et son entourage ont rallié pour de bon ce qu’on commençait alors à qualifier de « néolibéralisme » abandonnant la social démocratie sauf en paroles.

Lorsque son successeur Pierre Marc Johnson déclara en 1985 que la révolution tranquille était bien terminée, il ne faisait que consacrer un état de fait.

Cette évolution n’avait rien de spécifiquement québécois. Ce fut à cette époque que de nombreux partis politiques sociaux-démocrates occidentaux ont amorcé une évolution similaire.

Un éditorialiste du Devoir a fait remarquer avec pertinence vers 1984 que le gouvernement Lévesque était le plus haï par la population depuis celui, libéral, de Louis Alexandre Taschereau durant les années 1930, en raison de son incapacité à juguler les effets dévastateurs de la dépression.

Cette orientation péquiste n,a fait que se confirmer par la suite. Jacques Parizeau, en 1984, a promis une politique authentiquement social démocrate avant le référendum de 1995. Son successeur Lucien Bouchard, ancien ministre conservateur à Ottawa, s’est empressé de remettre les pendules à l’heure. À la suite du nouvel échec de l’option souverainiste de changer enfin de camp si le gouvernement du Québec arrivait à rétablir l’équilibre des finances publiques, l’obsession de la plupart des classes politiques occidentales.

On connaît la suite : encore une fois, coupures budgétaires massives et privatisation formelles ou sournoises. C’est aussi à ce moment qu’une partie notable de la gauche déjà déboussolée depuis quinze ans, a commencé à se ressaisir et s’est regroupée pour fonder Québec Solidaire en 2006.

Le gouvernement a perdu le pouvoir en 2007 et ne l’a jamais retrouvé par la suite, sauf un bref intermède de dix huit mois en 2013-2014 sous Pauline Marois.

Actuellement, le parti et son option paraissent à l’agonie, ce qui constitue le résultat prévisible non seulement de ses déboires constitutionnels mais aussi de l’adhésion de ses directions successives au rétrolibéralisme.

Québec Solidaire a bien repris le flambeau indépendantiste sous Gabriel Nadeau Dubois et Manon Massé. Mais on ignore encore s’il arrivera à la relancer. Les gens qui ont fondé le parti et une partie non négligeable de sa base militante sont avant tout socialistes ou sociaux-démocrates.

Ce qui tient lieu de direction au Parti Québécois répète « que tout est sur la table » (entendre négociable) pour l’éventuel rebond du parti, sauf l’indépendance.

On peut se demander si l’inverse ne serait pas préférable : réinventer en priorité le socialisme démocratique au lieu de faire une fixation suer la souveraineté. Non qu’on doive négliger la question du statut du Québec (dans ou hors le Canada) mais les Québécois et les Québécoises veulent davantage entendre leurs leaders politiques traiter de problèmes sociaux que d’une fort hypothétique accession du Québec à l’indépendance.

Jean François Delisle

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