Édition du 19 novembre 2024

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Québec

IRIS - SÉRIE - Le privé et la santé

La progression du secteur privé en santé au Québec

Fiche 1

Faits saillants

 Le secteur privé connaît une forte progression en santé au Québec depuis une quarantaine d’années. Entre 1979 et 2019, la part du financement privé en santé a crû de 52,6 %. Lorsque mesurée en nombre d’emplois, la part de la prestation privée de services a quant à elle augmenté de 31,2 % entre 1988 et 2019.
 À 15,3 milliards de dollars en 2019, les dépenses privées en santé étaient 7,5 milliards plus élevées que si leur proportion du PIB était toujours celle qui prévalait en 1981.
 Les primes moyennes versées aux assureurs privés par les ménages québécois ont presque doublé entre 2010 et 2019, passant de 613 à 1 144 $ (+ 86,6 %)

Au Québec, la place du secteur privé en santé est au cœur des débats de société depuis bien longtemps. Récemment, la pan démie de COVID-19 a été l’occasion, une fois de plus, de s’inter roger sur les tenants et aboutissants de cet enjeu, notamment dans la foulée de scandales tels que la tragédie de la Résidence Herron à Dorval. Avant de peser les arguments favorables ou défavorables à une présence accrue ou moindre du secteur privé dans la prestation des services de santé, il faut dresser un portrait clair de la situation actuelle et des tendances. C’est ce qu’entend faire cette fiche socioéconomique.

Le privé en santé : définition

Lorsqu’on évoque la part du privé dans le système de santé, on réfère à deux phénomènes distincts. D’une part, le financement privé des services correspond aux dépenses assumées directement par un ménage ou par un assureur privé. D’autre part, la prestation privée de services concerne des soins dispensés dans des établissements privés ou par des travailleurs et des travailleuses qui ne sont pas employé·e·s par un organisme public, peu importe si le coût de ces services est payé par l’État.

Au Québec, le réseau de la santé et des services sociaux fait appel à un grand nombre d’établissements privés, même si le financement des ser vices qu’on y offre est public. C’est le cas par exemple des groupes de médecine familiale (GMF). Ces installations sont très majoritairement privées, mais les services qui y sont offerts sont financés par le régime public. À titre comparatif, les soins de dentisterie sont dispensés princi palement dans des établissements privés et leur financement est privé puisqu’il est assumé, la plupart du temps, directement par les ménages ou par une assurance privée.

Évolution du financement privé au Québec

La place du financement privé au Québec a considérablement augmenté depuis les années 1970. Selon les données de l’Institut canadien d’infor mation sur la santé (ICIS), la part du financement privé était de 17,5 % en 1979. Elle a connu une augmentation constante durant les décennies suivantes et a frôlé les 30 % en 2012. Depuis, la proportion du finance ment privé aurait connu une légère diminution. Il n’en demeure pas moins qu’avant la pandémie de 2020, la part du privé avait augmenté de 52,6 % en 40 ans.

Une baisse soudaine survenue entre 2014 et 2015 s’explique par l’adoption du projet de loi 10 – aussi connu sous le nom de « réforme Barrette » – qui a entraîné une révision importante de la méthodologie dans les calculs des « tendances nationales des dépenses en santé » mesurées par l’ICIS. [1] . La modification apportée introduit une « rupture » dans les données, que nous indiquons par un trait pointillé dans le graphique 1.

Le rythme annuel de croissance des dépenses publiques a néanmoins augmenté plus rapidement (moyenne de 5,3 %) que celui des dépenses privées (moyenne de 2,7 %) entre 2016 et 2019. Par ailleurs, on estime que, pour l’année 2020, les coûts liés à la gestion de la pandémie feront augmenter considérablement les dépenses publiques au Québec (plus de 27 % d’augmentation en une seule année), contribuant à faire diminuer la part des dépenses privées [2] .

Si l’on considère une période plus longue, le Québec n’est pas la seule province où la part des dépenses publiques a diminué avec le temps. Le graphique 2 montre l’évolution des dépenses du secteur public par rapport au total des dépenses de santé dans quatre provinces ainsi que la moyenne canadienne. En 1976, les dépenses publiques corres pondaient en moyenne à 77 % des dépenses totales de santé des pro vinces. En 2019, cette moyenne était de 70,1 %, soit une diminution de 7 points de pourcentage. La chute a été plus abrupte au Québec où la part des dépenses publiques a diminué de 12,3 points de pourcentage entre 1979 et 2012 [3] . Malgré la remontée qu’on observe ensuite, la baisse de la part des dépenses publiques au Québec (-9 points de pourcen tage entre 1979 et 2019) est la plus importante parmi les 4 plus grandes provinces canadiennes.

Le graphique 3 montre la progression des dépenses publiques, des dépenses privées et des dépenses totales en proportion du produit inté rieur brut (PIB). Ces données permettent d’analyser l’évolution de la taille des ressources allouées à la santé dans la société québécoise indépen damment de la taille du budget de l’État. On s’aperçoit certes que les dépenses de santé totales accaparent en 2019 une portion de l’économie plus importante qu’en 1981, mais on constate surtout que c’est la part des dépenses privées qui a progressé plus rapidement, en doublant presque durant cette période.

Or, un point de pourcentage de PIB correspond à des sommes considé rables. En effet, l’évolution des dépenses privées signifie que le finance ment privé, qui s’élevait à 15,3 milliards de dollars en 2019, est 7,5 milliards plus élevé que si la proportion de ces dépenses était toujours celle qui prévalait en 1981.

Réduction de la part d’emplois dans le secteur public

Pour comprendre la place du privé en santé, analyser les sources de finan cement ne suffit pas. Il faut également prendre en compte le mode de pro priété dans lequel évoluent les dispensateurs de soins. Au Québec, il est possible de recevoir un service privé qui sera remboursé par l’assurance maladie publique. L’analyse des taux d’emplois selon les secteurs public ou privé nous renseigne un peu plus sur ce phénomène.

Le nombre de travailleurs et de travailleuses dans le domaine des « soins de santé et assistance sociale » au Québec s’élevait à 606 400 en 2019. Comme le montre le graphique 4, la proportion des travailleurs et des travailleuses de la santé qui exercent dans le secteur privé ou qui sont travailleurs ou travailleuses autonomes a augmenté au fil des décennies. Leur proportion était de 39,8 % en 1987 alors qu’elle atteignait 52,3 % en 2019, soit une augmentation de 31 %.

Cette augmentation s’est effectuée aux dépens du secteur public, dont la proportion a suivi la trajectoire inverse (de 60,2 à 47,7 %). L’embauche accrue de personnel dans le réseau public en raison de la pandémie annonce toutefois une remontée de la proportion d’emplois dans ce sec teur. En 2020, elle était de 50,7 %, en hausse de 3 points de pourcentage.

Quels services entraînent des dépenses privées supplémentaires pour les ménages ?

Au Québec, certains services et biens particuliers font augmenter les dépenses privées en santé. Dans le graphique 5, les données de l’ICIS montrent que plus de 70 % des dépenses privées – donc assumées prin cipalement par des assureurs privés ou directement par les ménages – s’effectuaient en 2019 dans les catégories « médicaments (prescrits ou non prescrits) » (38,6 %) et « autres professionnels » (32,0 %), c’est à-dire les dentistes, optométristes, psychologues, physiothérapeutes, chiropraticiens, etc [4]

Le financement privé s’élevait en 2019 à 5,9 milliards de dollars pour les médicaments et à 4,9 milliards pour les « autres professionnels [5] ». Pour l’ensemble du Canada, on sait que 60,5 % des dépenses privées dans la catégorie « autres professionnels » concernent les services dentaires et 17,9 % les soins de la vue, tandis que les 21,6 % restants englobent tous les autres services [6]. Depuis 1988, la proportion des dépenses privées liées aux deux premiers segments a diminué alors que les dépenses consacrées aux autres services professionnels ont notablement augmenté.

Dans l’ensemble du Canada, la catégorie « autres professionnels » est celle où les dépenses privées sont les plus concentrées. En effet, depuis 1975, elles sont demeurées privées à 90 % environ. Quant à la catégo rie des médicaments, qui était à 85 % privée en 1975, la proportion s’est réduite à 63 %, car des provinces, comme le Québec, se sont dotées d’une assurance publique. [7]

Au Québec, 9,8 milliards de dollars ont été consacrés en 2019 aux médicaments prescrits (8,6 milliards) ou non prescrits (1,2 milliard). Du total des dépenses en médicaments, 60 % ont été réalisées par des assureurs privés ou directement par les ménages [8]

Puisque l’ICIS ne détaille pas la part de chacun, l’enquête sur les dépenses des ménages de Statistique Canada permet de mieux comprendre la part assumée directement par ces derniers. Entre 2010 et 2019, les dépenses annuelles totales des ménages ont augmenté de 27,9 % au Québec. À titre comparatif, les dépenses des ménages québécois en primes d’assurances privées en santé ont crû de 86,6 %, passant de 614 à 1 144 $ par année en moyenne. L’enquête révèle aussi que les dépenses des ménages pour des professionnels de la santé (autres que les médecins) ont augmenté de 79,3 % durant la même période.

Enfin, fait méconnu, le Canada se distingue des autres pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour les sommes payées en assurance « volontaire » privée, c’est-à-dire une assurance qui n’est pas obligatoire et universelle [9] . En effet, les sommes versées pour ce type d’assurance privée au Canada correspondent à 15 % des dépenses totales pour les services de santé, alors que la moyenne pour 26 pays de l’OCDE se situe autour de 5 % [10].

Un financement public sous la moyenne de l’Union européenne

Les données de l’OCDE permettent de mieux situer le niveau de dépenses publiques du Québec en réalisant des comparaisons internationales. Il apparaît d’abord que l’ensemble de ses membres ont connu une trajec toire similaire dans les dernières décennies, notamment en ce qui a trait aux dépenses totales en santé. En effet, les pays de l’OCDE ont vu les coûts de santé croître plus rapidement que le reste de l’économie durant les années 1990 et 2000. Après la volatilité associée à la crise économique de 2008, l’évolution des dépenses de santé s’est davantage alignée sur celle de l’économie [11].

En ce qui a trait à la part des dépenses publiques de santé par rapport aux dépenses totales, la moyenne des 38 pays membres de l’OCDE se situe à 71 %, donc à un niveau très semblable à la proportion canadienne (70,2 %), mais inférieur à la proportion québécoise (73,3 %). Si toutefois, pour éta blir une comparaison entre des systèmes sanitaires qui se ressemblent davantage, on considère les données québécoises uniquement en regard de celles des pays de l’Union européenne [12], la proportion des dépenses publiques est alors pratiquement identique (73,6 %).

Est-ce à dire que la part des dépenses publiques dans le financement de la santé a atteint un niveau optimal ? Non, puisque, si l’on porte notre attention cette fois sur les 10 pays où l’indice de développement humain – un indicateur de qualité de vie créé par le Programme des Nations unies pour le développement – est le plus élevé, la proportion moyenne de dépenses publiques y atteint 77,7 %. Le Québec se retrouve alors, en ce qui a trait à l’importance des dépenses publiques, en dessous du niveau de certains pays qui offrent la meilleure qualité de vie à leurs citoyen·ne·s.

Cette fiche montre que, depuis le tournant des années 1980, le Québec fait de plus en plus appel au secteur privé pour le financement et la prestation des services de santé.


[1INSTITUT CANADIEN D’INFORMATION SUR LA SANTÉ, Tendances des dépenses nationales de santé, 2021, Ottawa, 2021, p. 34

[2INSTITUT CANADIEN D’INFORMATION SUR LA SANTÉ, Base de données sur les dépenses nationales de santé - 2021. Tableau B.3.1.

[3Soit avant le changement méthodologique du milieu des années 2010

[4INSTITUT CANADIEN D’INFORMATION SUR LA SANTÉ, Base de données sur les dépenses nationales de santé - 2021, op. cit. Tableau D.2.5.2.

[5Ibid. Tableau D.2.5.1.

[6bid. Tableau H.1

[7Ibid. Tableau C.2.4.

[8Ibid. Tableau G.1.

[9De l’anglais « voluntary health insurance ».

[10ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES, Health at a Glance 2021 : OECD Indicators, Paris, OECD Publishing, p. 195

[11Ibid., p. 188.

[12Les pays de l’Union européenne membres de l’OCDE.

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