Édition du 25 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Comment se porte la démocratie à Victoriaville ?

Bien que citoyenne de Victoriaville depuis 30 ans, j’avais rarement fréquenté ses assemblées municipales. La lecture régulière du journal local suffisait à me tenir informée de l’actualité sylvifranche. Retraitée de l’enseignement collégial et désirant continuer à m’impliquer dans ma communauté, j’ai décidé, dans la dernière année, d’assister mensuellement aux séances du conseil de ville. J’y ai même pris la parole, pour exprimer mes préoccupations ou encore celles du groupe Sauvons la sablière d’Arthabaska auquel je me suis jointe.

Une lutte écocitoyenne

Je ne présenterai pas tous les motifs de notre opposition au projet d’un promoteur local qui, appuyé par la ville, veut construire sur le site de la sablière d’Arthabaska un quartier résidentiel haut de gamme d’environ 300 logements. Avec nos quelques 1500 sympathisant.es, nous voulions convaincre le maire Antoine Tardif et son conseil de sauver de la destruction cet écosystème fragile, l’un des derniers milieux naturels de notre territoire urbain. C’est un site paisible situé entre un boisé, des marécages et la rivière Nicolet. Il nous semblait urgent de protéger les espèces menacées qui le fréquentent, qu’il s’agisse des hirondelles du rivage, des tortues serpentines ou même des humains qui y trouvent refuge quand le stress devient anxiogène. Autoriser ce développement sous prétexte de contrer la crise du logement nous semblait malhonnête : des logements luxueux, on en a déjà ; c’est de logements abordables dont a besoin la population de Victoriaville. À nos arguments écologiques et sociaux, s’ajoutaient d’autres préoccupations, notamment patrimoniales. Mais surtout, durant cette lutte qui n’est pas encore finie, nous avons fait des constats inquiétants sur l’état de santé de notre démocratie municipale. Des constats peut-être partagés par d’autres citoyen.nes ailleurs en région.

Aucun effort de pédagogie

Imaginez un cours offert le lundi soir, à l’heure du souper, de 18 h à 19 h. Seriez-vous surpris de n’y voir que quelques rares élèves ? C’est d’ordinaire ce qui se passe aux séances du conseil de Victoriaville, quasi-désertes sauf peut-être une fois par décennie, lorsqu’un dossier particulier attire un public plus nombreux.

Que penseriez-vous d’un professeur qui, sachant qu’en cette occasion particulière son cours risque d’être très populaire, prévoit un nombre insuffisant de chaises, obligeant des élèves à s’asseoir par terre durant toute la séance ? C’est ainsi qu’on est accueilli dans la salle du conseil, où l’aménagement des lieux est pensé pour mettre en valeur les élu.es à la télévision, sans trop se soucier du confort de la population.

Entassé derrière la caméra, après le « mot du maire » qui présente d’abord ses récents bons coups au bénéfice des personnes qui n’auraient pas suivi ses nombreux selfies et autres publications d’auto-promotion sur les médias sociaux, le public doit ensuite l’écouter débiter les points de l’ordre du jour. Se succèdent alors des titres aussi passionnants que « Autorisation de dépenser dans le Règlement d’emprunt numéro 1486-2022 (parapluie) » ou que « Adoption d’un projet de résolution PPH 2025-01 concernant un projet particulier d’habitation pour les immeubles situés aux numéros 805-807 et 809, boulevard des Bois-Francs Sud » (titre réel de la résolution qui nous concerne). Comment être intéressé par un menu aussi peu comestible ? Car dans la grande majorité des cas, personne au conseil de ville ne prend la peine d’expliquer de quoi il retourne. Ou alors la greffière murmure qu’il s’agit d’une dépense de 10 385 293 $, et hop ! le sujet est clos. Il semble que la population, chez nous, n’a pas besoin de comprendre les raisons de telle dépense ou de telle décision ; après tout, elle a voté pour ce conseil et doit donc lui faire confiance ! (Quoique plusieurs élu.es, dont le maire lui-même, ont été élu.es sans opposition…) S’il advient, à ce stade-ci, qu’une personne dans l’assistance ait les yeux fermés, c’est qu’elle se sera malencontreusement endormie… Comme il arrive parfois aux étudiant.es durant un interminable cours magistral débité d’un ton monotone.

Absence de transparence et de débat public

Arrive enfin la période de questions ! Et avec elle, espérons-le, un peu d’action ! La population peut s’adresser à son conseil municipal, en fin de séance, à la condition d’avoir préalablement donné à l’agente de sécurité son nom, son adresse et le sujet de son intervention. Pas question d’improviser, de réagir séance tenante aux propos d’un.e élu.e, ni d’émettre un commentaire à saveur éditoriale. Ça prend une question. Courte et claire. Sinon on vous coupe la parole. Vous habitez le quartier no. 3 et voudriez que votre conseiller municipal vous réponde ? N’y pensez même pas. C’est uniquement le maire qui parle. Est-il présumé omniscient ? Le reste du conseil n’a-t-il jamais rien à dire ? On ne veut pas risquer que tel conseiller contredise publiquement le maire ? Allez savoir.

Voilà une citoyenne toute tremblante qui ose courageusement se présenter au micro et à la caméra pour poser sa question soigneusement préparée. Le maire peut l’interrompre à plusieurs reprises. S’il est embêté par la question, s’il n’en approuve pas les sous-entendus ou s’il ne connaît tout simplement pas la réponse, notre maire, jadis joueur de hockey, peut patiner longuement. Il peut aussi lever la séance sur un coup de tête, privant ainsi les citoyen.nes de la seule période où la parole leur est donnée. Ça s’est vu. Chez nous, à Victo. Récemment.

Après cela, notre citoyenne est-elle mieux informée ? Pas nécessairement. A-t-elle pu s’exprimer ? Si peu. Mais HEUREUSEMENT, lorsqu’un sujet est susceptible d’être contesté, la municipalité tient une séance de CONSULTATION PUBLIQUE ! Prenons l’exemple de la dernière en date, à Victoriaville, un lundi à l’heure du souper, bien sûr. Les gens concernés s’y sont présentés et se sont exprimés une heure durant. La greffière a dressé un procès-verbal résumant en une demi-page les propos tenus et l’a transmis au conseil de ville. Car les membres du conseil n’ont pas l’obligation de se présenter à la séance pour écouter le peuple. Ni le maire. A-t-il jugé que LE débat de la décennie dans notre petite ville n’était pas assez important pour qu’il se présente en personne ? Il semble qu’il ait préféré se fier au procès-verbal et aux commentaires qu’ont dû lui faire les deux conseillers présents ainsi que son attaché politique.

On se serait attendu, avant que la décision finale se prenne, à ce que les résultats de cette consultation soient présentés au conseil de ville suivant. À ce qu’on explique pourquoi, malgré une forte opposition citoyenne, les élu.es persistaient à vouloir aller de l’avant. Ou même à ce que le maire sorte de son chapeau un avis favorable du scientifique en chef ou de la directrice du développement durable qui, étrangement, ne se sont jamais prononcés sur le projet. Rien de tout cela ne s’est produit.
La décision finale a été prise à l’assemblée municipale du 3 février. Au point 10.4.1 de l’ordre du jour, le maire a lu le titre de la proposition, que quasi-personne dans l’assistance n’a reconnu (voir le texte du 2e exemple cité plus haut). Aucune proposition n’a été lue. Aucune explication, aucune justification n’a été donnée. Un conseiller a levé le doigt pour proposer. Un autre a levé le sien pour appuyer. Et le maire est passé au point suivant.

Il faut croire que le sujet avait été discuté entre élu.es, en catimini, avant l’assemblée. Aucun débat n’a eu lieu publiquement entre les membres du conseil. Personne n’a demandé le vote puisque personne n’a voulu voter contre. Conséquemment, la décision a été prise à l’unanimité : projet autorisé. Comme ce fut le cas pour TOUTES les décisions prises à Victoriaville dans TOUTES les assemblées des huit derniers mois. On s’y attendait, malheureusement. C’est pourquoi les opposant.es ont quitté sur le champ (et en silence) la salle du conseil.

C’est ça, la démocratie, à Victo ?

Lorsque des citoyen.nes écrivent des lettres d’opinion dans les médias locaux, adressent une pétition au conseil de ville, tiennent une conférence de presse et posent des questions aux séances du conseil ; lorsqu’ils organisent un spectacle de sensibilisation puis manifestent pacifiquement leur opposition en chantant aux élu.es quatre lignes de « Frère Jacques » leur demandant de VOTER, pour une fois, et de voter NON ; lorsqu’ils s’expriment aux assemblées de consultation publique, participent à une manifestation pacifique devant l’hôtel de ville suivie d’une marche au centre-ville, n’ont-ils pas rempli tous leurs devoirs citoyens ? Et quand, malgré tout cela, leurs supposé.es représentant.es les ignorent, peut-on parler de démocratie ? D’autres, en de telles circonstances, auraient envisagé la désobéissance civile…

Vers un parti d’opposition ?

Existe-t-il d’autres villes sans parti d’opposition où se tiennent des débats sains et publics entre les membres du conseil ? Ou alors faut-il, pour redonner de la vigueur à notre démocratie municipale, espérer qu’un parti d’opposition se crée à Victo ? Ne faudrait-il pas encourager la formation d’un parti écocitoyen ayant l’ambition de secouer un peu le « berceau du développement durable » ? Nous faut-il aller jusqu’à susciter des candidatures et mettre les personnes intéressées en contact les un.es avec les autres ? Nous y réfléchissons. Que la population de notre chère Victoriaville y songe aussi.
Sincèrement préoccupé.es, (1501 mots incluant le titre)

Silvie Lemelin. Ont appuyé ce texte :

Gilles Labrosse
Luce Michaud
France Labrecque
Gaël Deguire
Geneviève Doucet
Sophie Harvey
France Martin
Noémie Caron
Gaétan St-Arnaud
Stéphanie Déziel
Luc Couture
Chantale Marcotte
Sophie Beauregard
Manon Leclerc
Marie-Claude Chouinard
Maude Campeau
Nancy Hubert
Bastienne Duncan Châtelain
Juliette Houde
Lucie Cormier
Renaud Vimond
Marie-Soleil Drouin

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