Édition du 17 décembre 2024

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Le Monde

L'islamophobie ou la convergence des haines

Alors que la convergence des luttes est à la peine, l’islamophobie apparaît peu à peu comme le point de cristallisation et de convergence de haines aux origines diverses : défenseurs des thèses d’extrême droite, laïcistes de droite et de "gauche", sionistes radicaux. Et notre devoir de citoyens est de la combattre.

Tiré du blogue de l’auteur.

Nous sommes nombreux à œuvrer pour la convergence des consciences et des luttes. Si nous ne parvenons pas aux résultats escomptés, une autre convergence a lieu sous nous yeux et se révèle, elle, d’une redoutable efficacité : la convergence des haines.

Le point de cristallisation de cette convergence est l’islamophobie, c’est-à-dire l’ensemble des discriminations subies en raison de la croyance réelle ou supposée en la religion musulmane.

Le facteur démultiplicateur de cette haine est d’une part la peur légitime des attentats et d’autre part le rejet illégitime de nos concitoyens de confession musulmane. 

Cette peur est légitime car la France, de Paris à Nice, est frappée de plein fouet par les attentats. Il s’est développé en France, puisque de nombreux terroristes ayant commis ou tenté de commettre des attentats sont français, ce qu’il faut désormais nommer un "terrorisme français". 

Ce rejet est, lui, illégitime car quand bien même ces attentats sont commis au nom de l’islam nos concitoyens musulmans dans leur immense majorité n’ont strictement rien à voir à ces actes odieux.

La thèse de la radicalisation de l’islam (à l’inverse de celle de l’islamisation de la radicalité) laisse penser qu’il n’y a entre l’islam pratiqué par nos concitoyens et les actes terroristes sanguinaires qu’une différence de degrés et non une différence de nature. De l’islam au terrorisme, il n’y aurait qu’un pas à franchir. Nous devons dénoncer avec force l’amalgame abject selon lequel tout maghrébin serait musulman et tout musulman serait un terroriste potentiel. Cet amalgame permet de légitimer et de raviver la vieille haine des arabes sous couvert de lutte contre le terrorisme.

Nous voyons donc converger et s’unir dans le rejet des musulmans trois vecteurs de haine de provenances différentes : les promoteurs des thèses d’extrême droite traditionnelle, des laïcistes de droite et de gauche et des sionistes radicaux.

L’extrême droite tout d’abord, qui, pour recycler sa vieille haine des arabes est prête à mettre de côté son antisémitisme fondateur. Elle trouve dans la peur des attentats non seulement la justification de son racisme anti-arabe mais aussi la légitimation de sa politique migratoire et de la thématique de l’invasion puis du grand remplacement. Les réfugiés sont ainsi des victimes collatérales de cette islamophobie d’extrême droite, puisque sous prétexte que des terroristes se cacheraient parmi les migrants, on justifie la fermeture des frontières.

Les thèses de Renaud Camus ont trouvé dans Soral puis dans Zemmour et Finkielkraut des promoteurs très efficaces. La banalisation des idées d’extrême droite est généralisée. De nombreux leaders de la droite dite républicaine les reprennent à leur compte en toute impunité et les Identitaires, aux actions souvent violentes, s’en abreuvent directement. Surfant sur la peur légitime des attentats, cette extrême droite là n’a plus besoin de parti politique de pointe pour exister. Son corpus idéologique est posé et progressivement accepté, son accès aux grands médias est indéniable, son intégration à la doxa populaire est effective.

Les laïcistes de droite comme de "gauche" (car malheureusement les guillemets s’imposent) font eux aussi feu de tout bois contre l’islam. Sous couvert de défendre de façon intransigeante la laïcité ils en viennent à la dénaturer. Alors que la République française respecte toute les croyances (article 1er de la Constitution) et qu’elle est garante du libre exercice du culte (article 1er de la loi de 1905), les laïcistes vont instrumentaliser la laïcité pour combattre une religion spécifique, l’islam.

Les laïcistes sont en réalité de deux ordres, qui dépassent le clivage droite/gauche : ceux qui travestissent la laïcité pour combattre une religion donnée (l’islam) et ainsi en réaffirmer une autre (le christianisme), on a ainsi vu le député Ciotti déposer un amendement pour inscrire dans la Constitution les racines chrétiennes de la France... Et ceux qui combattent toute forme de religiosité, comme si l’interdiction de tout signe religieux dans l’espace public, quel qu’il soit, suffirait à arrêter les attentats... Cette seconde catégorie défend davantage la sécularisation que la laïcité et ses partisans devraient en réalité être appelés des "sécularistes"...

L’une des victimes collatérales de l’islamophobie laïciste est le féminisme, copieusement instrumentalisé et détourné pour la cause. Les propos d’Elisabeth Badinter en sont la sinistre démonstration...

Le sionisme radical (à défaut d’une meilleure dénomination) vient compléter ce sombre tableau, voyant là un moyen détourné de justifier l’occupation militaire de la bande de Gaza. La haine du sioniste à l’égard de l’arabe trouve dans la peur du terrorisme un exutoire inespéré. La survie d’Israël dépend pour les sionistes radicaux de la diabolisation de l’islam, notamment dans les pays comme la France. 

Victime collatérale de cette islamophobie sioniste, l’antisionisme politique peine à exister : ce sionisme là se nourrit de l’amalgame entre judaïsme et sionisme en tentant de disqualifier tout argument antisioniste en taxant son auteur d’antisémitisme. 

Alors que l’on peut saluer le fait qu’Emmanuel Macron n’ait jamais versé dans l’islamophobie, son amalgame entre antisionisme et antisémitisme est désastreux. 

L’instrumentalisation politique de la shoah se poursuit sans fin et se métamorphose à son tour. 

L’une des constantes commune aux différents vecteurs de haine est le fait de passer bien plus de temps à lancer des anathèmes et jeter l’opprobre sur des ennemis potentiels qu’à combattre les ennemis déclarés, c’est-à-dire le terrorisme proprement dit. Et ces ennemis potentiels sont ceux qui pourraient être en réalité des terroristes (les musulmans, les réfugiés) mais aussi ceux qui seraient des traîtres car des soutiens de cette islamisation rampante : les islamo-gauchistes, ceux que, dans son livre de campagne, François Fillon nommaient les "collaborateurs". 

Traité bien souvent d’islamogauchiste, j’ai vu les insultes à mon encontre redoubler de virulence lorsque j’ai remis en cause l’une des cautions intellectuelles de cette convergence des haines : Alain Finkielkraut, paré de ses beaux habits d’académicien et des ors de la République. 

Le maintien du statut d’académicien de celui que reprend à son compte la catégorisation des citoyens en "français de souche" et "non souchiens" et la théorie du grand remplacement contribue à la banalisation de ces thèses.

A la suite d’une pétition lancée pour sa destitution de l’Académie Française (lire ici), j’ai reçu un flot d’insultes à la fois des identitaires d’extrême droite et à la fois de sionistes me reprochant d’être un "mauvais juif", un "traître", un "renégat", un "kapo"... (lire ici). Les laïcistes de gauche, eux, se sont contentés de quelques reproches sur la thématique de la défense de la liberté d’expression... du moment, encore une fois, qu’elle permet de dénigrer l’islam.

La figure institutionalisée de Finkielkraut déversant son islamophobie dans tous les grands médias apparaît bien alors comme une clef de voûte de cette convergence des haines.

En définitive, pendant que certains ergottent encore sur le mot islamophobie, la réalité qu’il désigne, à savoir les discriminations subies par toute personne supposée musulmane, insultes verbales et agressions physiques, ne peut être niée. Cette discrimination là constitue le point de convergences des haines d’extrême droite, laïcistes et sionistes. Et le devoir de tout citoyen oeuvrant pour le vivre ensemble et la solidarité est de la combattre.

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