Ce texte a été publié dans la revue Gauche socialiste, Été 1984.
Mais il y a un au-delà du spectacle. Il y a des discours tenus par ce pape. Il y a un enjeu politique à ce voyage. On ne peut se contenter d’en rire ou de s’en désoler. Quel est le sens de la tournée du pontifiant globe-trotter ?.
L’Église catholique, une institution réactionnaire en crise
L’Église catholique est une institution en crise. Le vieillissement des effectifs, la diminution de la pratique religieuse surtout chez les jeunes, l’âge élevé des prêtres, la diminution du nombre de prêtres, de religieux et de religieuses, la minceur de la relève sont un ensemble d’indices qui ne trompent pas. L’Église est moins forte. Tous les discours comme quoi la qualité a fait place à la quantité est une piètre consolation pour une institution à vocation hégémonique comme l’Église de Rome.
Au fondement de cette crise, on retrouve les difficultés de cette institution à s’adapter aux transformations du capitalisme. Cela ne pas de date donc pas d’hier… L’Église a sans cesse été obligée de faire des concessions : abandon du soutien aux forces féodales, adaptation à l’État capitaliste libéral, adaptation développement des sciences physiques, biologiques…
À l’époque du capitalisme impérialiste, cette crise s’est aggravée car elle a dû s’adapter à des bouleversements radicaux de la structure de classe : industrialisation massive, décomposition des classes agricoles et urbanisation avec toutes ses conséquences sur les transformations des rapports sociaux et des systèmes de valeurs qui les recouvrent et les renforcent. Intellectuel traditionnel de la paysannerie, l’Église catholique a dû s’adapter à un monde capitaliste urbanisé où la famille nucléaire était mise à rude épreuve, et où l’encadrement de la masse des fidèles devenait de plus en plus difficile.
Le concile Vatican de constituait une tentative d’adaptation à ces bouleversements radicaux, une tentative timide. On adaptait les formes du culte pour les rendre plus compréhensible à la masse des fidèles, – messes dans les langues vivantes – ; on laissait des portes ouvertes à certaines innovations niveau des formes liturgiques. On ouvrait la porte au renforcement de rapports œcuméniques avec les autres églises. Après Vatican II, on a vu des évêques noirs ou asiatiques, on a toléré les prêtre-ouvriers et fait la messe en jazz pour plaire aux jeunes.
Cela n’allait pas sans provoquer une réaction de l’aile intégriste de l’Église qui voyait dans ces accommodements moléculaires à la modernité le sacrifice du caractère sacré et éternel du culte… D’autant plus que les expériences de la base ont eu tendance à diversifier les données des pratiques religieuses et à morceler le bloc idéologique Église fidèles.
Ces adaptations de l’église catholique au monde moderne devaient offrir un terrain propice au développement de la multiplicité des églises au sein de l’Église catholique. Mais ce sont en fait le renforcement des luttes des travailleurs et les travailleuses, celles des jeunes, le développement du mouvement des femmes et la montée des luttes de libération nationale qui devaient introduire toute une série de contradictions nouvelles au sein de l’Église catholique.
Paul VI n’a pas abordé de front ces nouvelles contradictions. Il a été le pape de la saine gestion. Jean-Paul I a été une simple erreur de tactique au conclave.
Jean-Paul II, pape de la reprise en main de l’Église de Rome
Jean-Paul II veut en finir avec les divisions dans l’Église, avec les expériences originales. Il souligne son attachement au chapelet, à la liturgie traditionnelle, aux costumes traditionnels, à la dévotion à la vierge Marie. Le maintien de la cohésion idéologique de l’Église implique : a) le renforcement de l’unité doctrinale ; b) l’homogénéisation des pratiques d’habitude, culte ; c) la lutte pour la défense du caractère patriarcal de l’Église contre les aspirations des femmes à l’égalité ; d) la répression de la tendance à la formation de religions propres aux différents groupes sociaux ; e) la lutte contre la tendance au fractionnement de l’Église catholique en Églises nationales.
Jean-Paul II condamne donc vigoureusement le divorce, l’homosexualité, l’avortement, l’euthanasie, l’ordination des femmes à la prêtrise. Il condamne l’Église populaire… Jean-Paul II loue l’obéissance, la discipline et la piété mariale… Jean-Paul II s’associe à l’Opus Dei et tente de soumettre les Jésuites et les Dominicains. L’offensive de Jean-Paul II cadre tout à fait avec l’offensive idéologique de Reagan et de la nouvelle droite américaine (la « Moral Majority »). Elle vise à mettre le même but, renforcer les valeurs traditionnelles et les forces réactionnaires.
Jean-Paul II s’attaque aux femmes
Jean-Paul II s’attaque aux revendications des femmes. Il fait campagne contre l’avortement libre, contrôle des femmes sur leur propre corps. L’Église catholique a toujours prétendu à ce rôle : pas de sexualité pré-conjugale, culte de la virginité prénuptiale, culte de la fidélité conjugale, opposition à la contraception « artificielle ». Mais de quoi se mêle le pape, chef de file de cette gérontocratie patriarcale et sexisme qu’est l’Église de Rome. Le pape réclame son mouvement d’antan, d’avant le mouvement des femmes quand l’Église avait beau jeu d’imposer ses politiques visant à exproprier les femmes du contrôle de leur propre corps.
Sur la question des femmes le pape n’innove pas. Au XIXe siècle, la papauté dénonçait comme immoral le travail des ouvrières. Après la crise de 1929, L’Église a applaudi quand l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie interdisent l’emploi des femmes mariées. Tous les textes ultérieurs insistent sur le rôle primordial des femmes, la maternité, et n’admettent le travail que s’il ne gêne pas ce rôle.
Et le pape continue cette tradition de vouloir contrôler le corps des femmes. En Italie, il a violemment dénoncé la loi libéralisant l’avortement. Lors de sa visite en Espagne, il a condamné la législation libéralisant le divorce et la contraception. Aux États-Unis, il a entonné la même chanson.
L’Église de Jean-Paul II est une institution patriarcale, sexiste et antisexuelle. Elle ne veut pas faire des concessions significatives aux femmes : la prêtrise, les femmes n’y auraient pas droit ? Pourquoi ? Les arguments théologiques ne savent pas masquer l’horrible misogynie qui étreint la Curie.
Jean-Paul II condamne les Églises populaires.
Le pape de Jean-Paul II n’aime pas les Églises populaires. Il n’aime pas que les religieux et religieuses de l’Église catholique s’associent trop étroitement aux luttes de libération nationale. Lors de son voyage au Nicaragua, il a condamné l’Église populaire et lui a demandé de se soumettre aux évêques qui jouent au Nicaragua le rôle de porte-parole de la bourgeoisie. Au Salvador, o ; a serréla main des dirigeants d’une des dictatures les plus sanglantes de l’histoire. Il a soutenu la farce avec par qui se préparait alors pour le 24 mars 84 et a donné son aval à cette manœuvre directement téléguidée par l’impérialisme américain.
Au Honduras, il a repris à son propre compte le mythe qui explique les conflits en Amérique centrale à partir des ingérences extérieures. Aux Philippines, il était accueilli par le dictateur Marcos. Le gouvernement antidémocratique de Corée du sud, célèbre pour les massacres de la population refusant le jour de cette dictature, était l’hôte de Jean-Paul II. Ce dernier s’empressait de demander aux parents des victimes des massacres de pardonner à leurs bourreaux.
Jean-Paul II condamne les Églises populaires, les rappels à l’ordre, à la discipline. Il appelle les prêtes à se retirer du combat politique contre les dictatures… Jean-Paul II et Reagan sont comme des larrons en foire. Et les discours lénifiants du pape cachent de moins en moins cette triste réalité…
Même dans les pays où l’Église ne s’est pas divisée entre une Église populaire et une Église hiérarchique. Il y a certains épiscopats qui ont fait de très sérieux pas pour se rapprocher des besoins populaires. Ces églises sont aussi à mettre au pas pour le patron de choc du Vatican.
À l’Est, le pape n’appelle pas son clergé à ne pas faire de politique
L’Église catholique de Pologne a développé son influence car elle a su à être la gardienne de l’identité nationale du peuple polonais et se poser comme une force d’opposition semi-officielle et être le seul canal dans lequel a pu s’exprimer légalement le mécontentement populaire. Mais il serait faux de croire que l’Église polonaise est homogène et monolithique. Il y a des secteurs qui sont liés étroitement aux luttes des masses et il y a des secteurs liés étroitement à la hiérarchie.
Lorsqu’il s’est agi d’élargir l’espace de l’Église dans la société polonaise, le pape ne s’est pas gêné pour développer l’activité politique de l’Église. Mais si le Vatican est prêt à mousser certaines mobilisations, il prend bien soin de ménager les possibilités de consensus avec la bureaucratie polonaise et la hiérarchie catholique appuyée par le Vatican n’a pas poussé à la confrontation entre la classe ouvrière et que le pouvoir bureaucratique. Les appels à l’entente nationale de Monseigneur Klemp entre le peuple chrétien de Pologne et la bureaucratie n’est pas une initiative personnelle. C’est là la politique du Vatican. Ce dernier a appuyé et continue d’appuyer le gouvernement de Varsovie.
Voyage de Jean-Paul II au Québec et au Canada
Le pape popstar Jean-Paul II donnera des spectacles. De vastes spectacles. Il tiendra ses ses discours habituels contre le droit l’avortement, pour l’unité de l’Église. Il rappellera sans doute le soutien qu’il a donné à la mission de paix de Trudeau, opération démagogique et mensongère grâce à laquelle Trudeau voulait se faire passer pour un pèlerin de la paix au moment même où se préparaient les essais des missiles Cruise en terre canadienne. Le pape se fera le défenseur de l’unité canadienne contre l’indépendance du Québec. Le pape a déjà déclaré : « par l’origine, par la langue, les mentalités, les intérêts locaux et certaines structures propres aux provinces qu’il est (les Canadiens) étaient tous appelés, dans la confédération, à rechercher le bien commun nécessaire à l’ensemble et à adopter les mêmes engagements vis-à-vis de l’extérieur ». Il appellera de ses vœux la dépolitisation de l’Église du Canada. Les dernières déclarations des évêques sur la crise économique sont beaucoup trop osées pour un pape conservateur. Il soulignera l’importance pour le Québec de conserver le confessionnalisme dans les écoles. Ce sera là l’essentiel de son message politique. Il comptera sur l’appareil de l’Église pour mobiliser derrière ses discours toute la mouvance des groupes réactionnaires qui se couvriront de l’autorité pontificale pour s’attaquer aux droits des femmes, déjà, des Québécoises et des Québécois
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L’orgie des moyens utilisés pour faire la tournée de Jean-Paul II un événement grandiose n’est pas innocent. Les gouvernements n’investissent pas des centaines de millions de dollars pour rien dans l’opération. À l’heure où ils mènent une offensive à fond de train contre les acquis les travailleurs et travailleuses, des femmes, des jeunes, des Québécois et les Québécoises, l’apport idéologique de Jean-Paul II à cette offensive n’est pas négligeable et le gouvernement ne la néglige pas.
Laisser faire et laisser braire… Non jamais
Va-t-on laisser faire ce pèlerin du « law and order » sans rien dire ? Va-t-on se laisser intimider par l’impressionnant dispositif de sécurité qui veut faire taire toute expression de dissidence ? Va-t-on faire le choix de certains groupes ouvriers chrétiens qui préfèrent faire le dos rond et laisser passer l’orage pour de multiples prétextes tactiques ?
On ne se taira pas. Un pape reaganien siège au Vatican. Son discours est anti-ouvrier, anti-populaire et anti-femmes. Il faut savoir le dire, l’écrire et le crier. Les expériences des États-Unis, de l’Autriche et de la Suisse nous indiquent la voie. Il faut s’organiser pour dire tout haut ce que des dizaines sinon des centaines de milliers pensent tout bas, que le message papal va l’encontre des mouvements sociaux les plus progressistes de notre société, qu’il est inacceptable qu’on essaie de nous manipuler de cette façon. Il faut montrer que les jeunes, les femmes, les travailleurs et travailleuses refusent les discours reaganiens qu’ils soient ou non servis à la sauce pontificale.
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