Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections Québec 2014

Faut-il en finir avec l’indépendance ?

Coup de boomerang dans un sens bien prévisible : la sévère défaite du PQ aux élections provinciales d’avril 2014 est en train de stimuler un vrai remue-méninges politique ramènant toutes les grandes questions sur la table, et d’abord celle de la pertinence de continuer à se battre pour l’indépendance du Québec. Question d’autant plus décisive que QS en a fait un axe majeur de son intervention lors de la dernière campagne électorale, ne craignant pas de se proclamer haut et fort souverainiste, partisan d’un Québec libre. A-t-on donc raison, quand on se veut de gauche, de persister dans cette direction ? Ne s’agirait-il pas d’un idéal aujourd’hui dépassé ?

En fait c’est d’un peu partout que sourdent les interrogations, tant du côté des observateurs de la scène politique que de certaines ténors souverainistes. Ainsi Gérard Bouchard s’interroge sur « le cul de sac » dans lequel se trouve « pour un bon bout de temps » le PQ avec son article 1 qui a « du plomb dans l’aile », pendant que Louise Beaudoin se demande si « l’idée d’indépendance n’a pas été celle d’une génération », ayant échoué « à transmettre le goût du pays aux jeunes ». De son côté Michel David enfonce le clou en rappelant que selon plusieurs sondages ce serait d’abord la jeunesse qui ne mordrait plus à l’hameçon souverainiste. Et Hernan Guay y va d’un verdict encore plus sévère, jugeant que la défaite du PQ n’est pas que « circonstancielle », mais « structurelle », et que « la souveraineté n’est plus l’enjeu des Québécois ».

De là à en conclure que l’indépendance est chose du passé –ce que néanmoins aucun de ces commentateurs ne s’aventure à affirmer comme tel— il n’y a qu’un pas ; un pas que sans doute bien des partisans de la CAQ ou du PLQ n’hésiteront pas à franchir, voyant dans tous ces questionnements une justification de plus à leur déni de reconnaître l’importance de la question nationale québécoise.

Mais justement, ne pourrait-on pas faire ici, loin de tout esprit étroitement partisan, quelques nuances décisives ? Car d’évidence, si les résultats des dernières élections ont d’abord été l’expression d’une défaite du PQ, il faut tout de suite se demander si la cause en revient à l’idée même d’indépendance, ou plutôt à une stratégie usée et schizophrénique, soufflant non seulement le chaud et le froid quant à un hypothétique référendum, mais encore ne se trouvant plus en phase avec les nouveaux enjeux nés de la mondialisation néolibérale. En somme il faut pouvoir distinguer entre le projet de fond de l’indépendance et la stratégie mise en place pour y parvenir, entre l’objectif de souveraineté et le parti qui peut en être le véhicule.

Un projet d’indépendance qui a fondamentalement changé

Bien sûr le projet péquiste est daté, historiquement parlant. Il est né dans une période faste où dans le sillage d’une Révolution tranquille aux accents clairement progressistes et ouverts sur le monde, l’on aspirait à être « maître chez nous ». Aussi le PQ n’a-t-il fait que donner une forme politique à un vaste mouvement d’émancipation qui sourdait de la société entière, en l’orientant autour de la construction d’un État de type keynésien et de l’objectif de l’affirmation de la souveraineté politique d’un peuple, le peuple du Québec, qui à l’instar du peuple de Porto Rico restait le seul peuple des Amériques d’origine européenne à ne pas avoir obtenu son indépendance au 19ième siècle.

Or c’est ce projet qui, ayant à l’époque drainé le meilleur de tout ce que le Québec connaissait, va au fil des 2 défaites référendaires (1980/1995) et du contexte néolibéral des années 90, se réduire comme peau de chagrin. À ne plus être que l’ombre de lui-même et donner l’impression qu’il a perdu son âme ! D’autant plus que ce sont quelques-uns des tenors d’alors du PQ qui vont présider à sa transformation, en le poussant —loin de son fameux préjugé favorable aux travailleurs des années 70— à non seulement adopter un à un tous les pseudos remèdes économiques néolibéraux, mais encore à se doter d’une approche identitaire chaque fois plus marquée. Ce qui fait qu’aujourd’hui, ni le projet de souveraineté, ni le parti qui le portait, ne sont les mêmes. Et cela, même si c’est la même génération qui l’a fondé et qui aujourd’hui en contrôle encore une bonne partie du devenir.

Des avancées incertaines et remises en question

Il est vrai qu’au-delà même de ces échecs politiques et des transformations substantielles du PQ, le Québec a depuis 50 ans beaucoup changé et a pu acquérir un plus grand contrôle sur ses ressources comme mieux affirmer son identité culturelle. Pensons ne serait-ce qu’ à la constitution du réseau des Cegep, des universités ou encore à la loi 101 ! Indéniablement il y a eu des avancées d’autant plus que le modèle keynésien –à l’époque si en vogue !— a permis de stimuler au Québec un développement économique plus auto-centré, donnant naissance ou surcroit de vigueur dans l’ombre protectrice de l’État provincial et d’une fonction publique en plein essor, à de riches et dynamiques entreprises québécoises.

Mais si les écarts d’ordre économique ont ainsi diminué avec les provinces plus riches du Canada et si le Québec se trouve globalement dans meilleure posture que dans les années 60, il n’en a pas pour autant réussi à pleinement s’affirmer comme nation souveraine. Il reste, en 2014, soumis encore à une indéniable tutelle politique de la part de l’État fédéral, lui déniant le droit de pouvoir s’auto-déterminer et de décider par lui-même de la totalité de ses lois, traités et impôts. Plus encore dans le contexte de la globalisation néolibérale, de la constitution de grands marchés continentaux (ALENA, etc.) et de la reprimarisation de l’économie canadienne (autour de l’expoitation du pétrole et de l’extactivisme minier), les instruments tant économiques que politiques qu’ils avait pu malgré tout se forger pour s’affirmer en tant que peuple plus autonome, sont en train à leur tour de se déliter, le renvoyant peu à peu vers de nouvelles formes de dépendance et de désappropriation ; des formes propres à la mondialisation néolibérale contemporaine.

L’intérêt de l’indépendance

Et c’est là où git sans doute l’intérêt d’une lutte pour l’indépendance nationale au 21ième siècle : en s’appuyant sur la puissance publique que peut représenter un État à l’heure du libre marché généralisé, et en cherchant à l’investir des aspirations démocratiques de tout un peuple, elle donne à ce dernier les moyens de reprendre du contrôle sur sa propre vie, de faire en somme l’expérience d’une authentique souveraineté collective. Car l’indépendance n’est pas qu’une affaire de drapeau, de passeport et de nouvelles frontières. C’est parce qu’un peuple veut en finir avec de situations de tutelle jugées illégitimes, qu’il aspire à décider des lois auxquelles il veut librement se soumettre, qu’il lutte donc pour l’indépendance et le droit à l’auto-détermination. La souveraineté, c’est donc toujours une quête « d’autonomie », au sens fort du terme, c’est-à-dire une volonté de se donner à soi « sa propre loi ». Et cela, pour disposer de « son propre gouvernement » et avoir ainsi mieux prise sur son destin et ses propres conditions d’existence.
Or à l’heure du « tout au marché néolibéral », à l’heure du tournant pétrolier, à l’heure des coupures, des hausses de taxe et de l’austérité promue par les élites. À l’heure où justement tant de décisions sont prises par une poignée d’experts et de grands financiers (pensez aux derniers accords de libre-échange Canada/Europe !), cette exigence populaire reste pleinement d’actualité. Surtout si l’on croit en la démocratie prise au sens fort du terme, à cette idée d’un « pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple », au sein duquel « nul n’aurait le privilège de gouverner », ni les riches, ni les bien nés, ni les experts.
Car cette indépendance enfin conquise, c’est précisément à cela qu’elle devrait servir : permettre au peuple, non pas seulement de « décider d’avoir un pays », mais aussi et surtout de « décider du pays qu’on veut avoir » : pays d’égalité, de justice sociale, de respect de l’environnement, d’ouverture sur le monde ! Pourquoi, quand on appartient aux secteurs populaires, se choisirait-on un pays autrement ?

La richesse du projet de QS

On mesure mieux ainsi toute la richesse de la démarche de QS qui en pensant la souveraineté à travers la mise en place d’une constituante et en concevant cette dernière comme une exercice de souveraineté populaire en acte, s’inscrit pleinement dans cette lutte au déficit démocratique et dans cette volonté de « démocratiser la démocratie » si caractéristique des aspirations de ceux et celles qui se trouvent chaque fois plus confrontés aux mécanismes de "désappropriation" sociale, économique et politique alimentés par le néolibéralisme. En ce sens loin d’être un idéal du passé, la lutte pour l’indépendance peut-être dans le cas du Québec, une des indispensables clés pour penser son avenir.

Encore faut-il se donner les moyens de la penser dans toutes ses dimensions et loin de tout repli séparatiste ou "provincialiste" : une tâche passionnante qui nous convie d’ores et déjà à ne pas en abandonner l’idée. Comme une certitude !

Pierre Mouterde
Sociologue essayiste

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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