Marqué par un retour en force des libéraux et une déconfiture sans précédent du Parti québécois, le verdict des urnes illustre à sa façon des préoccupations réelles de la classe ouvrière. Les militant-e-s et sympathisant-e-s socialistes devront savoir composer avec.
Si le raz-de-marée en faveur du PLQ est indéniable et aura surpris, sinon déconcerté bien des progressistes, le sens de ce spectaculaire « retour aux affaires » d’un parti dont les commentateurs politiques ne donnaient pas cher la tonne il y a encore quelques mois reste à nuancer. Difficile en effet de ne pas comprendre d’abord ce recours au vote libéral comme un rejet massif et sans précédent du virage identitaire et droitier du PQ, sorti en lambeaux d’un scrutin que les péquistes mettront assurément du temps à digérer et analyser.
Bien qu’il faille les aborder avec les précautions d’usage, certains sondages publiés lors de la campagne illustrent bien le cynisme affiché par nombre de votant-e-s lors de cette élection. Ainsi, tout en admettant sans ambiguïtés la corruption inhérente au parti libéral, une proportion non négligeable des électeurs et électrices était malgré tout prête à lui accorder son vote, qu’on serait alors téméraire d’assimiler à une quelconque motion de confiance quant à la « bonne gestion des affaires publiques ». C’est comme si bien des citoyen-ne-s, écoeuré-e-s par le gouvernement Marois, et plus encore par la campagne électorale, préféraient encore la constance dans la médiocrité d’un PLQ notoirement et publiquement véreux, aux convulsions électoralistes et au gouvernement basé sur les sondages d’un PQ aux abois, prêt à tout pour engranger des voix qui ne cessaient de lui échapper.
On a déjà largement épilogué sur l’irruption de Pierre-Karl Péladeau (et son geste) comme tournant dans la campagne. Il aurait effarouché les soutiens les plus craintifs du PQ par ses velléités indépendantistes ostentatoires. Par contre, on a sans doute sous-estimé le sens politique plus profond de l’irruption du milliardaire-casseur-de-grève à l’avant-scène des cadors péquistes. Ce recordman des lock-outs, dont la carrière s’est construite en foulant aux pieds les intérêts de milliers de travailleurs et travailleuses n’hésitait pas, le soir du 7 avril, à parler de la solidarité comme d’une valeur cardinale du Québec. Un double-discours obscène mais représentatif d’une certaine élite, qui a sans aucun doute lourdement contribué à éloigner pour de bon des travailleurs et travailleuses auparavant sensibles à la fibre sociale-démocrate du PQ des débuts. Enfin, la peur du changement inhérente au projet indépendantiste a sans doute fait en sorte que la bourgeoisie a préféré opter pour l’originale PLQ / CAQ à la copie. Ce virage à droite a au moins eu le don d’illustrer de manière pratique les choix politiques d’un parti et d’une élite pour qui le Québec semble plus que jamais synonyme de capitalisme néo-libéral à la sauce québécoise. En clair, le buffet est ouvert.
Notons au passage que la gifle électorale portée au PQ est aussi un revers cuisant pour la charte des valeurs, projet central d’un parti qui espérait bien faire prospérer le sentiment national sur le dos des minorités et par la division des travailleurs. Même si la perspective de quatre années de gouvernance libérale majoritaire peut légitimement inquiéter, on peut se féliciter que cette tentative pitoyable de flatter l’électorat islamophobe, avec l’alibi d’un laïcité punitive, ait connu un coup d’arrêt. Dans un contexte mondial, où notamment en Europe, les partis de droite et d’extrême-droite surfent de plus en plus ouvertement sur le rejet de l’étranger, notamment musulman, il est de bon augure pour la classe ouvrière québécoise que cette tentative d’exporter ici des fantasmes de péril islamique ait été ainsi sanctionné.
Désormais mis en minorité et privé de leader, le PQ aura rapidement à choisir entre la prise en compte des leçons imposées par les urnes quant à son positionnement politique et au sens de son projet de « souveraineté ». Les premiers relents de campagne pour la chefferie ayant été initiés le soir même de la défaite, par Drainville, PKP et Lisée, en dit beaucoup sur la culture politique au PQ et à sa réputation de partie « chicanier ». Cela semble indiquer une possible fuite en avant par rapport aux thèmes identitaires et droitiers chers aux « purs et durs ».
À nous militant-e-s et sympathisant-e-s de gauche, de continuer à dénoncer sans relâche les trahisons et mensonges du PQ, tout en portant avec force le projet d’un Québec des travailleurs, à la fois souverain et inclusif. À nous également de nous confronter avec force à la propagande patronale d’un gouvernement libéral qui, s’il a essentiellement fait campagne pour le rejet du PQ, n’a d’autres perspectives à offrir que celle d’une austérité, aussi désastreuse pour les plus pauvres que bien commode pour les actionnaires et la bourgeoisie, québécoise ou canadienne.
Ce scrutin faisait aussi office de test pour Québec solidaire, après une élection de 2012 en demie-teinte. Même si les résultats concrets et le mode de scrutin actuel (de type uninominal à un tour, territorialisé) ne permettent pas de se réjouir outre-mesure, on ne peut que se féliciter de constater une adhésion en hausse du point de vue des votes et du pourcentage des voies, en plus de célébrer les vraies percées du seul parti de gauche au Québec.
Alors que le projet de la souveraineté était un peu rapidement enterré par certains, voyant le PQ humilié, le soutien affiché par un nombre de plus en plus fort de travailleurs et travailleuses prouve plus que jamais l’adhésion au projet d’un Québec progressiste et souverain, d’un Québec solidaire. Si ces soutiens demandent encore à être largement multipliés par la suite et que le type de mode de scrutin empêche un juste report des voix à l’Assemblée, le succès grandissant rencontré par QS prouve l’intérêt de l’implication militante en son sein et constitue un réel pôle d’espoir dans une élection un brin décourageante pour la classe ouvrière.
Difficile également de ne pas voir l’intérêt accordé par de plus en plus de travailleurs et travailleuses envers QS comme un discrédit de la stratégie de boycott des élections portée par certains groupes militants. Lorsque ceux-ci préfèrent éviter l’espace de débat réel ouvert en campagne, comme dans les syndicats, les entreprises, les médias et à l’Assemblée, nous estimons qu’il est plus constructif de se confronter de façon concrète aux attentes et espoirs de notre camp social, sans ménager la critique constructive également lorsque cela est utile. Alors que les joutes politiques inspirent toujours davantage de cynisme et de résignation auprès des citoyens et citoyennes, nous croyons qu’il est de notre devoir de porter une alternative sociale, souverainiste, écologiste et féministe à la fois lors des échéances électorales et dans la rue. Au-delà des principes affichés par les partisans du boycott, il nous faut prendre en compte la réalité du reflux du sentiment d’appartenance sociale et ne pas laisser le champ libre à la seule rhétorique libérale et bourgeoise. Il faut occuper l’espace politique, qu’il soit libéral ou péquiste !