Édition du 17 décembre 2024

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Environnement

Expansion du réseau d’Énergir : une réflexion s’impose

DES UNIVERSITAIRES / Alors que s’achevait récemment la dernière session parlementaire de 2021, l’heure est aux bilans en matière énergétique. Si le gouvernement a finalement accepté de renoncer au projet de GNL Québec tel qu’annoncé le 21 juillet, puis s’est récemment engagé à bannir l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures en sol québécois, nous sommes en droit d’exiger plus de cohérence dans nos politiques énergétiques et un meilleur alignement sur nos engagements de réduction des gaz à effet de serre.

Colin Pratte, Bernard Bourget, Marc Brullemans, Marie Saint-Arnaud, Bernard Saulnier et Lucie Sauvé
Comité de coordination du Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques au Québec

En effet, force est de constater que le gouvernement continue à prétendre, contre toute analyse scientifique crédible, que le gaz fossile est une énergie de transition et à soutenir activement l’expansion du réseau d’Énergir. Ainsi, dans son budget 2021-2022, publié en mars dernier, on apprenait que Québec comptait injecter 10 millions $ de fonds publics pour soutenir l’extension du réseau de distribution par gazoducs dans la province et 20 millions pour le développement de projets d’approvisionnement en gaz naturel liquéfié dans les régions nordiques. De plus, on apprenait en juillet dernier, la conclusion d’un partenariat entre Énergir et Hydro-Québec pour encourager le recours à la biénergie, ce dossier étant présentement à l’étude devant la Régie de l’énergie.

Ces subventions et partenariats annoncés en faveur d’Énergir nous invitent à nous questionner sur les enjeux associés à l’expansion de l’industrie du gaz au Québec. Malgré un modèle d’affaires largement fondé sur la vente d’une énergie fossile provenant de l’Ouest et du Sud, dont les coûts sociaux et environnementaux plombent l’émergence du nécessaire virage énergétique, comment Énergir peut-elle parvenir à convaincre le gouvernement du bienfondé de l’expansion de son réseau de distribution ? Comment peut-elle aussi convaincre Hydro-Québec de contribuer à la soutenir financièrement, et ce, pour des décennies ?

Lobbying et écoblanchiment

Énergir compte sur une armada de lobbyistes pour persuader le gouvernement que le gaz fossile est une « énergie de transition ». Pourtant, une abondante littérature scientifique parvient à des conclusions contraires, démontrant que le gaz dit « naturel » obtenu principalement par fracturation hydraulique a un bilan carbone qui peut être aussi lourd que les énergies fossiles auxquelles on prétend le substituer avantageusement. Rappelons que le principal constituant du gaz naturel, le méthane, est le second gaz à effet de serre en importance. Les fuites de méthane tout au long de la chaîne de production et de distribution contribuent au réchauffement planétaire, alors que, selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement, réduire de 45 % les émissions de méthane d’ici 2030 permettrait d’éviter 0,3 °C supplémentaire en 2040, tout en améliorant la qualité de l’air.

Or, pour justifier le développement de son réseau de distribution, Énergir déploie un autre argument, toujours dans le registre de l’écoblanchiment, celui du gaz naturel dit renouvelable (GNR) qui pourrait éventuellement remplacer une bonne partie du gaz fossile de fracturation importé et distribué dans son réseau, et dont l’apport est souhaité, entre autres, pour le déploiement massif de la production d’hydrogène vert. Pourtant, le potentiel réel de production de gaz naturel renouvelable — par biométhanisation des résidus organiques — est estimé par les spécialistes du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles à un maigre 2% de la consommation québécoise de gaz. Le Plan pour une économie verte divulgué par le gouvernement du Québec avance, pour sa part, une cible de 10% de GNR en 2030. Malgré tout, cet argument d’un éventuel et encore bien hypothétique flux de gaz naturel renouvelable — dont il faut certes souhaiter la mise en valeur — semble convaincre nos décideurs de soutenir dès maintenant l’expansion du réseau gazier destiné au transport de gaz fossile pour les prochaines décennies, période cruciale pour la lutte au changement climatique.

L’enjeu des fonds de retraite

Comment notre gouvernement peut-il avaliser un tel argumentaire ? Bien avant la santé des écosystèmes, étroitement liée à la santé des populations, nos décideurs sont préoccupés par une certaine conception de la « santé économique » de notre bas de laine collectif. Nos épargnes servent ici à développer une infrastructure permettant de transporter un produit de l’industrie fossile que nous devons acheter chez nos voisins du Sud et de l’Ouest. C’est là, selon nous, le nœud du problème : si le gouvernement adhère à ce projet, c’est notamment parce que nous sommes collectivement propriétaires, par le biais de la Caisse de dépôt et placement du Québec, d’une majorité des parts de l’entreprise Énergir, le second actionnaire en importance étant le Fonds de solidarité FTQ.

La nécessité de s’affranchir des approvisionnements fossiles entraînera, certes, un rééquilibrage des actifs de transport fossiles, incluant forcément ceux d’Énergir, au profit de nouvelles filières vertes. Cela exigera aussi un redéploiement de nos fonds de retraite vers la décarbonisation de notre économie. La perspective d’une détérioration écologique de nos conditions de vie devrait, en effet, paraître inacceptable aux gestionnaires de la Caisse qui détiennent les leviers financiers du virage énergétique. Celui-ci permettrait d’éviter la tragique dégradation de l’économie qui résulterait de leur inertie.

Et Hydro-Québec ?

Alors que débutent les consultations du gouvernement du Québec sur le développement des filières de l’hydrogène et des bioénergies, les astres semblent alignés en faveur d’Énergir. Son ancienne dirigeante, Sophie Brochu, siège maintenant à la tête d’Hydro-Québec et, sans surprise, on y trouve un nouvel élan à collaborer avec Énergir. Le mot d’ordre devrait pourtant être celui de la réduction de notre consommation par l’efficacité énergétique, le stockage, le 100 % électrique et le 100 % renouvelable. Par ailleurs, une étude de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie des HEC Montréal a estimé à 79 % le potentiel électrifiable de la consommation québécoise de gaz naturel. Le grand chantier à entreprendre est donc celui d’une véritable électrification verte, certes au détriment du projet gazier d’Énergir, mais en faveur d’un plan de décarbonisation écoresponsable.

À la veille des fêtes, ne serait-ce pas le plus beau des cadeaux que la Caisse de dépôt et placement du Québec entreprenne de désinvestir des énergies fossiles et redéploie les économies des Québécois et des Québécoises dans un réel plan de transition énergétique ?

Les signataires sont membres du Regroupement Des Universitaires

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